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Monsieur Province

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Que ne sacrifierions-nous pas pour un jeu de mots, même tiré par les cheveux ? Si Thomas Morales était un débauché, je titrerais cet article « Le rétroviveur ». C’est ainsi que je surnommais mon père lorsqu’il rabachait ad nauseam sa nostalgérie d’italo-pied-noir. C’est quand même tentant, et la couverture de son nouveau livre au titre fitzgeraldien, « Tendre est la province », essai littéraire qui caracole, publié sous casaque des Équateurs de l’ami Olivier Frébourg, y incite fortement. Le mot province est celui que Morales, issu de « commerçants berrichons et de forçats venus d’Andalousie », préfère entre tous. Il nous en conte et raconte au fil de 230 pages avec un ton fleuri qui figure sa patte, un style vigoureux qui lui est propre, de cette province française qu’il chérit, bien qu’elle se dilue, disparaisse, s’efface avec élégance. Lire Morales, c’est prendre un ballon de menetou-salon au zinc d’un rade de village en avalant un œuf mayo tout en écoutant Brassens ou pourquoi pas Tino Rossi. Cet ouvrage écrit avec talent à la première personne est une sorte d’autobiographie par anticipation d’un quinqua continuant d’enfourcher une mob bleue ou orange (délaissant un instant la Ford Mustang) pour partir à l’aventure sur les chemins vicinaux et les routes départementales, entre clocher, école désaffectée, bar des chasseurs, mairie riquiqui et vieux en voie de disparition. Monsieur Nostalgie, fils unique qui naquit à Bourges, est habité par ce pays qui « s’inscrit dans nos gènes par décalcomanie, par abstraction ». Mais, poursuit l’auteur, la nostalgie est « balise dans l’océan, tuteur solidement enfoncé dans les terres effacées. » Notre styliste, qui confesse avoir eu le béguin pour une Léonarde (du pays du Léon), puis avoir convolé en justes noces à Carantec avec cette fille d’un fusilier marin breton portant la légion d’honneur au revers de son veston, nous attache durablement. Sa France figure une brocante personnelle où d’aucuns se retrouve(ro)nt comme dans un costume sur mesures. « Elle flirte avec les marges, les écrivains vipérins et les bombances débridées », écrit ce fils spirituel de feu l’ami Denis Tillinac. Une phrase seulement nous rappelle l’incipit d’un des premiers romans de Denis. Page 52 de « Tendre est la province », nous lisons : « J’ai été langé par une nourrice corso-espagnole qui portait un chignon façon mater dolorosa et était pieuse comme un moine de Tibhirine. » Dans « Le bonheur à Souillac », cela donne à la première page : « J’ai été déniaisé à l’âge de seize ans, sur une falaise du Dorset, par une Linda aux cheveux platinés, qui n’en menait pas large. » La filiation est établie et ce n’est pas un hasard si Morales fut le premier lauréat, en 2022, du tout neuf Prix Denis Tillinac (disparu le 26 septembre 2020 : C'était Denis )... Morales aime la structure mentale, la fierté de la province, voire son délitement, en romantique sensible à l’évanouissement de la beauté, de la sincérité, de la simplicité. « Ma France grince comme la maison de mon enfance », écrit-il joliment. Entre les pages, nous croisons Yvette Horner, des gamins en culottes courtes fiers de commémorer le 11 novembre au monument aux morts, des bouteilles de rosé pour les barbecues de l’été, une étape du Tour de France, un standard d’Eros Ramazzotti, un livre écorné de Daphné du Maurier, un slow-braguette du samedi soir dans le dancing du chef-lieu de canton en compagnie de boutonneux de bringue inoffensive, des fraternités indéfectibles, un Opinel inoxydable à force de gras de saucisson tranché, le break Volvo du paternel, refuge majuscule en cas d’alerte nucléaire sentimentale. Il y a encore du fromage de tête et des rognons entiers comme des grappes bodybuildées, des rires larges et des nappes à carreaux, les paysages doux et sans aspérités du plat Berry qui est le sien. Il y a la défense du parler paysan, des « r » roulés avec suavité et franchise intérieure, moqués par les néo-ruraux, il y a du Grand Meaulnes et du Jean Chalosse, moutonnier des Landes dans ces contrées de patience. On trouve dans ce bric-à-brac qui redonne goût à la chine et aux vide-greniers, des remontrances : « Quand je braise, je me cache ; quand je fume (mon saumon) je disperse mes cendres sous mon prunus ; quand je débouche un flacon de gevrey, j’ai l’impression de sniffer une ligne de coke, quand j’ouvre des belons, suis-je un génocidaire des mers ? » Morales se libère aussi, et les pages à l’adresse de son père sont émouvantes, comme celles touchant à la blessure qu’infligea le divorce de ses parents. Thomas avait dix ans. Revigorantes sont celles qui animèrent tout son être lorsqu’il découvrit le métier de journaliste dans la PQR (je suis également passé par la Presse quotidienne régionale, et je comprends par conséquent cet adoubement initiatique qui me fut un bonheur indépassable). Amoureux des livres de Blondin et des films de Philippe de Broca, Morales le chroniqueur brillant au verbe claquant et à l’adjectif qui fouette, que nous suivons dans Causeur ou Le Figaro, signe ici une somme vibrante et sans ambages. Le tout avec une plume des plus précieuses du paysage littéraire ambiant. L.M.

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Commentaires

  • Bonjour,
    Toujours ce bonheur de la découverte d'un auteur au travers de votre plume, qui renvoie d'ailleurs à de précédentes entrées (je viens de parcourir celle sur Denis Tillinac qu'il me tarde également de découvrir), et par extension la perspective certaine de beaux voyages littéraires.
    Merci.

  • Merci, cher Sylvain.

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