Papier donné au spécial Pays basque de Pyrénées magazine (en kiosque tout l'été).
Terre d’écriture et d’écrivains, le Pays basque a toujours généré de la littérature et n’a jamais laissé indifférents les hommes et les femmes de plume, écrivains voyageurs du XIXème siècle ou pas, au point d’en avoir marqué certains à vie. Et de continuer de marquer leurs lecteurs. Par Léon Mazzella.
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Victor Hugo, dans son fameux « Voyage aux Pyrénées », donne le ton en affirmant, avec un enthousiasme et une assurance renversants, que « la langue basque est une patrie, j’ai presque dit une religion ». Cette déclaration servira d’étendard à une littérature de langue basque dont nous parlerons dans une prochaine édition, et qui va de Bernat Etxepare à Bernardo Atxaga et ses émules. La langue, donc. La matrice. Et l’enfance, aussi. Déterminante, l’enfance.
Voyez Barthes, Roland Barthes. Son choc bayonnais lui durera jusqu’à sa mort accidentelle : « Car lire un pays, c’est d’abord le percevoir selon le corps et la mémoire du corps. (…) Au fond, il n’est Pays que de l’enfance », écrit-il à propos de Bayonne. « Rien, par exemple, n’a plus d’importance dans mon souvenir que les odeurs de ce quartier ancien, entre Nive et Adour, qu’on appelle le petit-Bayonne »… Barthes, le Parisien et l’enfant d’Urt (où il repose), fut sensible à la lumière, « noble et subtile à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne luit pas), c’est une lumière-espace », écrit-il encore dans « Incidents », « définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l’autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu’elle donne à la terre. »
Cette déclaration d’amour, Hugo la partage, et il donna des pages inoubliables sur Biarritz : « Je ne sache pas d’endroit plus charmant et plus magnifique que Biarritz », sur Saint-Sebastien et sur Pasajes : « Cet endroit magnifique et charmant comme tout ce qui a le double caractère de la joie et de la grandeur, ce leu inédit qui est un des plus beaux que j’aie jamais vus, (…) ce petit éden rayonnant où j’arrivais par hasard, et sans savoir où j’étais, s’appelle en espagnol Pasages et en français le Passage ». À propos de Bayonne : « …Resté dans ma mémoire comme un lieu vermeil et souriant. C’est là qu’est le plus ancien souvenir de mon cœur. (…) C’est là que j’ai vu poindre, dans le coin le plus obscur de mon âme, cette première lueur inexprimable, aube divine de l’âme. »
"… et quand vous entrez dans Bayonne, l'enchantement commence."
Si Hugo a visiblement eu une histoire forte avec Bayonne, nous ne sommes pas en reste avec Pierre Loti. L’auteur de « Ramuntcho » et du « Pays basque », surtout, véritable ode à un pays adoré, regrette qu’une telle terre, si belle, soit déjà vendue à un tourisme qui néglige sa beauté, sa pureté. Loti, qui loua en 1894, puis acheta une maison au bord de la Bidassoa à Hendaye, baptisée « Bakhar Etxea » (la Maison du solitaire), et qui y mourut en 1923, sera un amoureux absolu de cette terre de recueillement, qui lui fit écrire ces textes parmi les plus profonds et les plus sentis.
Flaubert, dans son « Voyage aux Pyrénées et en Corse », est subjugué en arrivant : « … L’ennui des plaines blanches du midi vous quitte, il vous semble que le vent de la montagne va souffler jusqu’à vous, et quand vous entrez dans Bayonne, l’enchantement commence. (…) Jusqu’à présent j’adore Bayonne et voudrais y vivre ; à l’heure qu’il est je suis assis sur ma malle, à écrire (…) L’Adour est un beau fleuve qu’il faut voir comme je l’ai vu, quand le soleil couchant assombrit ses flots azurés, que son courant, calme le soir, glisse le long des rives couvertes d’herbes. » On voudrait tout citer, tant le Flaubert voyageur, à la plume étincelante, fait briller le Pays basque. Une dernière phrase : « J’étais triste quand j’ai quitté Bayonne et je l’étais encore en quittant Pau ; je pensais à l’Espagne, à ce seul après-midi où j’y fus, ce qui fait que Pau m’a semblé ennuyeux. »
Pour la distinction Basques – Béarnais, il faut lire la monumentale « Histoire de France » de Michelet (tome3) : « Le joli petit homme sémillant de la plaine, qui a la langue si prompte, la main aussi (le Basque), et le fils de la montagne ; qui la mesure rapidement de ses grandes jambes, agriculteur habile et fier de sa maison, dont il porte le nom (le Béarnais)… ».
Stendhal aussi a aimé Bayonne, ville « resserrée », note-t-il dans son fameux « Journal de voyage de Bordeaux à Valence en 1838 ». Il se promène : Saint-Jean-de-Luz, Béhobie, Fontarrabie… Remarque la beauté sauvage des femmes : « Toutes les femmes sont pieds nus, et, chose qui est étrange, par le vent affreux et la pluie qui verse à tout moment, elles sont nu-tête. Leurs cheveux forment une tresse qui descend presque jusqu’aux jarrets. »
"… elle frémit encore, mais de plaisir."
Hippolite Taine, dans son « Voyage aux eaux des Pyrénées » illustré par Gustave Doré (1855), souligne la gaîté et le caractère espagnol de Bayonne, mais semble chagrin à la vue de la mer qui « ronge la côte » à Biarritz, et où « un mauvais gazon troué et malade » froisse son plaisir. À Saint-Jean-de-Luz, l’océan devient « un Dieu lugubre et hostile, toujours grondant, sinistre… ». Plus loin (il semble de meilleure humeur), « la mer sourit dans sa robe bleue, frangée d’argent, plissée par le dernier souffle de la brise ; elle frémit encore, mais de plaisir… »
Laissons-le et prenons le « Voyage en Espagne » de Théophile Gautier (1840), qui note : « Des torrents capricieux comme des femmes vont et viennent… », et qui est surpris, du côté d’Urrugne, par la « physionomie sanguinaire et barbare (des maisons) due à la bizarre coutume de peindre en rouge antique ou sang de bœuf les volets, les portes et les poutres… ».
Viollet-le-Duc, à qui l’on doit le château d’Abbadia (1870), parcourt l’arrière-pays, et nous lisons dans ses « Lettres » de 1833 (à son père notamment), rehaussées d’aquarelles célèbres, qu’il randonne souvent du côté de Bidarray, du Pas de Roland, de Baïgorry aussi. Il admire la Nive, porte un regard de peintre sur les paysages, mais sait aussi relever, du côté d’Itxassou, la force de la gastronomie locale : « Nous arrivâmes à une auberge ; la femme de l’aubergiste seule comprenait le français, et nous lui demandâmes du vin et de la soupe ; toute la cuisine basque des paysans (qui se borne à très peu de choses) est poivrée de manière à emporter la bouche, leur vin même semble avoir un goût de poivre ou de piment. »
Prosper Mérimée visite une première fois le Pays basque en 1830. L’auteur de « Carmen » tombera amoureux de Sainte-Engrâce notamment, sera très ami avec Eugénie de Montijo et écrira des lettres magnifiques qui flattent l’âme du pays : « Nous autres gens du Pays basque, nous avons un accent qui nous fait reconnaître facilement des Espagnols ; en revanche, il n’y en a pas un qui puisse seulement apprendre à dire baï, jaona. Carmen donc n’eut pas de peine à deviner que je venais des provinces…. », écrit-il en 1861. Le regard du voyageur du XIX ème siècle est donc changeant. Paul-Jean Toulet est autrement délicat dans ses « Contrerimes », et son admiration poétique du pays et des gens qui l’habitent est un chef-d’oeuvre de tact. « Bayonne ! Un pas sous les Arceaux, /Que faut-il davantage / Pour y mettre son héritage / Ou son cœur en morceaux. »
"… pour juger, pour aimer, il faut venir et rester…"
Jules Supervielle possède peut-être autant de délicatesse, avec la fin de ce poème intitulé « Coucher de soleil basque » : « C’est l’heure où, chaque jour, dans une étreinte pure / La Montagne et le Ciel mêlent leurs chevelures ».
Plus près de nous, divers auteurs comtemporains comme Florence Delay, une enfant de Bayonne, qui a notamment donné le roman « Etxemendi », Philippe Djian, qui a signé « Impardonnables », vécut un temps à Biarritz et qui déclare « j’ai l’impression d’avoir trouvé mes racines au pays basque », Jean Echenoz, qui y fut en immersion à la faveur de l’écriture de son « Ravel », Marie Darrieussecq, une autre Bayonnaise qui évoque son pays natal à l’occasion (« Précisions sur les vagues »), ou encore Daniel Herrero, qui sait décrire avec un style inimitable les rugbymen basques, dans son « Dictionnaire amoureux du rugby », prolongent la prose empathique d’un Joseph Peyré, d’un Pierre Benoît ou encore d’un Francis Jammes, même si ce dernier est moins subtil peut-être que Toulet - tous sont amoureux de leur terre. Et l’on s’aperçoit alors que les écrivains locaux (mais pas de langue Basque – objet, nous l’avons dit, d’une prochain article), comme les écrivains voyageurs qui se retrouvent à aimer le Pays basque, rivalisent d’enthousiasme pour cette terre que Roland Barthes invite à ne pas trop photographier, car « pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières ». L.M.
Bibliographie :
Roland Barthes, « Incidents », Seuil.
Victor Hugo, « Voyage aux Pyrénées. De Bordeaux à Gavarnie », Cairn.
Pierre Loti, "Ramuntcho", « le Pays basque », Aubéron.
Michelet, « Histoire de France », t.3, Les Equateurs.
Stendhal, « Journal de voyage de Bordeaux au Pont du Gard", Pimientos.
H.Taine, « Voyage aux eaux des Pyrénées », Hachette.
T.Gautier, « Quand on voyage », Lévy frères.
Viollet-le-Duc, « Lettres », Amis du musée pyrénéen.
P.Mérimée, « Lettres d’Espagne », Complexe.
P-J. Toulet, « Les contrerimes », Poésie/Gallimard.
J.Supervielle, « Poèmes », Gallimard.
F.Delay, « Etxemendi », folio.
P.Djian, « Impardonnables », folio.
J.Echenoz, « Ravel », Minuit.
M.Darrieussecq, « Précisions sur les vagues », POL et « La mer console de toutes les laideurs », Cairn.
D.Herrero, « Dictionnaire amoureux du rugby », Plon.
J.Peyré, « De mon Béarn à la terre basque », Marrimpouey.
P.Benoît, « Le Pays basque », Nathan.
F.Jammes, « de l’angélus de l’aube à l’angélus du soir », Poésie/Gallimard.
Ernesto de Iruña
Papa Hem’ (Ernest Hemingway) aura fait davantage pour « las Sanfermines » (les fêtes de Pampelune), qu’aucun office de tourisme ou campagne de pub aurait pu faire, et ça continue ! La chambre qu’il occupa entre 1923 et 1959 (il participa neuf fois à la feria des ferias) à l’Hôtel La Perla – conservée dans son suc - est réservée pendant les fêtes jusqu’en 2050. Sa statue trône devant les arènes qui accueillent vers 7h06 les toros de l’après-midi, à l’issue d’un encierro quotidien, au cours de la semana grande (qui se tient traditionnellement du 7 au 14 juillet), et que d’aucuns pensent courir comme Hemingway le fit - ce que personne ne peut affirmer (y compris son biographe d’entre les biographes, A.E. Hotchner, lequel, du bout des lèvres semble-t-il, murmure dans « Papa Hemingway », que dans son jeune âge, Hemingway avaitcouru devant les taureaux…) ; et ce au péril de leur vie. Et les coups de cornes sont généreux, qui frappent à l’occasion des citoyens américains aficionados à leur auteur favori davantage qu’a los toros. Il n’empêche ! La légende Hem’, car l’auteur de « Le soleil se lève aussi » - the livre sur Pampelune ! (et de « Mort dans l’après-midi » aussi), a la peau dure. Papa Hem’ suivit également quelques corridas bayonnaises, mais c’est Pamplona qui l’ancra dans la fête, son esprit, ses beuveries, son débridé païen, son culte du toro-toro, ses mines d’écriture que tout cela engendra – pour notre bonheur de lecteurs. L.M.
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A.E. Hotchner, « Papa Hemingway », éd. Calmann-Lévy.
Edmond d’Arnaga
Edmond Rostand, né à Marseille, où il repose, et mort de la grippe espagnole à l’âge de 50 ans à Paris en 1918, n’aura rien écrit sur le Pays basque, et pourtant, avec sa fameuse et somptueuse résidence Arnaga, située à Cambo, ce Rostand-là fait partie du paysage littéraire régional. Le génial auteur d’un des textes les plus beaux de la langue française, doublé d’un des textes porteurs d’une morale humaine difficilement dépassable – Cyrano de Bergerac -, s’il avait écrit sur le Pays basque, aurait certainement donné des pages étincelantes. C’est le Luchonnais, où il résida dans sa jeunesse, qui l’inspira davantage. Et c’est en convalescence d’une pleurésie, à Cambo en 1900, qu’il est séduit par le pays et fait édifier Arnaga, devenue Musée Edmond Rostand : www.arnaga.com L.M.