Les Grecs surnommaient l'Italie "Oenotria" : "la terre du vin"
in L'EXPRESS hors-série La grande histoire du vin (en kiosque) :
Italie
ANCIENNE, FERTILE ET GÉNÉREUSE
par Léon Mazzella
La Botte a toujours été généreuse en sang de la vigne. Avec près de 60 millions d’hectolitres, l’Italie assure, en ce début de XXIème siècle, près de 20% de la production mondiale de vins. C’est dire son poids économique. Et si elle produit de nos jours davantage de vins que n’importe quel pays au monde – en concurrence avec la France certaines années -, elle abreuvait déjà de ses volumes l’empire romain. Ce sont les Grecs qui introduisirent la viticulture en Italie au VIIIè siècle av. J.-C. La Grande Grèce englobe alors l’Italie du Sud et la Sicile et ce sont les Eubéens (de l’île d’Eubée, en mer Egée, en face de l’Attique), qui s’installent les premiers dans leurs colonies, en Italie méridionale précisément, avec des cépages antiques comme le byblinos ou l’aminios – ce dernier est, par excellence, celui des crus romains, et il fut planté initialement en Calabre. Les Eubéens pratiquent la viticulture depuis plus d’un siècle sur leur île. Les colonies italiennes bénéficient aussitôt d’un essor de leur nouvelle économie et, très vite, les îles du Golfe de Naples, notamment Ischia - toujours célèbre pour ses vins blancs légers et gourmands, issus de cépages (actuels) comme les biancollela, falanghina et autre forastera – ainsi que la ravissante Procida – alors couverte davantage de vignes que de citronniers, comme aujourd’hui -, produisent leurs propres amphores afin d‘expédier leur vin à Carthage, ce dès le VIIè siècle av. J.-C. Les textes fondateurs des poètes latins, comme Virgile et Pline l’ancien, s’inspirent largement du savoir-faire grec. « Les Géorgiques », de Virgile, et l’« Histoire naturelle », de Pline, consignent avec force précisions les préceptes de cette nouvelle activité et fournissent ainsi de véritables manuels de viticulture aux agriculteurs italiens de la fin de la République et sous l’Empire. Ces textes seront des références pour le monde viticole européen dans son ensemble, des siècles durant. Leur ton direct et tutoyant rend l’apprentissage et les travaux pratiques de la « conduite de la vigne » (selon l’expression de Pline), on ne peut plus agréables. Exemple, pris chez Virgile, à propos de la plantation des rangées de ceps : « Si tu traces l’emplacement du vignoble dans une plaine grasse, plante serré (…), mais si tu choisis le versant d’une côte mamelonnée ou des pentes douces, espaces généreusement tes rangées. » Voici qui correspond parfaitement au vignoble italien, lequel se répand à une vitesse prodigieuse et ne tarde pas à couvrir des zones aujourd’hui emblématiques de la carte viticole du pays, Sicile comprise, jusqu’au Latium –la région de Rome, ainsi qu’en Etrurie, le territoire des Etrusques, soit l’actuelle Toscane. Les vins étrusques, conservés dans des amphores « italiques », sont abondamment exportés, dès cette époque, dans la plupart des pays du Bassin méditerranéen, y compris en Gaule à partir du VIè siècle av. J.-C. Les légions romaines découvriront un velours côtelé de vignes lors de leurs campagnes militaires au sud de la Botte et en Etrurie, dès le IIIè siècle av. J.-C., d’après Pierre Sillières (*). La plupart des raisins sont destinés à la vinification, dans cette Italie antique qui suit peu à peu les préceptes de Caton, de Columelle (dont le traité « De l’agriculture » , « De re rustica » demeure le plus grand traité d’agronomie que nous ait transmis l’Antiquité), ou encore de Varron, qui publient des ouvrages dans lesquels nous trouvons déjà – entre autres - les moyens de lutter contre les petits fléaux (insectes, notamment), y compris contre le gel (en arrosant la vigne afin de la tiédir). Mais contre la grêle, l’invocation des dieux était l’unique recours du viticulteur italien… Certains vignerons pionniers, notamment sur la côte napolitaine, vers Pompéi et au-delà (où les fouilles révélèrent tant d’indices), passerillaient le raisin, ou bien le consommaient frais, ou encore le conservaient dans des pots, mais l’écrasante majorité du produit de la vigne était dûment fermenté, après avoir été foulé et pressuré. Selon les recherches effectuées par Pierre Sillières, la vinification (la transformation du moût en vin), s’effectue alors dans de grandes jarres en céramique appelées dolia, pouvant contenir 10 hl chacune, et rangées semi-enterrées dans les chais. Il est à noter que la distinction entre vins ordinaires et vins fins se fait immédiatement et que les premiers sont destinés à la plèbe et à l’armée tandis que les seconds, que les Italiens entreprennent de laisser vieillir dans des jarres, et puis qui sont « mis en amphores » (bien que le vieillissement s’effectue également en amphore), sont naturellement destinés à des classes sociales plus élevées. Selon un autre chercheur, André Tchernia (**), tous les vins réputés de l’Antiquité provenaient d’une aire qui allait de Rome à Pompéi, soit du Latium à la Campanie, en particulier sur l’ensemble de la plaine côtière et jusqu’aux contreforts du Vésuve. Les trois vins (secs et doux) les plus recherchés sont le falerne, le vin des monts Albains et le cacube. Les règles élémentaires du commerce du vin – le commerce de proximité comme l’exportation – se mettent en place : les vins simples et nécessitant un transport coûteux sont consommés sur place et les vins « de garde » ou déjà réputés sont repérés, achetés et acheminés par des négociants, dont l’activité sera très prospère au IIIè et au IIè siècles av. J.-C. Celle-ci reposera sur le transport en bateaux d’énormes quantités d’amphores à destination de la Gaule ou de l’Hispanie, mais celles-ci commenceront elles aussi à cultiver la vigne et à consommer par conséquent ses propres vins (lire par ailleurs). Mieux (ou pire, pour l’Italie), dès le Ier siècle ap. J.-C., souligne André Tchernia, non seulement les clients historiques de la viticulture italienne disparaissent mais ils ne tardent pas à concurrencer les vins de la Botte et à narguer celle-ci en y exportant leur propre production à Rome même ! La capitale de l’Empire devient d’ailleurs,à la faveur de son expansion rapide et colossale, un si grand consommateur de vins indigènes que les vignes de Campanie, du Latium et d’Etrurie, mais également de la région de Ravenne, de la côte adriatique et de la plaine du Pô, car on cultive dès lors la vigne un peu partout dans le pays, ne suffisent parfois pas à étancher la soif d’un million de Romains, évaluée à environ 1,8 million d’hl annuels. A la fin du Ier siècle ap. J.C., la culture de la vigne s’étend parfois au détriment de celle du blé. Il est à noter qu’à la faveur des écrits lumineux, voire visionnaires, de Columelle, qui était lui-même vigneron et possédait des vignes dans divers zones propices d’Italie, une classification des crus se fait jour au IIè siècle de notre ère, en fonction de critères qualitatifs : il est déjà question de terroir, de robustesse, de fécondité.
Une législation tardive
Les invasions barbares (Goths, Lombards) réduisirent la viticulture à néant. Il faut attendre les effets bénéfiques de la christianisation – surtout au Moyen-Age, puis ceux de la Renaissance (XIIIè siècle), pour observer un renouveau de la culture de la vigne, Comme une revanche, elle fut étendue à toutes les régions susceptibles de l’accueillir, qu’elles soient de plaine, de piémont ou côtières. Le XVIè siècle, après la chute des Médicis, qui connaît le règne des Habsbourg, n’est pas non plus favorable au développement de la viticulture. Le phylloxéra et la Seconde Guerre mondiale produisent les effets d’arrêt brutaux que nous savons dans la plupart des pays européens. Longtemps synonymes de vins de quantité et de moindre qualité, les vins italiens ne souffrent plus aujourd’hui de connotations négatives, mais le laxisme législatif - il a mis près de trente ans après la France à établir des classifications claires -, a retardé d’autant la reconnaissance des grandes appellations et des grands vins italiens, et dieu sait s’ils sont nombreux. En effet, l’après-guerre ne fut pas favorable au développement qualitatif des vins italiens. « Faire pisser la vigne » afin d’exporter de la « bibine » étaient plutôt les maîtres mots. Ce n’est qu’en 1963 qu’une loi de première importance, portant sur les normes de dénomination s d’origines des vins, jette les bases de l’organisation de la viticulture moderne italienne. Elle donnera naissance à la fameuse loi Goria de 1992, qui établit la nouvelle réglementation des dénominations d’origine. Celle-ci est relativement simple, et elle ressemble aux législations européennes en vigueur un peu partout au sein de la communauté : nous trouvons les DOC (Dénomination d’origine contrôlée), les DOCG (Dénomination d’origine contrôlée garantie), les IGT (Indication géographique typique), les vins de table (vini da tavola) et les VDN (Vins doux naturels). L’Italie compte vingt régions viticoles (comme autant de régions politiques). Du nord au sud et d’ouest en est :Val d’Aoste, Piémont, Ligurie, Lombardie, Trentin-Haut-Adige, Vénétie, Frioul-Vénétie-Julienne, Emilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marches, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Basilicate, Pouilles, Calabre, Sardaigne et Sicile. Les vins les plus réputés se trouvent au nord de la Botte : Piémont et Toscane. Le Piémont est le royaume du cépage nebbiolo (rouge) qui donne les célèbres Barolo et Barbaresco. La Toscane viticole rime avec Chianti (Classico ou Ruffino) et évoque aussitôt un cépage principal (rouge), le sangiovese. Cette région viticole bénie des dieux évoque aussi l’une des plus célèbres appellations (DOCG) en vins rouges italiens, le Brunello di Montalcino . On désigne par ailleurs sous l’appellation non contrôlée de « super-toscans », des vins d’exception comme le célébrissime Sassicaia, ou les non moins célèbres Solaia, et Tignanello. La classification des vins italiens est plus commode si nous la divisons par genre : il y a les spumante (mousseux), les frizzante (pétillants), les amabile (demi-sec), les doux (dolce), les abboccato (mi demi-sec, mi demi-doux), les passito (passerillés), à côté de l’armée des secco (secs : blancs, rosés ou rouges). Outre le Chianti Classico, longtemps présent sur les tables des pizzerias du monde entier, dans un flacon rond et habillé de paille tressée, le Lambrusco (Emilie-Romagne) , est sans doute le vin le plus connu hors des frontières italiennes. Le fameux blanc Orvieto provient d’Ombrie, le Frascati (issu du cépage trebbiano), du Latium. Quant au Greco di Tufo, il contribue à la réputation des vins blancs de Campanie, connue également pour son Lacryma Christi del Vesuvio (blanc ou rouge). Le Montepulciano d’Abruzzo vient évidemment des Abruzzes. Enfin, les grandes îles (Sardaigne et Sicile) donnent des rouges puissants et charpentés (issus pour la plupart de cépage canonnau), ainsi que des blancs raffinés (issus principalement du cépage vermentino). L.M.
(*) « La viticulture et le vin dans l’Antiquité », in « Voyage au pays du vin », (ouvrage collectif, Robert Laffont)
(**) « Le vin romain antique », de A.Tchernia et J.P.Brun (Glénat).
Frénésie
L’érudit Suétone (Ier siècle de notre ère), en guise de commentaire à la décision de l’empereur Domitien, prise en 92, de donner un coup d’arrêt à la frénésie de consommation de vins italiens par les Romains, mais aussi par les Gaulois et les Ibères, écrit ceci : « La surabondance du vin et la pénurie du blé étaient l’effet d’un engouement excessif pour la vigne, d’où résultait l’abandon des labours. C’est pourquoi l’empereur interdit , en Italie, toute plantation nouvelle et ordonna, dans les provinces, d’arracher au moins la moitié des vignobles. »
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Cité par Roger Dion dans sa fameuse histoire de la vigne et du vin en France, et repris par Jean-Robert Pitte, in « Le désir du vin à la conquête du monde » (Fayard).