Flamenca (extrait)
Voici les premières pages de Flamenca, roman, ©La Table ronde, janvier 2005.
Île de Procida, 21 septembre.
Esther étendit ses longues jambes bronzées sur la chaise, les caressa, se retourna vers la cuisine et lâcha un petit pet discret. La femme pète aussi. Il faut en accepter l’idée.
La mer cachait son jeu. Un bateau croisait au large. Ciracciello. À cette heure-là, les goélands voletaient contre le vent endormi, marchaient sur la plage en quête de miettes. Un chien famélique allait, reniflait le sable en trottant à la lisière de l’eau, se foutant des goélands.
-J’ai soif, Naphtali.
- Que veux-tu, thé ou café ?
Jamais de café, tu as oublié !
Esther sortait d’un cadran de sommeil. Douze heures de paix. Sur les traits à nouveau lisses de son visage, Naphtali pouvait lire en creux des larmes anciennes, la trace d’une crispation sèche. Elle secoua ses cheveux noirs, y noya une main pour en chasser des chauve-souris et des merles bleus. Deux braises décidées le fixèrent.
- J’y vais, j’y vais. Tu ne m’as pas dit… Ah oui, thé !
Pendant longtemps, Naphtali n’avait pu admettre que les femmes pussent mourir. Pis : qu’elles puissent souffrir avant de passer. Il aimait tellement la femme qu’il lui avait été difficile de se résoudre à cette idée jusqu’à l’âge de trente ans.
-Ne le fais pas trop fort. Tu me réveilleras ce soir pour aller dîner chez Vincenzo, dit Esther.
- Je réserverai une table contre l’eau, commanderai une dorade.
Que vas-tu faire?
- M’occuper des restes de maman. Des pêcheurs les ont remontés dans leurs filets. Ils ne savaient pas comment me le dire, alors ils sont allés les porter à la police.
Esther se tut, pleura, puis vomit et alla se coucher. Un quart d’heure plus tard, elle dormait comme un bébé et Naphtali eut à boire son thé. Il monta un drap jusqu’au cou de la belle endormie. Le soleil apparut sur l’île de Procida et l’inonda de cette lumière de l’aube dont on retrouvait la suavité à Cadaquès au crépuscule et la douceur à la plage de la Chambre d’Amour, l’hiver.
Leur mère s’appelait, s’appelle Orabuena. Orabuena Gargiulo-Bereshit. Née à Oran en novembre 1938. Son nom de jeune fille ? « Au commencement » en Hébreu. Les premiers mots de la Torah. De la Bible. Au commencement Dieu créa le ciel et la Terre. Son prénom veut dire « Heure bonne ». Bonheur.
Au commencement était le bonheur.
LM