visions de l'horreur
Ramon del Valle-Inclan (je ne parviens pas à poser les accents qui conviennent, avec mon clavier : ajoutez-en donc deux, un sur le o du prénom, un autre sur le a de Inclan - merci), avec Un jour de guerre vu des étoiles (folio bilingue), présente l'intérêt de lire le témoignage poignant d'un Espagnol, car l'Espagne fut neutre durant toute la durée du conflit de 14-18. Or, l'écrivain manchot le plus célèbre des lettres espagnoles se rend sur le front alsacien et vosgien en 1916, survole le front de nuit, puis il retourne sur les fronts des Flandres, en Picardie, en Champagne, cette fois, où les combats sont intenses, et il témoigne de la boue, des rats, de l'odeur pestilentielle des cadavres que l'on ne peut aller chercher et enterrer, des blessés qui agonisent, du moral en berne des soldats transis d'effroi, de l'angoisse du poilu dans la tranchée au moment d'en jaillir sur ordre... Au nom du sacrifice pour une cause immatérielle nommée patrie. Valle-Inclan tenta de réveiller les consciences espagnoles endormies et confites dans une neutralité sibylline; en vain. Le livre est un moment précieux de littérature, notamment sa première partie, Minuit (La media noche). Le style, sec, est celui d'un grand reporter aguerri. Les chapitres prennent l'allure d'une chronique, avec sa vibration, son présent narratif, ses descriptions photographiques, où la nature, bien que bouleversée, boursouflée, demeure bucolique et paisible, et contraste ainsi de façon saisissante avec le théâtre d'une épouvantable boucherie absurde qui s'offre aux yeux d'un témoin qui prend des notes pour l'histoire, et pour la littérature.
Pierre Loti a lui aussi couvert la Grande Guerre, et il donna notamment des papiers d'importance à L'Illustration depuis le front. Il sera cependant plus actif sur le front arrière. L'auteur de Pêcheur d'Islande et de Ramuntcho, livre, avec Soldats bleus (La petite vermillon, de La Table ronde), son Journal intime de la Grande Guerre, qui constitue une anthologie de témoignages parmi les plus beaux qui furent écrits sur le sujet. Cependant, Loti n'est pas beaucoup sur le front des opérations, et ses pages traitent aussi bien de la pluie sur l'enfer de la Somme, que de Bayonne, d'Hendaye, de Rochefort ou de Soissons, ou encore de Paris. Cependant, c'est toujours franc, droit dans ses bottes, sans concession, parfois cru, toujours au plus près du réel - avec le style d'un écrivain qui n'est plus un novice et qui se défend de toute empathie nocive, surtout lorsqu'il décrit sans emphase l'horreur quotidienne de ces soldats bleus qui surgissent des tranchées et vont se perdre dans l'ombre, fauchés par le feu roulant d'en face; de nulle part.
(Je continuerai de présenter succinctement les livres intéressants qui paraissent à propos de 14-18, dans l'épais maquis d'une production généreuse).