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San Pietro


podcast

Ciaccona, de Kapsberger (1640), in : Libro Quarto D'intavolatura Di Chitarone, par Rolf Lislevand (luth).

Ernst Jünger écrivit une plaquette sur San Pietro, « l'Île » (Sarde) par excellence selon lui, ou il assista, notamment, à une matanza (pêche -radicale et sans issue- au thon rouge) qui le marqua à jamais. Et une pêche à l'espadon, décrite dans ce petit livre précieux.

Il y est aussi question de l'essentiel du voyageur. Un air de Nicolas Bouvier flotte à la surface du texte magnifique de Jünger, à la manière de la peau du lait à la surface d’un bol chaud. On aime la crème ou on ne l'aime pas. Avant de livrer quelques mots de San Pietro (suivi de Serpentara, précieuse plaquette parue à La Délirante -je me souviens d'une conversation avec le poète Fouad-El-Etr, qui dirige ces éditions, à propos de Jünger, avant de lui acheter ce livre, il y a sept ans, au « Marché de la Poésie » annuel de la Place St-Sulpice, à Paris : émouvante, simple et dénuée d'atours : nul ne tentait de prouver quoi que ce soit à l'autre ; cela devient si rare!), et bien que cela n’ait aucun rapport, le vin de Sauternes, château Gilette 1955, Crème de tête, bu avec mes enfants et quelques fidèles, samedi dernier, en guise de dessert et accompagné juste de la voix de Catpower, dépassait, d’au moins trois franches coudées, tous les opéras italiens et les paysages givrés, d’aube de l’humanité, grâce à ses flaveurs de melon glacé, de confiture de pastèque, de foie gras poivré, de tarte à la rhubarbe, et aussi, oui ! de baies croquantes quoique flétries, de raisin surmûri, gavées de soleil et de brouillards matinaux. Un très grand moment…

Donc, de Jünger, cet extrait, comme on arrache une dent à la Vénus de Milo (sans gloire, car comment pourrait-elle se défendre ?..) : « Tout voyage doit inclure le pèlerinage au sens ancien du terme. Sinon, il ne reste qu’une accumulation d’images avec lesquelles le promeneur remplit son for intérieur, comme un album avec des cartes, mais cela reste plutôt nuisible, car le moi est dispersé. N’avons-nous pas souvent l’évidence d’une médiocre chasse aux images avec ces voyageurs qui, de spectateurs en éveil, se transforment en preneurs de clichés photographiques, et traversent le monde en aveugles ?  (…) Il n’y a qu’un voyage, le voyage de la vie, et chaque déplacement dans ce monde en est un des segments. Le but de chaque journée est à l’image du but de la vie, et devrait être un pilgrim’s progress. Sinon, nous avons fait un mouvement raté, inutile, nous multiplions le nombre des rotations vaines. »
Je comprends –tout à trac-, pourquoi Gracq fut le grand ami de Jünger. Il y a là, concentrée, l’acuité d’un regard (porté) sur le monde (in)actuel, que les deux grands écrivains partageaient.

Commentaires

  • Léon, qu'est-ce que ça veut dire, une pêche irrémédiable ?
    Merci pour la musique. Et le texte, et tout, Jim Harrisson de la rue Mouffetard !

  • Merci de ta sagace lecture, Alina : j'avais employé un adjectif inapproprié, que je viens d'échanger contre deux autres, pour dire cette pêche insensée et meurtrière, puisqu'aucun thon n'en réchappe...

    Big Jim of the Mouff'

    PS : j'ignorais que tu avais publié "Une nuit avec Marilyn"! Je guetterai donc sa sortie en Poche annoncée pour février.

  • Si tu veux, on prendra un verre dans le quartier, et je te le donnerai. Le ciel est bleu aujourd'hui, je t'embrasse, amigo !

  • Hum... De ma fenêtre il est gris souris. Tu es around Barèges, ce matin? D'accord pour le verre et ton livre, amiga!

  • et comme en passant petite question. Que penser de cette hypothèse colportée, de loin en loin, selon laquelle Héliopolis de Junger aurait peut-être inspiré, toujours de loin en loin, la principauté d'Orsenna, du Rivage des Syrtes...qu'en pensez vous...s'il y a là de quoi relancer... toujours de loin en...

  • Non! C'est "Sur les falaises de marbre", de Jünger! Que Gracq n'avait pas lu à sa parution (en trad° française, +ou- simultanée de celle du "Rivage"). D'ailleurs, son livre ("Le Rivage") était fini bien avant la parution de l'éd. française des "Falaises". Mais des mauvais coucheurs furent tentés de le "poilàgratter" là-dessus. En vain. Peut-être à cause du succès d'un Goncourt refusé par un prof totalement en dehors de l'establishment germanopratin & couffin.
    Idem pour "Le Désert des Tartares" de Buzzati (et aussi des "Chemins du désert" de Yasushi Inoué), romans apparentés au "Rivage", à l'unique, au seul, au magnifique "Rivage des Syrtes"...

  • voilà qui a le mérite de la clarté...merci de ton éclairage.

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