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Astrance, le livre

images.jpegIl est rare que je garde des "beaux-livres" de cuisine, de ces albums à la gloire de, avec des photos léchées abusivement, prises en gros plan avec des floutés et des bougés devenus ringards aujourd'hui, de pleines pages qui sont comme des peintures sur assiette -et on voudrait nous faire croire qu'on feuillette un catalogue d'art contemporain et puis des textes hagiographiques, des dithyrambes, des recettes maquettées comme des poèmes inédits de Rimbaud. Bref, en général, je m'en sépare vite en les offrant à des amies aimant cuisiner et qui se fichent de cette mise en scène et qui les chargent vite en projections de graisse tout en tambouillant, un oeil sur eux, un autre sur le motif; le sujet. Là, je pense aux rares bouquins que j'ai gardés, comme celui de Michel Bras (Rouergue). Il en reste peu. Le pontifiant Une journée à elBulli (Ferran Adria, Phaidon), m'a gonflé -le pape de la moléculaire eut la suffisance de le présenter à la presse à... Beaubourg! Le grand livre d'Hélène Darroze aussi (offert vite). Enfin, bon, là, j'en tiens un vrai, un qui n'est pas prêt de quitter mes lieux : Astrance Livre de cuisine (Le Chêne, 70€). Parce que le bouquin est vraiment somptueux, sous emboîtage, avec son second livre, un cahier de recettes pas-à-pas, qui frappent par leur modestie : Pascal Barbot (le chef) y livre ses secrets pour tenter de réalsier les grands classiques de sa table comme l'aubergine au miso, le millefeuille de foie gras (une tarte avec des  champignons de Paris d'un incroyable croquant), le dashi, et aussi la façon de cuire avec précision un poisson à la poêle ou à la vapeur... Les textes -du gros livre principal-, sont de Chihiro Masui, une Japonaise infusée, perfusée à la haute gastronomie française. Les photos sont signées Richard Haughton, un Irlandais familier des grandes cuisines françaises. Astrance nous dit surtout la fusion, l'alchimie de la rencontre entre un chef cuisinier réellement exceptionnel, Pascal Barbot, formé chez Passard (L'Arpège) notamment, et un chef d'orchestre en salle, Christophe Rohat donc, maître de cérémonie plutôt, directeur de la machine ainsi que leur brigade décontractée et tellement talentueuse qu'on est tenté de se dire, en entrant à l'Astrance (mon restaurant préféré et de loin dans sa catégorie), que l'exigence de l'excellence est ici au rendez-vous jusque dans le moindre recoin, lequel n'a rien à cacher. Les deux complices ont ouvert l'Astrance en 2000 (25 couverts et pas un de plus, jamais!  -C'est plein chaque jour, réservez bien à l'avance). A l'époque, je dirigeais les rédactions de GaultMillau (magazine et guides) et ma rédac. se trouvait à un jet de galets de là, Square Petrarque. téléchargement.jpegL'Astrance est rue Beethoven et tout cela gravite autour du Trocadéro, à Paris, sur les hauteurs puisque, d'en haut, on voit la Seine qui ne serpente pas. La découverte de cette table (je fus alerté par une éclaireuse hors-pair, mon amie Marie-Caroline Malbec, laquelle fait la tambouille à Alain Passard à l'occasion et la faisait également à feu Bernard Frank lorsqu'il traînait par chez elle, car c'est une journaliste-cuisinière de haute volée), fut une révélation qui vous scotche pour longtemps. Je n'en fis pas ma cantine, pensez!.. Les notes de frais connaissaient déjà leurs limites et mes ressources étaient maigrichonnes. Mais nous fîmes de Barbot le cuisinier de l'année, au Guide jaune. C'était le minimum. Avec une note au maximum, délivrée par l'un de mes plus fiables enquêteurs (je ne devais pas à intervenir, oeuf corse) et le grand papier qui allait avec, dans le magazine. La cuisine inventive, révolutionnaire, d'une simplicité touchante et pour tout dire émouvante de Barbot, allait droit au coeur de tous ceux -et ils furent vite nombreux à se passer le mot, qui savent distinguer l'essentiel de l'esbrouffe (l'esbrouffe? -Un truc très parisien qui fonctionne comme un virus souriant et il faut apprendre à se méfier de ces sourires figés-là). Aujourd'hui, l'Astrance est l'une des meilleures tables de l'hexagone. Et la sincérité, le savoir-faire, la créativité, la générosité, la modestie jamais feinte, la magie et les recettes de ce duo (Pascal et Christophe), impeccablement épaulé par une équipe réduite mais redoutablement efficace, n'a pas pris un pépin de melon en treize ans. Rare. Ce livre est à leur image : aucun texte qui escorte de sublimes photos n'est inutile, car tous fouillent l'anecdote, l'arrière-histoire comme disait René Char à propos de ses poèmes, l'avant-cuisine, ce qui se passe dans la tête de Pascal, ce qui chuchote en lui lorsqu'il voyage en Extrême-Orient, à la recherche de flaveurs et d'alliances, ce qui lui passe par l'esprit quand il pense à la perfection de l'oeuf, lorsqu'il met au point un plat risque zéro, ou bien qu'il flirte avec l'excellence en sachant qu'elle sera -heureusement- toujours à venir. Sauf qu'à chaque repas, Barbot et Rohat, animés par l'envie de faire plaisir, cette chose toute simple, réussissent leur coup à force de talents réunis, conjugués; bien dans leur tête. Dire que le livre passe en revue les agrumes, les piments, les herbes, les fleurs, les algues, les  vinaigres, les épices, les truffes, le pain grillé... est faible. Ses 350 pages mettent en scène, en lumière, en musique et en joie cent et un produits. Le livre devient une invitation au voyage, comme chaque repas pris à l'Astrance est une expérience singulière; l'apprentissage de l'épure intellectuelle et gustative.

Photo : Christophe Rohat (à g.) et Pascal Barbot ©vivelarestauration.com

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