Une brassée de poésie
Une brassée de recueils de poésie de grande qualité s'est posée au printemps dernier comme une volée de sarcelles à la surface d'un étang landais, par une nuit lumineuse de mai comme celle que nous venons de vivre. C'est à la collection Poésie/Gallimard que nous devons ce bouquet. Tout d'abord, il y a ce coffret, le second du genre, qui constitue pas à pas la précieuse petite bibliothèque du XXè siècle - qui fut celui des "utopies sanglantes" et aussi celui de la libération de l'imaginaire. Il a été concocté par Sophie Nauleau, Zeno Bianu et André Velter, et il est coédité avec Télérama. Il est composé de douze petits anthologies de poètes devenus des classiques, est c'est un régal de picorage à toute heure du jour et de la nuit. Jugez : Guillaume Apollinaire (Voie lactée ô soeur lumineuse), Louis Aragon (Ici commence la grande nuit des mots), René Char (Comme si tu étais en retard sur la vie - la phrase embématique de son célèbre poème en forme de profession de foi et de guide pour une existence artistique et libre Commune présence), Jean Cocteau (Je n'ai jamais rien vu de plus fou sur la terre), Pierre Reverdy (Et la main dans le dos qui pousse à l'inconnu), Robert Desnos (Loin de moi et semblable aux étoiles), Francis Ponge (Les rois ne touchent pas aux portes), Paul Eluard (J'ai la beauté facile est c'est heureux), Henri
Michaux (Comme un fou qui pèle une huître), Raymond Queneau (Cette brume insensée où s'agitent des ombres), Saint-John Perse (S'en aller! S'en aller! Parole de vivant!), et enfin Jacques Prévert (De deux choses lune l'autre c'est le soleil). Douze petits bijoux extraits des nombreux recueils de ces douze bandits des mots, déjà parus dans la même collection (30€ le coffret). L'emblématique collection publie coup sur coup trois titres, à commencer par Un manteau de fortune, suivi du très émouvant recueil intitulé L'adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne, de Guy Goffette (7€), qui s'affirme toujours davantage comme un poète majeur du songe éveillé, de la nostalgie façon saudade, dans notre paysage contemporain. Le second s'appelle Entrevoir, suivi du splendide Le front contre la vitre et de La halte obscure (9,50€), et c'est signé de Paul de Roux (ami de Goffette), poète contemplatif, dépouillé et sensuel qui compte de plus en plus, lui aussi. Il y a
enfin un petit classique formidable : Glossaire, J'y serre mes gloses, illustré par André Masson, suivi de Bagatelles végétales, illustré par Joan Miro, de Michel Leiris (9,50€). Autrement dit, un petit miracle d'édition (en format de poche), d'une part, et un régal de jeu avec les mots, d'autre part. Leiris, avec Langage tangage, A cor et à cri, entre autres grands recueils, déchaînait déjà les mots de leur définition. Là, il se lâche, déstructure, s'en donne à coeur joie, aligne les "catapultes mentales" au fil de son alphabet surréaliste et ses Bagatelles poussent encore plus loin le bouchon ludique de cette poésie cérébrale et formelle, cousine du travail de Ponge et de celui de l'Oulipo, car il entremêle les sens possibles et surtout improbables des mots : "aimer les mets des mots dans un méli-mélo de miel et de moelle", écrit-il. Et l'on devine que l'auteur devait ronronner de plaisir en créant ces anagrammes poétiques et autres mots-valises pourvus d'allitérations subtiles, chantantes et toutes dotées d'un sens inédit.