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  • Ne pas savoir

    J’interromps un texte, prends l’air, reviens avec une brouette de bûches, saisis un livre que je ne connais pas (je ne suis pas chez moi), tombe sur cette parole de Salomon, placée en exergue du second chapitre du Salon du Wurtemberg, de Pascal Quignard : « Il y a quatre choses que je ne sais pas : le chemin de l’aigle dans le ciel, le sentier du serpent sur le rocher, le chemin du navire en haute mer, le sentier du nom d’un homme dans le cœur d’une femme ». La vache...

  • Droit dans les âmes



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    Comme il est pervers et déloyal de dire : "J'ai préféré me comporter franchement avec toi." Que fais-tu, homme? Il ne faut pas dire cela d'avance. La chose apparaîtra d'elle-même. Ces mots doivent immédiatement être écrits sur ton front; ils se révèlent immédiatement dans tes yeux, comme l'aimé reconnaît immédiatement, dans le regard de ses amants, tout ce qu'ils éprouvent. Il faut absolument que l'homme sincère et bon soit comme celui qui sent le bouc, pour que, volontairement ou non, le passant s'en aperçoive dès qu'il s'approche.  Mais l'affectation de simplicité est comme une épée "cachée"; rien n'est plus honteux que l'amitié des loups : avant tout, évite-là. L'homme bon, simple et bienveillant porte ces qualités dans son regard, et elles n'échapent à personne.

    Marc-Aurèle
     
    Caetano Veloso, Cuccuruccu paloma

  • ELLE



    « Elle est étrange cette soif de se confesser, de demander pardon à quelqu’un par l’intermédiaire d’un livre…
    Je ne dis pas seulement cela pour m’excuser. Les indiscrétions criardes de certains écrivains dans leurs livres sont peut-être un hommage à la femme qu’ils ont aimée et que souvent sans le vouloir ils ont fait souffrir. Comment mieux demander pardon, comment rendre un plus bel hommage à l’objet de leur amour, comment le faire de manière plus éclatante et plus sincère qu’en écrivant ?...
    Peut-être qu’à l’origine de mon livre, il y a le besoin de demander pardon à Ileana. Noces au paradis : il me semble que ce titre en dit assez… J’espérais qu’au moins ce livre racontant notre histoire, s’il tombait un jour  sous ses yeux, la persuaderait de revenir…
    Je l’attends. Parfois je m’imagine, vieux, seul au milieu de mes livres, penché sur la même table, tel qu’Ileana m’a vu tant de fois, des nuits d’affilée. Et j’imagine alors que quelqu’un frappe à la porte, que je vais ouvrir distraitement et que je la trouve sur le seuil. J’y pense constamment… »

    Mircea Eliade, Noces au paradis, (L'Imaginaire/Gallimard)


     

  • Pensées au-delà des nuages

    Marc-Aurèle, Pensées, Livres VII et IX (folio) : "Comprends-le bien, sois sensé; tu peux revivre. Vois à nouveau les choses comme tu les voyais; car c'est cela revivre".

    "Ne pas penser aux choses absentes comme si elles étaient déjà là; mais parmi les choses présentes, tenir compte des plus favorables et songer à quel point tu les rechercherais, si elles n'étaient pas là. Prends garde aussi de ne pas t'habituer à les estimer au point d'y prendre un tel plaisir que tu sois troublé si elles disparaissaient".

    "Fais toi une parure de la simplicité, de la conscience, de l'indifférence envers tout ce qui est entre la vertu et les vices. Aime le genre humain..."

    "Le corps lui aussi doit être ferme et ne doit pas se laisser aller ni dans son mouvement ni dans son attitude. Comme la pensée donne à la physionomie et lui conserve un aspect intelligent et distingué, il faut l'exiger aussi du corps tout entier. Il faut en cela se garder de toute négligence".

    "...Ne te suffit-il pas d'avoir agi selon ta nature propre? Demandes-tu encore un salaire? C'est comme si l'oeil demandait un don en retour parce qu'il voit, ou les pieds, parce qu'ils marchent. De même que ces organes, faits pour un but déterminé, reçoivent ce qui leur est dû dès qu'ils agissent selon leur nature propre, de même l'homme, qui par nature est bienfaisant, dès qu'il accomplit un acte de bienfaisance ou qu'il apporte autrement son aide en des choses indifférentes, agit pour la fin pour laquelle il est fait, et il a son dû".

    Philippe Jaccottet, Ce peu de bruits (Gallimard) : "D'avoir marché sous ses arbres, on aurait ses manches trempées; mais nullement de ces larmes des poètes d'Extrême-Orient qui pleurent une absence ou une trahison".

    "Un peu avant huit heures, la couleur orange, enflammée juste au-dessus de l'horizon, du ciel qui s'éclaircit et où, plus haut, luit le mince éperon de la lune. Il ne fait pas très froid.
    Cela aide le corps à se démêler du sommeil, et l'esprit à se déplier".

    "La pluie froide comme du fer".

    "A cinq heures et demie du matin, sorti dans la brume d'avant le jour, j'entends le rossignol, le ruy-señor espagnol, l'oiseau dont le chant est un ruisseau". 

    Ramuz, Aline (Le livre de poche):  "Ses yeux étaient redevenus clairs comme les lacs de la montagne quand le soleil se lève".

     

     

     

     

  • Le coucou

    Il ne s'agissait pas d'un acouphène. A l'intérieur de mon coeur, ce matin à l'aube, à Paris, j'ai entendu le coucou annoncer le printemps. Il m'a chuchoté : "va, sors, le froid est une vue de leur esprit. Il est arrivé, te dis-je, te coucoutes. J'ai dormi sur une branche de ton arbre intérieur. Il craquait de mille bourgeons, serti dans les cerceaux de ton accueillante cage thoracique, tandis que tu rêvais de marais brumeux et de volées de sarcelles rasant le fleuve proche".

    Aussi me suis-je levé d'un bond. A la petite glace ronde de la salle de bain, mon sourire imposait sa maîtrise. Douche. Cafés serrés. Je suis sorti doucement afin de ne pas réveiller mon fils et sa petite amie. Le soleil envahissait la rue. Le marché était gai. Paris me plût. J'ai fait des courses pour un déjeuner canard et pour un dîner agneau. Cèpes, pâtes fraîches, fruits de toutes sortes pour une grande salade. Tout semblait participer de ce renouveau, en dépit des giboulées et de ce grand vent qui chasse les nuages comme Orion les fauves et le Hollandais Volant les idées noires. L'éternité pesait moins qu'un jour...

     

  • Tauromagia

    De Capote, c'est le titre de ce morceau extrait de Tauromagia, de Manolo Sanlucar. Demain j'aimerais bien être à Arles. A propos, dans Le Monde daté d'aujourd'hui, évitez le portrait insipide de Juan Bautista par ... Francis Marmande. Première fois, pour moi, qu'il trempe sa plume dans du jus de navet. ¡Que pasa, Francis! T'as la grippe ou quoi?


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  • L'accent proustien de Faulkner

    ... "tandis que derrière la fenêtre de la voiture-salon le paysage défilait et leur procurait cette inoubliable excitation des premiers voyages, cet amenuisement du moi, ce sentiment d'isolement et de séparation que nous éprouvons lorsque pour la première fois, nous admettons l'évidence irréfutable de la nature sphérique de la Terre alors même que mentalement nous retombons à quatre pattes pour mieux nous cramponner, décontenancés que nous sommes par la rupture de l'armistice conclu avec l'horreur de l'espace."

    William Faulkner, "Le Caïd" (in "Idylle au désert et autres nouvelles", folio) 

  • Le nom de Guermantes dans Paris mouillé

    ... "Mais même en dehors des rares minutes comme celles-là, où brusquemment nous sentons l'entité originale tressaillir et reprendre sa forme et sa ciselure au sein des syllabes mortes aujourd'hui, si dans le tourbillon vertigineux de la vie courante, où ils n'ont plus qu'un usage entièrement pratique, les noms ont perdu toute couleur comme une toupie prismatique qui tourne trop vite et qui semble grise, en revanche quand, dans la rêverie, nous réfléchissons, nous cherchons pour revenir sur le passé, à ralentir, à suspendre le mouvement perpétuel où nous sommes entraînés, peu à peu nous revoyons apparaître, juxtaposées mais entièrement distinctes les unes des autres, les teintes qu'au cours de notre existence nous présenta successivement un même nom." Marcel Proust, "Le Côté de Guermantes".

  • Bolaño

    Il n'est pas fréquent de relever un papier d'un confrère au point d'avoir envie de le reproduire ici. Ainsi de l'attaque vertigineuse du papier que Philippe Lançon (Libération des Livres d'hier) consacre à ce monument de la littérature chilienne contemporaine qu'est Roberto Bolaño ("2666", qui paraît chez Bourgois, comme 9 autres livres déjà. J'ai commencé le copieux "Les détectives sauvages" : quelle force!) :
    "Si le foie est l'organe de la mélancolie, c'est parce qu'il est l'encrier d'un autre destin. L'expérience s'y dépose, l'écrivain fait sa joie : c'est le pays où les vies ont une seconde chance, celle de l'imagination". Superbe, non?

  • L'Avventura

    477693337.jpgSandro (Gabriele Ferzeti) : Rejoins-moi sur la place.

    Claudia (Monica Vitti, sublime de beauté, d'amour, de remords et de mélancolie) :  D'accord.

    Quand tu sors sans moi, il te manque une jambe.

    Visite la ville seul!

    Tu boiteras!

    Dis que tu veux enlacer mon ombre sur les murs!

     

  • De Neruda



    QUELLE COULEUR

    A LE PARFUM

    DU SANGLOT BLEU

    DES VIOLETTES?

    Pablo Neruda 

     


     

    les bachianas brasileras, de villa-lobos, reloaded par wayne shorter : ça change de la voix sublimement tremblée de victoria de los angeles


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  • L'amour selon Conche

    Marcel Conche, philosophe, prof à la Sorbonne, spécialiste de Montaigne, Héraclite, Heidegger, Epicure… avait oublié un cahier, rédigé il y a 37 ans. Un cahier de pensées éparses, de fragments ayant l’amour pour thème. Il l’a retrouvé. Et un éditeur nantais singulier, les éditions Cécile Defaut. Sans accent sur le « e » (mais comment Cécile pourrait-elle en avoir ?!..) a accepté de le publier. Cela vient de paraître sous le titre stendhalien : « De l’amour ». Sous-titre : « Pensées trouvées dans un vieux cahier de dessin ». Et c’est délicieux. Extraits :

    Aimer et être aimé, c’est ne plus mourir seul : quelqu’un d’autre meurt avec vous, c’est-à-dire ne fait plus que vous survivre. Ou bien vous, à sa mort, devenez comme mort.
     
    ... Il est aussi un amour qui est pur besoin de l'autre, besoin d'être avec lui dans une sorte de proximité absolue et silencieuse. On peut l'éprouver pour une femme. Quand on est près d'elle, on a besoin de la toucher, de lui parler, de faire quelque chose. Mais rien de ce que l'on peut faire ne nous satisfait entièrement : c'est que notre amour n'est rien de plus qu'un besoin de proximité absolue. On voudrait n'être séparé d'elle que juste ce qu'il faut pour sentir que l'on n'est pas séparés. On voudrait qu'elle et nous restions comme immobiles à la pointe d'une extase de réciproque appartenance.
     
    Aimer : donner, se donner –jusqu’à ne rien garder : ce que l’on avait de plus précieux nous quitte. On se dépouille de tout, comme par la mort.
    La mort nous prive de tout ; par l’amour, on se prive de tout.

    La joie d’amour : joie de penser à ELLE, joie plus grande de la voir, de la revoir, plus grande encore d’être avec elle.

    Aimer un être, c’est le vouloir fidèle à lui-même, à la vérité qu’il porte en lui. « Sois celui que tu es » : ainsi parle le véritable amour.

    L'amour rend même l’aimant aimable : il élève, ennoblit, transfigure. Ainsi pour celle qu’on en vient à aimer parce qu’on aime l’amour qui est en elle.

    Quand je t’aime, je ne peux plus dire que je te regarde : nous ne sommes pas deux ; à travers mon regard, je suis avec toi et non en face ou devant.

    ... L’amour, en l’absence de l’objet aimé qui, par sa présence, le fait vivre, le nourrit, le remplit, fait souffrir parce qu’il se défait. La sombre et farouche peine de l’amoureux privé de la vue de l’aimé exprime l’infinie tristesse de la vie à qui est refusé l’accomplissement et qui meurt en se déchirant.

    La femme n’aime pas que les choses soient dites. Celles qu’elle veut, elle n’aime pas dire qu’elle les veut ; mais elle veut bien qu’on les veuille pour elle.

    « L’amour se mesure à ce qu’on accepte de lui sacrifier. » (Geoffrey, dans le film Pandora).


  • Macha Méril

    Papier qui paraît cette semaine dans le magazine "Maisons Sud-Ouest" :


    « Ma maison, c’est la Beauté »
    Le méridien de Greenwich de Macha Méril, comédienne, écrivain*, n’est ni en Italie, où elle chercha un temps la maison de ses rêves, ni à Paris où elle vit. C’est dans la campagne de Montréal du Gers qu’il fixe. Le hasard l’y a conduit une journée d’août 1999. Macha accompagnait un ami qui cherchait une maison à acheter pour lui. Le coup de foudre la saisit à la vue de cette imposante ferme du XVII ème siècle, modeste, généreuse, en pierre noble. Avec dépendances diverses : chai, bergerie. Arbres centenaires. Voisinage discret. Vue à 360° sur une campagne de douceur. Achat immédiat ! Neuf ans après, la propriété vit et remplit pleinement son office de maison de famille et d’amis. Le chai a été transformé en immense salle de fêtes et de réceptions. Macha adore faire la cuisine et recevoir. Il y a de nombreuses chaises, un piano à queue, une immense table, une baie vitrée qui ouvre sur un vrai pré. Les arbres veillent. Ce sont de vieux chênes noirs bien enracinés, épargnés par la tempête de décembre 1999. Les arbres du bonheur et de la sagesse. Macha les caresse, les embrasse. Une tradition russe. « Ils gardent ainsi leur pouvoir de vous aider à vivre ». Rappellent à Macha Méril les récits ukrainiens de sa mère. Le paysage environnant lui évoque ceux que Vinci, Giotto et Della Francesca ont peints. Rien de moins. Le Gers est sa terre élue. Macha Méril devait trouver sa maison en France, car c’est le pays qui a sauvé sa famille. Le Sud-Ouest la fascine : « c’est la dernière poche du pays qui a gardé son caractère rural et austère. La pauvreté l’a sauvé en lui épargnant les ors dont le Sud-Est a été chargé. Le développement industriel l’ayant effleuré, le Gers est resté modeste. Le boom des années cinquante lui a fait éviter la lèpre du béton. Ses routes sont sinueuses. Un fait exprès pour perdre le visiteur, lui signifier qu’arriver ici se mérite ». La paix, c’est ici qu’elle la trouve lorsque le théâtre lui laisse du répit. Le calme nécessaire à l’inspiration, à l’écriture, c’est ici qu’ils s’épanouissent ; à l’intérieur d’elle. Sa patte marque sobrement chaque pièce, chaque objet. Si elle l’a ouverte davantage à la lumière, elle a su respecter l’esprit d’une maison qui semblait l’attendre. « J’ai senti qu’elle me priait de la prendre en charge. Je l’ai transformée pour moi et pour ceux qui y vivront bien après. J’ai un discours d’immigré : j’éprouve le besoin de filiation générale, pas seulement familiale. Je transmettrai, mais à l’inconnu, au monde, une maison choisie librement, pas subie par un héritage ». Macha n’a pas cherché à tordre la maison vers elle. Elle s’est adaptée à l’esprit du Sud-Ouest qui se dégage de la région de Montréal et de cette propriété. « Ma chance est d’avoir pu rester longtemps pour les travaux de rénovation, avec les artisans du secteur. Il s’est établi un vrai dialogue avec ma maison. J’ai attendu qu’elle me dise ce qu’elle voulait, ne voulait pas . C’est la maison laïque du coin. Je ressens ses ondes positives. Elle a sans doute appartenu à un alchimiste, lorsque les caravanes de religieux italiens comprenaient savants, artistes et un être du Bizarre. Ce lieu a d’ailleurs correspondu avec ma soudaine fécondité littéraire et ma sérénité accrue ». Vous avez dit bizarre…

    L.M.
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    *Elle triomphe actuellement au Théâtre Antoine, à Paris, dans « L’importance d’être constant », d’après Oscar Wilde. En tournée dans le Sud-Ouest, elle se produira à Toulouse Blagnac (Odyssud) les 3 et 3 avril, à Mont-de-Marsan (salle François Mitterrand) le 7, à Biarritz (Atalaya) le 8 et à Bordeaux Mérignac (au Pin-Galant) les 26 et 27 mai.
    Elle vient de publier un récit émouvant et fort, « Un jour, je suis morte » aux éditions Albin Michel, et récemment un album délicat, « Sur les pas de Colette », aux Presses de la Renaissance.


  • Chants russes


    Je me trouvais dans la taïga russe pour plusieurs concerts exceptionnels, que devaient donner les coqs de bruyère, dont c’était la saison des amours ; et donc des chants nuptiaux. Ils sont abondants en Russie, aussi bien les grands coqs, ou grands tétras, que les petits, les tétras-lyre.
    C’était la fin du mois d’avril. J’occupais une petite cabane en forêt sans eau ni électricité, avec une table pour lit sur laquelle je déroulais un sac de couchage. Un guide venait me chercher à minuit et nous partions pour plus de quatre heures et demie de marche, à la rencontre de la première braise de l’aube. Nous marchions d’abord dans une épaisse forêt de bouleaux, au sol spongieux et même élastique par endroits, comme un matelas ondulant tout autour, une zone tavelée de mares et de trouées en friche. Puis c’était la colline, les bouleaux laissaient place aux sapins et le sol spongieux à un sentier enneigé. La colline devenait montagne. La neige illuminait la nuit noire sous un ciel d’aiguilles au bout des branches. Nous marchions en silence jusqu’à ce que l’on entende, vers quatre heures du matin, le premier grand tétras s’envoler au-dessus de nos têtes. Là nous nous arrêtions instantanément de marcher et presque de respirer. Le faisceau de la lampe de poche dirigé vers ce pas et le suivant était aussitôt éteint. Tout autour, il y a une neige molle, de faibles névés, une terre noire et grasse, une herbe haute que l’on devine jaune, un silence impeccable et un paysage qui évoque l’inconnu majuscule. Un paysage sauvage qui se situe entre les travellings de « La guerre du feu », le film d’Annaud, et ceux des films de Nikita Milkhalkov (« Les yeux noirs », « Soleil trompeur »…)…
    Il s’agit alors de suivre le vol du coq qui s’envole et de repérer l’arbre où il se branche à nouveau et d’attendre patiemment qu’il consente à entamer un nouveau chant nuptial. Ou d’en choisir un s’il y en a plusieurs et se diriger vers lui. La danse avec les coqs commence. Une danse dirigée par l’oiseau, qui est à la fois soliste et chef d’orchestre. : le grand coq, lorsqu’il chante amoureusement, entame un couplet : toc-toc-toc, qui ne l’empêche nullement de voir et d’entendre. Le mélomane qui assiste à cet étrange récital doit alors rester parfaitement immobile. Le coq connaît bien son territoire et il est doté d’une vue et d’une ouïe redoutables. Puis, c’est la seconde étape de son chant, qu’il faut guetter : le chant devient un long sifflement précédé d’un ploc qui doit agir comme un signal de départ pour l’homme qui souhaite l’approcher de plus près. (Tout le jeu consiste au fond à approcher l’oiseau le plus près possible et à voir ses yeux à l’œil nu ; sans l’aide de jumelles). C’est à ce moment très précis que le couple guide - photographe (ou simple observateur sans optique) entame sa danse particulière. Ils doivent parfaitement coordonner leurs mouvements et au besoin, se tenir par une manche, afin d’avancer avec une infinie prudence en propageant par la main chaque arrêt et chaque démarrage. Avancer, c’est faire deux pas tout au plus, tandis que le coq exécute cette dernière partie –extrêmement brève- de son chant d’amour, au cours de laquelle  on le dit sourd et aveugle.
    Pas de deux !
    Aussitôt après la note finale, l’homme doit impérativement s’immobiliser, même s’il a un pied en l’air, une jambe dans l’eau et le chapeau accroché à une branche. Souvent, il prend involontairement la position (plus ou moins) gracieuse d’un danseur étoile des Ballets du Bolchoï, les bras écartés, un pied en arrêt, la tête tendue… D’où la chorégraphie. Puis, le danseur attend que le coq chante à nouveau et le ballet recommence, en trois temps : immobilité, un pas de deux. Immobilité. Et ainsi de suite…
    Cette danse avec le coq que l’on a choisi d’approcher jusqu’à lui voir le blanc de l’œil en même temps que la tâche blanche du défaut de son aile ou épaule (ça, c’est le but suprême) est excitante,  car la moindre faute de synchronisation avec le chant et c’est la catastrophe. Rideau ! Le maître s’envole, le spectacle est interrompu. L’approche devra continuer plus loin, plus tard, avec un autre coq…
     
    Une nuit sur deux, nous contournions la place de chant des grands tétras parmi les sapins et nous partions à la rencontre des tétras-lyre. Pour cela, il faut marcher moins longtemps en forêt –environ deux heures -, et sortir en plaine jusqu’à un abri sommaire fait de branchages bas ; installé en plein milieu d’un champ. Arrivés là (il n’était pas trois heures du matin) nous nous installions pour dormir un peu,  recroquevillés dans ce mètre carré pourvu de suffisamment de paille pour nous chauffer ; en attendant la première pointe d’avant - aube. Il s’agit –pour les grands comme pour les petits tétras, d’arriver sur les places de chant longtemps à l’avance et le plus discrètement possible. Afin de se fondre dans le paysage, dans le premier cas, et pour faire corps avec la nature dans le second. Ceci afin de ne pas effrayer ni perturber les oiseaux à une période sensible  et sublimée de leur vie.
    Tout bruit, toute apparence qui trahit notre présence, compromet d’un seul coup la chance d’entendre les oiseaux parader : ils s’enfuient, dérangés et plus furieux que morts de trouille. Dans le meilleur des cas, ils se taisent, restent cachés, attendent ; s’abstiennent…
    Le signal de l’aube était donné par le premier chant du premier tétras - lyre. Les coqs de bouleau (une autre façon de les désigner) sortent des bois en quelques coups d’ailes, rasent la plaine en planant, puis se posent sur leur place de chant, et chantent pour défier les mâles et séduire une poule qui fait toujours celle qui n’entend jamais rien, mais qui voit tout et qui fait tranquillement son choix tout en picorant quelques larves dans les chaumes…
    Le premier coq chante bien avant l’aube, en pleine nuit, puis un autre renchérit, d’autres surenchérissent et tout à coup nous nous trouvons au cœur d’un salon de musique  en plein air, dissimulés au centre d’un chœur de solistes qui se toisent et se répondent, se défient et se menacent tout en tentant de charmer les femelles. Nous sommes à l’écoute d’un concert amoureux, nous ne voyons que rarement, à travers les branchages et à la jumelle, la tête noire avec la caroncule rouge vif du coq, dépasser d’un long peigne de tiges de céréales. Nous entendons surtout. Nous écoutons car ce qui compte, ici, c’est le son, c’est la stéréophonie entêtante des coqs qui se répondent et qui insistent à mesure que l’aube approche. Il s’agit d’un roulement davantage que d’un roucoulement. Un chant qui devient perpétuel, intense juste avant l’aube, et qui cessera d’un coup lorsque le jour sera complètement levé, étalé ; blanc. Les coqs chantent à tue-tête et l’acoustique –il n’y a pas d’autre mot possible- est parfaite. Jamais je n’ai autant joui de la stéréophonie. Jamais aucun son, aucune musique –sauf le brame d’un certain cerf bulgare et la Callas sur certains passages précis de Verdi -, n’ont autant réjoui mes oreilles, que les chants de ces tétras – lyre au cours de ces trois aubes russes.
    A la fin de l’aube, lorsque le jour s’est imposé, que le soleil commence à monter, jaune orangé, dans le ciel et que d’autres sons, des bruits quotidiens apparaissent, les coqs se taisent donc. Certains parviennent à s’accoupler, vite, avec les plus consentantes des poules. Les autres regagnent la forêt avant eux en quelques coups d’aile et en vol plané et rasant. Comme à l’aller. C’est la fin du concert. Nous sortons de notre cabane, hérissés de paille, avec nos courbatures et l’enregistrement parfait dans nos mémoires, de cette singulière musique amoureuse. L.M.


  • Qu'est-ce qu'on mange ce soir?

    Vous coupez des courgettes en dés et les faites poêler (croquantes!), tranchez du jambon de Parme en fines lamelles, grillez des pignons, plongez des pâtes (al dente!), le tout a cuit, les courgettes et les pignons sont dans les pâtes, ajoutez de la ricotta, des herbes (ciboulette, coriandre), huile d'olive vierge, fleur de sel, poivre du moulin, parmesan râpé à la minute... et les enfants sont contents. Vous aussi.

    Sinon, de l'agneau (collier, selle, gigot) à revenir avec du curry en poudre dans "de l'huile sans goût" comme disait ma mère pour désigner toute huile qui n'est pas issue d'olives. Réservez. Tomate, oignon, ail, à fondre dans la même poêle (sans la viande). Ajoutez un yaourt, un verre d'eau, du curry encore. Le tout (la viande est revenue dans la poêle) mijote 1h15 à feu doux (bloup-bloup). Faites sauter (beurre) banane, pomme, oignon et incorporez. A part : du riz au rice-cooker. Et zou! Tout le monde est content. The Plus : un piment oiseau à piquer à la fouchertte pour caresser un peu tout, la viande, le riz, pas trop ça brûle! Et voilà.