Respire à fond, ça roucoule tout autour
Les jours rallongent et les jupes raccourcissent. Les mimosas fleurissent. En ville comme à la campagne, les palombes paradent vertigineusement : les mâles montent, planent et se laissent tomber. Les femelles ne regardent même pas.
Ca vibre, le merle chante plus tôt, ça pousse. Les primeurs débarquent des cageots verts, rouges, blancs. Envie d’un œuf brouillé au beurre marin, avec le thé, ce matin. Et de respirer à fond en ouvrant les fenêtres sur le monde et en écoutant « In my secret life », de Léonard Cohen. Dans la rue, l’air est imprégné de parfums de viennoiserie. Bonheur de sortir. Je croise des odeurs de croissant comme je frôle une bourgeoise tracée au Samsara. Aspergée, plutôt. Les pas sont pressants. Le pays s’éveille. La vita e bella…
Il en va du canif comme de la flasque. J’aime sentir, calée dans la poche intérieure gauche de ma veste, ma flasque d’alcool blanc ou ambré (poire ou prune, de Brana exclusivement). Il en va aussi de la flasque comme du canif : si, par mégarde, tu réalises que tu as oublié l’un ou l’autre, il ou elle te manque terriblement, alors même que tu n’en auras aucune utilité. Si tu n’as rien à couper au couteau –ennui, saucisson, brouillard-, le canif manque malgré tout au toucher, dans la poche. La main tâtonne désespérément l’absence. Tu te sens nu. Encore plus seul. C’est paradoxal, mais les affaires intimes ne sont pas à une incongruité près. Tout alcool plongé dans une flasque subit une pression subjective de base, qui te propulse aussitôt près des Dieux, loin d’un fauteuil profond, d’une cheminée pleine et d’une musique nocturne. Ferme les yeux, chhht, tu triches pas : respire à fond ta flasque…
Pouf ! Tu peux ouvrir yeux, là : embrasse l’espace, et la montagne imaginaire. Pas celle de tes dossiers : au moins Sainte-Geneviève à Paris, la Rhune au Pays basque, le Mont-Blanc, le K2 au Népal. Imagines le plaisir de déboucher et de respirer les parfums complexes d’une poire sans accent, au moment délicieux où –dès demain matin-, le monde part bosser, et à faire une pause au-dessus de la mêlée qui fait la queue ou qui ahane, calé sur une motte d’illusions, un bouquet de paresses dans le dos, accoudé au comptoir du temps libre qui passe…
Afin d’escorter asperges ou petits pois, il m’arrive d’aller chercher un poisson d’avril chez le poissonnier, et jadis, au bout de ma soie et d’une mouche artificielle, au bord d’un lac d’altitude connu de quelques isards complices. Et là, la flasque que je cherchais dans la poche intérieure gauche de ma seconde peau –j’ai nommé ma veste-, venait récompenser une belle prise.
Le salaire de l’approche, c’était ma flasque qui me le remettait en mains propres et en liquide. Mais d’abord, par le nez, je m’octroyais licence de flairer le goulot comme on respire une fleur, un cou adoré. L’éducation du coût des choses vraies passe par là. (L’augmentation du goût de la vie aussi). Le bonheur est dans le près. Le très près. Comprenne qui sniffera.