Le candélabre
C'est l'un des plus beaux passages du Roi des Aulnes, de Michel Tournier, qui vient de nous quitter. Page 223 (en collection Blanche, de 1970), voici que l'ogre de Rominten, qui figure Göring, grand amateur de chasse, de venaison, de grands vins de Bourgogne et de Bordeaux, et aussi d'excès en tous genres, se trouve face à un grand cerf, le Candélabre :
L'un des plus nobles Reichjägermeisterhirsche était à coup sûr le Candélabre dont l'Oberforstmeister tenait la chronique presque mois par mois, et qui promettait de devenir le roi des hardes de Rominten. Un soir que Göring, emmitouflé comme un ours, piétinait lourdement dans la neige molle pour relever des traces de loups qu'on lui avait signalées, le Candélabre surgit, comme une apparition, dans un entrelacs de rameaux givrés. Sombre statue d'ébène, il portait haut sur son encolure musculeuse un buisson de vingt-quatre andouillers distribués aussi régulièrement que les nervures d'un cristal de glace. Il était grand et droit comme un arbre, un arbre vivant et respirant, aux oreilles dardées, aux yeux clairs comme des miroirs, qui faisait face aux trois hommes. Les bajoues du grand veneur se mirent à trembler.