Au cabaret des oiseaux
Je ne pensais pas pouvoir être ému un jour par un texte de Francis Jammes, tant sa poésie m’a toujours laissé un goût mièvre en arrière-bouche, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir et en dépit du Deuil des primevères et des Clairières dans le ciel... Or, à la faveur d’un salon du livre ancien qui s’est tenu à Bayonne dimanche dernier, j’ai fait l’acquisition d’un petit bijou intitulé Portrait de la France, Basses-Pyrénées, Histoire naturelle et poétique, par Francis Jammes, aux éditions Émile-Paul frères, avec un frontispice sous calque signé Daragnès figurant deux pelotaris. La collection était dirigée par Jean-Louis Vaudoyer auquel nous devons notamment un très beau texte sur La Havane. Le propos de Jammes n’est évidemment pas celui d’un scientifique et sa description de la géologie manque de rigueur, comme les parties consacrées à la botanique et à la zoologie souffrent d’approximations sur lesquelles nous fermons volontiers les yeux tout en regrettant que l’ouvrage ne soit visiblement pas passé sous les fourches caudines d’un éditeur scrupuleux. Jammes écrit par exemple que « Louhossoa signifie la mer » (Itsasoa, en Basque), et que l’alose est « une sardine d’environ cinq livres dont la chair délicate a le goût de la brise du premier printemps ». Il lui est beaucoup pardonné pour cette comparaison. La pibale, du temps de Jammes, semblait mal cuisinée : « Fraîche, elle est difficile à bien frire à cause du mastic poisseux qu’en grand nombre elle forme ». C’est avec son florilège consacré aux oiseaux que Jammes émeut : « Les palombes ont la couleur des nuages orageux où se lève l’arc-en-ciel (leur gorge) ». Au sujet du lagopède en plumage hivernal : « La perdrix blanche est une poignée de flocons qui a pris vie ». Aux yeux du poète, « la bécasse a l’air d’un bouquin de cuisine savante, relié en feuilles mortes, et chiné aux marges ». Mouais... « Fauvettes et rossignols enchantent successivement, c’est-à-dire la nuit après le jour, les fiancés et les époux ». L’écureuil, quant à lui, « ressemble, quand il s’ébroue au sommet d’un chêne, à un éclaboussement de soleil ». La flore suggère également des images tendres, comme les « lianes élancées, vertes, luisantes, retombantes, des églantines telles que des cascades où frissonneraient des jeunes filles ». À la page 62 de ce petit ouvrage, j’ai fait une découverte bouleversante en apprenant que la cardère - cette plante haute et piquante qui ressemble au chardon et qui pousse à la faveur des parcelles laissées en friche - est surnommée le cabaret des oiseaux parce que ses feuilles « rembrassantes », soit réunies à leur base en godet, retiennent l’eau de pluie et désaltèrent les passereaux, notamment le chardonneret, les jours de forte chaleur. Le chardonneret apprécie aussi, surtout l'hiver, les petites graines riches en huile contenues dans la fleur de la cardère. Le cabaret des oiseaux m’a laissé rêveur, d’autant que le chardonneret est l’un de mes trois passereaux préférés, avec le merle et le rouge-gorge... L.M.
©fotoloco
©le jardin de lucie
Commentaires
Juste dire que Francis Jammes a sa place (dans l'ordre alphabétique: de Michel Abadie à Paul Villa en passant par Jean Francis-Bœuf, mon grand père..) dans un bouquin que vous auriez pu trouver dans ce salon des livres anciens de Bayonne. C'est celui d'Armand Got et d'Auguste Pujolle "Poètes de la Bigorre et du Comminges (1900 - 1963)" Préface de Paul Guth. Les Editions d'Aquitaine, 1963.
"Ca et la sur le ciel....", "Le sommet du col" (Le poète va dans la montagne, entre Saint-Pé et Argelès), "Vers" et "Le don" en sont les courts extraits.
Cher André Boeuf, je vais tout faire pour me procurer cet ouvrage. Ravi d'apprendre en passant que votre grand-père était poète.
Aussitôt dit, aussitôt fait : livre commandé sur Internet. Je devrais le recevoir sous peu.
Bonjour, L’alose et la sardine appartiennent à la famille des Alosidae. D’où la confusion de Francis Jammes ?…
Cher André Boeuf, j'ai reçu le livre (un exemplaire dédicacé par Armand Got, d'ailleurs) et lu les deux poèmes de votre grand-père Jean Francis-Boeuf, ainsi que d'autres ici et là, de Jules Laforgue, Francis Jammes, Tristan Derème, Edmond Rostand, Laurent Tailhade...
Il a écrit quelques beaux livres sur l'Afrique et je pense qu'il avait un certain talent de peintre.
Peintures dites coloniales (il était administrateur, Chef de Subdivision à Mankono en Côte d'Ivoire. AOF), mais aussi de la Bretagne qu'il avait adopté à la suite du mariage avec ma grand-mère: bretonne pur jus!
Comme vous pour Jammes, je n'appréciais pas beaucoup son style très académique. Cependant ses livres sur l'Afrique "La Soudanaise et son amant", "Sous le triste soleil splendide", m'ont parus très intéressants. Mais tout ceci est une vieille histoire que l'on peut retrouver chez des auteurs spécialistes de ce genre d'auteurs et de diffusions. Et certaines anecdotes amusantes, d'ailleurs.
Par dessus tout cela, merci pour votre effort d'acquisition du volume des "Poètes...".