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La chorégraphie du désir

C'est un papier que j'ai écrit à la demande d'ENJEUX/Les Echos, pour leur rubrique "Une passion, un écrivain". Cela parait aujourd'hui. En voici les premières lignes (la suite en kiosque).

On dit du tango que c’est un sentiment qui se danse. Le flamenco, tesson de tragédie en travers d’une gorge éraillée, chante la douleur du monde et de l’amour. Il figure un éclat noir sous lequel on devine le sang et l’eau, le cœur et la sueur, le sein et le suaire. Un cri. Il se creuse pour cambrer la parole. Et le regard. Cette concentration, ce ramassé comme on le dit d’un félin prêt à bondir sur sa proie qu’il tient déjà entre ses yeux.

Le flamenco offre à la fois chant, musique ou danse purs et ces trois arts entremêlés.
Être flamenco, comme on naît torero : une façon d’habiter le monde. Les « coplas » (strophes), ces poèmes lapidaires andalous issus de l’âme gitane, incandescente, indomptable, fière, deviennent les paraboles de l’amour dansé : « Ton visage, c’est la Sierra Morena, et tes yeux, les bandits qu’on y rencontre ». Le flamenco est une ombre portée, un poignet cassé, un regard sombre, une cuisse dénudée. Il traduit avec douleur, dents serrées, la langue noueuse du corps à cœur : « Va et que l’on te tire dessus avec la poudre de mes yeux et les balles de mes soupirs ». Il y a un état d’esprit flamenco. Sur scène ou dans la rue, il ou elle danse en raclant le sol du bout des pieds, en chaloupant ses sentiments. Le corps prolonge l’esprit, obéit à un langage, à une gestuelle codés, sous ses allures rebelle, sauvage. Fauve…

L’Andalousie, berceau du flamenco, aux origines gitanes, mauresques, de la « marisma », les marais de la plaine du Guadalquivir, l’a vu naître dans les quartiers anciens ou portuaires de Séville, Cordoue, Malaga, Sanlucar de Barrameda, El Puerto de Santa Maria. Dans quelques « pueblos blancos » perdus, aussi, entre des oliveraies infinies et un « campo seco » où tentent de paître des taureaux de combat. Villages juchés sur des collines aux courbes douces, sensuelles, qui recèlent des « tablaos » (bars chantants).

A la faveur du hasard et de la bonne volonté de la Vierge noire de Séville, la Macarena, un soir, un groupe local improvise… un duende peut naître. Le duende est le but absolu du flamenco (inspiration et plaisir total à la fois. Le mot vient de dueño, le maître). Sorte de « saudade » portugaise, sentiment ineffable, transe, il surgit comme la grâce au carrefour des arts conjugués de la danse, de la musique et du chant. À l’improviste, dans la voix d’un « cantaor » entrant soudain en communion avec la danse. Il peut ne toucher qu’une seule personne, ou bien se répandre comme le feu. Dans le dépouillement du « cante puro », le chant pur, plus aucun son n’accompagne le chant. Ce « silence sonore », brisé par la voix, forme une plainte déchirante, un hymne à l’amour, à la mort. Le duende se recherche. Mais il faut le laisser venir, en réalité. Chacun l’attend, bien sûr, chaque soir de spectacle. Tout le monde l’espère (la langue espagnole s’avère formidable : esperar signifie à la fois attendre et espérer). « Tout ce qui a des sons noirs a du duende. Ces sons noirs sont le mystère, les racines (…). Le duende aime le bord de la blessure et s’approche des lieux où les formes se fondent dans un désir qui brûle…», disait Federico Garcia Lorca en citant un ami qui écoutait la musique de Manuel de Falla.

Commentaires

  • Léon,oooooooleeeeee, on!!!!!!!Tu y es...

  • Va lire la suite!.. Le papier est assez long.
    Merci de ton enthousiasme, caro leo nemo-lé!

  • Léon, c'est superbe, ça galvanise. Je t'en ai volé un bout ! Puisqu'il le faut, j'irai acheter ce journal pour lire la suite...
    bises

  • Buongiorno, Alina, j'en profite...

  • Avec le lien correct c'est mieux...

  • Merci Alina. Te connaissant, je devine le ©passage volé... Au début du texte, non?..
    Sinon, il m'est étrange de retrouver ton "Boucher" revêtu de (r)rose. Et j'attends "ta" nuit avec Marilyn. When you want, bella Pyrène, dans un rade du Cinquième.

  • Bonjour Leo, bonjour Leon. C'est plutôt la fin que je t'ai volée, et c'est plutôt un emprunt, regarde :

    http://apocalypsis.blogspirit.com/archive/2009/02/04/duende.html

    Oui, prenons un verre bientôt ! Ton texte me rappelle que dans mes vingt à vingt-cinq ans à peu près, je ne me séparais jamais du Romancero Gitan de Garcia Lorca. Mais je ne connais pas son livre sur le duende, il faut que je voie ça...

  • Merci Aline, pour ce post sur l'un de tes blogs.
    "Jeu et théorie du duende" vient de reparaître chez Allia/3€. La 4 de couv. reproduit ceci : "Pour chercher le duende, il n'existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu'il brûle le sang comme une pommade d'éclats de verre, qu'il épuise, qu'il rejette toute la douce géométrie apprise, qu'il brise les styles, qu'il s'appuie sur la douleur humaine qui n'a pas de consolation". Federico Garcia Lorca.

  • Petit livre par la taille, indispensable pour le duende.

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