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KallyVasco

  • Reprendre le grand Ramón

    GREGUERÍAS

    Grâce soit à nouveau rendue à Valery Larbaud d’avoir découvert Ramón Gomez de la Serna en 1917 pour le lecteur français. Nous tenons Le Torero Caracho pour le meilleur roman ayant la corrida pour thème, La Femme d’ambre comme celui qui évoque Naples la vénéneuse avec le plus de subtilité, Seins pour le livre le plus sensuel, le plus drôle, le plus abouti – 300 pages - sur le sujet, et son chef d’œuvre, Automoribundia, l'autobiographie de l'auteur (lire plus bas) pour un énorme livre-vie inclassable, et enfin Greguerías (le terme : humour+métaphore, « l'une de mes cendres quotidiennes », « oeillet sur le mur », disait lui-même l'inventeur de ce trait poétique), comme le recueil de micro-fragments le plus agréable à lire (éditions Cent pages), autant que le Journal de Jules Renard et les Carnets de Cioran, en plus humoristique.

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    Je tape dedans au hasard afin que celle ou celui qui ne connaît pas encore le plaisir de lire Ramón ressente son ça : « Le poète se nourrit de croissants de lune. » « Les épis de blé chatouillent le vent. » « Il devrait exister des jumelles olfactives pour percevoir le parfum des jardins lointains. » « Le glaçon tinte dans le verre comme un grelot de cristal au cou du whisky. » « Le brouillard finit en haillons. » « L’âme quitte le corps comme s’il s’agissait d’une chemise intérieure dont le jour de lessive est venu. » « Le bon écrivain ne sait jamais s’il sait écrire. » « Lorsque le cygne plonge son cou dans l’eau, on dirait un bras de femme cherchant une bague au fond de la baignoire. » « Accroupies à l’ombre de l’arbre qui se trouve au milieu de la plaine, les idées du paysage tiennent salon. » « L’épouvantail a une allure d’espion fusillé. » « Les jours de vent, les joncs ont cours d’escrime. » « La migraine est cette femme pénible qu’on ne veut pas recevoir, mais qui se glisse chez vous en disant : Je sais que vous êtes là. » 

    AUTOMORIBUNDIA (1888-1948) 

    L’énorme, l’immense autobiographie, ces « mémoires d’un moribond » selon leur auteur lui-même, Ramón Gómez de la Serna (1888-1963), est un de ces livres si rares qu’on les compte sur les doigts au cours d’un siècle de littérature européenne. Larbaud comparait Ramón à Joyce et à Proust. Pas moins. Il y a aussi des accents borgésiens dans cet œuvre richissime, touche à tous les genres, et nous pouvons penser au Journal de Henri-Frédéric Amiel, ainsi qu’au Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa ; et aux accents toniques et désenchantés de José Bergamín lorsqu’il évoque le toreo dans L’art de Birlibirloque, et dans La solitude sonore du toreo. Des chefs-d’œuvre, donc. La prose de Ramón (ainsi le désigne-t-on d’ordinaire, lors que son patronyme signifie Seigneur de la terre. Gómez : seigneur, et Serna : la terre, précise l’auteur page 47), est envoûtante comme un arc-en-ciel, volumineuse comme une houle, elle vous piège, vous hypnotise et ne vous lâche pas. Nous sommes tentés de faire des sauts de pages pour aller voir plus loin, renifler l’air à deux ou trois chapitres de là, et puis nous revenons scrupuleusement là où nous avions suspendu notre lecture. Automoribundia (*) happe. Chaque événement, petit ou grand, de l’existence de Ramón depuis sa naissance « le 3 juillet 1888, à sept heures et vingt minutes du soir, à Madrid, rue de las Rejas, numéro 5, deuxième étage », nous est conté. Mais jamais amplifié. 

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     Proustien

    Nul narcissisme dans ces 1040 pages. Juste une préoccupation du mot, de l’émotion de l’instant retranscrit (le côté proustien), du lyrisme aussi dans les descriptions des personnages, nombreux, des paysages urbains, souvent intérieurs, des âges de la vie, des sensations fugitives a priori insignifiantes, mais qui font littérature sous le regard, puis la plume d’un écrivain sagace et percutant comme Ramón. « Je ne lésine pas sur les détails (...) Je crois à tout ce que je dis, je ne passe sous silence aucun secret », précise l’auteur dans son Prologue. D’ailleurs, page 36, soit la seconde du chapitre premier, nous lisons le geste de révolte fondateur, « Mon premier acte sur terre fut de faire pipi... ». Nous l’attendions, ce livre publié pour la première fois à Buenos-Aires en 1948. Quelques éditeurs téméraires, au premier rang desquels André Dimanche, avait commencé d’entreprendre la traduction de l’œuvre protéiforme de l’auteur. Il y eut Seins, Le Torero Caracho, Greguerías, La Femme d’ambre (nos préférés), dix-huit autres, mais toujours pas son œuvre maitresse, dont les louanges étaient chuchotées ici et là pas nos amis hispanophones qui nous narguaient car ils l’avaient lu, ce pavé lourd des bonheurs de lecture qu'il procure avec générosité. Un exemple entre cent. Le chapitre V, « Aventure des cartouches et des mûres », est une sorte de nouvelle très proustienne en l’occurrence, à propos d’un jeu consistant à emplir de mûres des douilles laissées par des chasseurs, et auquel se livrent deux enfants, dont une fille et l’auteur, en compagnie du père de ce dernier. Extrait : « Je me rappelle que pendant le trajet nous restâmes silencieux et que j’appris ce jour-là ce qu’était la séduction féminine, son influence sur l’attention et sur la mécanique, incitant à introduire des mûres vivantes, mélange d’encre et de sang sur les doigts, dans des cartouches mortes, et à savourer de temps en temps le fruit sombre couleur de lèvres au goût de confiture. Plus tard, j’ai découvert les buissons fleuris des ronciers, où la mûre est un bouton au gilet de la nature, mais ces gros fruits du mûrier, dans le mystère de l’après-midi où riait sans relâche la femme tentatrice de l’homme prudent, celles-là, ah ! je ne les retrouverai jamais, sans cesser pourtant de les chercher toujours. » Avec Ramón, un rien fait texte, et c’est là la signature du véritable écrivain, faux diariste et vrai prosateur. 

    Il fait mouche

    Que sa tante Milagros se lave les cheveux, que ses cousines Lola et Teresa sortent du couvent où elles étaient pensionnaires, qu’il résume l’année 1900 par les événements marquants (mort de Ruskin, et de Nietzsche notamment), les collèges castillans de Palencia et de Frechilla qui lui permirent de recevoir la « sur-lumière » dont a besoin, pour parler avec aisance, le jeune homme de retour à Madrid, qu’il évoque dans cette grande ville les heures chaudes recevant « leur afflux de sang optimiste », Ramón possède le talent incessant d’orner et piquer ses pages de formules qui font mouche, de touches, de notes pointues, « À la cuisine on jette des miettes dans le gazpacho, comme on jetterait du concombre aux poissons dans leur bocal », et le feuilletage aléatoire d’Automoribundia en devient un plaisir de cueilleur, de lecteur d’aphorismes gardant donc un doigt en guise de marque-page là où la lecture a été suspendue. Récréation. Ainsi du sablier acquis par le père de l’auteur, afin de savoir comment il dépensait ses heures, devenant, passé au prisme de la prose, le consciencieux contrôleur du temps familial, un personnage supplémentaire, et c’est prodigieux. Le jour du couronnement d’Alphonse XIII à sa majorité en 1902, Ramón note que « les feuilles des marronniers étaient plus grandes que d’habitude ». Au sujet de l’adolescence, son regard autocritique et dérisoire résume l’affaire, « c’est une chose barbare, c’est manger des yeux les gambas crues qu’on voit dans les poissonneries, vouloir chasser les ours blancs des vitrines des fourreurs, réclamer un journal qui ne se vend pas et qu’on ne trouve pas dans les kiosques, craindre de perdre la tête et croire qu’une belle femme pure et libre va nous arrêter dans la rue pour nous avouer qu’elle nous adore. » Et le lecteur, là, adore l’auteur de ces lignes-là. Nous n’en sommes qu’à la page 222 et nous nous pourléchons les babines, sachant que nous en avons 750 sous le coude. 

    Les pages de la maturité 

    Lorsque Ramón raconte qu’il devient un « monomaniaque littéraire », les pages de ce livre fleuve prennent une autre consistance. Nous cheminons, autobiographie chronologique oblige, aux côtés d’un personnage que nous voyons grandir, changer, mûrir, publier trop tôt à son goût – à seize ans - son premier livre, Entrant dans le feu. Un (petit) four. Ramón aura l’élégance de ne pas faire de la disparition de sa mère une contribution au genre littéraire dédié. Une phrase est à retenir sur le motif, « Ma mère était maintenant dans un tombeau, j’avais une mère dans la mort, la mort était maintenant ma mère. » Le talent. Il devient avocat à Oviedo, rencontre des femmes, publie dans les revues littéraires en vogue, gagne Paris où il s’émerveille de tout deux années durant, « j’apprends que, sur les ponts, les réverbères possèdent une monocle rouge afin que les bateaux ôtent le haut de forme de leur cheminée quand ils passent dessous », il voyage en Angleterre, en Italie, en Suisse, regagne Madrid, se lie d’amitié avec les écrivains en vue, devient leur coqueluche, sa revue Prometeo est emblématique, le Café de Pombo où il réunit ce que Madrid et donc l’Espagne compte d’intelligence et de subtilité, sera le salon des débats littéraires qui comptent, et où il écrit fréquemment « face à l’un des miroirs ». Ramón découvre le Portugal en 1915, s’émerveille et revient « pétri de saudades ». 

    Livre-monstre

    Larbaud surgit, traduit en français quelques Greguerías, sous le titre Echantillons, dans Les Cahiers Verts. Et nous n’allons pas raconter ici la vie de ce géant des lettres espagnoles qui prétendait que « on est dans la vie un triste noceur de la mort », puisque son autobiographie moribonde s’achève lorsqu’il a soixante ans. Mais les pages sur le chalet qu’il fait construire à Estoril, au Portugal, celles consacrées à Naples, « lieu d’élection pour vivre et mourir », ville qu’il adorera sans limites, les notes et impressions sur les femmes qui traversent son existence, y compris cette énigmatique poupée de cire, sans parler de sa femme Luisa Sofovich, avec laquelle il s’exilera en Argentine en 1936, et où Ramón mourra en 1963, sont autant de visages d’une œuvre foisonnante, dans laquelle – et c’est sa précieuse singularité, aucune phrase n’est laissée au hasard, tant dans sa forme scrupuleusement écrite que par son sens. Tout ceci bouleverse durablement. Ainsi, la densité rarissime de ces mille et quelques pages font d’Automoribundia un livre exceptionnel, « un livre-monstre », avance sa traductrice dans la postface. Un livre de chevet écrit par un artiste, soit « celui qui ne réalise pas ses rêves », mais dont la vie fut bien remplie, et résumée ainsi par son auteur, « Mon triomphe, c’est de m’être dissimulé sans cesser d’apparaître ». Un livre-clé, enfin, auquel nous reviendrons souvent, comme nous retournons inlassablement à Montaigne, à Proust, à Jules Renard. L.M.

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    (*) Admirablement traduit par Catherine Vasseur, éditions Quai Voltaire/La Table Ronde, 34€. Nombreuses illustrations. Nous saluons derechef la prouesse éditoriale de l’équipe d’Alice Déon pour la réalisation d'un livre qui marquera l'édition.

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  • Miguel Delibes

    relire delibes

    Son oeuvre est âpre, puissante, sans concessions, verticale *. Les personnages de ses romans sont Espagnols jusqu'à l'os. De Castille particulièrement. Miguel Delibes nous a quitté le 12 mars 2010, (date de la rédaction de cet article que je retrouve dans les relire delibesarchives de KallyVasco parce que me prend l'envie de relire Delibes et aussi de revoir l'adaptation au cinéma que Mario Camus fit des Saints innocents). Chez lui tout est bon et se trouve à l'enseigne de l'épicerie fine Verdier. Si vous ne l'avez pas encore lu, vous avez la chance de vous trouver sur le seuil d'un grand bonheur, comme on dit dans ce cas. Franchissez-le, ouvrez la porte et prenez Les Rats, Le Chemin,relire delibes L'Hérétique, Les Saints innocents, Dame en rouge sur fond gris, Vieilles histoires de Castille, Le linceul, Cinq heures avec Mario... (je balaye l'étagère des yeux - photo ci-dessus - et les souvenirs de lecture affluent. Tout à l'heure je relirai juste mes annotations en marge, comme souvent, histoire de replonger dans le bain vivifiant et fort comme l'aube givrée dans le campo qui parcourt les livres de Delibes. Ce campo où j'ai un jour chassé, en compagnie de l'un de ses fils. Celui-ci m'offrit un livre de son père, dédicacé -un livre moins connu que ses romans- , puisqu'il est consacré à la chasse en Espagne : El libro de la caza menor)... ¡Vaya!

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    * Je la rapproche de l'oeuvre d'un autre Grand d'Espagne, publié également à l'enseigne jaune (rouge pour les premiers livres de ces deux auteurs) des éditions Verdier : Julio Llamazares.

    MD3.jpgCette photo d'un Miguel Delibes jeune, a été retrouvée par sa famille, parmi les papiers de l'écrivain, peu après sa mort. Elle m'a été amicalement transmise par son fils Adolfo, que je remercie ici à nouveau.

     

    DÉTAILS sur certains livres de Delibes :

    L'important, c'est La Triologia del campo, composé des Rats, du Chemin et des Saints innocents. Mario Camus adapta au cinéma Los Santos inocentes, avec Francisco Rabal dans le rôle de l'Azarias, le débile d'un village de Castille encore médiévalisé, où règne un señorito. Azarias sait parler aux oiseaux et il a apprivoisé une corneille, à laquelle il murmure sans cesse milana bonita, milana bonita... Innocent touchant, il sourit au ciel, obéit au maître; jusqu'à un certain point...

    Dans Le chemin, les personnages : Daniel le Hibou, Roque le Bouseux, German le Teigneux, possèdent une force peu commune, un savoir d'hommes de Nature impressionnant. Ce sont des poètes, des sages qui tutoient les oiseaux. Extrait : Sûrement qu’on perd beaucoup de temps en ville, pensait le Hibou, et au bout du compte, il doit y en avoir qui, après quatorze ans d’études, n’arrivent pas à distinguer un geai d’un chardonneret ou une bouse de vache d’un crottin.

    Le linceul, recueil mince de nouvelles paysannes, où  l’apprentissage de la mort à travers les yeux d’un enfant qui la découvre devient inoubliable, est à rapprocher de cette trilogie de l'éternelle Castille aux champs noirs, où des êtres rustiques vivent dans des villages hors du temps et du progrès. Car c'est peut-être le livre le plus épuré, le plus dépouillé, où l'écriture est la plus essentielle du Delibes auteur d'une certaine ruralité, dont les valeurs cardinales sont placées sous le signe tutélaire d'une communion viscérale, voire instinctive, avec la nature.

    relire delibesMiguel Delibes se définissait lui-même ainsi : Quand je me regarde de l’extérieur, je vois que je ne suis pas un écrivain génial. Je suis un chasseur qui écrit... (excellent titre de l'un de ses livres)

    Son goût pour le journalisme était par ailleurs démesuré. Il a dirigé le plus important quotidien de Castille et déclina l'offre de diriger la direction d'El Pais! Je crois que quand on vous a inoculé le poison du journalisme, c’est pour toujours, déclara-t-il un jour au Monde. Hemingway a dit qu’il fallait s’en retirer à temps parce que c’est une profession stérilisante pour un écrivain. Je crois que le journalisme est en quelque sorte le prologue de la littérature. En ce qui me concerne, il m’a aidé beaucoup par l’exercice de synthèse qu’il m’a imposé. (Il disait également, avec une exquise politesse, qu’il détestait parler aux journalistes... à moins que ceux-là se passionnent comme lui pour la chasse et la pêche, la truite et la perdrix).

    Et puis il y a le Delibes émouvant, moins rural, celui de Cinq heures avec Mario, et surtout de Dame en rouge sur fond gris, portrait extrêmement émouvant d'une femme presque parfaite, irréelle, qui ressemble à celle qui partaga trente ans de la vie de l'écrivain et dont la disparition, en 1974, l'empêcha d'écrire une seule ligne durant trois années.

    relire delibes 

    Outre les premiers romans comme Lune de loups et La pluie jaune, de Julio Llamazares, jeune écrivain visiblement habité par l'oeuvre de Miguel Delibes, je rapproche l'écriture et l'univers de Delibes de ceux du Jean Giono de Que ma joie demeure et du Grand troupeau, et du Jean Carrière, qui fut son fils spirituel, de L'épervieur de Maheux et de La caverne des pestiférés. Et, plus près de nous, c'est l'univers et l'âpreté des personnages des romans de Sylvie Germain, surtout les deux premiers : Le Livre des nuits et Nuit-d'Ambre, qui m'y font immédiatement penser. Pour aimer lire Delibes, mieux ressentir l'expression du sous-sol de son talent dans le vin de sa prose, il faut avoir aimé aussi, par exemple, Le Llano en flammes et Pedro Paramo, de Juan Rulfo... Cet ensemble forme une sorte de famille littéraire, à laquelle chacun peut ajouter une ou deux lectures, un auteur ou deux...

    J'ajoute aujourd'hui (9 juin 2025, donc) soit quinze ans après avoir écrit cet article, que d'autres voix semblables se sont en effet déclarées. Citons pêle-mêle Franck Bouysse et le magnifique Grossir le ciel, mais aussi Plateau, ou son plus fameux roman, Né d'aucune femme (La Manufacture des livres). Tous les livres de Sandrine Collette publiés par Lattès, le dernier de Carole Martinez, Dors ton sommeil de brute (Gallimard), Natassja Martin et son puissant Croire aux fauves (Verticales; folio), d'autres encore évoqués dans ces pages au fil du temps. L.M.

     

     

     

     

  • Relire Jean Cayrol poète

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    « La poésie n’est pas le résidu de la littérature, ce qui reste après que les romans bavards, les essais désinvoltes, les philosophies de l’aigreur nous ont tendu leur plat du jour. Elle se tient à la fenêtre quand chacun dort, à la porte quand le dernier habitant est parti, au grenier quand l’enfant s’est sauvé en haussant les épaules, sur la cime de l’arbre quand le bûcheron frotte ses doigts engourdis. » Jean Cayrol (1910-2005), « Chacun vient avec son silence », Points Poésie.

  • My Funny Ventoline

    Il ne s'agit pas d'un hommage à Chet Baker (My Funny Valentine), mais d'un texte très personnel que j'ai donné en mai 2021 à un magazine en ligne que j'aime beaucoup, L'Intimiste.

    C'est mon ami Didier Pourquery qui m'avait incité à le faire auprès de Sandrine Tolotti, qui pilote cette délicate lettre littéraire à laquelle je recommande de s'abonner.

    Je suis retombé dessus après avoir discuté ce matin avec un ami d'asthme littéraire (voir la note précédente).

    Je le re-délivre (l'heure est à la reprise). Cliquez sur le lien ci-dessous, et déroulez jusqu'à La carte blanche =>  My funny Ventoline  Ou bien lisez ci-dessous.

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    My funny Ventoline 
    Par Léon Mazzella
     
    Je vivais chaque nuit dans la position de Buddha, lorsqu’il est représenté accroupi, en tailleur, le dos rond, le visage dans ses mains largement ouvertes, et qu’il figure une sorte de tortue à la carapace généreuse. J’étais ainsi sur mon lit d’adolescent, dans ma chambre d’enfant, chez mes parents, chez moi encore, j’avais onze ou douze ans je crois, et ma vie nocturne était réduite à une impossibilité de respirer automatiquement absolument insoutenable, sauf dans cette position, au moins pour un temps certes très court, mais qui avait la vertu de soulager un peu mes muscles, mes os, mon esprit. Je n’aimais donc pas la nuit. Je la redoutais. Elle était synonyme de souffrance. J’aurais voulu l’écourter. Je précédais l’aube d’une heure, parfois, en la hâtant en pensée. Mon amour pour l’aube vient partiellement de là. Je ne parlais pas de mes nuits. Ce tort féconda une fringale d’écriture. Je le crois. La douleur fut peut-être ma chance. Mais à quel prix. J’ai passé des centaines de nuits dans cette position, avec un oreiller calé entre mon ventre et mes jambes repliées. Parfois, je restais ainsi sur la moquette, car le lit m’était trop mou, mouvant, instable, marin ; un hamac sans amarres. Je finissais par penser que chacun devait tenter de dormir ainsi, comme moi, dans cette inconfortable position. En réalité, puisque j’avais connu tant de nuits ordinaires, je savais bien que c’était faux. Mais j’ignorais l’identité de mon mal.  
     
    Surtout, je ne parvenais pas à l’exprimer, comme s’il s’agissait d’une honte, oui, d’une honte. Pire, je crois qu’il m’était acquis que cela devait se passer ainsi. Ne pas parler de ce qui ne va pas, de ce qui fait mal, de ce qui empêche. Telle me semblait être la règle unique. Garder la bouche fermée, les dents serrées. As-tu bien dormi mon fils – Oui papa. Tiens, mange tes tartines, ne te mets pas en retard. Never complain. Et, davantage, en l’occurrence, never explain ; travail d’amont. Les années douloureuses furent nombreuses. Une vingtaine. C’est beaucoup. Vraiment. Ma seule paix, durant tant et tant de nuits, je la trouvai debout, me forçant à lutter contre le sommeil qui m’envahissait pourtant, et à marcher dans la maison, en bas, entre salon et cuisine, et dans le jardin, pieds nus l’été, chaussé l’hiver.
     
    Puisque c’est dehors la nuit que j’ai commencé d’éprouver la nature, je remercie l’asthme de m’avoir familiarisé avec la voûte céleste, avec la voie lactée que j’ai apprise, avec le hululement de la chouette effraie, de la hulotte, de la chevêche, avec l’air chargé de vase et de marée – nous habitions au-dessus de la Nive, à Bayonne, qui charriait deux fois par jour ses remugles montagnards et campagnards à l’aller, et marins au retour. Je le remercie de m’avoir permis d’apprivoiser cette tisane froide des parfums nocturnes de l’herbe, et aussi l’odeur de la rosée, cette autre qui composait un bouquet lié d’une infusion précieuse, une liasse dans laquelle le chèvrefeuille se frottait à la menthe, la rose trémière au tilleul, le gazon tondu à la terre gorgée d’eau. J’écoutais les grenouilles, les crapauds aussi, le chuintement du vol des hiboux, le passage d’un sphinx, gros papillon de nuit, qui venait se cogner au lampadaire municipal, devant le portail de la maison, le passage furtif d’un chat de gouttière, la fuite suave d’un ragondin au poil gominé, car il en traînait, qui remontaient de la rivière, pour venir brouter à l’aise et à l’insu des chiens de garde.
     
    Nous n’avions pas le droit d’être malade, à la vérité. Une sorte d’inhibition causée par la peur de mes parents de voir un de leurs enfants souffrant – mes deux sœurs et moi-même -, m’envahissait. Au moindre éternuement, notre père déclenchait un plan de riposte médical qui, par sa démesure, était grotesque. Mais ça, un enfant le ressent, mais il ne peut encore le dire. Aussi, ai-je toujours étouffé mes éternuements. Le moindre chatouillement de la gorge entrainant un début de toux m’effrayait : ne pouvant la retenir, j’étais aussitôt démasqué, je perdais ma paix, je ne m’appartenais plus. Repéré, objet d’une attention stupide, j’étais aussitôt diminué, réduit à une chose fragile et en danger, dépendante, qu’il fallait calfeutrer, confiner, enfermer, soigner afin d’endiguer le spectre d’un mal plus grand. Je ne sais d’où venait cette frousse de perdre leurs enfants qui animait des parents devenus tellement protecteurs que leur prudence excessive interdisait que nous puissions nous armer en fabriquant des anticorps. En conséquence, ma petite crainte m’obligeait à taire toute égratignure, toute douleur. Mon oreiller absorbait les sons de la toux et de chaque éternuement. La honte d’être malade prit ainsi le relais de la peur. Le sentiment d’être en faute, de faire mal en tombant malade m’étreignait à chaque bronchite. Ainsi passèrent la fin de mon enfance, mon adolescence, et les premières années de ma vie d’homme. L’apparition de l’asthme avait enclenché ces années clandestines.
     
    En 1980, j’avais vingt-deux ans, la disparition de mon grand-père augmenta le rythme de mes crises nocturnes, bien que celles-ci survenaient surtout le week-end, désormais, car j’étais étudiant à Bordeaux, où mes nuits étaient plus paisibles, parfois profondes. Une question d’humidité, sans doute. Mes bronches rétrécirent de tristesse, je ne m’habituais pas à leur chuintement aigu à chaque respiration forcée. Les muscles des épaules et du torse étaient fourbus de devoir se distendre afin d’augmenter la capacité d’une cage thoracique continuellement sollicitée ; par force. Un jour, un copain de lycée, « grand » asthmatique de naissance, me tendit son flacon coudé bleu ciel recouvert d’un bouchon bleu marine. Mais, comme il m’avait déjà dit que son usage l’avait conduit à plusieurs reprises à l’hôpital car il y avait un risque cardiaque à l’utiliser, je refusai. La peur, sans doute, de me retrouver hospitalisé et de recevoir la visite de mes parents, qui transformeraient ma chambre en cellule stérile, en prison à vie, me paniqua. Même si l’étau ne prenait pas de vacances, je choisis de continuer de lutter, de ne pas dormir, d’entamer mes journées épuisé, perclus de courbatures, vermoulu, avec l’impression d’avoir été roué de coups.
     
    Ainsi jusqu’à ce jour de 1991, en pleine brousse, au nord du Burkina Faso. Une crise m’avait soudain saisi à la tombée de la nuit, alors que l’asthme commençait à me laisser en paix depuis quelques années. Il ne s’acharnait plus, mais lorsqu’il resurgissait, il devenait intraitable, ses mâchoires ne desserraient pas. Me voyant empêtré, ayant reconnu les sifflements caractéristiques, un voyageur présent au campement me lança : « Vous semblez avez oublié votre Ventoline en France ». Je répondis que je n’en avais pas, et que je n’en avais encore jamais utilisé. En guise de réponse, il me tendit le petit spray bleu qui ne le quittait pas : « Tenez, vous allez voir, ça va passer tout de suite. Retournez-le, mettez-le dans la bouche et inspirez à fond tout en appuyant dessus. C’est comme ça que ça marche. Allez-y ! ». Je ne réfléchis pas, ôtai le capuchon et envoyai ma première bouffée dans les poumons. Ce fut un choc. La naissance d’un nouveau bonheur. Un miracle. L’apparition de la Vierge. Un orgasme. Un coup de foudre. L’expérience de la sidération. Subjugué, car instantanément débarrassé des griffes du mal, j’éclatais de rire bêtement comme un enfant qui ouvre une pochette-surprise. L’effet fulgurant du salbutamol, la molécule unique composant la Ventoline, son effet bronchodilatateur, m’apparut comme quelque chose d’absolument magique. D’un seul pschitt, d’une seule bouffée de rien du tout, je pouvais annihiler une crise sur l’instant, lors qu’il m’avait fallu jusque-là patienter douloureusement une nuit entière jusqu’à l’aube et au-delà, pour en voir diminuer chacune à mesure, ce jusqu’à l’effacement total. Seule l’anesthésie générale que je subis longtemps après – cette impression de partir inexorablement, de glisser comme du sable entre les doigts disjoints -, produisit un effet comparable mais à l’envers sur mon corps et ma conscience. Je ne conçus aucun regret d’avoir perdu tant de temps. Je n’en voulus jamais à mes parents de m’avoir d’une certaine façon empêché de leur parler du mal dont je souffrais. Je tirais au contraire une certaine fierté de m’être débrouillé par moi-même, de façon empirique certes, mais tout seul.
     
    Depuis, comme chaque allergique, je ne puis me déplacer sans ma Ventoline. Et même si je n’en ai plus l’usage, mon asthme ayant fini par capituler, il me faut quand même (s)avoir un, voire plusieurs sprays pas loin : table de chevet, boîte à gants, sac de week-end. L’oublier pourrait provoquer une angoisse telle qu’elle déclencherait une crise. Aussi, le flacon bleu ciel à bout bleu marine fait-il constamment partie de mon viatique. Aujourd’hui, lorsque la date de péremption est dépassée, je les jette sans les avoir utilisés une seule fois. Et je m’en procure d’autres. Au cas où.
     
    Je remercie aussi cette tentation de mettre ses enfants en couveuse, car se sentir épié en permanence – pour son bien -, génère un besoin de fuir, une soif de solitude. L’envie de s’en sortir. D’apprendre à. Engendre l’aversion pour toute aide. Entretient le devoir de ne jamais se plaindre. Voire celui d’endurer avec stoïcisme. De ne jamais passer pour une victime. D’affronter les éléments, de regarder le soleil en face sans le recours aux lunettes protectrices, d’endurcir son corps, de marcher pieds nus sur le sable brûlant, de prendre des coups et d’en donner parfois. De braver le froid comme la chaleur, la faim et la soif, les ronces comme les vagues. Je pris très tôt le contrepied. J’en conçus une urgente nécessité, un besoin vital. Il me fallut d’abord vérifier qu’un rhume n’est pas mortel et qu’une chute de vélo ne rend pas tétraplégique. Puis, que le surf ou l’escalade ne sont pas des activités si périlleuses qu’on le prétend. Plus tard, que voyager forge la jeunesse. Que courir l’encierro à Pampelune devant les toros envoie sa dose merveilleuse d’adrénaline. C’est donc peut-être grâce à cette surprotection initiale que j’ai toujours aimé braver le risque, faire l’expérience de mes limites, me mettre en danger. Aussi, n’est-ce pas un hasard si j’ai découvert la Ventoline en brousse, après une journée d’approche d’un troupeau de buffles, armé de jumelles, au cours de laquelle je fis une rencontre décisive avec le regard d’un lion.
     
    Reste que l’asthmatique manque d’air, s’il ne manque pas de courage. La course de fond ne sera jamais une discipline dans laquelle il brillera. La course de vitesse sur courte distance (80, 100 m) oui. La nouvelle davantage que le roman. Les histoires d’amour brèves. L’aventure forte, puis classée sans suite. Faire court, ce n’est pas si mal. Que Proust, asthmatique notoire, ait pu écrire une œuvre si ample, aux phrases si longues qu’elles essoufflent leur lecteur à voix haute, laisse penser en somme que son encre était du salbutamol. Funny Ventoline…   L.M.
  • La littérature a de l'asthme

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    C'est le regretté Michel Le Bris qui publia en avril 2007 cette tribune sur le site du festival Etonnants voyageurs qu'il a créé, en réaction au Manifeste pour une Littérature-Monde, lequel fit quelque bruit dans le Landerneau : Du manifeste « Pour une littérature-aventureuse » à l’idée de « Littérature-monde » :   à Étonnants Voyageurs, la nécessité de dire le monde, et le refus d’une littérature nombriliste, formaliste, qui n’aurait d’autre objet qu’elle même. Pour en finir une bonne fois avec les prétentions des avants-gardes et le poids des idéologies. Tel était le propos. J'évoque dans ma tribune (cliquez ci-dessous pour la lire) la puissance de la littérature malgré ses coups de blues récurrents. 18 ans après, qu'est-ce qui a changé? Pas grand chose...

    LA LITTERATURE A DE L'ASTHME

     

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  • C'ÉTAIT DENIS...

    Un pan assez long de cet hommage ayant étrangement disparu de Kallyvasco à la date du 2 octobre 2020, je le re publie aujourd'hui.Capture d’écran 2020-10-01 à 19.49.38.png

    Évoquer Denis Tillinac, qui vient de nous quitter parce que son cœur sans filtre l’a lâché dans la nuit du 25 au 26 septembre au Clos de Vougeot – quelle élégance du destin -, serait ajouter ici ce que tout le monde a déjà écrit : une belle et solide « nécro » bien ficelée à la manière d’un rôti dominical. Il y serait question des mêmes choses aux mêmes paragraphes. La Corrèze contre le Zambèze, Chirac et les Hussards, la presse de droite et l’édition, le rugby et la clope, l’amitié mousquetaire et la rue de l’Odéon... Je choisis, dussé-je regretter d'ores et déjà de me mettre en avant par ricochet en évoquant ce que j’ai vécu à ses côtés, de rassembler quelques bons souvenirs qui, à mes yeux, résument à leur façon le caractère de Denis. Nous nous étions perdus de vue depuis des années, mais pas de vie. Il vient de perdre la vie. Voici mon point de vue. Que l’on me pardonne ce parti-pris impudique.

    -------

    ... et il me lance pousse toi, je prends le volant. Je l’avais cueilli à la gare de Bordeaux Saint-Jean et nous nous rendions à la réunion annuelle des Amis de Valery Larbaud, à Vichy, association dont nous étions membres cotisants inactifs. En réalité, la raison officielle fut ainsi formulée : on va boire une coupe de champagne au Casino de Vichy, et après on verra. Le soleil brillait en baissant et le pare-soleil de la voiture tombait lentement en chuintant. Au lieu de le remonter, il l’arracha d’un geste sec. Puis lorgna le mien, et l’arracha aussi. Jeta les deux en arrière, sans regarder. Il mit le chauffage à fond, lors que la température était plutôt clémente. J’ai froid, dit-il en allumant la huitième ou sixième cigarette depuis dix minutes. Il péta. Et re-péta. Et encore et encore. J’ouvris ma fenêtre. Il hurla ferme, j’ai froid. Il péta et fuma encore tant et plus, un « fog » aux relents d’arrêt à Facture du train Bordeaux-Bayonne, ou de traversée de Lacq via Mourenx, du temps des colonnes ELF rouge et blanc et de leur fumée sentant l’œuf pourri, envahissaient l’habitacle de ma Golf noire (*). Je hurlai ma désapprobation et la liberté de mon sens olfactif. Rien à foutre. J’ai froid. Voici Denis le « caractériel ». Notre côté ours en partage nous unît très vite. J’aurais pu faire pareil, un jour de mauvaise lune. Ce qui me surprit de prime abord, fut d'entendre l'expression désuète Plait-il? lorsqu'il entendait mal un mot (au lieu d'un banal Quoi?, Hein? ou encore Pardon?). Cela tranchait tellement avec l'allure trapue et bourrue du personnage. J'ai hérité de ce tic verbal, ce qui ne manque jamais de surprendre mon entourage... Parvenus à Vichy, nous vidâmes plusieurs coupes de Brut au Casino afin de tenir parole, avant de rejoindre la bande d’écrivains présents autour de Monique Kuntz, cheville ouvrière de l'association. Je me souviens de Bernard Delvaille, Robert Mallet, Georges-Emmanuel Clancier, Louis Calaferte... On s’y ennuya vite, alors nous filèrent à l’anglaise et éclatâmes de rire sur le perron, retrouvant notre liberté de gamins faisant le mur et l'école buissonnière. Denis me confia qu’il n’aimait guère les écrivains professionnels, et qu’il préférait de loin ceux qui, comme certains Américains, avaient les mains dans le cambouis, qui sont camionneurs, agriculteurs, mécanos, et qui écrivent aussi (de merveilleux livres).

    En 1984, journaliste de 26 ans officiant à Pyrénées-Presse, à Pau (La République des Pyrénées et Éclair Pyrénées), je publie un article sur son « Spleen en Corrèze », intitulé « La mélancolie du localier », qui lui parvient via le service de presse des éditions Robert Laffont. Il m’appelle au journal, me propose un rendez-vous au Noailles, brasserie bordelaise mythique des Allées Tourny, afin de faire connaissance. Je m’y rends, la sole meunière et le vin des graves de Pessac-Léognan nous ravissent, la conversation fuse, plus ou moins aérienne, littéraire, hussarde, on rigole, il gueule, nous sifflons des gorgeons, il fume comme une caserne de pompiers, je grille un ou deux havanes, le serveur iconique, goitreux et bedonnant dont j’ai oublié le prénom nous offre des huîtres en guise de dessert, une amitié naît spontanément. Le déjeuner s’achève aux alentours de 17 h, après avoir fait le tour de nos connaissances communes, avoir dit du mal de la moitié d’entre elles, et infiniment de bien du tiers. Il faut tenir jusqu’à l’heure de l’apéro, pris dans la grotte du Castan, sur les quais de Garonne, à l’entrée du quartier Saint-Pierre. Nous tenons ferme. Puis, nous nous appelons régulièrement, nous nous revoyons, je passe une semaine à Tulle, on monte chaque matin à Auriac, où nous travaillons à mon futur premier roman, « Chasses furtives ». Dans la maison de Tulle, au-dessus de la pharmacie, il m’enferme dans la pièce où il acheva son « Mystère Simenon », me disant qu’il ne se lavait alors plus, qu’il se nourrissait à peine, et que son slip, s’il me l’avait jeté à la figure, m’aurait coupé la tête. Denis... Je me voyais comme Antoine Blondin séquestré par Roland Laudenbach dans une chambre d’hôtel, mais sans les feuillets à passer sous la porte en échange d’une bouteille de rouge... Monique, la sainte femme de Denis, pharmacienne sur la place, « femme de peu », comme il la nommait avec un respect dix-septiémiste en lisant à voix haute le Journal de Samuel Pepys, et tout en me commandant de relire Mauriac plus attentivement (il m’avait offert à Barbezieux le premier tome de ses romans en Pléiade), figurait la permanence, le pilier central, l’abnégation, le mur porteur. Une perle fine et rare.

    Il y a le Denis qui, m’attendant à son tour, plus tard, gare Saint-Jean, s’étant garé sur la voie des taxis, s’était vu conspuer par la profession. En guise de réponse, il avait sorti un cric ou une manivelle et menaçait de fracasser le crâne du premier venu. Par bonheur, je surgissais et calmais le jeu en arrondissant les angles in extremis. Une virée surréaliste s’ensuivit, qui eut pour but imbécile de trouver l’appartement genevois où vécût Lénine. Un type dont on se fichait bien. Et nous voici sur les routes conduisant à la Suisse, échouant bien évidemment à trouver le local, mais vidant des bouteilles de Fendant en savourant des filets de perche dans une auberge chaleureuse, avec feu de cheminée, du Vieux Genève, recommandée à Denis depuis une cabine téléphonique par Gilles Pudlowski. Ronds comme des queues de pelle, nous échouâmes également à retrouver le ticket de parking souterrain. Qu’à cela ne tint, je tordis la barrière métallique qui empêchait la sortie, manquant de me faire un tour de reins, et la voiture put se frayer un étroit passage au prix de généreuses rayures qui provoquèrent un immense éclat de rire à Denis. Nous ne savions alors pas, non plus, comment regagner notre hôtel. Le lendemain (puisque nous parvînmes cependant à dormir sur une couche accorte), pari fut lancé de nous rendre à l’aéroport helvète, d’abandonner l’automobile et de prendre le premier vol annoncé au départ, qu’il fut à destination de Lausanne, de Mars ou de Hong-Kong. J’avoue ne plus me souvenir pourquoi nous restâmes dans l’aérogare. Pourtant, ni Monique, ni Sophie, ma future épouse et mère de mes deux enfants, ne nous enjoignirent de regagner notre bercail en claquant dans leurs doigts délicats, ce que nous n’aurions d’ailleurs sûrement pas fait. Aucune contrainte matérielle, professionnelle ne pouvait alors nous faire renoncer à quoi que ce soit. Je ne me souviens plus, et c’est dommage. Encore que. Quelle importance ! Reste cette envie de se barrer n’importe où, pourvu qu’on ait l’ivresse du départ, qui lui chevillait, serré, le corps et l’âme. Denis, quoi. Je crois que c’est cette fois-là que nous avons pris la route de la Dombes. Pas sûr. Comment vérifier à présent. Peine perdue. Denis avait la bougeotte.

    Parfois, il y avait un coup de fil lapidaire lancé depuis Auriac. Cette fois, c’était depuis Paris. Tu fais quoi ? - Pas grand-chose, je rédige des articles à droite à gauche, pourquoi ? Viens, il y a des sacs postaux de manuscrits en souffrance rue du Bac. Je viens tout juste de reprendre La Table Ronde. Je n’y arriverai pas tout seul, enfin j’ai des femmes autour de moi, mais viens. Saute dans un train, je te raconterai, on va bosser ensemble. L’aventure LTR commença. Deux jours a minima par semaine, je laissais Bordeaux et devenais plus ou moins responsable du service des manuscrits des mythiques éditions de La Table Ronde sises encore au 40, rue du Bac. Stéphane Guibourgé me rejoignit bientôt et on se marrait bien tous les deux, mais notre présence alternait souvent, notre emploi du temps respectif étant aussi élastique qu'une paire de chaussettes fatiguées ou qu'un zlip comme on dit chez moi (Bayonne). C'est d'ailleurs Stéphane qui assista à l'accouchement douloureux des « Mémoires d'un jeune homme dérangé », premier roman de Frédéric Beigbeder. Denis, déjà happé par Jacques Chirac, la francophonie, l’Afrique bientôt, la rédaction de discours, la Corrèze qui le rappelait à la mi-semaine, Marie-Thérèse Caloni avec laquelle il s’enfermait des heures entières dans l’ancien bureau de Laudenbach pour relancer la splendide et juteuse collection étrangère Quai Voltaire, et sans aucun doute afin d’explorer au passage des chemins érotiques buissonniers (Laurence Caracalla, qui avait alors en charge le Service de Presse, ne me contredira pas et fermera ses yeux doux sur le motif), me laissait le champ tellement libre que, parfois, j’étais le comité de lecture à moi tout seul. Allo Denis ! Je tiens un truc, là, c’est très bon. Enfin un manuscrit qui sort du lot (j’en renvoyais une pelletée par jour avec des lettres-type néanmoins personnalisées). Bloque, dit-il. Mais... Il faut que tu le lises. Bloque je te dis. J’ai confiance. Je venais de me mettre en arrêt comme un setter irlandais devant une bécasse, devant celle qui devint la cinquième auteure la plus lue en France de nos jours. J’ai nommé Françoise Bourdin.  Jointe au fil, elle me dit que Actes Sud prenait aussi son roman, « Sang et or ». J’insistai. J’eus gain de cause. Nous le publiâmes. J’étais heureux. Je la rencontrai au cours de la Feria de Nîmes, contrat en poche à faire signer. Depuis, elle fait la carrière que nous savons chez Belfond. Pressé, caractériel, impatient, manquant parfois de vigilance, séduisant pour cela, et puis cette fougue, ces emportements immatériels, son urgence à filer au stade pour ne pas rater le coup d’envoi d’un match, et surtout le Capitole qui le ramenait sur ses terres viscérales, ainsi était Denis. À La Table Ronde, arrachée de son adresse historique, je le suivis rue Huysmans, puis rue Stanislas je crois, puis j’y retournais, rue Corneille, LTR déménagea si souvent. Denis avait transmis sa frousse de l'immobilité, sa nervosité, aux meubles et aux archives. Il fallait que ça bouge, que ça swingue. Denis, quoi... Et puis, à l’automne 1992, un boulot de rédacteur en chef de Pyrénées magazine me fut proposé à Toulouse au moment même – pile-poil -, où Denis me confia, au comptoir du Danton, Carrefour de l’Odéon, où nous avions nos habitudes de fin de journée, qu’il ne pourrait faire ça toute sa vie, et que d’autres taches l’attendait (la Chiraquie, l'écriture d'essais et de moins de romans), bref, qu’il fallait que je fasse office d’une sorte de directeur littéraire. Pam. Je venais donc de signer à Milan-Presse, préférant poursuivre une carrière de journaliste en province, en charge d’un massif sauvage, plutôt que celle d’un éditeur parisien confiné dans un bureau du sixième arrondissement, fut-ce celui-ci. Je crois que Denis m’en voulut un peu, voire beaucoup, de refuser un si beau cadeau...

    Olivier Frébourg honora cette charge douze années durant avec l’immense talent que nous savons et qu'il exerce aux Équateurs depuis 2003, et c’est sous sa férule, via Cécile Guérard, qui devint sa femme et la mère de leurs fils, que je publiais plus tard, suite à un envoi postal volontairement banalisé, mes « Bonheurs de l’aube », puis « Flamenca ». Denis planait dans les hautes sphères élyséennes et ne savait plus où donner de la tête, sinon dans la réédition et la publication des grands classiques du rugby. Son côté mi-Haedens, mi-Herrero. Tout lui. Denis, quoi...

    Souvenirs, souvenirs... Un soir, en sortant à pas d’heure de la rue du Bac, nous traînons rue de Verneuil et tombons dans un bistro de peu de hasard sur Françoise Blondin. Antoine, à l’extrême soir de sa vie, était déjà fin bourré et donc incapable de sortir en compagnie de sa femme (avec laquelle il passait beaucoup de temps à s'engueuler). Il devait réécrire inlassablement au stylo, de son écriture fleurie, enfantine et rondelette, sur la table de la cuisine, entouré de bouteilles vides, la première phrase du « P.C. des Maréchaux »... Nous buvons des coups. Sur coup. Et re-coup. Au bout de trois heures, Denis et moi sommes faits comme des rats, et Françoise Blondin entonne un classique « patron, remettez-nous ça ! ». À ce moment-là, Denis me glisse tu as une bagnole. Oui, dis-je. On va voir Frédéric Fajardie chez lui en Normandie. Tu es fou, Denis, il est bientôt minuit, tu sais où il habite au moins. Non, on trouvera bien, c’est dans le Pays d’Auge, c’est pas aussi grand que la Sibérie ! Putain, Denis, c’est immense, tu déconnes, là. Nous ramenons avec une titubante courtoisie Madame Blondin chez elle, et nous prenons la route avec un peu de sang dans l’alcool, mais suffisamment d’essence dans le réservoir pour nous permettre d’aviser la priorité à droite aux carrefours. L’époque n’était pas encore au téléphone portable et au GPS, et je n’avais que des cartes IGN Top 25 des Pyrénées à déplier sur le capot. J’ai déjà raconté cette virée dans « Dictionnaire chic du vin », à l’entrée Blondin, de même que ma première rencontre avec Jean-Paul Kauffmann à Auriac en 1984, peu de temps avant qu’il ne soit pris comme otage au Liban. En voici de courts extraits : Un soir de soif tardive, nous voilà partis au fin fond des routes normandes à la recherche du ranch perdu de l’auteur de « Brouillard d’automne ». Une échappée blondinienne en diable, comme nous en avions déjà vécues plusieurs. Arrivés – par la grâce de Dieu – et à une heure improbable chez Fajardie, klaxonnant à qui mieux mieux, pleins phares devant sa maison reconnaissable en raison de l’imposant GMC kaki de l’armée américaine garé dans le jardin, qui lui servait de véhicule, et tandis qu’un fusil de chasse pointait sa paire de canons juxtaposés par l’entrebâillement d’une fenêtre à l’étage, Denis sortait la tête hors de la voiture, et que les canons se relevaient, je dessaoulais tout à trac. Et repensais à Blondin. « Tout le reste est litres et ratures ». Fajardie nous avoua que deux secondes de plus, et il tirait dans le pare-brise. S’ensuivirent deux jours de liesse. Avec Kauffmann, ce fut différent. La première fois que je rencontrai Jean-Paul, ce fut à la fin de l’été 1984, chez Denis à Auriac, peu de temps avant son départ malheureux au Liban. Denis m’avait invité au pied levé à déjeuner. Magne-toi, saute dans ta bagnole. Je quittai Bordeaux, où je vivais alors, avec un retard considérable, et je forçais ma vieille Alfasud break rouge, dont la malle s’ouvrait à chaque virage, à dépasser ses capacités, comme on éperonne un canasson qui n’a plus l’âge de galoper follement. J’annonçai mon retard depuis une cabine téléphonique de fortune. Arrivé à pas d’heure (entre quinze et seize), et sitôt claquée la porte de la guimbarde en tentant de masquer ma confusion, je fus accueilli sur le seuil par un inconnu qui me chanta la chanson de Jeanne Moreau, « La peau, Léon », dans son intégralité et sans une faute, avant de me tendre une main ferme, en ajoutant Bonjour, Jean-Paul Kauffmann, à table ! L'autre main tenait une verre à pied de bordeaux qu'il m'offrit. À l’ombre, la malle ouverte de sa voiture débordait de bordelaises de belle extraction. Denis affichait un sourire large comme l’horizon. Il y avait Joëlle, Monique, un feu de cheminée (la frilosité de Denis), ils m’avaient attendu, ils étaient affamés et d’une infinie courtoisie.

    Nous fîmes d’autres virées, dans le Gers avec arrêt à Condom, dans le Lot, dans l’Allier du côté de Moulins, à la rencontre de cousins plus ou moins éloignés de Denis, notamment ce riche cultivateur qui avait explosé sa télévision le 10 mai 1981 d’un coup de fusil lorsque le profil de François Mitterrand était apparu, pixelisé, à vingt heures pétantes. Un mur portait les stigmates de cette accession au pouvoir... Du côté de Brive et jusqu’à Foix, nous allions à la rencontre de légendes du rugby local, des mastodontes rangés des crampons, reconvertis en patrons de bars ornés de maillots boueux et froissés mais encadrés sous verre, de ballons ovales maculés de signatures au marqueur, rangés entre les bouteilles de Ricard et de Suze. Des bestiaux des stades dont j’ai égaré les noms, des mecs velus et doux comme des agneaux de lait. À Tyrosse, il se sentait revivre à cause de l’histoire de ce petit « clup » (écrirait l'ami Christian Authier) de la légende ovale. Et puis Saint-Vincent (de Tyrosse) était le village de Sophie, mon épouse à l'époque, qui nous accueillit deux fois. Denis prenait toujours de ses nouvelles avant de me demander comment tu vas ! (Il m'engueula comme un malpropre lorsque je lui annonçai notre divorce en 2002). Lorsqu’il prenait le volant, ou plutôt lorsqu’il le battait froid avec ses mains à plat, ce qui n'était pas rassurant, il chantait à tue-tête, de sa voix éraillée, et dans un Anglais très approximatif, des chansons d’Elvis Presley qui le faisait retomber dans son songe insondable de « Rêveur d’Amérique ». Denis aimait virer de bord. Il avait le pied terrien et sans doute le mal de mer – je n’ai pas pu le vérifier, même à Anglet, un après-midi de tempête, où il me fit comprendre qu’il lui fallait regagner un bistrot hermétique. Toujours sa frilosité, ses polos Lacoste fermés parfois jusqu’en haut, son pull col ras ou bien en V par-dessus, sa veste à chevrons avec laquelle il devait parfois dormir, et ses paquets de clopes à répétition comme une incessante rafale de mitraillette qui agissait sur sa diction. Denis maugréait ses phrases à venir, puis les éructait, lorsqu’il était en pétard contre une idée, un fait, quelqu’un. Soit fréquemment. Un jour que je pilotais un hors-série pour VSD sur la Coupe du Monde de rugby 2007, je l’appelais pour lui demander de me donner un article du fond de ses tripes sur l’âme du rugby, l’âme des peuples, et surtout son âme à lui. Il me fit parvenir la veille du bouclage par coursier un cahier d’écolier inachevé, rédigé au bic vert, comme à son habitude. J’aimerais bien remettre la main sur ce cahier, ce soir.

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    La dernière fois que nous avons bavardé et partagé quelques verres, ce fut il y a cinq ans dans le VIIIarrondissement de Paris, après une émission de Frédéric Taddei sur Europe 1, à laquelle nous avions été conviés. Il venait pour un roman fraîchement paru chez Plon, moi pour le dictionnaire chic du vin. Le regard de Denis était plus tendre qu’à l’accoutumée, ce soir-là. Au Clos de Vougeot, l’année d’après, pour le salon Lire en Vignes, je ne l’ai pas vu. Étrange. Certaines mauvaises langues me susurraient qu’il délaissait un à un ses amis. Je ne pouvais l’entendre, encore moins le croire. Je me suis résigné, je ne l’ai plus appelé, je l’ai lu parfois dans « Valeurs », et comme je ne recevais plus ses livres, je les achetais sans lui dire le bonheur qu’ils me procuraient, amoindri cependant, en regard de la jubilation procurée par les premiers, ceux des années « Le Bonheur à Souillac », « L'Été anglais », « Maisons de familles », « À la santé des conquérants », « Rugby blues »...  Je viens de les retrouver, tous ceux-là, en éventrant les cartons de mon nouveau déménagement à Bayonne. C’est bien sûr au bic qu’il les a tous signés. Voilà ce que j’emporte avec moi, cette nuit. Ce sont les traces de cette encre, voilà ce que je garde – avant de reprendre l’un de ses bouquins au hasard, et puis non, ce sera « Le Dictionnaire amoureux de la France », allez ! Même s’il pêche par certaines facilités et redondances. Mais Denis était familier de certaines redites, du type « j’ai été déniaisé à l’âge de seize ans, sur une falaise du Dorset, par une Linda aux cheveux platinés, qui n’en menait pas large... ».

    Ce sera donc bouquin en mains, afin de retrouver son rire préhistorique, son regard de rapace dubitatif, ses gestes brusques d’homme délicat des cavernes de l’esprit, sa gouaille amicale, sa fidélité, son impossibilité à rester tranquille – chien fou, chiot de chasse dans une bagnole -, le Denis que j’aime, le Denis que nous aimions, le Denis qui nous manque. Déjà. Allo, tu fais quoi ?..  – J’arrive !

    Léon Mazzella, 30 septembre 2020.

    ---

    (*) Le fait est joliment reporté par Benoît Lasserre dans son hommage, publié dans Sud-Ouest dimanche dernier 27 septembre...

    Photo anonyme (en haut) capturée sur Facebook. Que l'auteur se manifeste et je créditerai ce document. Photo ci-dessous : © Jean-Pierre Muller/AFP. Au milieu, une photo prise (par je ne sais qui) au cours de l'émission d'Europe 1. Taddei de dos, Tilli à gauche, ma pomme à droite.

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  • En feuilletant Georges Henein

    Lorsque la nuit tire en longueur blanche, passer de la philosophie à la poésie devient urgent. La nuit dernière, c'est Henein qui s'y est collé (après Marc Aurèle - lire note précédente, suivi certes de Jaccottet en guise de transition), avec l'épais volume de ses oeuvres complètes (Denoël) parmi lesquelles j'aime à vagabonder en me laissant happer par le mot qui me regarde soudain avec insistance, et m'invite à lire ses voisins de phrase. Et cela peut m'emporter des heures durant, jusqu'au premier chant du merle qui le dispute en mélodie avec celui du rouge-gorge, par-delà la fenêtre. Voire jusqu'au troisième double expresso.

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    Extraits :

    Cerné, au même titre, par l'existence et par son éclipse. Cerné comme un visage qui usera désormais de sa fatigue comme d'un argument littéraire à l'égard de la vie.

    *

    Bel horizon de lave refroidie, aux oiseaux stables, aux pas enchâssés dans l'immobilité suprême, dans le triomphe du manque d'avenir.

    *

    Faire un de ces chemins humains qui se comblent d'eux-mêmes, qui vont, de mousse en repli, jusqu'à l'orgueilleux et ultime effacement.

    *

    L'éventail du brouillard vient à peine de s'ouvrir. C'est le moment où tout peut se feindre, sans que rien puisse se nommer.

    *

    Comment écouter quoi quand le qui n'est plus là, quand l'absence n'est personne ?

    *

    L'insistance de la vie se fait soudain légère. Un cerf-volant passe les cimes.

    *

    Ce qui n'a pas été dit, ce qui a été soigneusement placé hors-circuit, ne se résorbe pas pour autant. Et ce qui ne se résorbe pas finit par constituer non pas du silence, mais un double du langage. Un langage retiré avant l'heure et qui s'alcoolise tranquillement dans sa cachette.

    *

    ...Le délicat pourrissement des confidences refusées...

    *

    Une fleur de silence cueillie sur le chemin des ténèbres intérieures. 

    *

    L'aube n'en finit plus de se lever dans un pays où il n'est jamais midi.

    *

    La disposition amoureuse n'est pas une exigence de la vie, mais une forme de respiration, un principe d'ampleur.

    *

    Il y a sur une certaine table

    un objet qui sourit à travers tous les sommeils du monde

    c'est un visage (...) jamais oublié

    un visage qui berce

    l'infinissable neige du souvenir... 

     

     

  • Toujours à portée de main, Marc Aurèle

    L'insomnie est propice, surtout par une nuit traversée d'orages qui ont illuminé le ciel bayonnais, et de tempête sentimentale propre à dévaster un coeur bien arrimé. Toujours à portée, sous la table de chevet (figurant une trousse de pharmacie) avec quelques potes - Montaigne, Sénèque, Gracq, La Ville de Mirmont, Toulet... -, Marc Aurèle. L'attraper et l'ouvrir au hasard comme on prend des cachets contre la douleur, et/ou les maux de ventre. Geste récurrent, bienfaisant ; salutaire. 

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    Doit-on opposer le fameux Carpe diem d'Horace (et sa suite chrétienne : e memento mori) : cueille le jour et souviens-toi que tu es mortel, à la pensée de Spinoza : « L'homme libre ne pense pas à la mort, sa sagesse n'est pas méditation de la mort, mais méditation de la vie ». Qu'il faille constamment chercher l'ataraxie, la paix de l'âme, en considérant que cette quête est recevable uniquement dans la vie, me semble certain (à condition de ne pas croire en un au-delà). Et qu'il faille avoir le souci (socratique) des autres, jusqu'au presque oubli de soi, aussi. Sénèque : « Vis pour autrui, si tu veux vivre pour toi ». Les Évangiles - que je ne fréquente guère, mais je compte m’y mettre - disent pourtant, en substance, que la bonté suppose le désintéressement total. Elle doit être en quelque sorte spontanée et irréfléchie, sans le moindre calcul, sans la moindre complaisance en soi-même. Pure théorie, c'est vrai... Selon le philosophe Pierre Hadot, seul Marc Aurèle a atteint ce sommet.

    *

    Relisons Marc Aurèle : « Comme il est pervers et déloyal de dire : "J'ai préféré me comporter franchement avec toi." Que fais-tu, homme ? Il ne faut pas dire cela d'avance. La chose apparaîtra d'elle-même. Ces mots doivent immédiatement être écrits sur ton front ; ils se révèlent immédiatement dans tes yeux, comme l'aimé reconnaît immédiatement, dans le regard de ses amants, tout ce qu'ils éprouvent. Il faut absolument que l'homme sincère et bon soit comme celui qui sent le bouc, pour que, volontairement ou non, le passant s'en aperçoive dès qu'il s'approche.  Mais l'affectation de simplicité est comme une épée "cachée" ; rien n'est plus honteux que l'amitié des loups : avant tout, évite-là. L'homme bon, simple et bienveillant porte ces qualités dans son regard, et elles n'échappent à personne. »

    Marc Aurèle, Pensées, Livres VII et IX : « Comprends-le bien, sois sensé ; tu peux revivre. Vois à nouveau les choses comme tu les voyais ; car c'est cela revivre ».

    « Ne pas penser aux choses absentes comme si elles étaient déjà là ; mais parmi les choses présentes, tenir compte des plus favorables et songer à quel point tu les rechercherais, si elles n'étaient pas là. Prends garde aussi de ne pas t'habituer à les estimer au point d'y prendre un tel plaisir que tu sois troublé si elles disparaissaient ».

    « Fais-toi une parure de la simplicité, de la conscience, de l'indifférence envers tout ce qui est entre la vertu et les vices. Aime le genre humain... »

    « Le corps lui aussi doit être ferme et ne doit pas se laisser aller ni dans son mouvement ni dans son attitude. Comme la pensée donne à la physionomie et lui conserve un aspect intelligent et distingué, il faut l'exiger aussi du corps tout entier. Il faut en cela se garder de toute négligence ».

    « ...Ne te suffit-il pas d'avoir agi selon ta nature propre ? Demandes-tu encore un salaire ? C'est comme si l'œil demandait un don en retour parce qu'il voit, ou les pieds, parce qu'ils marchent. De même que ces organes, faits pour un but déterminé, reçoivent ce qui leur est dû dès qu'ils agissent selon leur nature propre, de même l'homme, qui par nature est bienfaisant, dès qu'il accomplit un acte de bienfaisance ou qu'il apporte autrement son aide en des choses indifférentes, agit pour la fin pour laquelle il est fait, et il a son dû ».

    *

    Philippe Jaccottet, Ce peu de bruits (Gallimard) : « D'avoir marché sous ses arbres, on aurait ses manches trempées ; mais nullement de ces larmes des poètes d'Extrême-Orient qui pleurent une absence ou une trahison ».

    « Un peu avant huit heures, la couleur orange, enflammée juste au-dessus de l'horizon, du ciel qui s'éclaircit et où, plus haut, luit le mince éperon de la lune. Il ne fait pas très froid. Cela aide le corps à se démêler du sommeil, et l'esprit à se déplier ».

    « La pluie froide comme du fer ».

    « À cinq heures et demie du matin, sorti dans la brume d'avant le jour, j'entends le rossignol, le ruy-señor espagnol, l'oiseau dont le chant est un ruisseau ». 

    *

    Ramuz, Aline (Le livre de poche) :  « Ses yeux étaient redevenus clairs comme les lacs de la montagne quand le soleil se lève ».

     

     

  • Le lui dire

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    Ne pas tout dire, mais suggérer. La littérature, dont c’est l’obsession originelle, n’a jamais fait autre chose pour exprimer l’amour. Dire et redire je t’aime de façon toujours différente est l’une de ses marottes. La déclaration d’amour en devient un genre. La poésie en témoigne, qui ne se trouve pas que dans le poème, mais occupe aussi le terrain de la prose. Il y a dans chaque déclaration d’amour un souci de fulgurance, de foudre, d’impact. « L’annonce faite à », doit frapper, car elle a l’ambition de ferrer, et de durer.

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    Ambiguïté de l’amour : le mot latin « amor » décrit à la fois le désir charnel et l’aspiration spirituelle ; et révèle ainsi la source même de ce qui nous bouleverse. 

    Omniprésence de l’amour : même les textes sacrés en sont empreints. Le Coran infuse sa sensualité dans la poésie amoureuse, la Bible célèbre le désir érotique dans Le Cantique des cantiques.

    Absolu de l’amour : le chant courtois des troubadours, le chant profond de la « copla » andalouse, cherchent obstinément l’amour pur. Plus généralement, la littérature internationale, intemporelle, ne recréée qu’une seule et même chose : l’aveu qui cloue, qu’il exige une ou 800 pages d’approche !

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    Parce qu’il y a mille et mille façons de le lui dire, l’imaginaire de l’écrivain trouve, depuis l’invention de l’écriture, un inépuisable sujet dont la beauté parfaite est toujours à venir. Toute déclaration, tout « dit d’amour », suggère l’éternité, sinon ce n’est pas un serment d’amour. L.M.
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    Préface à l’anthologie « Les plus belles déclarations d’amour », choisies par Florence Pustienne, éditions fitway, collection minimust, 2006, 2,90€. (Fitway est un label que j’avais créé au sein de Place des Editeurs, groupe editis, et dont j’étais le directeur éditorial).

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  • Connaissez-vous Francine Van Hove?

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    Elle a le regard noir mais doux et lumineux comme le charbon prêt à rougir. Son jeans aussi est noir. Comme son chemisier. Et ses cheveux, noir jais. L’escalier en colimaçon qui transperce son appartement du 14e arrondissement de Paris conduit à un atelier de peintre. C’est le temple du paisible. De la clarté des jeunes filles en fleur, calmes, sereines. Lascives comme on le dirait des Vahinées de Gauguin. Francine Van Hove (née en 1942) peint des jeunes filles et a une vie rêvée : le matin, ses modèles posent pour elle dans l’atelier, et l’après-midi, Francine peaufine, met de la couleur, rehausse les traits, cisèle les regards, et remet sur la toile des objets fétiches (ses madeleines) qui apparaissent  sur la plupart de ses œuvres : la vieille robe rouge, le petit sac rond en cuir, la théière, le bol ébréché, la chaise à moustaches de sa belle-mère, les chaises et les bancs du Jardin du Luxembourg (à Paris) –sa nature-, le vieux jeans 501 complètement délavé et qui a habillé, à l’instar de la robe rouge, presque tous ses modèles. Francine a un professorat de dessin, mais enseigner l’a vite ennuyée : c’était dans un lycée (de jeunes filles) de Strasbourg, dans les années 1963-64. Alors elle peint pour le plaisir, sous contrat exclusif avec la galerie Alain et Michèle Blondel à Paris, depuis tant d’années – elle ne compte plus ; puis celle de Jean-Marie Oger depuis quelque temps déjà. Sa production est restreinte : une douzaine de toiles par an. Cela suffit. J’ai découvert son œuvre par les nombreuses cartes postales qui reproduisent ses dessins. L’une d’elles ma servi à illustrer mon livre « Femmes de soie » (Séguier). Le modèle de cette couverture s’appelle Anne, toujours représentée de dos. L’œuvre s’intitule : « Ôte-toi de mon soleil ! ». Cela me fait penser à l’insolence magnifique de Diogène (voir la note intitulée « CrateSo, Yo ! » sur ce blog).

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    Le style Van Hove ?  Classique et résolument figuratif. Lorsque tous ses condisciples donnaient dans l’abstrait, elle peignait déjà ces jeunes filles d’une sensualité passive, à demi nues, au corps de rêve et au regard tendre. Jamais nues, mais toujours désirables. Lectrices pour la plupart. Certaines ont l'air de s'ennuyer. Ne pas tout montrer mais suggérer pourrait être le credo de la peintre. Son mari, artiste lui aussi, en supporter amoureux, l’a très tôt encouragée à peindre ce qu’elle voulait, sans se soucier de quoi que ce soit, fut-ce les tendances de l’art, et à n’écouter que son inspiration. Puis, l’expérience de la peinture sur tissu fut un détonateur. Un boulot de commande pour une styliste : Francine s’aperçut qu’elle pouvait peindre et en vivre. Son style propre, loin de l’école qui privilégie l’empâtement, l’épaisseur, est fait de légèreté, de fluidité, de silence et de douceur. Elle n’a jamais peint d’homme nu ou à peine dévêtu. Elle « tourne » avec cinq modèles, un par jour. Son premier, Marie-Odile, elle l’a peint en 1972. Elles se voient toujours, Marie-Odile, danseuse professionnelle, est hors d’âge aujourd’hui. Karen est sculptrice. La doyenne peut avoir 40 ans, la plus jeune 19. Côté casting, la couleur de la peau est déterminante : « Je suis anti-bronzage. J’aime les peaux pâles ».  Elle aime les corps architecturés, les filles pas trop minces, avec des formes pleines. Mais elles ont toutes un air de famille, à y regarder de près. Un modèle l’a marquée : Alexandra, « une Tunisienne qui possède la beauté d’un Delacroix avec les couleurs de Rubens ! », me confia-t-elle. Ses peintures ne disent presque rien, et c’est ce qui les rend si attachantes. Ses personnages prennent le petit-déjeuner, lisent un livre, ou Le Monde, elles rêvent, dorment. Elles ne sont que relâchement. Elles sont imprégnées de cette lascivité qui ne ressemble à rien de pervers. Aucune invitation à la luxure. Aucune parenté avec Balthus, Bellmer bien sûr, et tant d’autres. Les jeunes filles de Van Hove sont dans l’abandon progressif, le glissement, dans ce que Barthes nomme joliment le fading dans ses Fragments d’un discours amoureux.

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    C’est davantage du côté des photographes comme Jonvelle ou Sieff que Francine pourrait jeter des passerelles. La représentation pudique et sensible des jeunes filles se retrouve dans ses toiles, où le plaisir simple de l’après-midi, d’une sieste en été… Il y a comme une sensualité prude, silencieuse, qui se dégage de ses peintures. Un je-ne-sais-quoi de possible et d’interdit à la fois. Un charme fort. Et je pense que c’est un sentiment de paix qui domine chacune d’entre elles. Je me sens en affection forte avec l’apaisement immédiat, tonique et durable, que les peintures de Francine Van Hove me procurent. Et vous ?.. L.M.

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  • Impudeur? - Non, chaud au coeur.

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    Dussé-je paraître impudique, je choisis de publier ce très bref échange sur un réseau social (Facebook ou Instagram) dont je me suis d'ailleurs retiré définitivement. Je ne connais que le prénom, Mathieu, de l'intervenant. Ce qu'il m'écrit est bouleversant. Si je donne à voir ceci, c'est pour signifier que lorsqu'on écrit, nous avons très rarement des retours sur nos livres. Là, à la faveur d'une photo qui m'a plu, s'ouvre une conversation brève mais dense qui réchauffe deux coeurs. Cet inconnu, et moi, avons échangé l'essentiel. Cela fait du bien de savoir que l'on peut faire du bien sans le savoir. Et tout à trac l'apprendre. Je remercie. L.M.

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  • La chorégraphie du désir

    Le flamenco, c’est tenter d’atteindre le fameux « nada », le rien, le détachement, la mélancolie heureuse ; la volupté de toucher le sentiment profond du renoncement…

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    On dit du tango que c’est un sentiment qui se danse. Le flamenco, tesson de tragédie en travers d’une gorge éraillée, chante la douleur du monde et de l’amour.  Il figure un éclat noir sous lequel on devine le sang et l’eau, le cœur et la sueur, le sein et le suaire. Un cri. Il se creuse pour cambrer la parole. Et le regard. Cette concentration, ce ramassé comme on le dit d’un félin prêt à bondir sur sa proie qu’il tient déjà entre ses yeux.

    Le flamenco offre à la fois chant, musique ou danse purs et ces trois arts entremêlés. Être flamenco, comme on naît torero : une façon d’habiter le monde. Les « coplas » (strophes), ces poèmes lapidaires andalous issus de l’âme gitane, incandescente, indomptable, fière, deviennent les paraboles de l’amour dansé : « Ton visage, c’est la Sierra Morena, et tes yeux, les bandits qu’on y rencontre ». Le flamenco est une ombre portée, un poignet cassé, un regard sombre, une cuisse dénudée. Il traduit avec douleur, dents serrées, la langue noueuse du corps à cœur : « Va et que l’on te tire dessus avec la poudre de mes yeux et les balles de mes soupirs ». Il y a un état d’esprit flamenco. Sur scène ou dans la rue, il ou elle danse en raclant le sol du bout des pieds, en chaloupant ses sentiments. Le corps prolonge l’esprit, obéit à un langage, à une gestuelle codés, sous ses allures rebelle, sauvage. Fauve…

    L’Andalousie, berceau du flamenco, aux origines gitanes, mauresques, de la « marisma », les marais de la plaine du Guadalquivir, l’a vu naître dans les quartiers anciens ou portuaires de Séville, Cordoue, Málaga, Sanlúcar de Barrameda, El Puerto de Santa Maria. Dans quelques « pueblos blancos » perdus, aussi, entre des oliveraies infinies et un « campo seco » où tentent de paître des taureaux de combat. Villages juchés sur des collines aux courbes douces, sensuelles, qui recèlent des « tablaos » (bars chantants).

    A la faveur du hasard et de la bonne volonté de la Vierge noire de Séville, la Macarena, un soir, un  groupe local improvise… un duende peut naître. Le duende est le but absolu du flamenco (inspiration et plaisir total à la fois. Le mot vient de dueño, le maître). Sorte de « saudade » portugaise, sentiment ineffable, transe, il surgit comme la grâce au carrefour des arts conjugués de la danse, de la musique et du chant. À l’improviste, dans la voix d’un « cantaor » entrant soudain en communion avec la danse.  Il peut ne toucher qu’une seule personne, ou bien se répandre comme le feu. Dans le dépouillement du « cante puro », le chant pur, plus aucun son n’accompagne le chant. Ce « silence sonore », brisé par la voix, forme une plainte déchirante, un hymne à l’amour, à la mort. Le duende se recherche. Mais il faut le laisser venir, en réalité. Chacun l’attend, bien sûr, chaque soir de spectacle. Tout le monde l’espère (la langue espagnole s’avère formidable : esperar signifie à la fois attendre et espérer). « Tout ce qui a des sons noirs a du duende. Ces sons noirs sont le mystère, les racines (…). Le duende aime le bord de la blessure et s’approche des lieux où les formes se fondent dans un désir qui brûle…», disait Federico Garcia Lorca en citant un ami qui écoutait la musique de Manuel de Falla.

    C’est pourquoi le flamenco se danse bien mieux en couple. Il contient une double chorégraphie sensuelle. L’apprendre ainsi augmente le plaisir de la complémentarité. Il y a les gestes pour l’homme : mains sur les hanches, bras figurant un geste tauromachique - une passe de cape-, une façon plus forte de taper du talon. Les gestes féminins, en échange direct dans une danse à deux, plus enveloppants, érotisent à l’extrême celle qui joue de sa longue jupe, la tirant, la faisant voler. Ses bras serpentent autour de sa tête tandis que ceux de l’homme seront portés plus bas. Les coups de talons, plus fins chez la femme, enfin, n’en sont pas moins fermes.

    Le vêtement, la couleur, le regard, la gestuelle, se soutiennent. Comme le rouge et le noir s’épousent. Nuit, néant, peau de toro d’un côté. Sang, lèvres, feu de l’autre. La troisième couleur : l’ocre ! Ce jaune sable tirant sur la poussière des sentiers muletiers d’Andalousie, recouvre les souliers noirs des paysans en chemise blanche, la nuque burinée. Jeunes et vieux, en compagnie de citadins branchés, tous se rendent au village pour écouter un chanteur, un guitariste, voir une danseuse. Elle est moulée dans une robe à volants. Il est fondu dans un pantalon noir, la chaquetilla (gilet) boutonnée juste en haut. Leurs chaussures cloutées, à talons francs et hauts, martèlent le sol : « planta-tacon-golpe » (plante, talon, coup). Sous ses longs cheveux en chignon qu’elle libèrera plus tard selon son inspiration, de lourdes boucles d’oreille pour elle. Au-dessus de son regard embrasé et de sa silhouette hiératique, une montera (chapeau droit) pour lui.

    On peut s’initier dès l’âge de dix ans à la danse, au chant, à la guitare. « L’esprit flamenco », rugueux, âpre, sec comme l’été andalou, cingle, se cambre. Franc jusqu’à l’extrême, fier, fidèle, parfois cassant comme du cristal, sous ses atours inflexibles, il cultive l’art du frôlement. En dansant, nul ne se touche : on s’épouse et se déchire des yeux et du silence, ou avec un cri.

    Cette chorégraphie du désir sublimé, tendue vers une érotique parfois insoutenable, le flamenco la pousse jusqu’aux frontières que la plupart des danses franchissent : rock, tango, valse, lambada, invitent à saisir les mains, les hanches, de son partenaire, à le serrer, le faire tourner. Le flamenco cultive au contraire cet art subtil de parvenir à ne pas se toucher en étant extrêmement proche. Il ne joue pas avec la résistance, il la forge et l’évalue sans cesse. Comme il joue avec le sentiment tragique de la vie.

    Le flamenco est dévotion. Une affaire sérieuse. Le chanteur Duquende, artiste « castizo » (de caste), déclara à l’issue d’un concert que le chant flamenco exprime le souci de toute une existence, de chaque instant, avec ses peines, ses joies. Sous l’incandescence ténébreuse de sa démarche, le flamenco cache une véritable gaîté. Associé à la fiesta, aux ferias du Sud de la France en été, et de l’Espagne toute l’année, il respire le bonheur. Duquende poursuit : « Mes sœurs chantaient même en faisant la vaisselle, je les écoutais en pleurant. Je m’entraîne tout le temps et quand je fais autre chose, je continue de chanter mentalement. C’est ainsi que l’on atteint  le « cante de verdad ». Le chant de vérité. Celui qui ne trompe personne. Voisin immédiat du « cante jondo », le chant profond, lequel exprime le génie dramatique, l’essence même du flamenco. Il peut jaillir n’importe où, souligne Michel del Castillo : « Le flamenco est un style, une manière de se tenir debout, les reins cambrés, le menton relevé (…). C’est une posture de défi ironique, une attitude d’indifférence et de mépris. On feint d’ignorer le danger, on s’amuse avec lui ». Baroque, exagéré, archaïsme assumé, le flamenco ? Certes, mais il procure la grâce à « l’être flamenco ». C’est un bandit. L.M.

    Lire

    Flamenco, Mario Bois, Marval.

    Flamenco, photos Isabel Muñoz, texte J.Durand, Plume.

    Flamenco attitudes, Gabriel Sandoval, Solar.

    Le sortilège espagnol, Folio et Dictionnaire amoureux de l’Espagne, Plon, Michel del Castillo

    Le duende, Ignacio Garate-Martinez, suivi de Jeu et théorie du duende », Federico Garcia Lorca, Encre Marine.

    Coplas, poèmes de l’amour andalou, Allia.

    Ecouter 

    Tous les disques de Vicente Amigo, Carmen Amaya, Tomatito, Camaron de la Isla, Diego El Cigala, … 

    La musique du film Vengo de Toni Gatlif, les mises en scène musicales des poèmes de Lorca par Vicente Pradal (Llanto, Romancero gitano) ; enfin, « Jerez. Fiesta & cante jondo »  

    Voir

    Sur place, à Séville notamment, certains spectacles donnés dans le Barrio Santa Cruz. Ou bien au hasard des « tablaos », bars chantants et dansants, de Málaga, de Sanlúcar de Barrameda, de Jerez de la Frontera, et des villages de la côte et de l’intérieur. Le flamenco s’improvise là où il se sent bien. Comme le chant basque.  

    Article de commande paru en février 2009 dans Enjeux/Les Echos, dans la rubrique Une passion, un écrivain.

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  • 4 janvier 60

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    Le 4 janvier 1960, Albert Camus disparaissait. Son ami René Char écrivait alors L'éternité à Lourmarin : 

    Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés.
    Où s’étourdit notre affection ? Cerne après cerne, s’il s’approche c’est pour aussitôt s’enfouir. Son visage parfois vient s’appliquer contre le nôtre, ne produisant qu’un air glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n’est nulle part désormais, toutes les parties- presque excessives- d’une présence se sont d’un coup disloquées. Misère de notre vigilance…
    Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d’essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l’épaisseur d’une paupière tirée.

    Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. Qu’en est-il alors ? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s’ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant.

    A l’heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d’énigme, soudain commence la Douleur, celle de compagnon à compagnon, que l’archer cette fois, ne peut pas transpercer.

  • Il faut savoir réseau jeter

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    Ce matin, j'ai fermé mes comptes Facebook et Instagram. Marre des réseaux que l'on dit sociaux. Un soulagement - mieux, un sentiment de libération m'a aussitôt envahi. Puis j'ai enfourché ma moto et je suis allé voir le vieil océan, à la Chambre d'Amour, ma querencia si apaisante. Il n'y avait pas de vagues, les surfeurs se morfondaient et je pouvais lire la mélancolie dans les yeux de certains. L'eau lisse et bleue, le ciel pur, le calme, la côte espagnole bien visible, des voiliers blancs en nombre au large, et la drague rouge Hondarra pompant du sable juste devant. Tableau. Il manquait quelques élégantes échappées d'une toile de Joaquín Sorolla. Je commandais un café et un verre d'eau au Lieu du Pêcheur, notais quelques pensées amoureuses sur un carnet et songeais au temps qui reste, aux erreurs que l'on commet et que l'on ne pourrait reproduire, à l'espoir qui survit, à l'irrémédiable, aux pansements de l'âme, à l'irrépressible force des sentiments, au bonheur simple que le somptueux chant matinal du merle me procure chaque jour; à une pizza maison réussie. Trois fois rien - ce qui est déjà beaucoup, me souffle Desproges, ou Devos, je ne sais plus...

    Jetterai-je un jour mon téléphone chic dans le fleuve, achèterai-je des pigeons voyageurs, ferai-je des signaux de fumée? Commençons par acquérir un téléphone fixe (je n'en ai plus depuis vingt ans au moins) afin de mettre en repos forcé le portable plusieurs heures par jour. L.M.

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  • Yémen

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    Il est des situations, de simples gestes qui ne nous semblent plus possibles de reproduire, en l'espace d'une poignée d'années. La scène se passe dans un café, au coeur du Hadramaout (Yémen). Nous discutons avec cet homme. Soudain, je m'empare de sa kalachnikov - chaque homme yéménite en possède une, et arbore également, constamment, dès l'âge de dix-douze ans, une jambiya (poignard recourbé) à la ceinture. Il est subjugué par mon audace, et ne sait quoi dire, ou faire. Les enfants sont également surpris. Je plante mon stylo à plume Mont Blanc au bout du canon. Je pose façon gringo de chef-lieu de canton cubano pour la photo. On se marre. L'instant d'après, je lui offrirai un cigare, et nous baragouinerons ensemble, assis autour d'une table, le temps du partage, du fumage, de quelques thés à la cardamome et d'une rigolade. Comment imaginer pouvoir faire cela, aujourd'hui?.. L.M.

  • Les platanes le long de l'arrêt Toulet

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    Dépêché dès potron-minet par une urgence relative consistant à glisser un recueil de poèmes dans une boîte aux lettres voisine, je chevauchais sur ma moto Brixton en me rêvant estafette par temps guerrier. Mission accomplie, je poursuivais au gré, chemin faisant. Et tombais, abasourdi devant le nid d'une fraîche promise, sur une aberration. Tous les arbres - de forts beaux platanes - de l'avenue qui mène à son adresse, avaient été réduits à néant. Cette castration en règle à ras le tronc, le long gauche de l’avenue Monseigneur Mugabure en la remontant ce matin sur le gravier de Guéthary, me fit l’effet d’une décapitation capitale, collective et injustifiée. Je remontais le cours d’une exécution générale. Je cessais de compter les victimes au-delà de neuf. Les merles, les rougequeue noirs, les mésanges charbonnières nombreux hier encore à passer d’un arbre l’autre, fussent-ils rabougris car étêtés de frais, se taisaient à présent, observant le deuil de leur comptoir, comme la tronçonneuse s’était tue par pudeur, voire honte. Le forfait accompli, il restait à compter dans le bleu du ciel quelques splendides indifférents, goélands leucophée, milans noirs en maraude depuis plusieurs semaines. Les passants croisés se rendaient-ils compte, j’en doute. Le paysage avait changé tout à trac. Un pan d’histoire était tombé comme après un coup de hache insensé du Malin. À l’arrêt « Toulet » de la navette estivale qui attend son panneau, sur cette même avenue emblématique du village, je pensais à Paul-Jean dont nous venons de fêter le premier Prix (je siège au jury) et à cette évocation tragique dans la XIVe de ses Romances sans musique : « Et des platanes d’or le long gémissement »... Je rebroussais chemin, car le Madrid est fermé le lundi, et m’allais songer sur le sable de Senix (je n'aime pas dire Cenitz) aux arbres dessinés par Georges Ribemont-Dessaignes illustrant ceux de Prévert, devant la grande bleue - à marée basse à l’instar de mon cœur. L.M.

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  • Jaccottet, encore

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    Il y eut, juste après la disparition, le 24 février 2021, du très grand Philippe Jaccottet, deux inédits, Le dernier livre de Madrigaux, et La Clarté Notre-Dame (reparus le 22 mai 2025 en Poésie/Gallimard), pour nous rappeler à l’essentiel, soit au chant fragile des oiseaux à l’aube dans un verger de peu planté de longue date à Grignan, dans la Drôme, l’écho d’une cloche des Vêpres à Salernes (où vécut sur le tard le regretté Pierre Moinot), « dans l’enceinte sacrée, très-haut » (Hölderlin), des mots simples comme de ces brindilles dont Char rêvait de bâtir un rempart, des mots tragiques à peine, crépusculaires, d’un poète avouant son grand âge et citant Hölderlin encore comme on lance un grappin, « Énigme, ce qui sourd pur ». Des textes essentiels et néanmoins heureux, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer Claudio Monteverdi, « c’est par urgence que sa voix prend feu ».  « Ainsi lié, je me délivre de l’hiver »... Jaccottet a rejoint, à 95 ans, « le tissu bleu du ciel ». Et nous continuerons d’entretenir commerce quotidien avec son œuvre capitale. L.M.

  • Visit Bayonne 2025

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    Il est paru et il est gratuit. J'y ai écrit plusieurs articles : Ville culturelle & artistique - Ville commerçante & artisanale - Ode gourmande à Bayonne - Ville animée toute l'année - Ville sportive... C'est bourré d'adresses, de bons plans, d'idées de balades et de sorties. 100 pages pour mieux connaître Bayonne et l'avoir dans sa poche. 

    Visit Bayonne 2025 est une coproduction de l'Office de Tourisme de Bayonne et de l'agence Atlantica.

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  • Le Basque & la Plume

     

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    Je suis ravi de rejoindre le jury du Concours Le Basque & la Plume (sur une idée de Pierre Casamitjana et Gorka Robles Aranguiz) qui couronne depuis trois ans les meilleurs récits des Fêtes de Bayonne adressés par courrier en trois langues (Français, Basque, Occitan), puis publiés dans l'annuel de Bayonne est une fête (éd. Atlantica). 

    Figurent notamment dans le jury Maria Larrea, Delphine Saubaber, Jean-Paul Alègre (président), Frédéric Beigbeder, et donc ma pomme. 

    Florence Delay, de l’Académie française et Francis Marmande sont présidents d'honneur. 

    J'avais eu le plaisir de donner un texte, Éloge de la lumière lumineuse, à la demande de Pierre et Gorka sur ma vision des fêtes de Bayonne pour l'édition 2024 de l'ouvrage (lire ici à la date du 5 juillet 2024).

    Pour davantage d'informations, cliquez ici  => Le Basque & la Plume

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    Ci-contre : L'édition en format de poche d'une sélection de récits vient de paraître.

  • Frédéric Pajak, Prix Paul-Jean Toulet 2025

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    Le jury et le lauréat. De gauche à droite : Frédéric Martinez, Frédéric Schiffter, Frédéric Pajak, Frédéric Beigbeder, Frédéric... - Pardon : Léon Mazzella, et Aude Lancelin (absentes : Florence Chataignier et Marie Larrea).

    Ce fut une belle journée passée à Guéthary. Agapes chez Claude Calvet du restaurant Getaria, augmentées d'un Jurançon 1993 (32 ans quand même !) du Clos Uroulat, offert par Charles Hours, le vigneron qui l'élabore. Ceci en écho à un poème de Toulet évoquant "Un Jurançon (de 18) 93 couleur de maïs"... Un déjeuner avec pour invité d'honneur le lauréat, Frédérick Pajak venu d'Arles, "où sont les Aliscams"... Pajak qui emballa l'ensemble du jury lors des délibérations, avec le 10e tome de son livre infini, "Manifeste incertain" (éditions Noir sur Blanc), consacré cette fois à Malcolm Lowry et Alberto Giacometti, sorte de double roman biographique archi documenté, à l'écriture somptueuse, enrichi de dessins, car l'auteur dessine aussi bien qu'il écrit. Lowry et Giacometti sont éminemment touletiens, car la débauche, les femmes, l'alcool, les abus et l'abîme, cousin de la création, de l'écriture, de l'art en général sont présents dans leur existence et donc dans le livre de Pajak. Il y eut une causerie débridée à la Mairie entre Frédéric Beigbeder et Frédéric Schiffter, puis un merveilleux apéritif dans le jardin, offert par Eugenia et Yves Rouet, nouveaux propriétaires de la maison Etcheberria où Toulet vécut avec Marie Vergon, sa dernière femme, les treize dernières années de son existence (jusqu'en 1920). Enfin, ce fut au café du Fronton que la fête battit son plein avec Beigbeder pour DJ et la liesse des grandes soirées d'arrière printemps. L.M.

    Dans Sud Ouest Dimanche de ce 18 mai :

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    Frédéric Pajak (ci-dessous) :

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    Lecture du poème "Un Jurançon 93" devant la maison Etcheberria en compagnie d'Eugenia et de Charles Hours :

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  • Canneries

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    Je viens de passer quelques minutes, son coupé, sur un "réseau social" qui m’assaille de mini-vidéos en provenance du Festival de Cannes qui a cours, où l’on voit défiler des êtres suffisants, imbus, si sûrs d’eux, qui lévitent plus qu’ils ne marchent lentement vers un escalier couleur sang de boeuf ou le long de couloirs chics bordés de gardes du corps à la mine rogue, ils sont beaux ces êtres intouchables et bien vêtus, ils agitent ridiculement une main vers une foule d’esclaves volontaires qu’ils ne voient pas car un mur de photographes la masque, ils signent à la hâte des autographes - sans le moindre regard vers des coeurs qui palpitent - avec un sourire d’une générosité si insincère, se prêtent de bonne grâce au jeu débile des selfies... Et je me suis dit mais que signifie cette mascarade annuelle. Y aurait-il d’un côté des gens au-dessus de la mêlée (acteurs, actrices) et de l’autre un public d’arène romaine, de foire du trône, d’indigence choisie. Alors j’ai changé de pièce, j’ai fouillé dans mes DVD, et je me suis envoyé « Taxi Driver » direct. Scorsese 1976, De Niro, Foster, Keitel ; du lourd, du vrai. You’re talking to me ?..  L.M.

  • Parthenope, Tasio, Ingeborg Bachmann...

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    Parmi les films vus récemment au cinéma, outre « Tardes de soledad » déjà évoqué ici (déroulez plus bas jusqu'à la note du 26 janvier dernier), je signale deux chocs et une jolie surprise : « Parthenope », chef d’œuvre de Paolo Sorrentino (« La grande bellezza »), avec une divine actrice, Celeste Dalla Porta, qui symbolise à elle seule Naples et tous ses sortilèges – la liberté, l’amour, le vice, l’audace, l’insouciance, la mer réparatrice ou engloutissante... Un film d’une beauté et d’une densité rares, avec la patte de Sorrentino, ses plans serrés, la musique ourdie et les plans larges avec beaucoup de personnages, la délicatesse de sa caméra lorsqu’elle s’attarde sur un pan de paysage lointain, un pli, un acteur de dos, un vêtement bercé par un vent léger.

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    Il y a aussi « Tasio », de Muntxo Armendáriz, sorti en 1984 et qui ressort dans une version modernisée. Nous sommes dans la montagne basque, navarraise, dans un hameau d’une pauvreté extrême, après la guerre civile. Il est charbonnier (olentzero), il est amoureux, elle est folle de lui, l’existence est précaire, il faut braconner et pas se faire prendre, les sentiments sont forts, les acteurs (y compris les enfants) d’une vérité et d’une sincérité rares, et les paysages magnifiques. Je m’apprête déjà à revoir ce film, qui se situe dans la veine des « Saints innocents » de Mario Camus, d’après le beau roman de Miguel Delibes.

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    Enfin, il y a ce biopic de l’immense poétesse autrichienne « Ingeborg Bachmann » (c’est le titre du film), centré sur sa relation amoureuse compliquée avec le dramaturge Max Frisch, ses années d'errance entre Rome, Zurich, Vienne et le désert qui la sauvera grâce à un jeune amant. Il est aussi question de son impossibilité soudaine à continuer d'écrire de la poésie, en 1962, comme conséquence de sa rupture avec Max Frisch. On eut préféré voir Paul Celan à la place, avec lequel elle eut aussi une belle histoire, et qui fut moins tordu que Frisch. On croise en revanche le maestro Giuseppe Ungaretti, et cela fait toujours quelque chose, au cinéma (de même que nous voyons un John Cheever décati mais touchant, incarné par Gary Oldman, dans « Parthenope »). Le film, de Margarethe Von Trotta (« Hannah Arendt », « Rosa Luxembourg) vaut surtout par l’interprétation magistrale et d’une sensibilité bouleversante de Vicky Krieps, dont les ressentis sont admirablement suggérés, et filmés. L.M.

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  • Revenons au Bordeaux

    Je confesse avoir sacrifié à une triste mode, celle du « Bordeaux bashing », du temps que je sévissais encore sur le sujet vins dans les gazettes, notamment L’Express, Tanin, Grand Seigneur, « M » Le Monde, ailleurs... Elle était idiote, cette manière bobo de snober, de vilipender, de conchier, de mépriser un monument, au prétexte que les châteaux bordelais demeuraient « fermés », froids, distants, suffisants, et leurs vins chers, voire très chers, somme toute moins intéressants qu’on le prétendait depuis des siècles – surtout par rapport aux AOC en plein essor de la vallée du Rhône, du grand Sud-Ouest, du Val de Loire, d’Espagne, d’Italie, de partout, et de toute façon ils étaient de longue date tournés vers « l’export », soit dédaigneux des papilles de la nation. Le mouvement prit de l’ampleur dans la profession. Cavistes, restaurateurs, bars à vins, mes copains de tire-bouchon, tous nous nous moquions très imbécilement de la planète des vins de Bordeaux. Nous boycottions. Puis, je me suis retourné, j’ai réalisé que, durant les douze années que j’avais vécues à Bordeaux, et où j’avais forgé mon palais en dégustant pour le travail et le plaisir dans cent et un châteaux, je m’étais même acculturé au Merlot et aux Cabernets, une certaine architecture organoleptique avait poussé, grandi en moi. Quittant Bordeaux fin 1992, je redécouvrais Syrah, Mourvèdre, Cinsault, Sangiovese, Tempranillo, Viognier, Chenin, Chardonnay, d’autres, dans les régions qui les magnifient avec maestria. Je commençais à renier, ce qui est manifestement déloyal.

    Capture d’écran 2025-04-29 à 08.28.09.pngMoulin La Lagune 2021.pngCapture d’écran 2025-05-05 à 10.30.08.png

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Bref, trois flacons bordelais de non modeste extraction sont venus secouer mes papilles ces derniers jours, à la faveur d’envois dont ma boîte aux lettres se réjouit.

    Le premier porte le prénom de mon fils, mais en référence à une couleur que je ne connaissais pas. Le « bleu Robin » désigne celui d’une argile, mêlée au silex et aux calcaires du sol et du sous-sol où naît ce vin de Castillon Côtes de Bordeaux (2020, 23€). L’appellation a le vent en poupe, grâce à de sérieux vignerons comme Jan Thienpont *, lequel, en 2018, fit renaitre de ses ruines ce bijou nommé Robin, situé à l’extrémité Est de l’appellation. 100% bio, composé de 80% de Merlot, 10% de Cabernet Franc, 5% de Cabernet Sauvignon et 5% de Malbec évoluant sur un domaine agroécologique, c’est un rouge gourmand, possédant du claquant, de la fraîcheur et une belle concentration. Fruits rouges et noirs au nez se retrouvent en bouche augmentés d’une note légèrement épicée du meilleur effet.

    Le second est un Haut-Médoc, Moulin du Château La Lagune (2021, 19€. Label Biodyvin attribué au domaine cette année-là. En conversion biodynamique, La Lagune est un 3e Grand Cru Classé en 1855), propriété de la charmante viticultrice Caroline Frey, même si c’est sa sœur Delphine qui conduit le Moulin depuis 2019. À une centaine de mètres du célèbre château, se trouve un moulin à vent, d’où le nom de ce second vin à l’étiquette bleue splendide, illustrée d’une huppe fasciée posée sur une tour, et d’insectes notamment : le minéral, le végétal et l’animal sont délicatement figurés, comme pour signer la féminité du domaine et l’accent mis sur la nature. Le sol est de graves légères et de silice qui apportent grâce, équilibre et finesse aux cépages. 51% de Cabernet Sauvignon, 42% de Merlot et 7% de Petit Verdot compose cette cuvée ayant passé un an en fûts, dont 40% étaient neufs. Sa robe rubis semble de sortie pour une soirée élégante. Le nez de fruits rouges tire sur la légère acidité de la groseille. Une grande fraîcheur en bouche comme un regard franc ou une note juste achève de nous séduire.

    Le troisième appartient à la famille du comte Léo de Malet Roquefort, et se nomme château Chapelle d’Aliénor by La Gaffelière (2020, 9,5€), anciennement château Chapelle Macaran. Avec La Gaffelière, nous sommes en AOC Saint-Émilion (1er Grand Cru, situé entre les collines de Pavie et Ausone), mais cette Chapelle est classée en Bordeaux Supérieur. 60% de Merlot et 40% de Cabernet Franc composent une cuvée rouge attractive qui naquit sur 52 ha d'un sol argilo-calcaire. Robe profonde, nez de cerise et de prune, tanins denses mais souples, rondeur et soyeux en fin de bouche. Pas fou quand même, mais un bon rapport qualité/prix.

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    L’escorte littéraire était composée du nouveau roman de l’exquis Jean Le Gall, « Dernières nouvelles de Rome et de l’existence » (Gallimard, Hors série Littérature) ou la vie de Nicola Palumbo qui démissionna de la tête d’un parti politique révolutionnaire pour s’engager comme simple vendeur de canapés. Le regard suraigu que l’auteur porte sur les différentes facettes de la société romaine des années 1969 et suivantes est percutant et fin. Dès les premières pages, Nicola rencontre « La » Mangano (Silvana) et un dialogue de séduction s'engage parmi les canapés convertibles. La littérature permet tout. Nous pensons aux comédies italiennes à la Risi ou Sorrentino et la figure dilettante, ironique, libre de l’acteur Toni Servillo semble s’inviter entre les pages. Nous y reviendrons, car sa lecture n’est pas achevée. Rappel : le précédent livre de Jean Le Gall, coécrit avec Jean-Paul Kauffmann et Jean-Luc Schilling, « En défense des vins de Bordeaux » (Le Cherche Midi) comme son titre l’indique, partait en guerre contre le Bordeaux bashing afin de réhabiliter avec sérieux et talent l’une des très grandes régions viticoles que compte la civilisation du vin, dans les verres ainsi que dans les esprits.

    Jean-Noël Rieffel signe son second opus avec « Aimer comme un albatros » (Equateurs), où il est question comme précédemment de sa passion pour les oiseaux et surtout sur les bienfaits que ceux-ci font à l’âme. En toile de fond, il y a un divorce douloureux. Très douloureux. Et en surface, léger comme la plume et délicat comme l’aile de géant du roi de l’azur cher à Baudelaire, il y a le pansement merveilleux que procurent donc les oiseaux à qui sait les observer. Le tout enveloppé dans les livres enchanteurs de Maurice Genevoix. Et le lit de la Loire, si chère à Jean-Noël.

    Afin de prolonger cette lecture, il y a l’intéressant « Ornithérapie » de Philippe J.Dubois et Élise Rousseau (Albin Michel), ou comment réduire son stress en prêtant attention aux oiseaux, à leur chant, à leur vie. Les observer chaque jour, les écouter la nuit, fait beaucoup de bien – j’en suis convaincu depuis ma plus tendre enfance... (Certes, ce titre peut sentir le faisan de rayon développement personnel, l’attrape-nigaud égaré, mais non. On y croit car nous pratiquons).

    Pour finir, la compilation d’une soixantaine de chroniques littéraires parues dans L’Express du maître en la matière (avec Renaud Matignon), Angelo Rinaldi, est un cadeau du ciel. « Les roses et les épines » (Éd. des Instants) clin d’œil sonore aux « Roses de Pline », roman du même auteur, analyse les livres, ausculte les écrivains, les hisse au pinacle ou bien les descend en flammes, mais toujours avec une plume étincelante. François Nourissier avait dit de Julien Gracq qu’il était le patron (des écrivains. Un écrivain pour écrivains, en quelque sorte). Nous pouvons dire que Rinaldi est le patron des critiques. D’Aragon à Zweig en passant par Camus, Voltaire, Drieu La Rochelle, Gadenne, Flaubert, Vialatte, Léautaud et cinquante autres, ce recueil précieux figure une leçon d’intelligence et de style.

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    Escorte musicale : Now we are free, thème du film « Gladiator », de Ridley Scott, une musique composée par le grand Hans Zimmer, à écouter en boucle en lisant en écrivant (et en dégustant). Cliquez là => Gladiator

    L.M.

    * Un nom qui résonne à Pomerol et en Francs Côtes de Bordeaux.

     

     

  • Retouches (Toulet, encore)

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    Il s'agit d'un document. Paul-Jean Toulet corrigeant son poème emblématique figurant dans ses irremplaçables Contrerimes, et je veux croire qu'il le fit à la terrasse du Madrid en 1919. Une photo connue atteste modestement de cette hypothèse, sans en attester le détail. Nous lâchons notre liberté d'interprétation à loisir et à vue. Voici le travail à la plume attestant de l'augmentation singulière d'un joyau de la poésie française contemporaine, de la main de son auteur alors malade, se sachant plus que mortel, et qui ne verra pas le fruit de sa liberté publié l'année d'après sa disparition; J'en aime aussi l'idée;

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    et le manuscrit 

  • Shakespeare avant Toulet

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    L'un des vers les plus fameux de Paul-Jean Toulet se trouve dans l'un de ses plus beaux poèmes aussi, qui figure dans le recueil Chansons, et qui commence par cette Romance sans musique : Dans Arle, où sont les Aliscams...

    Le vers est celui-ci : Parle tout bas, si c'est d'amour, / Au bord des tombes.

    Il se trouve que dans la scène I de l'acte II de Beaucoup de bruit pour rien, la comédie de William Shakespeare, Don Pedro dit : Parlez bas, si vous parlez d'amour ou Parle plus bas, si c'est d'amour, selon les traductions. C'est juste une remarque, comme ça, en passant... L.M.

    (Une anthologie de citations de Shakespeare est même parue en 2016 chez Grasset portant ce titre).

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    Quoiqu'il en soit, à Stratford-sur-Avon ou bien à Guéthary, il convient de parler tout bas, si c'est d'amour... Mieux, ne pas en parler mais le faire, c'est tellement bon.

  • De deux crémants

    Il est devenu banal de répéter qu’un bon crémant vaut mieux qu’un mauvais champagne. Ce fut d’ailleurs le titre d’un article que j’ai publié il y a deux ans environ dans le magazine « Tanin », à partir d’un banc d’essai de pas moins de soixante-cinq crémants de la France entière effectué à la maison avec le concours de quelques amis armés de papilles aguerries.

    Là, je viens de déguster juste deux effervescents qui confirment qu’un brut de base champenois est souvent médiocre, qu’il soit élaboré par une marque ou par un manipulateur récoltant (on trouve de tout parmi les champagnes de vignerons), et que certains crémants les surpassent avec maestria (y compris bien sûr par leur prix).

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    Le premier est en AOC Crémant de Bourgogne, il se nomme De Vergy (2020), il est issu de Pinot noir, de Chardonnay, de Gamay et d’Aligoté, et il a vieilli au moins 36 mois sur lattes. À l’œil, le cordon est discret, comme la mousse, sous une robe brillante. Au nez, l'agrume le dispute à la pêche, mais les notes florales l’emportent. En bouche, la pomme s’ajoute aux flaveurs précitées et la finale est tendre. Il a correctement épousé une truite pyrénéenne crue, à peine citronnée, ainsi qu’une poignée de Saint-Jacques vivement snackées.

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    Il escorta silencieusement les poèmes de la chanteuse Clara Ysé, « Vivante » (Seghers). Extrait : Beauté / Ta voix sur le fil / Ton étreinte tendre / Bleutée de nuit / Les oiseaux ont traversé l’océan / Pour t’entendre respirer. Et les fragments délicats de Sylvain Jamet, « Notes fantômes » (Louise Bottu). Extrait : Note sur le réel : Décrire simplement le réel, avec ou sans brouillard, n’est pas une tâche facile. Le réel est superbe, toujours, mais tout le monde s’ennuie et saute les pages.

    Pour la longueur en bouche littéraire, ce crémant se réjouît du « Murmure », du regretté Christian Bobin (folio), lequel évoque le froissement d’ailes gigantesque que la chorégraphie d’un immense vol d’étourneaux produit dans le ciel. Extrait :  Quand le génie entre en scène, ce n’est pas lui qui est là, c’est la délicatesse infinie de la vie, le stéthoscope plaqué sur la poitrine de Dieu, les battements qui s’accélèrent, les tambours de l’amour immortel. Le retour de l’esprit. Deuxième escorte, musicale comme il se doit : passée une sélection de pièces pour viole de gambe de Monsieur de Sainte-Colombe interprétées par Jordi Savall, nous passâmes à The Durutti Column, « Bordeaux ». Cliquez là =>  La Colonne Durutti

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    Le second crémant dégusté nous vient du Jura et il a notre préférence sur le bourguignon. Domaine Maire & fils (Brut millésime 2019). Ce 100 % Chardonnay présente une robe qui a du claquant. La bulle est fine et danse agréablement le long de la paroi du verre. Prune noire, pomme verte, citron jaune sautent au nez. C’est sec mais point aride, et l'acidité est sérieuse mais équilibrée. Un crémeux soyeux achève de nous séduire en bouche. Il prit une pintade savamment marinée à la hussarde, non sans avoir fait montre d’audace face à des crevettes crues franchement mâtinées de curry.

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    Nous lui avons servi « Stanislas » de Simon Liberati (Grasset) dont la sincérité profonde n’a d’égale que la profondeur du style de ce roman intime, en forme de confession. Et les poèmes de la grande Ingeborg Bachmann, « Toute personne qui tombe a des ailes » (Poésie/Gallimard), laquelle est d’ailleurs le mentor spirituel de Clara Ysé.  Extrait : Les nattes se défont, les couples d’ombre sombrent / dans le brouillard, de la colline proche / roule la lune stérile, prend possession des champs / et le pays à sa solde toute une nuit durant. Et pour le côté primesautier des bulles, la légèreté d'un roman épatant de Marin de Viry, « Le continent masculin » (Rocher). C'est percutant, précis, satirique, drôle, brillant, désaltérant et si bien écrit. Extrait : Ses propres dîners étaient comme un délassement un peu passé de mode dans sa vie, comme le ski de piste à Courchevel.

    L’escorte musicale fut composée d’un pot-pourri de Nat King Cole en Espagnol, puis d’un classique si sensible, « La romance de Nadir », issu de l’opéra de Bizet intitulé « Les pêcheurs de perles » dans l’interprétation qu’en donna Tino Rossi. Et oui. Pas de Pavarotti ni même de Caruso aujourd’hui (en hommage à mon père qui adorait Tino). Cliquez là =>  La romance de Nadir  L.M.

     

     

  • L'estate della Corricella

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    Coïncidence heureuse : en l'espace d'un mois, deux filles d'amies m'ont adressé ces photos en arrivant à Procida chacune à leur tour (Caroline il y a un mois, et Clarisse hier - elles ne se connaissent pas), non sans avoir entamé leur séjour en acquérant mon mini récit d'amour à la fois romantique et tragique (comme il se doit) et néanmoins bilingue, sur le motif, à la librairie de l'île Nutrimenti qui nous tend sa vitrine à la descente du ferry de Caremar en provenance de Naples, et à deux pas d'Il Cavaliere, bar où il convient de s'asseoir illico (non) presto afin de commander un caffè e una sfogliatella, voire une lingua de bue al limone, sinon "c'est pas jeu"...
    À ce propos, mon éditeur italien, napolitain de surcroît, soit ma sympathique éditrice Giulia Giannini (Giannini editore) me presse de battre tambour (mais je suis tellement nul à ce jeu) aux fins de solliciter les lecteurs français possibles de ce diable de petit bouquin. Ce que je m'efforce de faire à l'instant, avec les moyens du bord. Alors : vous pouvez commander l'opuscule sur le site de l'éditeur, Giannini Mazzella, ou bien sur les sites de vente de littérature en ligne dédiés, et il y en a pléthore. L.M.
     

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  • Maubert

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    Je retrouve une note de lecture rédigée en décembre dernier : Franck Maubert m’a renversé avec la sincérité de sa prose, la qualité de son écriture précise et sensible, et surtout l’osmose (bien plus forte qu’une empathie) avec un paysage, des réminiscences historiques, une poésie, un personnage présent/absent, une immersion « Avec Pierre de Ronsard » (Mercure de France) des plus délicates, des plus subtiles. L’auteur est « dans le paysage, il glisse avec lui, il vit avec lui ». Il clame (à la suite d’André Breton) le fameux mot : « j’ai cessé de me désirer ailleurs », lorsqu’il sent viscéralement que c’est LÀ qu’il doit désormais vivre. Et écrire. Il éprouve dans sa chair et sur sa peau le calme, la sérénité, l’humilité, le grandiose, la finesse, la discrétion d’un paysage propice et – veut-il le croire – inchangé depuis des siècles (même s’il sait que...). Ici, « le paysage devient pays et s’impose, et repose ». Maubert éprouve le magnétisme d’un paysage empreint de littérature, de poésie simple, amoureuse : « un paysage à qui parler ». L’auteur respire Ronsard, vit comme habité par le poète, et toujours dans l’imprégnation d’une nature douce et accorte. Et c’est très beau.

    C'est pourquoi je l'ai défendu avec une véhémence mesurée qui convenait, lors des dernières délibérations du Prix François-Sommer, mais je ne fus pas le seul juré à brandir ce petit livre bleu ciel - Eric Neuhoff, Nicolas Chaudun, Xavier Patier avaient aimé le livre de Franck Maubert autant que moi. Et le prix 2025 lui revint. Justice. L.M.

    J'évoquerai ses Histoires naturelles ici bientôt, je les ai entamées; elles me ravissent.

     

  • Le jury

    Le premier Prix Paul Jean Toulet sera remis le 17 mai prochain en fin d'après-midi quelque part à Guéthary, où le poète délicat des "Contrerimes" repose depuis 1920, et ne cesse, nous en sommes certains, de prendre garde à la douceur des choses, et de parler tout bas, si c'est d'amour, au bord des tombes, lorsque se taisent les colombes...

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  • Aimer pour aimer

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    Pas le temps de discourir, car j'ai trouvé cet ouvrage ce matin à midi cinquante dans ma boîte aux lettres. Juste eu le temps de relire ces classiques. Et même si je déteste les célébrations, les anniversaires, les fêtes pétries de marketing comme la Saint-Valentin (laquelle m'évoque d'abord un massacre mafieux entre gangs à Chicago au temps de la prohibition et de la grande crise de 1929, commandité par Al Capone, amoureux notoire d'alcools de contrebande qui n'étaient pas d'Apollinaire), je sacrifie au plaisir de vous inciter à lire cette petite anthologie amoureuse placée sous le signe de l'amour d'aimer, de l'amour de l'amour, laquelle rassemble une poignée de champions hors-norme du vers délicat : Pierre de Ronsard, Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Catherine Pozzi, Louis Aragon, Guillaume Apollinaire et Jean Genet. Leurs célèbres poèmes, que nous avons tous recopiés un soir ou l'autre au Bic ou à la plume Sergent-Major afin de la, ou de le séduire, sont là. En 96 pages, voici un concentré de désir, d'aveux palpitants, d'érotisme contenu, de sentiments tenus bride courte et serrée, les genoux aux flancs collés tenant lieu de (bonne) conduite; afin de garder les mains libres, bras en croix, yeux fermés... Amoureux, va donc en avant, calme et droit, de façon cavalière au sens premier du terme. Et si ta convoitise refuse l'obstacle que ta maladresse lui sert par inadvertance, jette ton coeur par-dessus, car alors tu suivras, et l'emporteras. L.M.

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    Ce besoin d'aimer pour aimer. Des poètes de l'amour. Édition d'André Velter. Avant-propos de Camille Laurens (Poésie/Gallimard).

  • Mimosa

    Le retour du printemps, ce sont les primevères sur les talus et en sous-bois, lesquelles annoncent les jonquilles, et le départ imminent des grues cendrées. C'est aussi les mimosas débordant de poussins, dirait Francis Ponge. Comme cette simple branche oubliée, semble-t-il, en marchant ce matin le long de la Nive jusqu'au marché à ciel ouvert de Bayonne. 

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  • The Boss

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    Vu aussi, le lendemain (le 27 janvier) un formidable « docu », toujours au FIPADOC à Biarritz,  sur « The Boss » ; Bruce Springsteen. Et son groupe, non – son équipe, non plus, sa poignée de potes – c’est plus juste, disons plutôt cette bande d’insécables, E Street Band, fondée il y a un demi-siècle, reformée récemment pour une floppée de concerts pleins à craquer de dizaines de milliers d’aficionados en manque de « live », composée d’une grappe de très grands talents à la batterie, aux cuivres, au chant, aux nombreuses guitares, avec Steven van Zandt à leur tête derrière Bruce, chef d'orchestre en jeans avec ses signes esquissés au groupe, comme une main levée nonchalamment, voire un index là, soudainement, ou bien un discret mouvement des fesses, un fléchissement de la voix sur une syllabe prononcée au micro qu’il embrassait mieux qu’il l’aurait fait des lèvres d’une femme – disons Marianne Faithfull (en hommage, en passant) -, en susurrant « The River » ou « Nightshift »... Il s'agit d'un documentaire magistral, placé sous le signe de l’amitié qui engendre la musique, au sujet de la musique engendrée par l’amitié, cela est également inséparable, tant la fusion totale parmi ce petit troupeau est confondante. Ça circule, le son juste sinue entre eux comme par magie, ou plutôt avec grâce. Voilà. Ce film en est touché. Atteint. Et B.S. en acteur principal a l’élégance permanente de se tourner vers ses frères et sœurs de chant et de sons, de vie et d’espérance, d’hommages et de réminiscences. C’est beau comme une aube en haute montagne dans le silence le plus pur, car il s’agit d’un rock, un vrai, puissant, viril oui, avec des percussions appuyées, une voix rauque venue du fond des âges américains, jeunes mais confirmés, des cordes résolument pincées, des tambours frappés avec justesse en leur centre, et cela produit la magie Springsteen. Une musique repérable et de si bonne compagnie. Un truc de fou lorsqu’on aime écouter et réécouter par exemple « Streets of Philadelphia » jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement de la batterie de la grosse JBL posée là, pas n’importe où. Là. L.M.

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  • Tardes de soledad

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    Vu, hier soir au FIPADOC, le festival du documentaire qui se tient à Biarritz jusqu’au premier février, un film extraordinaire sur la tauromachie signé Albert Serra et qui se concentre sur le torero péruvien star du moment Andrés Roca Rey. La corrida n’avait jamais été filmée ainsi et c’est heureux si le réalisateur et ses caméras numériques, les micros sans fil glissés dans les habits de lumière du torero et de sa cuadrilla ignorent, voire se fichent de l’art toreo au sens technique du terme. Les cadrages, serrés, en plans rapprochés, sont impressionnants de vérité, de sang, de sueur, de regards fauves, de pelea – de lutte, de chorégraphie sauvage, primitive et essentielle ; mystique. Jamais nous n’avions entendu, sur la pellicule, outre les pasos dobles joués par la fanfare et la rumeur du public, l’échange permanent entre les peones et le maestro. Ni - et ce sont des moments exceptionnels du film - le souffle du toro, dès la première image, aussi rarissime que vrai. Ainsi que le souffle du torero. Des sons très forts, qui en disent tant sur l'échange par cet étrange langage, dans le combat. Il faut pour cela avoir vécu cet « opéra en trois actes » depuis le callejon, et j’ai d’ailleurs eu cette grande chance durant de nombreuses années d’assister ainsi à tant de corridas (merci ma carte de presse, des relations, et bien sûr des retombées sur le sujet dans quelque gazette), écoutant les conseils incessants, les encouragements lancés à un torero infiniment seul face à la mort envisagée, et nous planqués derrière des planches rouges, prenant un jet de sable projeté par le toro, me faisant bousculer par un peon pressé de sortir faire son boulot tandis que je faisais une mise au point avec mon Nikon, respirant la chaleur, les odeurs mêlées de sang, de poil de cheval, de cigare ; de peur aussi. Tout cela, « Tardes de soledad » le montre avec un talent fou. Aucun commentaire ajouté, du brut, du vrai. Nous suivons de manière volontairement répétitive Roca Rey et sa cuadrilla d’arène en arène, via la camionnette, la chambre d’hôtel – le scènes d’habillage et de déshabillage du torero sont précieusement impudiques. Peu importe à Serra la qualité des passes (les cadrages sont parfois trop centrés sur la masse du toro, les fesses du torero, ou bien – et c’est subtil, sur les pieds, les sabots, ou bien les couilles de l’un et de l’autre). Serra se fiche du fer de l’élevage du toro (on guette la cuisse droite qui passe trop vite), il agit comme un peintre, un musicien, il capte l’essence du combat, ses rites, sa nature crue. La mort du toro est filmée sans ambages, la réalité est là, et le réalisateur tente de maintenir un regard « équilibré » disait-il hier après la projection à la gare du Midi, à Biarritz, sur le sujet, bien que nous ayons eu l’impression qu’il ménageait la chèvre et le chou, mais surtout la chèvre, soit le discours ambiant volontiers « anti »... Les échanges des peones sont un régal, bien que répétitifs (c’est le choix du montage) lorsqu’ils flattent leur patron en mettant l'accent sur le volume sans cesse grandissant de ses huevos (ses valseuses). Roca Rey, qui n'aurait pas encore vu le film (dixit le réalisateur hier soir) n'aurait pas aimé (?) le traitement qui lui est réservé. Il a déclaré à Serra que celui-ci l'avait trahi. À suivre... L’esthétique en rouge et noir, et couleur sable aussi de ce documentaire de deux heures (le temps d'une tarde), est toujours baignée d’une lumière incandescente. Seul reproche : dans ces échanges bruts, il est parfois question du toro comme d’un ennemi honni, un « hijo de puta » à éliminer au plus vite, lors que nous savons qu’il est autrement adulé, divinisé par le monde entier de la tauromachie à pied et à cheval. L.M.

    Le film, qui a déjà remporté la Concha de Oro au festival de San Sebastian, sortira sur grand écran à la fin du mois de mars prochain.

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  • La magie Leica

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    Deviendrais-je snob en prenant de l’âge ? Je sais qu’une offre moins onéreuse propose une technologie identique, mais j’ai voulu m’offrir ce Leica. J’ai pourtant toujours cultivé une forme d’allergie aux marques en décousant le crocodile des chemises Lacoste que m’offrait ma mère et en rasant au cutter les languettes Sebago ou Paraboot. Je vilipende le charcutier enrichi bardé de sigles clinquants : Louis Vuitton, Rolex... J’ajoute que je préfère les champagnes de vignerons aux effervescents de marque. Mais la légende, le mythe du photojournalisme des années Capa, Burri. La mise au point d’une étonnante discrétion (j’ai déjà capturé des sujets à leur insu tout en discutant à un mètre d’eux), le silence de l’obturateur, sans parler bien sûr du piqué inouï de chaque image (en N&B exclusivement. Je négligerai la quadrichromie). La magie Leica. Et si cette pastille rouge s’avérait trop voyante, je songerai à énucléer mon boîtier comme on ouvre une huître ou comme on neutralise un cyclope. Et hop ! - Pas tout de suite, quand même. L.M.

  • Prix François Sommer 2025

    Ce fut une belle soirée de remise du Prix à Franck Maubert (mardi 10, au 60 rue des Archives à Paris), qui suivait une âpre délibération au cours du déjeuner : Carole Martinez faillit l'emporter avec son magnifique "Dors ton sommeil de brute". Mais "Avec Pierre de Ronsard" eut le dessus pour sa grâce et sa lecture poétique du paysage des bords du Loir où vécut Ronsard... L.M.

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    FRANCK MAUBERT, PRIX FRANÇOIS SOMMER 2025

    Créé en 1980, le Prix François Sommer honore chaque année une œuvre – roman ou essai – qui explore les rapports de l’Homme à la nature et au vivant. Franck Maubert, récompensé pour son ouvrage Avec Pierre de Ronsard (Mercure de France) en devient le 45e lauréat. Doté de 15 000€, le Prix valorise les créations littéraires et des œuvres scientifiques qui abordent le thème de la nature d’une façon originale, ouvrant de nouvelles voies pour penser les enjeux écologiques contemporains.

     
    Né en 1955, Franck Maubert est auteur, journaliste et critique d’art spécialiste de la peinture du XXe siècle. Essayiste et romancier, il obtient le Prix Renaudot de l’essai en 2012 pour Le dernier modèle (Éd. des Mille et une nuits), portrait de Caroline, dernier modèle et dernier amour de Giacometti. Il est également auteur de nombreux livres d’art et d’entretiens notamment avec Francis Bacon à qui il a consacré plusieurs ouvrages, traduits en plusieurs langues. Dans Avec Pierre de Ronsard (paru en août 2024 aux éditions du Mercure de France), Franck Maubert se glisse dans les pas du poète dans le Loir-et-Cher et signe une déclaration d’amour à la vallée du Loir : terre de rivières, de collines et d’oiseaux.
     
    “Dans Avec Pierre de Ronsard, Franck Maubert nous montre que l’Homme et la nature ne sont pas deux entités qui se nuisent mutuellement mais que l’Homme est là pour la célébrer !”

    Le Prix François Sommer est remis en préambule du salon Lire la Nature qui aura lieu les 1er et 2 février 2025 au musée de la Chasse et de la Nature et auquel participera Franck Maubert. Il interviendra lors de cette table-ronde : Nature : changer de perspective (samedi 1er février à 17h45) : rencontre aux côtés de Thibault de Meyer (Qui a vu le zèbre ?, Les Liens qui libèrent) et Jacques Tassin (Le jardinier de Ronsard, Odile Jacob). 

    La sélection du Prix François Sommer 2025 :

    Aux côtés de l’ouvrage récompensé, la sélection 2025 du Prix François Sommer fait la part belle à la littérature sous toutes ses formes : roman, essai, poésie… Avec le souci, de représenter la diversité éditoriale française à travers la participation de grandes maisons d’édition établies de longue date dans le paysage éditorial et des maisons indépendantes qui s’engagent pour la réflexion et la création. Pour rappel, la sélection 2025 comprenait : 

    • Pastorales de Violaine Berot, Florence Debove et Jean-Christophe Cavallin (Wildproject)
    • Le jardin des plantes de Elvire de Brissac (Grasset)
    • Qui a vu le Zèbre ? L’invention de la perspective animale de Thibault de Meyer (Les Liens qui Libèrent)
    • Vies sauvages de Daniel Fohr (Inculte)
    • Rousse ou les beaux habitants de l’univers de Denis Infante (Tristram)
    • Dors ton sommeil de brute de Carole Martinez (Gallimard)
    • Les péripéties d’un primatologue de Cédric Sueur (Odile Jacob)

    Le jury du prix François Sommer

    Le jury est composé de Xavier Patier, écrivain, président du jury ; Vincent Munier, photographe et président d’honneur 2025 ; Sara Buekens, professeur de littérature française et francophone à la Vrije Universiteit Brussel et rédactrice en chef de la Revue critique fixxion française contemporaine ; Jean-Luc Chapin, photographe ; Nicolas Chaudun, écrivain ; Sibylle Grimbert, écrivaine et éditrice ; Dorian Jude, responsable de la librairie du musée de la Chasse et de la Nature ; Léon Mazzella, journaliste et écrivain ; Éric Neuhoff, journaliste, essayiste et écrivain ; Catherine Pégard, ancienne présidente de l’Etablissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles ; Fanny Wallendorf, écrivaine et lauréate 2024 du Prix ; le Master Gouvernance de la transition, écologie et sociétés (AgroParisTech/Paris Saclay) représenté par deux étudiants, Irina Loiseau et Abel Masson.

  • "Pour faire la part des hasards de la route..."

    Terrible lettre, lorsque nous savons qu'Albert Camus trouvera la mort le 4 janvier à 13h55 dans la Facel Vega conduite par son éditeur et ami Michel Gallimard, à Villeblevin, dans l'Yonne... Disons en principe, pour faire la part des hasards de la route, et je te confirmerai le dîner au téléphone"...

    Il est temps de nous plonger dans l'inédit de Camus qui vient tout juste de paraître : le quatrième volume de ses précieuses Actuelles

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  • Boulangerie : Montaigne quotidien

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    En direct : J'écoute Leonard Cohen, Ten new songs, puis j'écoute Alain Bashung, Bleu pétrole, je relis Hypérion de Hölderlin au hasard, je reprends les Hymnes à la nuit de  Novalis, n'en relis que les annotations en marge, faites au crayon, de mes premières lectures. Manciet, Juliet, Cadou, Neruda, Ungaretti me lancent des oeillades - et nous alors, ohé !... Je contemple sans le regarder un ciel bleu pâle. Novembre. Fin novembre doux au lieu d'être givré jusqu'à l'os, soit l'opposé d'un novembre classiquement vigoureux, capable de glacer notre oesophage lorsque nous inspirons à fond, à l'aube, face à lui tout entier. Droit dans les yeux déjà gentiment agressés par une froidure que l'on accueille "comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride" (Char). Un vent à décorner les ânes dirait mon ami Benoît génère à l'instant une rauque musique de mes volets mal arrimés. Je les ai pourtant coincés avec des bouchons. Je veux ignorer le prénom de ce nouvel ouragan - ou prétendu tel... La plage de la petite Chambre d'amour était plate tout à l'heure. Marée haute. Plate comme une crêpe sèche. Oubliée au-dessus du placard lorsqu'on a (volontairement) raté son saut dans la poêle. Cela porte bonheur, disait Maman. L'Adour (et j'aime que le correcteur rectifie aussitôt ma frappe avec une aveugle autorité : L'Amour...), uniformément beige, semblait prêt à déborder, dans l'arc de Blancpignon qui figure un mol croissant de lune. Nous connaîtrons de plus en plus de débordements. Ils ne seront pas toujours pétris de sentiments généreux, amoureux. Plutôt d'excès haineux, rugueux. Je chasse la douceur en ce dimanche comme on quémande un regard complice, une connivencia sourde. Tue. Forcément tue. En choisissant par défaut l'affût au lieu de l'approche. Preuve que je ravale à l'instar d'une biche bréhaigne, ou comme un grand vieux solitaire, une carne repliée au -fin- fond d'une forêt forcément noire. Et crue. Une page des Essais de Montaigne quotidien - plus indispensable que le pain - me sauvera, j'en suis certain. Il me faut juste me lever et l'attraper. Dresser le bras gauche, empoigner le volume avec le même délice de chaque jour. Puis, l'ouvrir au hasard, ainsi que je pratique cet exercice sportif avec La Recherche, de Proust. Nous avons les Ventoline que nous pouvons. Montaigne prescrit comme bronchodilatateur. Pourquoi pas? La belle affaire sans ordonnance... L.M.

  • émotion de gambe

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    L’année du bac, été 1976, je m’offre mes premiers disques de Jordi Savall et son ensemble Hespérion XX :  Monsieur de Sainte-Colombe, plusieurs volumes de Marin Marais... Des 33 Tours achetés à Disco Shop, mon fournisseur de la rue d’Espagne, à Bayonne. Suivent d’autres enregistrements. En septembre 1980, voyageant à travers le Portugal en minibus Bedford avec une amie, je coupe le moteur sur une place de Coimbra, au crépuscule et au son strident de martinets rasant le sol et nos têtes, devant une grande église sépulcrale. J’ouvre la portière, me parvient le son d’une viole de gambe. Nous approchons, poussons la porte, un sbire, index sur les lèvres, nous invite à nous accroupir devant le premier rang. Le concert venait de commencer. Hespérion XX. Savall, Montserrat Figueras et tout l’ensemble. Frissons durables. De ce moment-là à aujourd’hui, je n’ai jamais cessé d’écouter toutes les créations, productions, d’assister quand je le pouvais aux concerts de Jordi Savall. La disparition de Montserrat, sa femme, me fut une peine, comment dire, à caractère familial. J’habite la musique baroque et son interprétation par Jordi et ses formations successives. Bien sûr, « Tous les matins du monde » me provoquèrent un choc, comme à chacun. D’autant que Pascal Quignard figure l’un de mes écrivains français vivants préférés, et dont je lis absolument tout. Ce livre-là, je le lus, et relus trois fois d’affilée, une nuit entière, à sa parution (je ne refis cela qu’avec « Soie », d’Alessandro Barrico). Et là, à l'instant, j’écoute Lachrimae Caravaggio, Hesperion XXI, pur bonheur, allez-y, vos frissons s’impatientent => lachrimae

  • Sauver Boualem Sansal

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    Nous redoutions cette arrestation depuis longtemps. Boualem Sansal m’avait confié bien pire et bien plus beau : « je sais que je peux être tué d’une minute à l’autre, mais je préfère ne pas y penser et continuer de vivre normalement en Algérie, car si je prends peur, je transmets ma peur à ma femme et ça je ne le souhaite pas... Mais je suis peut-être devenu trop connu pour risquer désormais quelque chose ». J’aime Boualem depuis notre première rencontre, j’aime tous ses livres, son rarissime courage, sa bonté, sa franchise, sa gentillesse, son inquiétude majeure pour une France – dont il aime tant la langue et l’histoire - devenue démesurément pleutre devant l’islamisme qui la gangrène. Boualem figure à mes yeux un sage indien des hautes plaines, une sorte de Socrate, une Cassandre pugnace, un écrivain d’une trempe fougueuse, que seuls l’obscurantisme à front de bœuf et « la marée montante de la bêtise » (Camus) peuvent démolir. Nous devons absolument tout faire pour sa libération. Tout. Et prier pour que rien de grave ne lui arrive. L.M. 

  • Un beau ténébreux (au hasard)

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    Julien Gracq est plus fort que tout, que tous. Je le savais, je le sais, je le redis. Je viens tout juste d'attraper comme ça "Un beau ténébreux" sur l'étagère large de ses oeuvres, lequel n'est vraiment pas mon livre préféré de mon auteur fétiche, et je l'ouvre au hasard. Page 48 (ci-dessus) et aussitôt la magie opère. La littérature à l'état pur comme on le dit d'un diamant, est là, contenue, concentrée sur quelques lignes, une page qui en aspire d'autres, toutes les autres, et le désir immédiat de remonter la source, de revenir à la page une. J'ai des frissons devant tant de style, de subtilité, de sensibilité, d'images, de profondeur, de sincérité, de beauté majuscule... Les larmes pourraient me gagner comme lorsqu'on est - si rarement - saisi par "le syndrome de Florence", dit aussi "de Stendhal". Je me garderai ce soir de mettre au rapport mes livres préférés de JG, par crainte de faire une attaque littéraire, maladie rarissime contractée après lecture de chefs-d'oeuvre, non repérée par le Vidal à dos rouge, et à ce jour inguérissable - et c'est tant mieux ! L.M.

     

  • Chadburn

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    Quel âge ai-je, quinze ans au maximum, mes parents reviennent d'une croisière en Croatie et par là-haut sur le paquebot France où ils retrouvèrent leurs amis Jean-Jacques et Anne-Marie Lesgourgues, qui sont aussi et encore mes fidèles amis (Maman m'avait rapporté ce tee-shirt marqué du plus beau mot qui soit), je porte une casquette de marin car mon père tenait à ce que j'aille au lycée la tête ainsi couverte, et vêtu d'un caban bleu marine, d'un pull marin avec boutonnière sur l'épaule gauche, et d'un pantalon "pan" disions-nous, avec boutonnière en pont sur trois côtés (je ne me souviens pas des chaussures, mais ce n'était pas des bottes bleues), je porte au cou un sifflet de chioulayre pour faire venir les alouettes, lequel ne m'a jamais quitté, et j'actionne l'imposant chadburn de cuivre et de verre (qui trône toujours chez moi, et qui, sauvé de la casse, provient d'un des bateaux de l'armement familial), la photo fut prise par mon ami Peyo Durandeux, qui aurait eu 66 ans ce 17 novembre (nous avions dix jours de différence) si une rupture d'anévrisme ne l'avait pas soustrait à nous le 1er janvier 1999, lors qu'il dansait, à Saint-Leu (La Réunion) dans les bras de sa femme Odile. J'aime ce cliché saisi avec mon Polaroid blanc, un peu construit, mais il lui est pardonné, car nous avions quinze ans, ce devait donc se passer en 1973. E la nave va...

  • enrosadira

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    "Le jour a toujours l'air d'avoir passé une nuit blanche quand il se lève. Les Italiens ont un mot intraduisible pour désigner l'instant où le soleil réveille le monde d'une caresse : enrosadira...", lis-je chez Sylvain Tesson dans Le Point de cette semaine. Le fanatique de l'aube que je suis l'approuve tellement.

    Photos : les barthes de l'Adour du côté de Pey et de Siest (40), un matin de novembre givré comme je les adore).

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  • Con te partiró

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    C'est avec des livres comme ceux-là que l'envie de fuir en Italie m'étreint. Le délicat, sensible, si bien écrit ouvrage de la talentueuse Christiane Rancé (lire ici même l'article sur : Dictionnaire amoureux des Saints), "Bella Italia. Un itinéraire amoureux" (Tallandier) est un florilège de lieux, de sensations paysagères, d'émotions gourmandes et artistiques, car l'Italie est art et ce livre un enchantement de 330 pages, qui nous conduit à Gênes, Venise, Rome, Naples, partout, où l'on croise des peintres et des cinéastes, des écrivains et des mammas généreuses et point caricaturales, ou encore des mafieux par essence caricaturaux. C'est d'une déclaration d'amour qu'il s'agit, et nous devenons au fil des pages nous-mêmes amoureux de chaque centimètre de la Botte.

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    Pour nous épauler avant de nous envoler, Ulysse publie un album très richement illustré de plus de trois cents photos splendides, "Italie. 50 itinéraires de rêve" (titre d'une collection originale chez cet éditeur) qui figure une autre façon de nous inviter à découvrir d'abord ce que nous ne connaissons pas : les Pouilles, la Calabre... Puis à redécouvrir ce que nous pensons connaître de cet inépuisable pays de la sensibilité et de l'art. Désarmement des toboggans. Vérification de la porte opposée... L.M.

  • L'ineffable

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    C’est une pièce plus mince qu’un After Eight, mais ça envoie du menthol pour un moment. C’est une hostie théâtrale, une victime qui fond bien sous la langue, il suffit de fermer les yeux. Et sa teneur est d’une densité épaisse. « Pour un oui ou pour un non », de Nathalie Sarraute (folio lycée, programme du bac, je retombe en arrière enfance...), c’est comac. Son pitch tient en deux phrases. Il est question d’amitié. D’un mot de trop, prononcé – par l’un, à l’autre -, avec une once de mépris et de jalousie mêlés : « C’est bien, ça… ». Genre drop de la dernière seconde. Tout tourne autour de ces trois mots, qui mettent à bas des années d’amitié. Le talent de Sarraute, avec une économie de mots janséniste, fait le reste. Soit « le job ». J’aime...

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    Dans la même collection, nous avons eu le plaisir de relire « On ne badine pas avec l'amour », de Musset, et de découvrir « Le Menteur », de Corneille, formidable échafaudage dramatique sur le thème du quiproquo, l'affabulation. Facétieux, ça aussi... L.M.

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  • Molière à coeur

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    Ceci ne s'adresse pas seulement aux coeurs d'artichaut... Il y eut, pour célébrer l’année Molière (diable ! J'accuse un grand retard...) ce facétieux petit recueil habilement troussé et tendrement illustré par Pascal Lemaître, champion des petits cœurs bien placés, « Parlez d’amour dans la langue de Molière » (à l'impératif), textes choisis par Julie Maillard (éd. de l’aube). Vous allez tout de suite comprendre si j'écris qu'il s'agit d'un livre pour lieu d’aisance, ou bien pour la table sise au chevet d’un lit à deux places, histoire de lui dire avant, ou après : écoute, écoute... Le florilège, extrait des plus fameuses pièces de Molière, s’articule autour du fait amoureux, du combat de l’amour, de l’amour heureux... et se désarticule au moment de l’amour malheureux. C’est tendre, c’est fin, ça pince, ça charme, c’est fort. Molière, quoi. (Extraits ci-après). L.M.

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  • Monsieur Province

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    Que ne sacrifierions-nous pas pour un jeu de mots, même tiré par les cheveux ? Si Thomas Morales était un débauché, je titrerais cet article « Le rétroviveur ». C’est ainsi que je surnommais mon père lorsqu’il rabachait ad nauseam sa nostalgérie d’italo-pied-noir. C’est quand même tentant, et la couverture de son nouveau livre au titre fitzgeraldien, « Tendre est la province », essai littéraire qui caracole, publié sous casaque des Équateurs de l’ami Olivier Frébourg, y incite fortement. Le mot province est celui que Morales, issu de « commerçants berrichons et de forçats venus d’Andalousie », préfère entre tous. Il nous en conte et raconte au fil de 230 pages avec un ton fleuri qui figure sa patte, un style vigoureux qui lui est propre, de cette province française qu’il chérit, bien qu’elle se dilue, disparaisse, s’efface avec élégance. Lire Morales, c’est prendre un ballon de menetou-salon au zinc d’un rade de village en avalant un œuf mayo tout en écoutant Brassens ou pourquoi pas Tino Rossi. Cet ouvrage écrit avec talent à la première personne est une sorte d’autobiographie par anticipation d’un quinqua continuant d’enfourcher une mob bleue ou orange (délaissant un instant la Ford Mustang) pour partir à l’aventure sur les chemins vicinaux et les routes départementales, entre clocher, école désaffectée, bar des chasseurs, mairie riquiqui et vieux en voie de disparition. Monsieur Nostalgie, fils unique qui naquit à Bourges, est habité par ce pays qui « s’inscrit dans nos gènes par décalcomanie, par abstraction ». Mais, poursuit l’auteur, la nostalgie est « balise dans l’océan, tuteur solidement enfoncé dans les terres effacées. » Notre styliste, qui confesse avoir eu le béguin pour une Léonarde (du pays du Léon), puis avoir convolé en justes noces à Carantec avec cette fille d’un fusilier marin breton portant la légion d’honneur au revers de son veston, nous attache durablement. Sa France figure une brocante personnelle où d’aucuns se retrouve(ro)nt comme dans un costume sur mesures. « Elle flirte avec les marges, les écrivains vipérins et les bombances débridées », écrit ce fils spirituel de feu l’ami Denis Tillinac. Une phrase seulement nous rappelle l’incipit d’un des premiers romans de Denis. Page 52 de « Tendre est la province », nous lisons : « J’ai été langé par une nourrice corso-espagnole qui portait un chignon façon mater dolorosa et était pieuse comme un moine de Tibhirine. » Dans « Le bonheur à Souillac », cela donne à la première page : « J’ai été déniaisé à l’âge de seize ans, sur une falaise du Dorset, par une Linda aux cheveux platinés, qui n’en menait pas large. » La filiation est établie et ce n’est pas un hasard si Morales fut le premier lauréat, en 2022, du tout neuf Prix Denis Tillinac (disparu le 26 septembre 2020 : C'était Denis )... Morales aime la structure mentale, la fierté de la province, voire son délitement, en romantique sensible à l’évanouissement de la beauté, de la sincérité, de la simplicité. « Ma France grince comme la maison de mon enfance », écrit-il joliment. Entre les pages, nous croisons Yvette Horner, des gamins en culottes courtes fiers de commémorer le 11 novembre au monument aux morts, des bouteilles de rosé pour les barbecues de l’été, une étape du Tour de France, un standard d’Eros Ramazzotti, un livre écorné de Daphné du Maurier, un slow-braguette du samedi soir dans le dancing du chef-lieu de canton en compagnie de boutonneux de bringue inoffensive, des fraternités indéfectibles, un Opinel inoxydable à force de gras de saucisson tranché, le break Volvo du paternel, refuge majuscule en cas d’alerte nucléaire sentimentale. Il y a encore du fromage de tête et des rognons entiers comme des grappes bodybuildées, des rires larges et des nappes à carreaux, les paysages doux et sans aspérités du plat Berry qui est le sien. Il y a la défense du parler paysan, des « r » roulés avec suavité et franchise intérieure, moqués par les néo-ruraux, il y a du Grand Meaulnes et du Jean Chalosse, moutonnier des Landes dans ces contrées de patience. On trouve dans ce bric-à-brac qui redonne goût à la chine et aux vide-greniers, des remontrances : « Quand je braise, je me cache ; quand je fume (mon saumon) je disperse mes cendres sous mon prunus ; quand je débouche un flacon de gevrey, j’ai l’impression de sniffer une ligne de coke, quand j’ouvre des belons, suis-je un génocidaire des mers ? » Morales se libère aussi, et les pages à l’adresse de son père sont émouvantes, comme celles touchant à la blessure qu’infligea le divorce de ses parents. Thomas avait dix ans. Revigorantes sont celles qui animèrent tout son être lorsqu’il découvrit le métier de journaliste dans la PQR (je suis également passé par la Presse quotidienne régionale, et je comprends par conséquent cet adoubement initiatique qui me fut un bonheur indépassable). Amoureux des livres de Blondin et des films de Philippe de Broca, Morales le chroniqueur brillant au verbe claquant et à l’adjectif qui fouette, que nous suivons dans Causeur ou Le Figaro, signe ici une somme vibrante et sans ambages. Le tout avec une plume des plus précieuses du paysage littéraire ambiant. L.M.

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  • 45

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    12.IX.1979. Ça ne me rajeunit pas... Voilà quarante-cinq ans jour pour jour, Saint Apollinaire - je me souviens de m'être dit : c'est un bon signe, garçon (tu parles !..), ce 12 septembre là, je publiais mon premier livre, « L’aube froissée ». Des poèmes mélancoliques, écorchés certains, sanguinolents par métaphore, sur l’amour déçu – le premier de l’existence ; l’adolescence en fuite, le givre consolant des aubes de novembre qui galvanisent le corps, les vols d’oiseaux de passage qui réconfortent l'âme, la découverte d’une langue, celle de René Char, qui illumine la porte étroite de l’entrée dans la vie d’homme. J’avais vingt ans et des poussières. Aujourd'hui que je renie ce maigre coup d'essai en ne le mentionnant plus dans la page "du même auteur" de mes récents ouvrages, je m'interroge... J’étais étudiant à Bordeaux et je m’ennuyais, loin des barthes de l’Adour, de la présence capitale de mon grand-père et de celle de mon chien. Je les retrouvais chaque vendredi soir à la descente du train, après le rite d’Apostrophes et les petits plats de maman servis sur un plateau devant la télé. Les femmes n’étaient encore qu’une idée vague et j’en manquais, mais je surfais. Quarante-cinq ans... Promis, dans cinq ans, je ferai une fiesta, poétique et gaie. L.M.

    La "4 de couv." :

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  • Matinée douce

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    Après avoir dévoré dès potron-minet (et comme chaque jour pour escorter quelques double express avec un croissant Picard : 10 mn au four et hop !) la presse quotidienne, hebdomadaire et magazine parue cette nuit ou il y a peu (*), j’écoute le nouvel album de l’immense David Gilmour, « Luck and Strange », aux mélodies d’une douceur aiguë qui conserve avec une mélancolie étudiée des accents Pink floydiens (ça se dit ?), tout en entamant le fascinant dernier roman de Sandrine Collette, car sa plume me captive depuis « Des nœuds d’acier » (dont j’avais rendu compte en 2013 dans Télé 7 jours). Sa « Madelaine avant l’aube » est âpre, sobre et puissante dès les premières pages (première sélection Goncourt, d’ailleurs...).

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    Je feuillette en même temps une nouveauté Ulmer reçue cette semaine (un éditeur que j’aime suivre), « Mangez néolithique », ouvrage sérieux et pragmatique, pratique même avec ses recettes pour doper la santé. Loin de notre chouchou (littéraire) sur le motif, « La cuisine paléolithique », du grand Joseph Delteil. Coquetaile... L.M.

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    (*) Je recommande le passionnant entretien croisé des rejetons Bernanos, Péguy et Claudel, mené par Clotilde Hamon-Castéran (Famille chrétienne), la nouvelle chronique (hilarante car caustique) de Bertrand de Saint-Vincent consacrée à, ou plutôt concassée sur Lucie Castets (Le Figaro magazine), celle, toujours brillante de Abnousse Shalmani sur le sort tragique des Afghanes (L'Express), et la reprise d'un portrait de Delon par Jean Cau - ça date mais c'est encore succulent (Paris Match). Sans oublier le spécial vins annuel du Point

  • Adieu Michel Guérard !

    Je le pressentais très fort depuis quelques jours, j’ai pensé, après le départ d’Alain Delon, à lui. J’avais réservé une table à la Ferme aux grives pour demain à déjeuner. Il était prévu que nous nous voyions. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises au fil des années pour des reportages et des textes dans des livres. Je me réjouissais de le revoir, et ce pressentiment, resurgi ce matin au réveil, s’est confirmé en milieu de matinée. Demain sera un jour particulier à Eugénie-les-Bains. Nous en serons, dès avant l’heure de l’apéritif. Ci-dessous, le dernier texte que j’ai publié sur la maison Guérard, la famille, l’esprit, tout. C’est paru il y a quelques mois dans le magazine de Lionel Osmin & Cie. Bonne lecture.

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  • Annie Le Brun

    Cela fait beaucoup en quelques jours pour la collection Poésie/Gallimard. Deux géants sont partis. Charles Juliet (lire plus bas) et Annie Le Brun, que j'évoquais ici même le premier mai dernier...

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  • Signatures

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    Vu à l'instant sur les "réseaux sociaux". L'occasion de dire que je signerai à la Maison de la Presse d'Anglet Cinq Cantons (64) dimanche 4 août dès 10 h cinq de mes derniers livres : Belle perdue (Cairn), Les bonheurs de l'aube (Cairn), Petit éloge amoureux du Pays basque (Privat), Le bruissement du monde (Passiflore), Anglet (Passiflore). Et je récidiverai mardi 6 à la librairie de la Plage à Hendaye, Ikas Leku.

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  • Charles Juliet

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    Fréquemment évoqué ici, il demeurera une immense voix de la poésie contemporaine. Charles Juliet est parti aujourd'hui, jour du 114e anniversaire de la naissance de Julien Gracq et cela a peu à voir; avec. Depuis Affûts, en 1980, nous le suivions recueil après recueil publié par POL. Nous l'avions rencontré, sa pudeur et lui, sa timidité et son silence, son regard de rapace a priori adouci, à Paris, un après-midi, nous avions évidemment évoqué sa recherche obstinée de la lumière. La lumière... Les volumes précieux de son Journal. Et ses Lambeaux, son Année de l'éveil, ses conversations magnifiques avec Bram Van Velde. Son dernier livre en forme de confession de rattrapage, d'aveu indispensable, de clé de son travail, un mini recueil de quatre-cinq textes brefs, La Fracture, ouvre la voie de son oeuvre discrète. Si pure... L.M.

     

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  • Bayonne est une Fête, deuxième

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    L'édition 2024 (la seconde) paraît ce jour aux éditions Atlantica (17€). J'y figure (pages 37 à 42) comme "plume invitée"... à donner un texte sur le thème Ombres & lumières des Fêtes de Bayonne. Ce que j'ai fait avec plaisir, en invoquant tour à tour Hemingway, mon fils, Roland Barthes et Paul Jean Toulet. Les autres auteurs invités sont Itxaro Borda, Paul Larrouturou et Mehdi Ouraoui. L'ouvrage publie les lauréats de ce concours singulier initié par Gorka Robles et Pierre Casamitjana, à l'origine de l'association Le Basque & la Plume, et qui incite à adresser un récit libre sur le motif. Trois éditions sont proposées : en français, en basque et en occitan (subdivisées en deux catégories : adultes et lycéens). Il y a par conséquent trois jurys distincts. Parmi les lauréats de ce millésime, citons Maxime Krummenacker, Stella-Lou Monachino, David Ondars et Joan-Loís Lavit. L.M.

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  • "Les bonheurs de l'aube" dans Causeur, avec la plume de Thomas Morales

    Ce matin, j’ai vu un surfeur
    Les éditions CAIRN font reparaître « Les bonheurs de l’aube », le recueil de nouvelles de Léon Mazzella, chasseur de vagues et sensible écrivain de l’éphémère
    Il y a des livres courts, une centaine de pages, sans graisse et sans pathos, qui propagent longtemps en nous, une douce mélancolie. Un pincement au cœur qui n’est pas apitoiement sur soi, mais plutôt une forme de révélation. Enfin, nous allons nous détacher des huis-clos urbains et déracinés. Quelque chose de plus vaste, de plus vibrant, de plus charnel nous appelle et fait tressaillir les costauds affichant le quintal sur la balance. Léon Mazzella diffuse son gracile toucher de plume dans ce texte qui eut l’honneur d’être finaliste au Prix Goncourt de la Nouvelle en 2002. Mazzella est un nouvelliste épicurien, capable de sonder les minuscules bonheurs que nous offre la nature à qui veut bien les saisir. Dans un monde qui ne sait plus regarder un vol de perdrix ou s’émouvoir d’une truite fario dans les chaves d’une rivière, « Les bonheurs de l’aube », préface de Dominique Bona, ont le parfum des matins vitreux, entre chien et loup, l’inattendu à bout de fusil, les sens aux abois, la vue seulement brouillée par les volutes d’un cigare cubain. Á l’instant même où les Hommes se défont de leur carapace, se découvrent enfin et se confient dans une semi-clarté ou une semi-obscurité. Il est temps de parler. Il est temps de se libérer. Il est temps de ressentir l’inconnu. Plus tard, dans la matinée, quand le soleil va monter inexorablement, les réflexes sociaux viendront masquer les élans du cœur et trahir nos émotions les plus sincères. Á l’aube, dans la promesse d’un ciel nouveau et l’esprit encore encombré par les vociférations de la nuit, les chagrins prennent la forme d’une odyssée. Banale et mystérieuse. Mazzella, d’obédience gracquienne, porte en lui la mémoire de la terre. Il communie avec cette nature à la fois tempétueuse et irradiante, il la raconte dans sa bestialité et sa beauté tragique au plus près de ses pulsations sensuelles. Mazzella est le cardiologue des paysages, il mesure les battements de la forêt, de la mer, des lacs et des steppes. Il est son oreille et son écho. Ces nouvelles de quelques pages sont un voyage vers l’essentiel. Un retour à l’originel. Avant de le lire, nous avions oublié combien le lever du jour est propice aux illuminations et aux chevrotements, combien nous sommes faibles et perdus. Il se passe là, dans cet éphémère-là, des mouvements, des inclinations, des secrets bien gardés que seul un écrivain de talent peut voler à la dérobade. Dans la lignée du solognot Maurice Genevoix ou de sa compatriote landaise, Christine de Rivoyre, Mazzella nous parle des ours, des lacs, des étangs, des détroits, de la chasse au canard ou de la pêche à la mouche, il est tantôt dans la brousse face au roi de la jungle, retenons cette phrase : « l’aube n’existe pas en Afrique. Elle ne surgit jamais comme ailleurs », tantôt pilotin apprenti sur un cargo français à la merci des vents mauvais. Depuis longtemps, je n’avais pas lu un écrivain aussi proche de la nature, sans mièvrerie et fausseté, en mesure de restituer son indicible fracas. Avec Mazzella dans sa poche, on parcourt la planète à la recherche de cette minute fragile entre le jour et la nuit qui nous rend éminemment vivant. On tremble avec ses personnages, devant la crinière d’un lion ou dans l’attente de cette première vague à Biarritz, sur sa côte chérie. Les surfeurs amis sont au pied d’un Débarquement. L’irréparable sourd des ténèbres. Une « guerre » se prépare. La peur et l’excitation annoncent une bataille contre les éléments. Dompteront-ils cette crête qui les submerge ? « Elle est noire. Presque rien ne bouge. Une houle épaisse et lente chaloupe ses dessous. Nous l’entendons encore davantage que nous ne la voyons. La mer se réveille lentement. C’est une peau d’ours. Un ventre de lionne allongée. Elle est pleine mais elle commence à se retirer. La marée descend. Notre jeu consiste à prendre la première vague qui cassera » écrit le nouvelliste au plus près du tumulte. Comme moi, vous aurez forcément envie de lire la suite de cette chevauchée et tous les autres textes de ce surfeur de lumière(s).
    Thomas MORALES
    Les bonheurs de l’aube de Léon Mazzella – CAIRN
     

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  • Zita au pays de l'ours

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    Heureux de voir repris en folio le 16 mai prochain, « La grande ourse », de Maylis Adhémar, paru chez Stock l’an passé, et que nous avions présélectionné pour le Prix François Sommer 2024 (qui échut finalement à Fanny Wallendorf pour « Jusqu’au prodige », Finitude), car j'avais ardemment cru en ce livre lors des délibérations. C’est un roman puissant qui se déroule dans le Couserans, en Ariège, en montagne, au pays des ours, dans des vallées et des villages reclus, mais pas abandonnés. L’histoire est bien construite, la narration souvent palpitante, l’écriture est belle, le style haletant et précis, il y a là un véritable ton. Le roman vire quelquefois à l'essai romancé, surtout dans la seconde partie, lorsqu'il est question des ours à problèmes et de la dure condition de berger. Zita, double de l’auteur, est un formidable personnage central d’une force rare, intelligente et intransigeante. Pierrick, son homme rencontré « un samedi d’automne pluvieux, au creux de cette jeune montagne de quarante millions d’années » dans un bar plein à craquer est un citadin un peu falot, en contrepoint. Maylis Adhémar nous livre un bouquet de fulgurances sur les néo-ruraux, les bobos toulousains, les ruraux bourrus, les rugbymen rustres, les chasseurs mal dégrossis, ainsi qu’une galerie de portraits sensibles de vieux, d’éleveurs en détresse, de paysans. Zita Albouy a beaucoup voyagé en pleine nature avant de revenir à Ossèsse, où elle vit le jour en juillet 1985.  Ingénieur agronome globe-trotter cinq années durant, elle revient donc au pays, dans la ferme familiale. Elle est demeurée farouche, primitive, amoureuse, exclusive, sauvage, mi-chatte, mi-tigresse. Sa jalousie à l’encontre d’Émilie, et même d’Inès, l’ex de Pierrick et leur fille, est d’ailleurs moins réussie. La mièvrerie pointe sa mine dans le récit lorsque Inès tente d’accuser Zita d’avoir tué l’ours Anis. Mais l’évocation de Callisto, dans la dernière partie, clôt avec superbe le roman : Callisto, violée par Zeus, enfanta Arcas avant d’être transformée en ourse par l’épouse légitime de Dieu. La femme-fauve devint la proie de son propre fils, chasseur. Callisto et Arcas furent élevés dans le ciel par Zeus et devinrent des constellations. La Grande Ourse et la Petite Ourse, guides des égarés et des rêveurs de nuit... L.M.

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    Maylis Adhémar (photo © Astrid di Crollalanza).

  • Visit Bayonne 2024 (Bayonne Gourmand augmenté)

    Fier d'avoir pas mal collaboré, avec une poignée d'articles introductifs, à cette nouvelle édition (92 pages) du guide bayonnais publiée par Atlantica pour l'Office de Tourisme. Elle est gratuite, et bourrée d'infos non seulement gourmandes, mais également culturelles, patrimoniales, sportives, pratiques...

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  • René Guy Cadou

    Capture d’écran 2024-05-01 à 11.06.48.pngLe dernier recueil publié (le 25 avril dernier) par la collection Poésie/Gallimard (encore elle) m’est particulièrement cher. Il s’agit du meilleur de la poésie de René Guy Cadou, poète (souvent évoqué ici) trop tôt disparu en 1951 à l’âge de trente et un ans, et dont l’œuvre est considérable. Je ne me suis jamais détaché ni séparé longtemps de « Poésie la vie entière », ses œuvres poétiques complètes (480 pages quand même) publiées par Seghers, depuis leur acquisition à l’âge de vingt ans, à l’automne 1978. Leur découverte me fut une source de bonheur lumineuse, car je retrouvais dans le cordage de ces poèmes l’Éluard des poèmes d’amour et le Giono des sensations dans la nature, soit deux phares mêlés chez Cadou et propres à éclairer souvent, presque quotidiennement mon cheminement. Cadou fut habité par l'oeuvre de Max Jacob, et celle de Guillaume Apollinaire, auquel il consacra deux essais. « Hélène ou le Règne végétal », c’est le meilleur de la poésie d’un homme éperdument amoureux. L’intelligentsia germanopratine a longtemps négligé René Guy Cadou, le jugeant trop rural, comme elle jugeait Camus trop modeste socialement. Le poète de l’école de Rochefort, le barde de Louisfert est cependant constamment réédité et nous savons que son œuvre est appelée à perdurer. Cette nouvelle édition proposée par Gallimard est suivie d'un recueil de réflexions et d'aphorismes sur la poésie et la condition de poète intitulé « Usage interne». L.M.

    Quelques extraits :

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  • Annie Le Brun

    Capture d’écran 2024-05-01 à 10.33.50.pngLa collection Poésie/Gallimard à laquelle nous sommes si attachés, a la bonne idée de publier « Ombre pour ombre » d’Annie Le Brun (née en 1942). C'est l'oeuvre poétique d’une surréaliste flamboyante au verbe fort, ardent, frappeur aurait dit Georges Henein. Annie Le Brun entretint un compagnonnage avec André Breton dans la dernière époque du mouvement subversif initié par le pape sectaire de l’écriture automatique, puis devint spécialiste de l’œuvre de Sade. Poétesse prolifique dans les années 1970, personnage à l’insolence créative, son œuvre ici rassemblée offre des fulgurances qui clouent le lecteur : « Je me suis laissé découper par votre ombre ce dimanche d’hiver où vous avez traversé ma vie. » (extrait du recueil Les pâles et fiévreux après-midi des villes). « Dites-moi les loups, les orchidées, les bagages en sucre. / Dites-moi la neige qu’on écrase à la vitre de mes tempes. » (extrait de Les écureuils de l’orage). Et les poèmes reproduits ci-dessous en guise de mise en bouche. Le premier est extrait du recueil Annulaire de lune. Les deux derniers extraits, du recueil Ouverture éclair, qui s’ouvre par ces mots : « Aimer, comme l’ombre hurle en plein été. » L.M.

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  • Variette, le succès sauce Nature

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    Anne Dubarry est une femme entreprenante couverte de récompenses. Ou plutôt, ce sont ses merveilleuses sauces tomate qui récoltent des médailles. La dernière en date (ce mois-ci) , la treizième en six ans d’existence, est le prix du Bien-Manger attribué par Santé Magazine, lequel valorise la nutrition, l’environnement et le goût. Voici, à gros traits, l’histoire de Variette, entreprise sous-titrée « de graines et de goût », soit une petite structure 100 % Bio qui connaît un succès vraiment mérité. Après des études de commerce à Paris, Anne Dubarry travaille à Madrid, puis à Paris comme acheteur dans la distribution. Elle rejoint ensuite Les Ducs de Gascogne, fameuse entreprise familiale sise à Gimont (Gers), soixante ans d’existence en 2006, avec Laurence sa grande sœur et leur père. Elle y restera dix années, s’occupant de marketing, du commercial, de la communication et des achats (Laurence s’occupant de la production, de la direction administrative et des finances). « Nous sommes des sœurs complémentaires », dit Anne, « et je me suis personnellement formée solidement à une palette de compétences transversales. Lorsque je me suis sentie prête, j’ai projeté de voler de mes propres ailes ». Il faut préciser que Variette, c’est à ce jour une seule et unique personne : Anne Dubarry. Et pas mal de sous-traitants, cela va de soi. En 2016, l’entreprise Les Ducs de Gascogne, 70 employés, est vendue à des repreneurs : ni licenciement ni délocalisation. « Dans la famille, on avait fait le tour de la question foie gras, canard et traditions, et puis la filière subissait une forte concurrence », déclare Anne. « En 2017, j’ai fait des choses inhabituelles, à commencer par une première pause dans ma carrière, j’ai passé un CAP de boulangerie par défi, que j’ai obtenu un peu par miracle, en catégorie amateur, j’ai effectué un stage chez des paysans boulangers, et là j’ai beaucoup appris sur le vivant et les variétés de blé anciennes... »

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    Anne, engagée intellectuellement depuis toujours dans le domaine de l’écologie et du développement durable dans son ensemble, mais pas par mode ni opportunisme, en toute franchise intérieure, se détourne alors du monde de la viande, de l’élevage en se tournant résolument vers le végétal. « Ma famille, c’est trois générations de charcutiers conserveurs, ce sont les créateurs en 1908 de La Comtesse du Barry, c’est une réelle compétence de conserveurs. Moi, j’ai eu envie de créer une conserverie végétale axée sur le vivant. » Anne s’emploie alors à monter un cadre contraignant, fondé sur des variétés anciennes issues de semences paysannes libres de brevets et reproductibles. Son cahier des charges est volontairement drastique car elle est d’une exigence sans limites lorsqu’il est question de qualité, de respect de l’environnement et des goûts originels, s’agissant de ses « variétés originales, colorées et goûteuses ». Elle donne volontiers dans l’agro-écologie, l’agro-foresterie et tous les produits de sa gamme sont certifiés « 100% Bio ». On est tenté d'écrire 101 % !.. Anne travaille dans une dynamique de commerce équitable avec ses partenaires agriculteurs. « Je m’engage sur un volume en début d’année, je réduis les délais de paiement... Le respect est une valeur fondamentale à cultiver sans cesse. » De même, Variette se fournit dans un rayon de 100 km autour du site de production gersois, sis à Fleurance, et son rayon d’action s’étend en Occitanie. La production, entièrement artisanale, c’est 80 000 bocaux annuels, un travail de chaque instant avec nombre de partenaires engagés comme Anne elle-même. Baladez-vous sur son site, Variette - et vous découvrirez les engagements de cette petite entreprise en faveur de la biodiversité cultivée, du goût sain, des bonnes pratiques culturales, des actions exclusivement positives, au sein du très sérieux Réseau Semences Paysannes. Par ailleurs, Variette soutient, en faisant des dons, des associations œuvrant en faveur de la transition écologique comme Jardin Bellevalia (à Gimont).

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    Anne Dubarry pense 24/24 aux démarches éthiques et vertueuses. Et ce ne sont pas que des mots, mais des faits. Du réel. Depuis un an, Variette est engagée également dans la démarche RSE, pour Responsabilité Sociétale des Entreprises, « qui signifie conduire une structure de taille modeste en continuant de veiller aux soins, en toute logique avec ma philosophie du travail, fondée sur le respect total de la nature », précise-t-elle. Au début, Variette, ce fut une gamme de dix sauces tomates monovariétales, afin de mettre en avant la singularité savoureuse de chaque espèce. De la (vraie) Cœur de bœuf rouge à la Valencia en passant par la Green Zebra (la chouchou d’Anne), la Costoluto genovese, la Tomate ananas, ou encore la Brandy Wine (elles ont toutes été primées). La Noire de Crimée n’est pas en reste, pas plus que la tomate ancienne Beauté Blanche, la rose de Berne ou l’Andine cornue... « Pour chacune, la recette est identique : 95% de tomates, un peu d’huile d’olive et un soupçon d’ail auxquels j’ajoute un tout petit peu de sel et de sucre de canne non raffiné issu du commerce équitable ». Pourquoi la tomate ? « Parce que dans ma famille, on fait beaucoup de coulis l’été, c’est cette sorte de madeleine qui m’a donné envie de commencer comme ça, en 2018. Et puis, comme il existe plus de 800 variétés de tomates, Variette a du fruit sur la planche ! ». Le succès de la petite entreprise a été immédiat, entre autres grâce à un sacré coup de pouce médiatique survenu quatre mois à peine après le lancement de la marque. François-Régis Gaudry et son émission « On va déguster » sur France Inter vanta les qualités gustatives des sauces dégustées par son équipe. Ce coup de cœur (de bœuf) propulsa la machine auprès du grand public. Aujourd’hui, les revendeurs de Variette sont tous de qualité, de La Grande Épicerie du Bon Marché à Paris à l’ensemble des épiceries fines de province, le réseau Biocoop, ou des boutiques curieuses et exigeantes dans leur référencement comme Sardine à Ciboure, et puis des chefs de renom comme Jean-François Piège passent régulièrement commande à Anne.

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    « Je vends aussi via Internet, où le panier moyen de ma clientèle de particuliers est de 70€. Je remarque souvent un effet wouaouh ! lorsque l’on goûte à mes sauces. Cela réveille des saveurs de l’enfance, c’est ce que j’appelle l’effet riz au lait... » Au-delà des sauces tomates qui magnifient les spaghettis et autres penne rigate (après avoir goûté à la formidable Cœur de bœuf, par exemple, vous ne pourrez plus acheter une sauce tomate industrielle à la supérette du coin. On parie?..), Variette propose plusieurs autres gammes, du pesto de basilic à la crème de poivrons Corno di toro, des légumineuses : pois chiches noirs, blancs, houmous de lentilles multicolores, ou bien noir au cumin, le petit épeautre (un cousin du blé très ancien, 12 000 ans) des petits haricots Saint-Esprit, « blancs avec une tache lie de vin sur le côté... ». Anne en parle comme s’il s’agissait d’enfants dans une pouponnière. Et puis il y a cette rafale de médailles qui récompense le travail têtu d’Anne l’exigeante. « Cela joue à fond sur l’esprit du consommateur, qui fait totalement confiance à mes gammes ». Anne, que l’on surnommait Nanette lorsqu’elle était enfant, « c’est comme Danette mais avec un N », dit-elle en riant, a baptisé naturellement sa marque Variette, « une collection de sauces mais pas que, au positionnement réussi au bout de six années. En résumé, ce sont des produits très goûteux en plus d’être attractifs, sains, naturels, et locaux », dit-elle avec beaucoup trop de modestie. Ne l'écoutez pas. Goûtez plutôt.  Léon Mazzella

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    variette.fr

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  • Arrivato !

    Coup double chez Cairn, écrivais-je ici il y a peu, puisque j'y publie Les Bonheurs de l'aube préfacé par Dominique Bona, de l'Académie française, et Belle perdue, qui m'est parvenu hier. Le premier est déjà en librairie depuis environ deux semaines, le second y arrive progressivement. Premières signatures prévues : samedi 23 mars dès 10h à la Fnac de Dax, et le 1er avril au Biltzar de Sare. Puis il y aura le premier Salon du livre de Bayonne le 13 avril, et Guéthary à livre ouvert du 17 au 19 mai. Entre temps, quelques signatures en librairie auront lieu (à suivre)

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  • Gracq amoureux

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    Je fus pressé d’entrer dans ce bref essai de Roger Aïm sur Julien Gracq amoureux acquis hier soir. Oser entreprendre une recherche sur sa liaison avec Nora Mitrani (*) ne manque pas d’audace, voire d’impudeur. Mais elle m’intriguait évidemment, comme aficionado absolu de l’auteur du « Rivage des Syrtes », même si le sous-titre prévient sur le focus : Nora, une passion surréaliste (éd. Infimes).

    Lu aussitôt ce matin, j’avoue avoir été un peu déçu (**) car il faut attendre la page 80 (sur 100) pour voir enfin apparaître Nora dans sa relation avec Gracq. En amont, c’est une brève histoire du surréalisme, l’itinéraire de Breton, celui de Gracq en parallèle mais à gros traits, qui sont narrés – et on apprend pas mal de choses. Le personnage de Nora Mitrani (née à Sofia dans une famille d’origine judéo-espagnole et italienne) est néanmoins palpable, fougueux, sa relation avec Hans Bellmer, puis avec Julien Gracq, son engagement dans le mouvement surréaliste et dans le groupe de recherche en sociologie du CNRS, sa vie brève puisque la maladie l’emporte le 22 mars 1961 alors qu’elle n’a pas quarante ans – et Julien Gracq est à son chevet, tout concourt à en faire une femme libre et indépendante qui eut toujours « une façon scandaleuse d’exister ». Nous apprenons aussi (à regret) que ce n’est pas la femme qui inspira « Prose pour l’étrangère », ce long poème en prose sublime qui rivalise de beauté avec la « Lettera amorosa » de Char, mais que ce fut Françoise Mallet-Joris... Enfin, l’envie de revoir le film de Michel Mitrani, frère de Nora, adapté d’« Un balcon en forêt », vient de me saisir. L.M.

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    (*) Évoquée ici même à la date du 28 février 2016 => Nora Mitrani

    (**) Une autre source de déception provient du fait que, l'heure d'après avoir lu ce petit livre sur le surréalisme et Nora, j'en ai lu un autre de Roger Aïm, Julien Gracq, 3, rue de Grenier à sel (éd. Porte-parole, 2012) et que j'y ai retrouvé des pans entiers de l'un dans l'autre, tant au sujet de Gracq qu'au sujet de sa relation avec Breton, soit de longs passages repris sans scrupules dans Nora, paru le mois dernier...

  • Lionel Osmin & Cie 2024

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    Il est paru. Joie d'avoir en mains ce magazine de 80 pages que j'ai le plaisir de rédiger intégralement. Au sommaire, que des choses qui fâchent : la saga Michel Guérard, la race Aubrac, le cépage Malbec, l'appellation Marcillac, les boeufs gras de Bazas, le chef béarnais Gérard Lasbarrères, le domaine Berthoumieu en Madiran, la poterie Goicoechea, le Canal du Midi... Gratuit, on peut le trouver chez les cavistes qui vendent les vins du grand Sud-Ouest de la gamme Lionel Osmin & Cie. L.M.

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  • Leçons de choses

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    En chinant sans rien chercher, nous tombons parfois sur des petits trésors. C’est le principe actif de la démarche. Là, ce fut un manuel de Leçons de choses cours moyen datant de 1954 pour le programme de 1957, réimprimé en 1970 et que j’eus entre les mains lorsque, sur les bancs de l’école Albert 1er, je portais des culottes courtes et que ma nuque était rasée de près chaque jeudi par Mario, à l’enseigne d’Un parfum de Paris, rue Thiers à Bayonne. Feuilleter un tel trésor de planches sur l’air, le gaz, la combustion, la houille, l’eau, le corps humain, les animaux, les plantes, les fleurs... est un ravissement régressif. L’odeur du papier glacé, les illustrations – aucune photo n’y figure, le bon sens du texte simple, explicite sont touchants. L.M.

     

     

  • Au cabaret des oiseaux

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    Je ne pensais pas pouvoir être ému un jour par un texte de Francis Jammes, tant sa poésie m’a toujours laissé un goût mièvre en arrière-bouche, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir et en dépit du Deuil des primevères et des Clairières dans le ciel... Or, à la faveur d’un salon du livre ancien qui s’est tenu à Bayonne dimanche dernier, j’ai fait l’acquisition d’un petit bijou intitulé Portrait de la France, Basses-Pyrénées, Histoire naturelle et poétique, par Francis Jammes, aux éditions Émile-Paul frères, avec un frontispice sous calque signé Daragnès figurant deux pelotaris. La collection était dirigée par Jean-Louis Vaudoyer auquel nous devons notamment un très beau texte sur La Havane. Le propos de Jammes n’est évidemment pas celui d’un scientifique et sa description de la géologie manque de rigueur, comme les parties consacrées à la botanique et à la zoologie souffrent d’approximations sur lesquelles nous fermons volontiers les yeux tout en regrettant que l’ouvrage ne soit visiblement pas passé sous les fourches caudines d’un éditeur scrupuleux. Jammes écrit par exemple que « Louhossoa signifie la mer » (Itsasoa, en Basque), et que l’alose est « une sardine d’environ cinq livres dont la chair délicate a le goût de la brise du premier printemps ». Il lui est beaucoup pardonné pour cette comparaison. La pibale, du temps de Jammes, semblait mal cuisinée : « Fraîche, elle est difficile à bien frire à cause du mastic poisseux qu’en grand nombre elle forme ». C’est avec son florilège consacré aux oiseaux que Jammes émeut : « Les palombes ont la couleur des nuages orageux où se lève l’arc-en-ciel (leur gorge) ». Au sujet du lagopède en plumage hivernal : « La perdrix blanche est une poignée de flocons qui a pris vie ». Aux yeux du poète, « la bécasse a l’air d’un bouquin de cuisine savante, relié en feuilles mortes, et chiné aux marges ». Mouais... « Fauvettes et rossignols enchantent successivement, c’est-à-dire la nuit après le jour, les fiancés et les époux ». L’écureuil, quant à lui, « ressemble, quand il s’ébroue au sommet d’un chêne, à un éclaboussement de soleil ». La flore suggère également des images tendres, comme les « lianes élancées, vertes, luisantes, retombantes, des églantines telles que des cascades où frissonneraient des jeunes filles ». À la page 62 de ce petit ouvrage, j’ai fait une découverte bouleversante en apprenant que la cardère - cette plante haute et piquante qui ressemble au chardon et qui pousse à la faveur des parcelles laissées en friche - est surnommée le cabaret des oiseaux parce que ses feuilles « rembrassantes », soit réunies à leur base en godet, retiennent l’eau de pluie et désaltèrent les passereaux, notamment le chardonneret, les jours de forte chaleur. Le chardonneret apprécie aussi, surtout l'hiver, les petites graines riches en huile contenues dans la fleur de la cardère. Le cabaret des oiseaux m’a laissé rêveur, d’autant que le chardonneret est l’un de mes trois passereaux préférés, avec le merle et le rouge-gorge... L.M.

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    ©fotoloco

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    ©le jardin de lucie

  • la désolation sans pensée...

    Ce matin, je me suis levé avec l'intention de relire le fameux chapitre de la Recherche de Marcel Proust (Le côté de Guermantes, II, 1) dit de "la mort de la grand-mère", afin de retrouver des phrases phares annotées au fil des lectures. Et je suis tombé sur celles-ci, qui me font forte impression, puis je me suis dit en relisant et relisant l'image extraordinairement littéraire suivante, ma mère avait la désolation sans pensée d'un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent qu'elle avait partie liée avec la prose (plus souvent somptueuse que chez Proust) de Julien Gracq.

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  • Prix François Sommer 2024

    Capture d’écran 2024-01-20 à 17.57.29.pngJeudi 18, Paris, 60 rue des Archives : Belle soirée de remise du Prix François Sommer à la talentueuse Fanny Wallendorf pour son roman « Jusqu’au prodige » (Finitude) qui nous a finalement emballés (je suis membre du jury de ce prix, dont je fus lauréat en 1993). L.M.

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    Doté de 15 000€, le Prix distingue, depuis 1980, une œuvre qui explore d’une façon originale et sensible la question des relations de l’Homme à la nature et ouvre des voies nouvelles pour penser les enjeux écologiques contemporains. Fanny Wallendorf devient la 44ème lauréate.

    Outre le livre primé, les autres ouvrages parvenus en finale, étaient : 

     
    • La grande ourse (Stock) de Maylis Adhémar. Un roman qui interroge les relations entre paysans, néoruraux et citadins dans un village d’Ariège. 
    • Et vous passerez comme des vents fous (Actes Sud), de Clara Arnaud. Roman qui nous interroge sur la question de la présence de l’ours dans les Pyrénées.
    • Faire paysan (Zoé). Enquête de Blaise Hoffmann, au cœur d’un monde agricole qui se révèle en constante réinvention de lui-même.
    • Humus (L’Observatoire) de Gaspard Koenig. Un roman social, politique, révolutionnaire, et profondément littéraire.
    • Par Monts et par vaux (Anamosa) de Martin de la Soudière. Un généreux et joyeux abécédaire, comme un dictionnaire amoureux des paysages.
    • Border la bête (La Contre Allée), poétique roman de Lune Vuillemin où paysages et personnages se mèlent pour ne faire qu’un.

     

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  • Avec Manu, la boucle est bouclée

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    Avec Manu Dubarry, la boucle de l'art et celle du couple passent par le poisson. Gyotaku mode d'emploi.

    Elle a le sens de la boucle et elle ne la boucle jamais car elle a, a minima, une idée par minute. Manu Dubarry – fille de Pierre, qui fonda Les Ducs de Gascogne, ou le foie gras dans tous ses états, a lâché Gimont pour Hossegor, son port d’attache, et les longues plages voisines de Seignosse, soit la généreuse terre gersoise pour l’océan infini de la côte landaise ; ce depuis belle lurette. Les vagues, l’horizon, le sable - et ce qui y échoue surtout, le Gouf et ses insondables mystères à tenter de deviner devant Capbreton, n’ont fait qu’attiser son imaginaire prolixe comme les vagues. Manu créé par séries continuelles. Elle figure le rythme des marées, réputé infini. Artiste autodidacte, après avoir travaillé comme peintre de décors pour le cinéma, elle transforme tout ce qu’elle touche, de ses dix doigts armés par un esprit fertile, en œuvre délicate à tirage unique et à haute valeur ajoutée sensible ; puissamment mais tendrement poétique. 

     

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    Là, elle expose plus d’une soixantaine de ses créations singulières à Olatu (100, avenue de l’Adour à Anglet, juste avant le Brise-Lames, le port de plaisance, et notre querencia gourmande, le restaurant Le Poisson à Voile). Depuis le 15 janvier et jusqu’au 28 mars (le vernissage aura lieu le 15 février à 18h.IMG_2715.jpeg Venez tous). L’espace s’y prête « qui autorise une vue d’ensemble, de loin, et aussi de pouvoir s’approcher très près de chaque cadre afin d’en lire les détails », dit-elle, « d’observer les traits, le regard, les tâches, les écailles de chaque poisson mis en scène en noir de seiche... & blanc ». C’est en réalité à une visite d’un « aquarium à sec » qu'il s'agit, qui n’est ni le musée de la Mer de Biarritz ni l’aquarium de La Rochelle ou celui de San Diego, mais la projection scénographiée d’une femme audacieuse et créative jusqu’au bout des ongles, ayant à cœur de faire œuvre de la pêche de son homme avant de la lui cuisiner. L’intention est donc, philosophiquement et sans le vouloir, puissante. Et admirable. Et cela passe par l’encre de seiche dont

    IMG_2761.jpegelle enduit chaque poisson pris dans le Gouf, au lancer, au leurre souple, au madaï, à la turlutte, à l’ascenseur, les techniques variant chaque jour, à chaque marée, selon d’ésotériques critères, parfois...

    Les poissons-filets

    « Il y a sept ou huit, ans, j’ai commencé de faire ce que j’appelle mes poissons-filets ou mes poissons démaillés, des poissons reconstitués à partir les fils multicolores de filets de pêche échoués sur les plages de Seignosse, que j’ai remaillés, reconstruits », dit Manu. « Je démaille et je couds, rien de plus, je n’ajoute rien, tout a été ramassé sur le sable ».

     

    IMG_2724.jpeg Ainsi, tout a... maille à partir avec la pêche, puisque « je fabrique des poissons, des crustacés, des mollusques avec ce qui a permis de les capturer : les fils du filet ou d’une ligne. Chaque poisson ou crustacé reprend sa forme avec l’outil de sa prise et donc de sa mise à mort ». La boucle. L’omniprésence de l’esprit de la boucle... « J’étais devant mon premier aquarium de poissons-filets, lorsque, au cours du premier confinement, au printemps 2019, une amie m’a parlé de la technique japonaise inventée en 1862, du Gyotaku (titre de l’exposition en cours). Il s’agit de « l’art d’immortaliser des poissons en prenant leur empreinte sur du papier afin de réaliser une estampe ». Cette technique est née du désir d’un seigneur d’offrir à l’empereur l’image d’une magnifique daurade, symbole de bonheur. 

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    « Les pêcheurs », enchérit Manu, « auraient utilisé la technique Gyotaku pour immortaliser leurs plus belles prises en indiquant scrupuleusement les mensurations de chaque poisson. » Et c’est d’ailleurs ce que nous lisons en parcourant cette exposition d’une richesse confondante, qui n’est pas avare en émotions. Le voyage est infiniment poétique – nous nous répétons -, et nous cheminons comme Wang-Fô se sauva dans le conte éponyme extrait des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. Le parcours de droite à gauche avec des poissons qui se croisent sans se rentrer dedans car ils vont et viennent mûs par une fluidité instinctive, et l’encre de seiche qui les définit en les dessinant, les fossilisent – ils ressemblent en effet à des fossiles multi millénaires inscrits dans le minéral. Or, nous sommes devant du papier de qualité acheté chez Sennelier à Paris, ou devant de vieux draps récupérés, parfois brodés, blanc cassé ou uniformément immaculés, et tout cela tracé de noir animal, organique ; pur. Très pur (*). Il y a là non seulement des silhouettes, mais des détails effarants de vérité, y compris lorsque certains poissons sont reproduits, retranscrits les yeux « vides », vidés, liquéfiés, soit morts depuis un certain temps après leur prise, « les yeux cavés » comme les pendus de la Ballade de Villon. Manu ne cache rien. Elle est d’une franchise intérieure totale. C’est brut enduit de douceur, animal fourré de satin, sauvage doublé de soie.

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    Chaque poisson est ainsi à plat, sauf ce couple de lieus noirs qui jaillit à l’unisson, verticalement, et semble initier une danse nuptiale. Ou ce banc de marbrés fuyant et dont on éprouve la vitesse grande. Une technique voisine dédiée au végétal se nomme le Tataki-zomé, et Manu s’y frotte déjà avec gourmandise (à suivre)...

    La révélation Gyotaku

    « La découverte du Gyotaku correspondait tellement à mon histoire, lorsque cette amie m’en parla, que ce fut un choc, en écho à mon for intérieur, à ma force intérieure également, habitée que je suis par le monde des poissons depuis trente ans. C’est ma culture, c’est mon patrimoine. Mon mari (qui n’a pas encore d’écailles sur le dos, mais peu s’en faut), après avoir travaillé un quart de siècle pour Quiksilver, et surtout après avoir été sacré champion d’Europe de surf – il était alors surnommé Le Prince des Landes », ce qui génère un sourire amoureux et ravi à Manu lorsqu’elle prononce lentement ces quatre mots... « s’est mis à pêcher chaque jour que Dieu fait « de manière obsessionnelle », précise-t-elle. Poupi, les jours de gros temps qui l’interdisent, sombre dans la mélancolie des gens de mer saisis du mal de terre. Il ne fait qu’attendre le lendemain. » Il est happé par la bile noire (qui a peut-être partie liée avec l’encre de seiche, chi lo sa) comme un bar distrait par l’hameçon dissimulé.

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    IMG_2785.jpegEt puis le père de Manu est présent aussi, il est « dans la boucle », car il a appris à sa fille à cuisiner le poisson (et pas que), ce qu’elle fait quotidiennement avec amour et application. « Lorsque Poupi – alias Jean-Louis Poupinel – apporte le fruit de sa pêche quotidienne, « je prends donc l’empreinte de chaque poisson en le badigeonnant d’encre de seiche, puis je pose le poisson sur du papier ou sur du drap. Le corps s’imprime, y compris les tâches, l’œil, les blessures, des rayures par exemple, et je les travaille grâce à ma mémoire visuelle, je retouche en quelque sorte. Je fais ça à l’instinct aussi, je restitue du mieux que je peux l’âme du poisson à travers son œil ». C’est le lieu de toutes les concentrations, comme pour le regard humain, en somme. Ainsi les poissons morts retrouvent-ils une vivacité. Un vrai regard de vivant. « Certains sont romantiques, d’autres semblent apeurés, d’autres encore expriment leur colère ». Nous parcourons lentement l’expo. Manu Dubarry s’arrête devant un chinchard encadré. « Il était très bon en ceviche, lui ». Et avoue adorer manger les « parpaillettes », les bas-joues des poissons, situées sur les côtés de la tête (à ne pas confondre avec les kokotxas de merlu, par exemple, qui se situent sous la mâchoire inférieure de cette espèce-là).

    Boucler la boucle, une obsession

    Toutes les œuvres de Manu Dubarry sont issues de poissons pêchés dans le Gouf, aux noirs mystères réputés abyssaux, bis repetita à dessein. Et Manu de préciser qu’elles sont bien sûr toutes à l’échelle 1 :1. Forcément. Et que tous les tableaux qui sont exposés, comme les précédents qui ont été vendus, représentent des pièces ayant été cuisinées par Manu. « Je les sers soit crues, en tartare, en ceviche, soit fumées avec mon petit fumoir de table, soit cuites bien sûr mais sans les cuisiner « de trop », très simplement afin de respecter l’authenticité des saveurs originelles, comme un indispensable hommage. » Cette exposition, ce travail, sont une histoire d’amour, et de poésie forte. On boucle véritablement la boucle avec Manu, et Poupi, lequel a toujours vécu sur l’eau, une planche de surf sous ses pieds ou une ligne en mains sur son bateau.

    IMG_2770.jpeg « Il tue ses poissons selon la technique japonaise ancestrale et douce qui évite la souffrance, et augmente le goût de la chair, appelée Ikejimé (en perçant instantanément le cerveau et la moelle épinière). Sa démarche globale est très nature, respectueuse jusqu’au bout... », souhaite préciser son épouse. En résumé, Poupi pêche, Manu fait œuvre d’art du produit de la quête de son homme, puis elle cuisine cela pour lui et toute la famille. « Je fais aussi bouillir chaque tête, et je garde les crânes (exposés également à Olatu) car ils sont tous différents, et fascinants par leur force évocatrice : un dragon ici comme issu de Games of Thrones, un profil de rapace là... De même, elle recueille les « plumes » de calamar qui sont d’une beauté transparente stupéfiante. « Avec Poupi, on ne se voit pas de la journée, il part pêcher très tôt et rentre tard, et nous avons peut-être inconsciemment cherché à nous rapprocher, à nous lier de cette façon. Il y a, oui, cette boucle, ce prolongement que je crée, et le retour en cuisine. Je le nourris de sa propre pêche, ainsi peut-il repartir pêcher le lendemain... » Un regard circulaire sur cette exposition en tous points unique relève ce banc de marbrés sur de la toile de drapeau tendue comme les deux battants d’un paravent japonais. Plus loin, une table de bistro offre des poissons imprimés sur son rond. L’empreinte, la trace, le patrimoine océanique... « Mon rêve serait de faire une expo à Capbreton de tous les poissons présents dans le Gouf, y compris dans ses profondeurs noires. » Cette exposition qui se tient à Olatu, c’est l’aquarium sec et kaléidoscopique, fantasmatique et poétique de Manu Dubarry. Il nous invite à nager pas à pas devant le palimpseste à l’envers de poissons imprimés à l’encre de seiche. Et c’est d’un parcours unique qu’il s’agit. D’un long poème qui réclame un livre hommage composé de haïkus et de dessins. Affaire en cours...

    Léon Mazzella

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    (*) « Il est fort probable qu'avec le temps, le noir organique de ces dessins vire au sépia », confie Manu. Ce n'est que justice : sépia signifie seiche, c'est son nom latin, son étymologie. C'est ancré... L'esprit de la boucle aura le dernier mot.

     

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  • Addendum (lectures)

    J'en avais oublié, évidemment (je fais référence à ma note du 31 décembre intitulée LecturesCapture d’écran 2024-01-07 à 12.05.36.png sauvées des jours), notamment ces deux-là : le tonitruant, l'intrépide, le tonique, le galvanisant Dictionnaire égoïste du panache français, de François Cérésa (Le Cherche-Midi), au style impeccable, truffé de formules qui font mouche et d'humour, et où l'on croise avec autant de désinvolture Athos et Jacques Anquetil, B.B. et Gérard Depardieu, la Légion étrangère et Vercingétorix, Romain Gary et Jean Moulin, Coco Chanel et Charles de Gaulle, Astérix et Cyrano de Bergerac. Un livre hussard en diable. Je pense que j'ai épuisé un crayon tant j'ai souligné de passages. Aussi, mieux vaut n'en citer aucun, sinon je reproduis le livre. Si, juste une phrase de la première page d'introduction, pour donner le ton : "ce mélange de courage, d'audace, d'intempérance, d'honneur, d'élégance, mais aussi de suffisance, d'orgueil mal placé, d'indiscipline et de bêtise...". Allez-y voir !

    Capture d’écran 2024-01-07 à 12.05.04.pngMes Fragiles, de Jérôme Garcin (Gallimard) est de ces livres si émouvants qu'ils vous habitent longtemps après les avoir achevés. Le sujet est grave. Il s'agit de la disparition de la mère et du frère de l'auteur en l'espace de quelques mois, au cours du confinement. Jérôme Garcin avait déjà consacré un livre à son frère jumeau écrasé par une auto sous ses yeux, à l'âge de six ans (Olivier, folio), et un autre à la mort de son père en forêt de Rambouillet dix ans plus tard (Chute de cheval, folio) . Laurent, conçu trois ans après la mort d'Olivier, est atteint d'une anomalie du gène de l'X fragile. Jérôme obtint du juge de tutelle d'en avoir l'entière responsabilité. Quant à sa mère, à l'hôpital (elle) "avait la beauté maigre, un peu sauvage, d'une rescapée de l'horreur", écrit son fils. Cet ouvrage mince, d'hommages et de douleur, de souvenirs joyeux aussi, est le livre des blessures de son auteur, dont le style, en empruntant les tons à la pudeur, augmente sa beauté, fragile, d'eau-forte. L.M.

  • Lectures sauvées des jours

    Capture d’écran 2024-01-01 à 09.40.20.pngParmi mes lectures marquantes au cours de cette année qui s’achève ce soir, je retiendrai une petite poignée de livres émouvants, à commencer par « Frère unique », d’Olivier Frébourg (Mercure de France), récit poignant, à la limite de l’insoutenable parfois, sur la disparition tragique, accidentelle, et injuste de son frère Thierry, « ponte » de la médecine, chercheur généticien de renommée mondiale et victime d’une minable erreur médicale sur le lieu même où il officia tant d’années : l’hôpital de Rouen – rendu coupable de n’avoir de surcroît jamais vraiment reconnu sa faute, ce qui donne lieu à des pages enragées de la part du frère meurtri et inconsolable ; révolté. Double peine. Mais ce livre intime (Olivier Frébourg avait déjà donné « Gaston et Gustave » sur la disparition d’un de ses fils grand prématuré, et – ai-je envie d’ajouter, « La grande nageuse », sur la douloureuse séparation d’avec la mère de tous ses fils) brille avant tout par les souvenirs d’enfance heureuse de deux frères sous le soleil des Antilles où la famille vécut un temps, de 1969 à 1972, puis en Normandie, berceau familial, car le père est un brillant commandant de Marine (officier de la Transat, il fut pressenti pour prendre le commandement du France). Nous savons Olivier Frébourg, écrivain de Marine, habité par la mer. Nous le découvrons ici « frère et fier » de son frère, son « pilier lumineux », qu’il admire sans ambages. « Nous étions des brotherships », écrit-il joliment. « J’étais enfant de la mélancolie. Il était le soleil. J’étais la lune ». L’écrivain Frébourg appelle alors à la rescousse ses vieux compagnons, Hemingway, Ovide, Dante, Virgile, Hugo, Reverzy, Buzzati, Chatwin, Brauquier et autres trafiquants d’exotisme, les poètes, les oiseaux aussi, tout fait baume, ou devrait pouvoir panser... L’ouvrage est bouleversant de bout en bout qui vous traverse de part en part. Je me souviens que, le livre achevé, mes mains tremblaient et j’avais le cœur serré comme une gorge.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 16.57.10.png« Éloge des oiseaux de passage », de Jean-Noël Rieffel (Équateurs, vénérable maison dirigée par Olivier Frébourg) est un de mes chouchous car je suis un peu à l’origine de cette publication, puisque mon ami Jean-Noël m’avait envoyé son texte (devenant son premier lecteur, ce qui m’honora), que j’ai aussitôt aimé et transmis à mon autre ami Olivier Frébourg, qui s’enthousiasma à son tour. Ce premier livre est une ode à la migration, au pouvoir des oiseaux sur l’esprit de l’homme et donc sur son bonheur. Je partage avec son auteur trois passions : les oiseaux, la poésie et les vins purs. Il en est question dans ses pages, notamment de l’œuvre sensible et précieuse de Philippe Jaccottet. Quant aux oiseaux, ils imprègnent tant l’ouvrage qu’il me semble être composé de plumes et de chants. Je sais que le livre a connu un joli succès, et c’est justice qui me réjouit.

     

    Capture d’écran 2024-01-01 à 09.41.40.pngFervent lecteur de Pascal Quignard, dont je lis absolument tout, j’ai été une fois encore enthousiasmé par « Les heures heureuses » (Albin Michel) qui poursuit la quête spirituelle de la sensation, des émotions pures, de la source de l’amour, de l'émoi originel, l’ensemble dans une langue tendue et on ne peut plus baroque (depuis « Tous les matins du monde »), minérale, d’une précision d’horloger genevois, à la limite du jansénisme littéraire, en tous cas d’une rigueur admirable qui n’exclut jamais – et c’est l’un des talents de Quignard, la dimension extrêmement poétique de sa prose. L’auteur aborde une foule de petits sujets universels par le biais de l’anecdote historique, de la description de l’événement au demeurant insignifiant. Chacun de ses livres, notamment cette « suite » intitulée « Dernier royaume » et dont c’est le XIIe opus, renvoie - à mes yeux en tous cas - à la phrase célèbre de Miguel Torga, « l’universel, c’est le local moins les murs ». Et n’est-ce pas la première vertu de la littérature, sa mission que de rendre universel le village de Macondo dans « Cent ans de solitude » – par exemple. Aussi, et c’est un sacré atout, « un » Quignard se dévore en picorant, le lecteur peut l’aborder comme des pintxos au comptoir d’un bar de San Sebastian. Et, par surcroît, il instruit considérablement, car il n’est jamais avare de détails étymologiques, philologiques, historiques, littéraires et philosophiques, qu’il évoque La Rochefoucauld ou un inconnu, la regrettée Emmanuèle Bernheim ou Spinoza. Et nous sortons de ces « heures heureuses » galvanisé et comme abasourdi lorsque, dans une salle obscure, d’un film exceptionnel nous lisons le générique de fin avec une scrupuleuse gourmandise...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.04.09.png« La grande ourse », de Maylis Adhémar (Stock) est un roman brillant sur un thème devenu « à la mode » : la difficile cohabitation de l’homme en milieu pastoral avec (le retour) des grands prédateurs comme le loup et l’ours – le lynx croquant surtout les chevreuils des forêts vosgiennes. En l’occurrence, il s’agit des bergers ariégeois du Couserans – cette si belle région que l’auteur(e), toulousaine, connait dans les recoins, et de l’ours. L’écriture est sensible, précise, ciselée, les personnages parfois caricaturés (les rugbymen des bars de l’arrière-pays, le chasseur bourru, le berger bucolico-gionesque, la bergère dure à la tâche...), les paysages ne sont à mon goût pas assez Capture d’écran 2024-01-01 à 09.39.01.pngmagnifiés, la narration d’un conflit qui enfle l'est bien davantage, et la jalousie de l’héroïne pour l’ex de son amoureux un peu too much. Une économie d’une cinquantaine de pages sur le sujet eut été bénéfique. Mais bon, cela n’exclut pas que ce livre soit pétri de qualités, et je le rapproche d’un autre grand texte franchement admirable, sur le même sujet, de Clara Arnaud, « Et vous passerez comme des vents fous » (Actes Sud).

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.04.37.pngSous-titré « Petite rhétorique itinérante », « En marchant », de Patrick Tudoret (Tallandier) est un précieux livre total car il entremêle érudition (sans frime aucune) et petite philosophie de la marche avec brio. Le tout piqué de souvenirs très personnels comme un gigot d’agneau l’est de gousses d’ail. Souvenons-nous que Montaigne, marcheur (et cavalier) impénitent, prétendait « penser par les pieds », et songeons avec Eugenio de Andrade, que « la démarche crée le chemin ». Tudoret est dans cette mouvance-là. Contemplatif et jamais sportif acharné, il prend le lecteur par la main, lequel prend son bâton de pèlerin, et c’est parti. Véritable anthologie littéraire à dominante poétique, le livre devient vite un compagnon que l’on est tenté de glisser dans le sac à dos pour nos prochaines haltes dans la montagne basque – où l’auteur randonne également. « Il y a une ivresse de la marche comme il y a une ivresse d’écrire », note-t-il. Tudoret aime à sentir « la pulpe d’un lieu », à en saisir « le pouls intime », et aussi marcher dans les pas des écrivains qu’il aime. Il en appelle à Saint-Augustin : « Qui n’avance pas piétine », souligne : « La marche comme école de détachement, d’affranchissement. On largue les amarres. La marche art du délestage, de l’allègement. Délestage physique, matériel, mais aussi moral : se déprendre de soi ». Et précise salutairement : « Les assis m’ennuient, ceux qui courent me fatiguent, j’aime ceux qui marchent ». Nous tous aussi, non ?..

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.05.40.png« Monsieur Nostalgie », de Thomas Morales (Heliopoles), déclaration d’amour aux Trente Glorieuses, hymne au « c’était - tellement - mieux avant », est un livre délicieux d’un grand styliste dans la lignée hussarde de Blondin, qui assume avec talent son attachement aux choses surannées et passées de mode. Mais qui pourrait prétendre que Claude Sautet, Bébel, le culte de la langue française, le panache hexagonal, les livres paillards de Boudard, la voix de Michel Delpech, le plat Berry qui est le sien puissent passer un jour de mode ? Morales possède ce passé brillant, truculent, hédoniste, cultivé, amical, gascon et rastignacien, épris de clochers et de ballons de rouge partagés au zinc, du mythe B.B. et des fromages bien faits, chevillé à l’âme comme au corps. Et nous le suivons, page à page, avec une gourmandise qui augmente à mesure, en lisant en ronronnant. « Arrière les esquimaux ! » Olé...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.06.30.png« La Vie derrière soi. Fins de la littérature », d’Antoine Compagnon (folio essais) est un essai aussi important que sombre. « La littérature a un lien essentiel avec la mort, le deuil et la mélancolie », prévient d’emblée l’ex-universitaire et essayiste des « Antimodernes » et le biographe inspiré (et à succès) de Montaigne, Proust et quelques autres. Est-ce l’âge, le décès de son épouse, la retraite prise... Compagnon se penche sur les œuvres tardives, évidemment pas comme Narcisse sur son reflet dans l’eau, mais en intellectuel constamment en question, à l’écoute, notamment sur ce qui pourrait constituer ce fléchissement de l’âme, sur ce qui préfigure chaque chant du cygne, sur les faiblesses physiques aussi – qu’il ne faut pas négliger, car elles gouvernent le mouvement de la main sur la feuille... L’érudition de l’ancien professeur au Collège de France (dont je suivais les cours, parfois dehors devant un écran géant, pour cause de succès, lorsque je vivais dans le Ve arrondissement, à un jet de galet du Collège...) brille par mille feux en voie d’extinction, et cette plongée dans les eaux profondes de l’ultima verba donne à voir et à réfléchir sur la teneur des dernières pages de « La Recherche », sur la théâtralisation du « Journal » de Gide, sur tant de récits de la vieillesse qui se révèlent parfois, souvent, plus toniques que ceux de la jeunesse, aussi. Stimulant.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.07.00.pngBien sûr il y eut la divine surprise – oh, vingt-neuf pages à peine -, mais de l’indépassable Julien Gracq, avec « La Maison » (Corti), nouvel inédit, cadeau du ciel et des étoiles, condensé du talent immense du « patron » comme disait Nourissier. L’histoire, mais en est-ce une, est mince come un papier Rizla+, et en faut-il d’ailleurs une pour faire œuvre (à vocation) universelle ? cf. supra. L’apparition énigmatique d’une maison enfouie dans une friche sur le trajet du bus, « comme l’affût précautionneux et tendu d’une bête lourde au milieu de ces solitudes », « de ces fourrés sans oiseaux ». Nous sommes aussitôt chez Poe que Gracq vénérait autant que Verne. Son approche furtive un jour, à pied, « le besoin de me sentir le cœur net de l’envoûtement bizarre de ces bois sans joie », « une extraordinaire suggestion d’abandon et de tristesse », et tout à trac le chant à peine perçu d’une femme, « une voix nue », la vue, l’espace d’un court instant, de « quelque chose d’elle », « la pointe de deux pieds nus », et il n’en faut pas davantage pour générer une montagne d’un désir retenu serré par l’écriture comme jamais maîtrisée de l’auteur du « Balcon en forêt ». La charge érotique de ce très court texte est d’une intensité sublime puisque tout est suggéré, entrevu, et enfin la chute, que je délivre ici car elle n’empêche aucunement le plaisir du texte, sa montée en puissance comme le mercure dans le thermomètre, « ... plus nue encore, et plus secrète que les pieds nus, la masse ondée, prodiguée, déployée, comme une draperie, d’une longue chevelure blonde, la chevelure défaite d’une femme ». Qui écrit mieux ?

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.07.37.pngGrâce soit rendue à Brice Matthieussent, traducteur magnifique de tout l’œuvre – volumineuse (trente ouvrages) de « Big Jim » et à Flammarion d’avoir rassemblé tout ce que ce corpus compte de récits et d’extraits de romans, de « novelas » aussi, placés sous la personne emblématique de Chien Brun, double de Jim Harrison, « Chien Brun. L’intégrale » (Flammarion), donc. Il s’agit d’un livre en surnuméraire lorsqu’on possède une étagère pleine à ras-bord des bouquins de Jim, et qui – pour l’anecdote, faillit un jour me priver de vieillir, en tombant brusquement sur ma tête. Je m’en tirai avec un éclat de rire étrange et une bosse énorme. Ah, Chien Brun, mélancolique bâtard supposé d’Indien mais n’ayant que du sang chaud qui circule ardemment dans les veines, Chien Brun l’anar broussard du Michigan dépourvu de numéro de sécurité sociale – notez la poésie insolite de ces mots, Chien Brun pêcheur de truites et devant l’éternel, Chien Brun chasseur et trousseur, sauvage comme on aime les personnages de cette Amérique des grands espaces, court ici sur près de six cents pages, et plus on les feuillette, s’y arrête, plus Jim nous manque. Mais ce n’est pas si grave, Chien Brun se retourne, décèle votre peine, et vous embarque, et c’est bon de le suivre à nouveau, de le lire...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.08.03.pngVoici un ouvrage singulier que Jim Harrison aurait sans doute aimé. « Chanteurs d’oiseaux », de Jean Boucault et Johnny Rasse (Les Arènes/PUG), ou l’histoire de deux surdoués de l’imitation des chants d’oiseaux – l’un est spécialiste du goéland argenté, l’autre du merle noir, qui raflent tous les concours (ce qui semble très étrange, pour un citadin) ayant cours notamment en baie de Somme, d’où ils sont issus. Terre d’oiseaux de passage, ils ont grandi parmi eux, du côté d’Arrest, leur parcours est narré en alternance, et ils se donnent aujourd’hui en spectacle, et c’est paraît-il bluffant (mais j’ai la chance immense de pouvoir les écouter bientôt, vers la mi-janvier, à Paris, à la faveur du Salon du Livre de Nature, où se tiendra leur prestation). Leur récit alterné est touchant, simple, qui décrit leur quotidien, l’école – surtout buissonnière, l’amour infini des oiseaux, l’apprentissage de leur parole, de l’infinie subtilité des « modulations de fréquence » de chacune d’elles, la naissance d’une passion dévorante, tout cela est décrit dans une langue directe et sensible, naturellement sauvage et saumâtre, avec des adjectifs beaux comme des marécages à l’aube, des joncs éclairés par un soleil timide. « Je t’apprendrai à faire le courlis cendré ». Juste cette phrase et je frissonne. Comprenne qui sait déjà...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.08.35.png« L’ABéCédaire de Michel de Montaigne », choisi par Michel Magnien (L’Observatoire) est issu d’une collection particulièrement attachante (celui de Romain Gary nous avait ravi, il y a quelques mois). Il agit comme un « memo », un rappel, un vaccin, on le feuillette en cherchant des entrées moins convenues, laissant tomber amitié, cannibales, apprendre à mourir, éducation... en musardant du côté de bordel, branloire, chasse, constance, cul, délectation morose, désir, difformité, écrivaillerie, garde-robe, ivrognerie, etc. Inépuisable Montaigne. Ce livre est à rapprocher du (déjà ancien) « Le meilleur de Montaigne », concocté par Claude Pinganaud pour arléa. Revenir, toujours, à Montaigne.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.09.32.pngJ’en attendais plus. Je fus déçu. Comme souvent, avec le choix de l’Académie Nobel. Louise Glück ne profita pas longtemps du sien, obtenu en 2020, car elle vient de nous quitter. La « grande » poétesse américaine se voit compilée par Poésie/Gallimard, avec « L’Iris sauvage, Meadowlands, et Averno » lesquels m’ont laissé sur ma faim de poésie profonde, dense, parce que, page 193, je ne me contente pas du début du poème intitulé

    « Anniversaire : 

    J’ai dit que tu pouvais faire un câlin.

    Ça ne veut pas dire tes pieds froids sur ma bite.

    Quelqu’un devrait t’apprendre les bonnes manières au lit. »

    Un poème, un seul (sur 450 pages, c’est léger) a trouvé grâce à mes propres critères, « Rotonde bleue :

    J’en ai assez d’avoir des mains

    dit-elle

    Je veux des ailes –

    Mais que feras-tu sans tes mains

    Pour être humain ?

    J’en ai assez de l’humain

    dit-elle

    Je veux vivre sur le soleil »...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.10.06.pngApprocherions-nous, via cette dernière image, de l’éternité décrite (« Quoi? »..) par Rimbaud, dont on célèbre le 150eanniversaire de l’impression à compte d’auteur à Bruxelles, des cinquante-quatre pages d’« Une saison en enfer » (Poésie/Gallimard), soit une mince plaquette de textes en prose sertie de sept poèmes en vers, avec des pages blanches, des fautes typographiques demeurées (il s’agit d’un fac-similé, comme celui qu’arléa offrit à ses fidèles clients il y a quelques années). La mention PRIX : UN FRANC qui barre la page de titre (intérieure) comme une ceinture de bourreau, possède finalement l’élégance surréaliste d’un aquoibonisme de belle facture. Rimbaud détruisit le faible tirage, non sans avoir offert un exemplaire à Verlaine. C’est grâce à celui-ci que le texte fut sauvé, nous est parvenu, et nous touche encore de plein fouet :

    « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

    Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère.  – Et je l’ai injuriée. »

    Ainsi débute cet ouvrage iconique, comme on dit, que nous ne nous lasserons jamais de rouvrir.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.10.34.png« Je suis un volcan criblé de météores », de Etel Adnan (Poésie/Gallimard), m’est une découverte majeure. Cette somme de poésies qui couvre les années 1947 à 1997 provient d’une poétesse prolixe (1925-2021) tardivement reconnue, peintre aussi, issue du carrefour de plusieurs cultures (turque, grecque, libanaise, française, américaine). Il y a des poèmes militants à connotation politique, je les ai écartés d’instinct, considérant avec Stendhal que « la politique dans un roman, c’est un coup de pistolet dans un concert », et avec Proust que des idées dans une fiction « sont comme l’étiquette du prix laissée sur un cadeau ». En revanche, de très nombreux textes sont infiniment sensibles, touchants. Extraits :  

     

    « Le soleil dit la mer est la vie originelle,

    je suis les vignes futures et la vigueur des panthères.

    La mer est femme sur les genoux de l’aube. »

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    « La nuit coulait plus lentement

    qu’un étang. L’ange comptait

    les étoiles. Tu disais : L’amour

    est une eau qui revient à son

    aube. »

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    « J’ai épousé la lumière

    j’ai enfanté la folie

    je suis un fleuve mon amour

    tu ne peux que pleurer

    sur mes bords. »

    -----

    « et la chaleur de ta

    passion

    prend

    la couleur du givre

    blanc comme un perpétuel printemps. »

    -----

    « Elle avait des yeux qui faisaient

    briller le soleil au-dessus de mon lit

    et tomber la pluie

    c’est de ma mère que je parle... »

    -----

    « La solitude du monde animal

    est entrée dans mon cerveau :

    Une femme m’a aimée au-delà de toute raison »

     

    Capture d’écran 2024-01-01 à 10.04.38.pngÀ la faveur de retards homériques des trains de la SNCF la veille de Noël et son surlendemain, et ayant pris soin, au cas où si probable, de me munir d’une Pléiade, j’ai relu les Oeuvres romanesques de Marguerite Yourcenar, la grande Marguerite Yourcenar. « Alexis ou le traité du vain combat », Le coup de grâce », « Feux », « « Nouvelles orientales », un peu de « l’Œuvre au Noir », des « Mémoires d’Hadrien »... Un bonheur réitéré une journée durant entre Bayonne et Nîmes, via Bordeaux et Toulouse. Je suis soudain tenté de reproduire ici tout ce que j’ai pu annoter au crayon sur le papier bible, tant de fulgurances, de traits, de percussion, de vérité, de subtilité extrême... Allez, juste deux ou trois comme ça, pour frissonner :

     

    « On dit : fou de joie. On devrait dire : sage de douleur. »

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    « Posséder, c’est la même chose que connaître : l’Écriture a toujours raison. L’amour est sorcier : il sait les secrets ; il est sourcier : il sait les sources. L’indifférence est borgne ; la haine est aveugle ; elles trébuchent côte à côte dans le fossé du mépris. L’indifférence ignore ; l’amour sait, il épelle la chair. Il faut jouir d’un être pour avoir l’occasion de le contempler nu. Il m’a fallu t’aimer pour comprendre que la plus médiocre ou la pire des personnes humaines est digne d’inspirer là-haut l’éternel sacrifice de Dieu. »

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    « Où me sauver ? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu’en toi ? »

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.11.54.pngJ’achèverai cette brève liste (j’en oublie, c’est certain, car une année c’est long, mais je la rectifierai, le cas échéant)... Avec une relecture, « L’Amour fou », d’André Breton dans une belle édition rare, illustrée et numérotée du Club français du livre, j'ai éprouvé le besoin parallèle de reprendre le « André Breton. Quelques aspects de l’écrivain », de Julien Gracq (José Corti) pour ce qui y est souligné par celui qui fut fasciné par le père du surréalisme : ceCapture d’écran 2024-01-01 à 10.06.37.png pouvoir prodigieux d’associer sans contrainte pour le lecteur la poésie et l’essai, la beauté de la phrase et la réflexion sur le motif. Avec Breton, comment dire... l’émulsion, pour une fois, semble pouvoir prendre : l’eau à l’huile s’allie et la fusion procède d’un alliage unique. « L’Amour fou », donc, offert par une main experte en surréalisme, « parce que la neige demeure sous la cendre », et ses inoxydables fulgurances, pour le plaisir du texte, soit pour ne jamais changer...

    « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. »

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    Et cette célèbre citation que l’on voudrait faire inscrire sur notre pierre tombale ou bien sur notre urne, au choix :

    « J’aimerais que ma vie ne laissât après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. »

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    Bonne Saint-Sylvestre. « Je vous souhaite d’être follement aimé(es) ». A.B.

    Léon Mazzella

     

      

  • LA GLOIRE DE SON PÈRE

    Capture d’écran 2023-12-31 à 10.01.11.png« Une histoire des Trente Glorieuses », ou la recherche du père mal connu, à travers le tableau tendre d’une époque.

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    Didier Pourquery poursuit son récit familial. Après le livre poignant sur sa fille disparue, « L’été d’Agathe », voici l’histoire de Christian, son père trop peu connu, à côté duquel le fils semble être passé. Christian mort à quarante-sept ans à peine, en 1979, au volant de sa R16 sans ceinture qu’il conduisait trop vite, parce qu’à l’époque c’était ainsi ; les Trente Glorieuses aimaient la vitesse.  L’auteur confie avoir senti l’ombre paternelle planer tandis qu’il écrivait : « mon père me parle sans cesse et sans filtre. Il me guide et me tacle... ». Le récit de Pourquery accomplit la prouesse d’être une sorte de poupée gigogne où alternent trois livres : l’histoire de Christian, ouvrier devenu manager « à force de vouloir », et dont l’ascension sociale fera la fierté du clan familial à partir du moment où il « entrera chez IBM » - il reprendra même des études à l'âge de trente ans à l'IAE fraîchement créé, un tableau de cette époque bénie des dieux de la croissance, de l’insouciance, et de la consommation des « choses » dirait Perec, qui apparaissent dans le livre comme autant d’images colorisées - soit un véritable petit essai parallèle, et enfin le parcours en filigrane du jeune Didier qui se construit, dingue de jazz dès son plus jeune âge, parti de l’économie en entreprise et qui bifurquera vers le journalisme avec le talent que d’aucuns savent*. Le tout sur fond de Gironde, berceau des Pourquery, mais à la ceinture de Bordeaux (tout gris à l’époque), du côté de Lormont, pas celle des quartiers chics. D’ailleurs, l’amoureux des mots Didier Pourquery s’en donne à cœur joie en pimentant son récit d’expressions populaires très bordeluches, et nous sourions souvent en lisant... Le sel de ce livre réside aussi dans les mots qui désignent une époque révolue mais que les « boomers » ont gardé en mémoire. Égrenés comme les perles d’un chapelet, ils illuminent et le texte et l’esprit du lecteur. Cela donne, pêle-mêle : haut-parleur, zazou, Sélection du Reader’s Digest, Cacolac, Floride (Renault), home d’enfants, Norev, caravaning, Les Pieds nickelés, Tout l’Univers, le portemine Criterium ou « le gros feutre Onyx Marker à la pointe biseautée et à l’odeur tenace », car des objets apparaissaient comme de petites merveilles : la purée en flocons, la première réunion Tupperware, la housse écossaise de la raquette de tennis en bois, les petits pots Blédina. Tout ce qui pouvait augmenter le « standing »... Et le brio de Didier Pourquery est de parvenir à mêler tout cela sans nostalgie, avec subtilité et délicatesse littéraire : une histoire familiale, le récit intime de la « recherche » du père, une confession jamais impudique, un condensé  d'essai sociologique, l’ensemble étant guidé par l’impérieux souci de l’exactitude et du détail propre à la rigueur journalistique (qui devrait toujours constituer) la base, et augmentés surtout d’une sensibilité, d’un style touchant, d’une générosité, d’une tendresse qui sont la marque de fabrique de l’auteur. Chapeau l’ami !

    Léon Mazzella

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    *Il a été notamment directeur des rédactions de Métro, de Libération, du Monde, et de The Conversation France.

    « Une histoire des Trente Glorieuses », par Didier Pourquery (Grasset). « L’été d’Agathe », paru également chez Grasset, est disponible en poche à La Petite Vermillon (La Table Ronde).

  • À Erratzu

    J'ai longtemps fréquenté professionnellement, en tant que critique gastronomique, les-restaurants-étoilés comme on dit (et c'était pour leur attribuer des toques). Ils ne m'ont jamais fait rêver comme une auberge d'une simplicité naturelle, d'un dépouillement et d'une humilité touchants peuvent me transporter. Dimanche, une fois encore, j'ai franchi le col d'Izpegui, passées Saint-Étienne-de-Baïgorry et la Nive devant chez Arcé. En haut, j'ai pris traditionnellement un verre de Navarre (pour un euro !) en terrasse de la venta Irigoieneko, chez Peio (non sans faire quelques provisions de bouche à vil prix), dont la vue sur la vallée du Baztan est splendide, et vaut celle que nous offre le parking, côté français, soit à trente mètres de là, sur la vallée de Baïgorry (photo), puis j'ai dégouliné en voiture les lacets de la route qui conduit à Elizondo. Mais je me suis arrêté avant, à Erratzu, bourg pourvu d'un caractère architectural séduisant, où je me rendais clandestinement pendant le confinement de l'automne 2020 car, en France les restaurants étaient alors fermés, pour y déjeuner à pas d'heure (15h30), mais ici c'est possible, et j'ai d'ailleurs du patienter une demi-heure en terrasse, au soleil, peinard; à l'auberge Kastonea. La soupe de poissons, riche en palourdes, fut délicieuse, comme la morue rôtie et gambas très correcte (j'avais envie de mer, en montagne), ainsi que la tarte au fromage, pourvue de relief. Pour un billet de 20€ (prix du menu imposé), la bouteille de vin de Navarre (une pour deux) et l'eau minérale gazeuse (un peu salée, façon Vichy Catalan) compris, on y fait un déjeuner mémorable, grâce à l'environnement aussi : les milans royaux planaient bas, le soleil brillait fort, l'immense tablée voisine célébrait gentiment un faux mariage fellinien en costumes sortis de Cinecittà, et le service de cette auberge est toujours d'une gentillesse extrême. Pur bonheur. Le but de cette note est surtout de vous montrer la "carte", el menú, rédigé au stylo bille sur un petit bout de papier (le verso d'un prospectus pour une tombola). En haut à gauche, les entrées, à droite les desserts, et en bas les plats. J'adore... L.M.

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  • Signature à Guéthary

    Capture d’écran 2023-08-16 à 12.33.38.pngLa très singulière librairie - maison de la presse - dépôt de pain - relais de poste - souvenirs - cadeaux VOIE UNE, sise à la mini-gare de Guéthary que toutes les gares de l'hexagone envient, et d'où l'on contemple l'océan, les surfeurs, les petits bateaux, l'horizon, l'appel du large et les parallèles ferrées, à la perpendiculaire, m'accueille donc dimanche prochain. Venez nombreux.

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  • Petit bonhomme amoureux de chemin

    Capture d’écran 2023-08-07 à 18.25.29.pngMon Petit éloge amoureux du Pays basque semble avoir l'heur de plaire. Privat, son éditeur, vient de le réimprimer, on se dirige vers les 3 000 exemplaires au bout de trois mois et demi d'exposition, il se vend très peu dans la banlieue de Dakar, dans le vieux Islamabad, ainsi que dans les hameaux reculés de Meurthe-et-Moselle. Cela ne m'étonne guère. En revanche, les libraires du grand Pays basque et du Sud Ouest élargi l'aiment, et le font savoir. La presse l'a certes promu, du Figaro Magazine à La Croix l'hebdo en passant par Sud Ouest bien sûr, ainsi que Causeur, Pyrénées magazine, L'Incorrect, La Dépêche du Midi, etc. Mais ce sont les lecteurs que je rencontre chaque week-end, puisque je me plie à deux séances de signature hebdomadaires (la prochaine se tiendra dimanche prochain 20 août dès 11h à Guéthary, à la librairie Voie Une, contre l'arrêt de voie ferrée le plus fantasmé de l'hexagone), qui l'élisent et le font eux aussi savoir, si j'en juge par ceux qui m'en présentent à signer pour leurs parents et amis, après l'avoir lu eux-mêmes . Cela fait bigrement plaisir. Et, ici, là, je remercie chacun. Pourvu que ça dure. L.M.

     

     

  • Prochaines signatures

    Je signerai mon Petit élogeCapture d’écran 2023-08-07 à 18.25.29.png amoureux du Pays basque (éditions Privat), samedi 12 août dès 10h à la Librairie Leku Ona à Saint-Pée-sur-Nivelle, dimanche 13 août dès 11h à la maison de la presse/librairie Darrigade à Biarritz, et dimanche 20 août à partir de 11h à la librairie Voie Une, à Guéthary. 
    Faites passer !
     
    (Ci-dessous, Sud Ouest du 11 août).
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