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Le soleil de Camus

"Nous sommes partisans après l'incendie d'effacer les traces et de murer le labyrinthe. On ne prolonge pas un climat exceptionnel". René Char

Je feuillette le dernier "Magazine littéraire" , consacré à Albert Camus, et je me souviens de l'obsession du soleil, dans "L'Etranger" bien sûr (si Meursault tue, c'est à cause du soleil). Je repense à "Noces", à "L'Eté" -et en particulier au "Minotaure ou la halte d'Oran" et à "La mer au plus près"-, au "Malentendu", enfin... A cette omniprésence d'un soleil planté comme un personnage de roman.
A ce soleil dont Camus écrivain est toujours flanqué.
Le soleil ne coulait pas de sa plume, non, mais comme il signifie à la fois le bonheur et le risque, dans son oeuvre, le "Magazine" a raison de préciser que dans chacun de ses livres, le bonheur n'est si précieux que parce qu'il côtoie toujours la tragédie.

Je reprends les deux Pléiades, cherche "L'Eté", tombe sur cette dernière phrase de "L'Enigme", dont je ne me souviens absolument pas : "Oui, tout ce bruit !.. quand la paix serait d'aimer, et de créer en silence. Mais il faut savoir patienter. Encore un moment, le soleil scelle les bouches".

Je poursuis le feuilletage : "A midi, sous un soleil assourdissant, la mer se soulève à peine, exténuée. Quand elle retombe sur elle-même, elle fait siffler le silence. Une heure de cuisson et l'eau pâle, grande plaque de tôle portée au blanc, grésille. Elle grésille, elle fume, brûle enfin. Dans un moment elle va se retourner pour offrir au soleil sa face humide, maintenant dans les vagues et les ténèbres" ("La mer au plus près").

"La Méditerranée a son tragique solaire qui n'est pas celui des brumes. Certains soirs, sur la mer, au pied des montagnes, la nuit tombe sur la courbe parfaite d'une petite baie et, des eaux silencieuses, monte alors une plénitude angoissée" ("L'exil d'Hélène").

"Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil" ("Noces à Tipasa").

Relire Camus... Au lieu de l'abandonner, de le ranger. Au lieu de le bouder de façon idiote, voire snob, en pensant superficiellement qu'il est ce "philosophe pour classes terminales" (dixit feu mon ami Jean-Jacques Brochier, dont c'est le titre d'un de ses essais les plus marquants), qui ne mérite aucun égard, d'autant qu'il est par ailleurs un auteur classique. Donc devenu sujet (de bac et) à caution. Comme St-Ex. et Hemingway, avec "Le Petit Prince" et "Le Vieil homme et la mer" : les chefs d'oeuvre finissent par nous faire l'économie de la lecture de l'oeuvre dont ils sont issus; extraits. Aussi efficacement que l'adaptation cinématographique d'un roman nous empêche d'aller -ou de retourner-, au texte.

Vivre à l'ombre de "L'étranger" quand on s'appelle "Noces", suivi de "L'été", est difficile. (C'est pourtant le meilleur de Camus).

Relire Camus pour le soleil, l'humanisme, la belle prose de l'essayiste ("L'Envers et l'endroit", "L'homme révolté"), l'efficacité du novelliste au vocabulaire simple ("La Chute", "L'Exil et le royaume"), l'épaisseur du romancier ("La Peste")...

Et se souvenir de son ami Char : "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil".

(Photos : Tipasa, le théâtre. Albert Camus. Plage en Méditerranée).

 

 

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