Chez le libraire, trois
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Feuilleter les nouveaux-nés de la littérature dans leur pouponnière est un plaisir insatiable. Où tout est prévu. Sexe, poids, nom sont connus longtemps à l’avance. Livres Hebdo ne cache rien, m’avertit du mauvais comme du bon, du su comme du vérifiable, sans oublier ce qu’il faudra découvrir sur place, à la faveur du hasard. Il n’y a donc pas de « livre à venir » comme il existe une femme à venir dans la vie d’un homme qui les aime. Ou comme il existe un taureau à venir dans la tête de chaque aficionado torista –le toro qui tutoiera la perfection en la frôlant.
(à suivre)
Retrouver avec une avidité animale l'odeur de l'autre : aisselles, sexe, cou, souffle. Garder un vêtement -qui enferme son odeur-, en cas d'absence. Nous le faisons depuis notre premier amour. C'est chien. Mon chien avait aussi besoin d'un de mes vêtements lorsque je partais en voyage. Il m'aimait.
L'imagination tient une si grande place dans l'amour que quelquefois nous sommes pressés de voir partir l'aimée : elle nous gêne pour penser à elle...
Sa voix au téléphone. La voix, c'est ce que nous avons de moins charnel. C'est presque l'âme.
Le "ping" (un pet de couteau sur du cristal) qui m'annonce un nouveau mail. Et toujours l'espoir de lire son nom sur l'écran.
Cela s'appelle le fading, l'étrange et irrésistible chute, lourde, lente, au sein de la mélancolie amoureuse, cette vénéneuse...
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Dès que j’y suis, je soupire d’aise, gonfle le torse et me frotte mentalement les mains. Je me sens soudain d’humeur militaire : j’inspecte mes troupes. Je m’affaire immédiatement, replace, reconnais, inspecte, range, découvre, interroge, mets enfin au rapport un élu. Je les connais, je les aime, je leur rends souvent visite. À certaines périodes, c’est quotidien. Maladif. La librairie est ma pharmacie. Mon souffre-douleur, mon passe-temps, mon chasse-spleen, mon remède à l’ennui, à la ville, à l’errance urbaine, mon élixir de longue-vue sur moi-même et sur l’écriture, les pannes de sens, la page blanche, le silence oppressant de la table de plaisir (écrire n’est pas travailler)...
(à suivre)
"Il faut s'endurcir mais jamais se départir de sa tendresse"
Ernesto Che Guevara
Photo : le Che vu par Andy Warhol
Pendant des années, la seule vue d’une trace blanche d’avion dans le ciel bleu de l’aube en montagne, au marais, suffisait à lui déchirer le cœur. Loin des hommes, près de la vie sauvage, il apprenait les saisons et le végétal. Chaque jour augmentait sa connaissance du monde animal. La psychologie des femmes lui était étrangère. Il savait ramper, grimper. Pas encore embrasser ni caresser. Il savait le mimétisme et l’approche. Mais il ignorait tout du tact et des préséances…

Ce doit être le printemps. Je sens monter en moi une faim taurine. C'est aussi la saison des fiestas qui s'annonce...

J’ai toujours eu un faible pour ces chiots fous qui rêvent de se faire un nom tandis que leurs copains d’école –celle qu’ils ont abandonnée pour l’autre, qui enseigne le toreo- les hèlent encore de leur prénom, et à côté desquels James Dean est un risque-tout pour papier glacé, comme Malraux fut paraît-il un Nicolas Hulot de l’aventure.
Je n’aime rien comme ces corridas du matin « qui sentent le café », comme le dit le chroniqueur Jacques Durand et j’en arrive à les préférer aux corridas de l’après-midi, « qui sentent le cigare » . C’est le matin que les choses importantes de la vie se passent, si l’on excepte les siestes insolentes et le « baisser » de lumières, l’été, qui annonce l’apéro et les tertulias infinies.
J’aime voir ces adolescents minces comme des stock-fishs, habillés de lumières et habités de peurs primitives. Ils récitent parfois les passes apprises la veille, comme leurs mères un chapelet de prières : les yeux fermés. Ils peuvent être gauches. Si c’est en tirant une naturelle, nous les applaudissons.
Les regards aigus des aficionados les jaugent, les soupèsent comme ils sélectionneraient des vachettes pour les tientas ; cela n’a donc rien de déshonorant. La voix des novilleros est frêle, pas finie. C’est que ces machos prématurés sentent encore le lait et c’est pour ça que la mère rôde. Comme l’animal.
Le novillero est un aventurier des temps modernes, qui engage sa vie plus pour son propre salut que pour la victoire, comme l’aventurier dont Roger Stéphane brossa le Portrait. Le jeune torero est un irréductible solitaire qui ne pense qu’à Dieu et à la vache qui a mis au monde ce novillo noir et dur contre lequel il se bat à présent, en suant, et en tâchant de ne pas perdre ses outils et ses moyens. C’est un être anachronique de pied en cape et jusqu’au bout de ses doigts qui ont encore caressé si peu de femmes, faute de temps et à cause de tout le tremblement. Ce sera pour plus tard, après les toros.
¡Si Dios quiere ! Dieu et ta mère…
Tout se joue le matin, aux alentours de onze heures et dans le rond, même les passes de cape plus que parfaites : celles que la cuadrilla d’occasion effectue juste après le paseo, avec des toros imaginaires pourtant tenus derrière la porte, et qui jailliront un par un, là, maintenant (ça sonne).
Le drame qui se joue sur le sable est peut-être plus sérieux que celui qui sera donné a las cinco de la tarde, car il possède l’ingénuité des premiers textes et la perfection de l’inachevé qui joue son propre rôle. La mère ne va en général pas voir ça. Elle s’y refuse, mais se résout à accepter la folie des hommes, même si elle a cessé de vivre depuis que la chair de sa chair, le fils de son homme, a décidé d’aller à l’inconnu comme d’autres vont au bureau, chaque jour qu’il peut. En face de bestias sur la tête desquelles il ne pourrait même pas manger la soupe qu’elle lui fait.
Pour tous ces fils, le combat est un pain quotidien, et c’est un mysticisme naissant qui leur tient lieu de guide et de compagnon d’infortune ou de fortune ; c’est selon.
J’aime encore ces rapports ambigus de la planète des toros, qui font d’Œdipe un torero de légende, un comédien pour tragédies exclusives.
Le novillero est le spectacle des matins d’été, quand les martinets sifflent leur poursuite effrénée dans les ruelles et que les filles boivent, seules, une orange pressée aux terrasses ombragées des cafés.


Le flamenco se découvre vers l’âge de trois ans, en disant, regard froncé, à ses géniteurs : "je serai torero, plus tard" ("ou chirurgien pour sauver des vies humaines"). Le gamin n'a alors de cesse de toréer les voitures du bout du chandail, du bout d’une voix frêle et du bout des rêves. Il n’a jamais cessé de le faire, depuis. C’est plus fort que lui, il faut qu'il fasse des passes aux voitures avec un journal, n’importe quoi. Il "flamenquise" sa vie avec une suite de "desplante" qui frisent le ridicule.
Aujourd’hui, pour être cohérent avec ses désirs, il apprend à danser le flamenco. Avec une grande professionnelle : Eva Luna. C’est son professeur de flamme. Son bonheur du lundi matin : il approche alors la danse absolue, l’art total, l’épreuve de vérité.
Avec elle, il apprendra aussi la « honra », le sens de la dignité et de l’honneur –intérieur- de soi.
Et il tentera d’atteindre le fameux « nada », soit le détachement, la mélancolie heureuse ; la volupté de toucher le sentiment profond du renoncement. A tout…
Le dépouillement extrême, le cri tu. La solitude sonore, le silence sonore aussi. Le hiératisme du mot seul, à côté duquel un haïku fait figure d'élégie grasse.
Y parvenir.
3h45 du matin. Le thé vert à la menthe est brûlant. Je reprends « Vie secrète », de Pascal Quignard dans la bibliothèque, comme on casse une barre de chocolat aux noisettes –en appuyant fermement sur la tablette, puis en ôtant le papier aluminium déchiré.
y a sa désertion. Il y a l’ivresse, l’apnée et le vertige. Il y a l’incomplétude et la vulnérabilité. Il y a la fascination et il y a la patience. Il y a le plaisir –pulvérisateur du désir, et il y a la fulgurance : le coup de feu ; de foudre. Il y a l’anagramme troublante : sidérée, désirée. Il y a le fond de ton ventre et la périphérie, où rôdent les fauves. Il y a l’espace et il y a la tanière. Il y a la connivencia et il y a l’ineffable. Il y a les nuages et il y a deux amoureux –forcément coupés du monde. Il y a le silence sonore et il y a la solitude sonore, aussi. Il y a une haie tout au bout du pré, et des grives dedans qui jailliront à ton approche. Mais il en restera toujours une ou deux pour fuir du buis et du roncier, dans un fracas de plumes et de peur, lorsque tu seras à les toucher. Ce sont tes frères d’émotion. Tes compagnons de l’aube. Toujours recommencée. Veille sur eux.
« Il n’est de vraie révolution que longue,
douce,
amoureuse ».
Le sommaire est ambitieux, les signatures prestigieuses (ph claudel, j semprun, n grimaldi, f marmande), mais la "promesse au lecteur" (la couv) affligeante.
et je ne parlerai que d'elle.
le visuel d'abord : un mec, genre top model dans la haute finance, en costume smalto, impeccablement bien sûr lui, un tiroir façon magritte en plein dans la gueule, les mains posées bien à plat (j'assure!), sur la pierre (philosophale).
conceptuel, coco... il soutient le titre du dossier : "un autre monde est-il possible?" (là, je dis bravo! un tel titre, c'est sûr, personne ne la fait ce mois-ci, même pas "jésuite hebdo", qui n'existe pas).
le cadeau, ensuite : à l'instar de fiches horoscope ou des recettes minceur, on a un morceau de l'ethique de spinoza, avec un dessin le montrant, en colette glamour,regard ingénu un chouia lolita, revue par un infographiste de la presse féminine djeune...
Puis, la titraille : "rencontre : nicole garcia et michel onfray, dialogue inattendu" -c'est , oui, le titre!...
(moi, là, je lis : même les femmes peuvent piger quelque chose à la philo, en tout cas celle d'un mec brillant/branché comme onfray, et en plus elle est actrice! c'est-à-dire limite miss france... allez-y, gueulez les filles!).
et puis, au fond, pourquoi pas, "rencontre : loana-michel serres, à botox rompu". ou bien "bhl-darty, le contrat de confiance est-il un mythe américain?" au moins, ça poserait question, con!..
puis, pêle-mêle : "débat, sylviane agacinski-marcela iacub, la fin de la domination masculine" (ça sent le scoop, moi je vous dit que ça sent le scoop).
puis : "entretien : la leçon de sagesse de marcel conche" (sans véronique et davina, non! on y a échappé quand même. et c'est même pô du bodybuilding).
enfin, "cinéma" (ah bon, ça philosophe au 7ème?) ":être sans destin", vu par jorge semprun. dak...
(rideau)
La nuit dernière, j'ai écouté en boucle Tryo, Miossec, Bénabar, Tracy Chapman...
J'ai tiré sur un grand havane en écoutant les goélands qui jacassaient sous un ongle de lune (je me serais cru à Douarnenez).
Je n'avais pas d'armagnac.
Alors je suis allé chercher ce papier dans la cave du mac, et je l'ai rouvert.
décorez-moi : j'ai vu basic instinct, deux (comme d'autres lisent deception point, ou d'autres encore vont à lourdes -pfff! les deux, à côté du grand cloué, ils sont même pas sur la photo!). sharon est toujours la plus belle blonde du monde, celle qui, par surcroît, préfère relire tout garcia marquez que se rebronzer le coeur ("car à la fin il faut que le coeur se brise ou se bronze", n'est-ce pas?), celle qui a oublié d'être tarte (et rien dans ma cuisine, hélas... mais "la chair est triste et j'ai lu tous les livres"). elle a du botox plein les nibards, une garde-robe de tarée, une coupe de cheveux qui va faire jurisprudence, un regard dévastateur ayayaye, elle fume comme un gainsbarre, conduit comme un fangio, séduit comme un don juan, mectonne les hommes, et elle possède une nonchalance attractive (genre : bon, c'est fini, ce tournage, je n'ai vraiment pas que ça à faire, moi), des plus délicieuses, au fond = elle se fout carrément du film, sharon, j'en suis convaincu. et ça, c'est vraiment fort! non, pas de décoration, finalement...
SO CRATE (ARE YOU?)
suite de la note précédente, visible sous celle-ci, si si!

Look at Socrate : c’est celui qui réagit. Donc le philosophe à l’état pur, du tungstène métaphysique trempé.
Car il réagit sans se soucier du reste. De tout le reste. Il réagit. A corps et âme perdus. Son arrogance philosophique nous dure, comme l’éclair d’Héraclite, répercuté par Char, via (ce gravos d’Heidegger), et Hölderlin. C’est bon. Ca fait un bien fou, le matin, d’y penser. Socrate ne s’inclinera jamais devant aucun pouvoir, fut-ce celui de la douleur ou encore celui de la mort (seule la ciguë aura raison de lui, mais parce qu’il aura consenti a l’absorber lui-même, en portant –seul- le poison à sa bouche). Ce mec préférait mendier que demander la faveur de vivre. Une telle fierté n’est que flamenca, de nos jours. Nietzsche l’avait perçu, qui parlait du bout des
moustaches, de philosophes fiers comme des toreros (là, tu déçois, Frédo ! Non, sans déc.’!).
Moi j’y vois la fierté de la parole donnée, la fierté de l’absence de mensonge : tu ne te respectes pas si tu ne dis pas la vérité –ta vérité, d’abord-, et si tu acceptes d’agir autrement que tu ne penses. Si tu feins de respecter le pouvoir que ta compétence n’a pas légitimé, t’es qu’un gros naze et oublie la glace, brise le miroir, ça t’évitera la honte (encore que… bref…).
Socrate ce héros, dit (tant de belles choses pour agir sur notre quotidien, qu’il devrait être mis en flacon avec vaporisateur et distribué gratuitement à la sortie des bus, des trams, des métros, des trains, des avions, des vélos et des pigeons voyageurs !) : il dit = ne manque jamais à ta parole, un homme vrai ne se dément pas, il ne renie jamais ce qu’il a affirmé. Il n’a peur de rien, pas même de la mort (Brel : « un homme qui n’a pas peur n’est pas un homme »). Il est affranchi de toute lâcheté, rien ne l’effraie comme l’injustice, mais il consentira même à s’y plier, pour prouver que la mort n’est rien. Son sacrifice me dure davantage que l’autre sur sa croix (et les deux autres qui sont même pas sur la photo, pffft !), lequel ne m’émeut pas, parce que le Gore me fait gerber et que … « Il se venge sur nous depuis deux mille ans de n’être pas mort sur un canapé » (Cioran). C’est clair !
La seule chose que je reproche à la pilule quotidienne nommée Socrate, c’est de ne pas contenir dans sa formule (j ‘ai vérifié sur le papier), un anti douleur fondamental, réputé apaiser les frustrations d'enfants gâtés que nous ommetous un jour ou l'autre : Nicolas Grimaldi, (dont je buvais les paroles lorsqu’il enseignait « Le désir et le temps » à la Fac de Lettres de Bordeaux, il y a quelque temps déjà), le résume ainsi, dans « Socrate, le sorcier » PUF : « Cette mélancolie qui vient de ce que tout nous est échec. Comme par une sorte de malédiction, notre désir n’est jamais satisfait. Jamais nous n’obtenons ce que nous attendions. Il nous suffit même de parvenir à ce que nous désirions pour qu’il ne soit plus désirable. La déception est notre lot. Cela est sans exception. Puissance, amour, plaisirs, tout tourne à dérision ». (Plus on possède plus on désire ; de sorte qu’on se trouve comme dépossédé de tout ce qu’on a par le désir de ce qu’on n’a pas). Traînons-nous comme une casserole la mélancolie de l’inaccompli ?
Personnellement, j’aimerais en finir avec l’aporétique, l’aporie, soit ce qui est sans issue. Les sans issue me gavent ! Je ne me sens pas l’âme du poseur qui s’interroge (avec un plaisir douteux) sur « le sans-issue, l’absence de conclusion positive », mais plutôt celle d'un (modeste) passeur -d'émotions, pas d'idées … Merde ! Socrate, c’est gai ! Socrate, c’est de la vitamine S ! C’est de l’agrume concentré. Croque ! Bon, d’accord, il est chiant parce qu’il dit toujours : « Non ! » avant de commencer. (J’en connais un autre, IMMENSE, Julien Gracq –j’y reviendrai souvent-, qui commence chacune de ses phrases, ou chacune des réponses à mes questions, lorsque je lui rends visite à Saint-Florent, par : « NON… ». C’est d’un chiant ! Mais je m’y suis fait, à force et par admiration : « vous êtes un lecteur militant », m’a-t-il dit une fois).
Socrate : le réfutateur te pousse à t’interroger d’emblée, sur ce que tu viens de dire. Prends ça ! Tiens, réfléchis, no repos ! Moi j’aime ça, la mouche du coche, l’empêcheur de tourner en rond, en carré, en bourrique. Enfin, bon…
Je reviendrai sur Socrate (parce qu’on revient toujours à lui, t’y peux rien, man…). Saluti, je va me faire un café et mettre therollingstonesbiggerbang. Zicmu !
(je pense tout à coup à michel onfray... vite, voir ce qu'il pense de socrate : je crois qu'il le déteste)
Socrate toujours. Comment se passer d'air? De sang? D'électricité dans les veines du cerveau et de l'âme/corps? Sans Socrate, tu meurs! Laisse Platon, son exégète, son scribe. Prends Socrate, et re-sache que tu ne sais rien. Sache que tu sais NADA. Et va nu. Sois. Deviens (si tu veux) celui que tu es, ou pense être. Deviens sage : sois ouverture, rigueur, courage, endurance, engagement, humilité. Ne déçois plus jamais. Apprends à comprendre ton être de tout ton être. Moi, un jour, je me suis dit "ptain, ces hogan elles sont trop!", et j'ai croisé un mec sans pompes, avec du journal ficelé autour des pieds. Je me suis satisfait de mes pompes. (Être riche, c'est n'avoir rien à perdre). Même si ce que j'ai dit est mon maître, et ce que je n'ai pas encore dit est mon esclave, je me sens avant tout tissé de l'étoffe dont sont faits les rêves dont je ne me souviens pas.
C'est pourquoi je regarde la lune la nuit, et pas son reflet dans l'étang ou la flaque. Je crois au réel, de moins en moins au moisi des mots consignés dans les livres.
Même les plus beaux, les plus séduisants d'entre eux, je m'en méfie à présent. Je regarde la lune, donc. Et je rigole en voyant ce con, à côté de moi, qui ne regarde que mon doigt pointé vers elle. La vie c'est ça un peu, non?
Socrate, again & again : "La seule chose que j'ai comprise est que je ne sais rien". Ptain! Arme-toi pour dépasser ça!
Un mail ensoleillé tombe à l'instant : Metro publie demain matin ma tribune sur ETA. je vais encore me faire des amis...
Je pense à un truc : plutôt que de publier par fragments (filtrés) les pages de mes carnets moleskine sur ce blog, en évoquant un improbable "journal", je publierai plutôt mon "noctal", ou mon "nuital", soit le journal de mes nuits.
La chronique de mes insomnies fécondes.
Et plutôt que de parler de journal/nuital intime, puisque de facto il ne le sera plus, cela s'appelera Noctal Extime. Voila. NOCTAL EXTIME
"La révolution se lèvera avec le soleil, camarade!", m'a soufflé (dans les bronches, un peu), mon ami Olivier.
L'amitié se mesure à l'aune de ces coups d'aiguillon-là.
Lève-toi, garçon! Regarde le soleil (derrière la pluie, sta mattino) en face, souris au jour que tu as la chance de voir se lever, imite en sifflant le chant des oiseaux qui commencent à s'apparier -les parades nuptiales vont commencer-, fais-toi un café pas trop fort, repasse-toi (fort) ce cd de reggae de folie que ta fille t'a gravé hier soir, et saute dans un jeans.
Le hammam t'attend, Mano aussi. Transpirer va t'exonérer un chouia. Ne néglige pas cela.
Bois de l'eau en pensant au désert. Aux vingt mille lieues sous la mer. Au ventre de C.
Va! Elle est, forcément, au bout de ton chemin. Dans ta voiture, toute à l'heure, chante à tue-tête, et crie : Buongiorno Bella!..
Le lieu, c’est ce blog. Le génie, c’est l’imprévu. La rencontre. Le piège, parfois. Le beau piège : le piège amoureux, celui qui tend le ressort avec le risque de se le prendre dans la gueule (tel est pris qui…). « Va vers ton risque »… Le génie du lieu, c’est le génie de l’inattendu, de l’improviste retrouvée, d’un certain naturel perdu et revenu au galop. Le génie, c’est l’échange entre Ottawa et là, entre une Roumanie imaginaire et soi. Entre toi et moi. Le génie, c’est l’art du synonyme. Sans masque. Un art nouveau.
Le génie du lieu, ce peut être aussi les arènes de Ronda, vides, et soi au centre du ruedo, des taureaux dans la tête, un dépliant d'office du tourisme déplié comme une muleta au bout des doigts, et ... Vaya! Bonito, toro, toro, bonito, anda, toro, hhooouuuiiii !..
Le lieu...
L'obscur. Ce lieu le plus obscur à l'intérieur des cornes, des yeux noirs du toro noir, du mufle, de la bave de ses lèvres, naseaux, histoires, siècles, blanche et visqueuse la bave, elle file comme l'araignée au bout d'elle-même, qui va au gré du vent. L'obscur du lieu le plus taurin. Le plus tragique, le plus extrême : celui qui pousse à bout pour rechercher le duende de verdad, le duende de nada. Ce rien qui n'est pas tout, nan! Ce rien métaphysique : le nada. Le nada. Soit le silence, le hiératisme du regard de Kristin Scott Thomas déguisée en Andalouse à mantille et abanico, pour les besoins impérieux d'un tournage à Sanlucar de Barrameda. Quelque chose comme ça.
Le nada du silence. Le nada de tes yeux, le nada insondable de cette zone noire où les poissons (en sont-ce vraiment encore?) ont des lampes charnelles et luminescentes devant les yeux... Le nada du centre de la terre se trouve -je le sais- au centre de ton ventre, au creux de tes reins, au fond de -certaines- de nos étreintes.
Sinon ce serait trop fastoche.
¡Vaya!
Voici les premières pages de Flamenca, roman, ©La Table ronde, janvier 2005.
Île de Procida, 21 septembre.
Esther étendit ses longues jambes bronzées sur la chaise, les caressa, se retourna vers la cuisine et lâcha un petit pet discret. La femme pète aussi. Il faut en accepter l’idée.
La mer cachait son jeu. Un bateau croisait au large. Ciracciello. À cette heure-là, les goélands voletaient contre le vent endormi, marchaient sur la plage en quête de miettes. Un chien famélique allait, reniflait le sable en trottant à la lisière de l’eau, se foutant des goélands.
-J’ai soif, Naphtali.
- Que veux-tu, thé ou café ?
Jamais de café, tu as oublié !
Esther sortait d’un cadran de sommeil. Douze heures de paix. Sur les traits à nouveau lisses de son visage, Naphtali pouvait lire en creux des larmes anciennes, la trace d’une crispation sèche. Elle secoua ses cheveux noirs, y noya une main pour en chasser des chauve-souris et des merles bleus. Deux braises décidées le fixèrent.
- J’y vais, j’y vais. Tu ne m’as pas dit… Ah oui, thé !
Pendant longtemps, Naphtali n’avait pu admettre que les femmes pussent mourir. Pis : qu’elles puissent souffrir avant de passer. Il aimait tellement la femme qu’il lui avait été difficile de se résoudre à cette idée jusqu’à l’âge de trente ans.
-Ne le fais pas trop fort. Tu me réveilleras ce soir pour aller dîner chez Vincenzo, dit Esther.
- Je réserverai une table contre l’eau, commanderai une dorade.
Que vas-tu faire?
- M’occuper des restes de maman. Des pêcheurs les ont remontés dans leurs filets. Ils ne savaient pas comment me le dire, alors ils sont allés les porter à la police.
Esther se tut, pleura, puis vomit et alla se coucher. Un quart d’heure plus tard, elle dormait comme un bébé et Naphtali eut à boire son thé. Il monta un drap jusqu’au cou de la belle endormie. Le soleil apparut sur l’île de Procida et l’inonda de cette lumière de l’aube dont on retrouvait la suavité à Cadaquès au crépuscule et la douceur à la plage de la Chambre d’Amour, l’hiver.
Leur mère s’appelait, s’appelle Orabuena. Orabuena Gargiulo-Bereshit. Née à Oran en novembre 1938. Son nom de jeune fille ? « Au commencement » en Hébreu. Les premiers mots de la Torah. De la Bible. Au commencement Dieu créa le ciel et la Terre. Son prénom veut dire « Heure bonne ». Bonheur. 
Au commencement était le bonheur.
LM
...Comme "il y a des jours, où l'on se sent comme un couteau sans lame auquel manque le manche" (Lichtenberg).
Cette nuit du premier avril est silencieuse comme un tombeau. "Villa Amalia", de Pascal Quignard, dort, repliée sur sa musique et les paysages sensuels de l'âme. 3h45. Je pense à l'anniversaire proche de mon fils. Je pense au flamenco à écrire et d'abord à danser, à perfectionner sans relâche : planta - tacon - tacon-planta-tacon... A mon cours de flamenco de lundi prochain. Avec Eva Luna . Ma prof de flamme (photo). Je pense au hammam, dimanche, avec M. Je pense au vieux rhum et aux filets de capitaine avec des piments-oiseaux. Je pense à la manière de préparer mon "arroz de no se que" demain : avec ou sans calmars, crevettes et chorizo?.. Je pense à l'Olympique Lyonnais. Et aux mini-poivrons. Je pense au parfum de l'amour dans les draps. Je pense aux grains de beauté de C. Je pense à la beauté horizontale. Je pense à ce verre de Pic Saint-Loup explosif, découvert à la Boucherie Roulière. Je pense à la peau du soleil lorsqu'elle enveloppe d'orange diaphane les tours de Saint-Sulpice, vers 20 heures désormais. Je pense aux huîtres hermaphrodites de Saint-Vaast-La-Hougue, des huîtres "triploïdes", sans laitance et douces douces -Saint-Vaast, où "Le Nouvel Obs" m'a envoyé samedi dernier. Et à l'île de Tatihou rejointe "à pied sec", dimanche sous la pluie, au milieu des parcs à huîtres, à l'heure où les oies bernaches cravant boivent l'apéro avec les goélands argentés; au-delà du fort et sous les vagues... Je pense à la voiture qui est très mal garée. Je pense à la maison de Freud, à Vienne, où ma fille se trouvera la semaine prochaine. Je pense à l'aube quelque part. Parce que je pense toujours à l'aube quelque part. Je suis hanté par les aubes. Et que je ne verrai pas la prochaine.
Je découvre à l'instant "Le jour à peine écrit", poèmes, 1967-1992, du grand Claude Esteban, éditions Gallimard , qui paraît le 6 avril : c'est d'une beauté fulgurante. Trois exemples, vite, sur quarantedouze (j'y reviendrai) :
(page 155) :
LIX
Je veux mourir dans tes cheveux. L'âme est trop lente ici. La chair ne connaît rien que sa blessure. Tant de nuits sans désir. Ne tarde plus. N'attends pas que ma sève se partage. Nous avions conjuré la peur. Epouse-moi. Je suis seul. Je suis nu. J'ai mangé tout le mal sur d'autres lèvres. Je veux mourir dans tes sillons.
(page 75) :
Le ciel
ouvert en deux.
Elle
sur la margelle du matin.
Danseuse blanche".
(page 15) :
"Armure du matin.
Je ne sors plus
de moi. Je traverse
mes lèvres
sans voir que le soleil
déchire l'air
les murs.
J'invente des couloirs
où le froid s'accumule
courbe
jusqu'à ce cri."
C’est un extrait de mon prochain livre, composé de miscellanées (des mélanges) :
Depuis le jour de mes vingt ans, je prends le train en conscience à travers le prisme d’un livre : la lecture des premières pages d’ « Un Balcon en forêt », de Julien Gracq, lues ce jour-là, a laissé en moi une trace profonde. Gracq y décrit un train qui serpente dans la forêt des Ardennes et qui conduit l’aspirant Grange vers une maison forestière ; siège social d’un récit qui se déroule pendant la « drôle de guerre ». Ces pages ont bouleversé ma façon de voyager et ma manière d’appréhender le déplacement en train. Je ne suis jamais plus monté dans un wagon sans penser au « Balcon », au train qui s’ébranle, au sens du mot départ –que seul celui d’un cargo peut égaler en sensations-, au paysage forestier qui défile, et au serpent de wagons que le voyageur découvre à la faveur d’une courbe longue et douce.
Cliquez dessus pour lire les tribunes que j'envoie au fameux gratuit, notamment "La peur de l'ours", parue le 21 mars. Et réagissez ici!..
Ce poème de Cendrars m'habite depuis plusieurs jours.
Il a surgi dans ma nuit comme un phare en pleine mer.
Alors "je prends mon bain et je regarde"...
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TU ES PLUS BELLE QUE LE CIEL ET LA MER
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
Il y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe Le l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la balance
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime.
Blaise Cendrars

Extrait de "Feuilles de route", in « Du monde entier au coeur du monde », Poésies complètes, Poésie/Gallimard © Gallimard Mars 2006.
Merci à Frédérique Romain de continuer de m’adresser de si précieux ouvrages. Et coup de chapeau, au passage, à la collection Poésie qui fête ses 40 ans !
Rappel : pas de saison pour la poésie. Le printemps des poètes, c'est quatre saisons par an. Peut-être cinq, d'ailleurs...
Le lui dire
Ne pas tout dire, mais suggérer. La littérature, dont c’est l’obsession originelle, n’a jamais fait autre chose pour exprimer l’amour. Dire et redire je t’aime de façon toujours différente est l’une de ses marottes. La déclaration d’amour en devient un genre. La poésie en témoigne, qui ne se trouve pas que dans le poème, mais occupe aussi le terrain de la prose. Il y a dans chaque déclaration d’amour un souci de fulgurance, de foudre, d’impact. « L’annonce faite à », doit frapper, car elle a l’ambition de ferrer, et de durer.
Ambiguïté de l’amour : le mot latin « amor » décrit à la fois le désir charnel et l’aspiration spirituelle ; et révèle ainsi la source même de ce qui nous bouleverse.


Léon Mazzella.
Journaliste et écrivain (dernier livre paru : « Flamenca », roman, La table ronde).
Tribune parue dans Metro du 17 mars dernier.
C'est ma copine Alina Reyes , avec qui je déjeunais la semaine dernière, qui m'a donné envie de monter mon propre blog. Histoire de "parler" littérature avec d'autres bloggeurs lttéraires.
Et puis d'autres choses, l'innatendu, la fantaisie du voyage en blogosphère, au gré du temps et des lectures, des échanges et des rencontres, enrichiront et fleuriront naturellement ce blog.
Je l'ai ouvert là, ce soir, avec un texte sur les premières phrases de romans, qui figure partiellement dans une mini anthologie que j'ai concoctée sur le sujet, publiée par fitway , il y a un mois environ.
Convaincu (avec Hölderlin) que c'est poétiquement que l'homme doit habiter cette terre, la part du lion sera réservée à l'émotion, qu'elle provienne d'un ciel nuageux ou de la hanche d'une belle endormie. Les sensations feront le reste. Aucune procuration ne pourra être donnée, et aucun différé admis. L'écriture veillera toujours au grain ("beauté, mon beau souci..."), et le hasard s'emploiera, comme d'habitude, à faire bien les choses -dans le désordre...
Lettre ouverte à ma fille
Ma chérie,
Nul ne souhaite la précarité de la jeunesse que le CPE induit. Ni l’épée de Damoclès que tient l’armée des employeurs. On ne peut pardonner le mépris de l’absence de consultation, en démocratie. Ni transiger avec les instigateurs du licenciement sans motif. Cependant, sur un point crucial, tu m’as éclairé, la veille de la grande manif. Comme je m’étonnais que tu n’y participes pas, tu m’exposas ton avis, que tu partages avec d’autres, dans ta classe de Première : tu ne veux pas du CPE, mais tu me dis qu’il propose peut-être aux jeunes de se donner à fond pour réussir. Qu’il est tout l’inverse d’une planque, d’une entrée directe dans un système confortable, façon fonction publique. Nombre de jeunes comme toi, armés d’une sensibilité de gauche, ont un fragment libéral courageux, qui vilipende le tout, tout de suite, le toujours plus d’avantages ; l’assistanat général. Ce goût, non pas du risque, mais de son acceptation raisonnée, te fait regarder l’avenir avec lucidité, cette « blessure la plus rapprochée du soleil » (René Char). Tu es déjà sans illusion sur le monde impitoyable qui t’attend. Il va s’agir de n’avoir pas froid aux yeux et de regarder le soleil en face. C’est pourquoi ton opinion sur le CPE s’appuie sur un sentiment sourd, sujet à caution, qui vient de la jungle : ceux qui auront le plus de « gnac » gagneront leur liberté. Je me donnerai à fond et « risquerai » de voir mes qualités et ma persévérance l’emporter. Sans porter atteinte aux autres : la jungle, oui, mais sans sa loi brutale. Les têtes brûlées, les mercenaires, mais aussi les poètes, les nomades, les philosophes comme Diogène et Socrate, ceux qui font de leur précarité une occasion de réfléchir sur soi-même, au-delà de la souffrance et de l’exclusion qu’elle génèrent, pensent ainsi. Alors oui, ma fille : apprends à compter d’abord sur toi-même, au lieu d’exiger de la société qu’elle te gave comme une oie. Contente-toi de peu et donne. Ton bonheur n’en sera que plus grand. Tu sais, je me souviens d’un sujet lumineux de culture générale à Sciences-Po : « La difficulté est créatrice ». L’imagination est fille de la crise, ma chérie. Elle n’aura jamais besoin d’antirides. Un peu comme Sharon Stone…
Léon MAZZELLA
Journaliste et écrivain (dernier livre paru : « Flamenca », roman, La Table ronde).
Cette tribune est parue dans Metro , le fameux gratuit, lundi dernier 27 mars.
Vous y trouverez aussi deux autres tribunes, consacrées à la grippe aviaire et au prochain lâcher d'ours, publiées la semaine précédente par Metro.