Le mieux est d’arriver à Béziers par le train et de laisser paradoxalement le Sud pour filer droit vers Pézenas. De là, au Nord, direction Servian. L’aire de notre randonnée oenophile est traversée par la Thongue, la rivière qui prête son nom aux vignobles.
Le charme de l’arrière-pays de l’Hérault opère immédiatement. Villages ventrus et frais, ombragés à la faveur de platanes salutaires sur des places où l’on joue à la pétanque, et des terrasses à pastis. Et aux vins locaux : Faugères n’est pas loin, mais nous entrons dans une aire bénie des Dieux : les Côtes de Thongue. De simples vins de pays qui ne regrettent pas un instant de n’avoir pas décroché l’AOC, jugée liberticide. Ici, on joue avec les cépages les plus étranges, on expérimente à qui mieux mieux, on fait du vin de table, du vin de pays de l’Hérault, du vin de pays d’Oc… et du vin de pays des côtes de Thongue. Rouges, rosés, blancs, moelleux, ils sont tous à des prix défiant toute concurrence. Puissants ou gouleyants, ce sont pour la plupart des vins de soif, un rien canailles, des vins de copains en terrasse et de jardin en famille. En un mot, les côtes de Thongue, ce sont des vins de plaisir (lire encadré).
Partir à leur découverte, en allant fureter chez les vignerons, c’est s’exposer à des balades en vélo ou à pied des plus bucoliques. Nous sommes loin du Lubéron et de l’arrière-pays provençal devenus trop touristiques. La marée humaine préfère mouiller au Cap d’Agde. Alors la campagne, plate, un rien mamelonnée avec ses « puechs » (collines, qui sont souvent des cheminées volcaniques), est ombragée avec bonheur par des bouquets d’arbres qui parsèment un paysage extrait d’un roman de Giono.
L’avantage du relief de la région, plat comme la main, c’est que l’on y circule en vélo (préférez le vtt), surtout à la fraîche, sans aucun effort. Cela permet de surprendre des perdreaux au pied des sentiers, et d’écouter le silence, qui y est puissamment apaisant. À croire que les avions ont déserté cette part de ciel et que les voitures vivent au parking...
Les circuits pédestres sont légion, notamment au nord, du côté de Pouzolles, où se concentrent les propriétés vigneronnes (la plupart se trouvent dans les villages) et la randonnée procure une saveur supplémentaire à cette balade à thème (marcher entre deux dégustations est on ne peut plus salutaire !).
Une intéressante rando est celle qui part de la mairie de Margon, où se trouve un très beau château, car il passe justement à proximité de Pouzolles. Balisé, il correspond à un topoguide sous presse, qui paraîtra l’été prochain, mais déjà disponible par internet en téléphonant à Cyril, au Pays Haut Languedoc et Vignobles (0467893354).
Le village de Puissalicon est l’objet d’une balade « patrimoine » : village construit « en circulade », château à l’entrée, tour romane en plein cimetière, plusieurs producteurs intra muros, comme Bassac, La Croix belle et, à l’extérieur, les Capriers.
La plupart des circuits de randonnée dans les vignes sont publics, qu’ils soient balisés ou pas. Le sentier du Travers, au départ de la cave coopérative d’Alignan-le-Vent : 7 km, 3h de balade, avec le topoguide que l’on prend à la mairie : le sentier est balisé. Outre la cave, plusieurs producteurs comme les domaines Deshenrys et Bourdic vous y attendent.
Chaque vigneron rencontré au hasard de notre randonnée nous apparaît convaincu qu’il faut encore et toujours améliorer la communication sur les côtes de Thongue, et développer l’accueil à la propriété. Comme s’il s’agissait d’un déficit : or, il apparaît au cours de n’importe quelle balade que cela est déjà bien réel : les chambres d’hôtes ne manquent pas (comme « La Maison », à Tourbes, où la nuitée est à 35€ !), les tables généreuses (et heureusement sans étoiles), non plus, comme cette hétéroclite et très kitsch « Boucherie », à Magalas.
L’accueil et la dégustation chez le vigneron sont formidables où que vous vous arrêtiez à l’improviste. Il y a toujours quelqu’un pour vous recevoir et vous faire comprendre qu’ici, le plaisir est une façon d’être au monde.
Léon Mazzella
Encadré/ les vignerons du plaisir
Les vins dégustés sur place, outre leurs qualités indéniables, sont tous « sur le fruit ». Ce sont des vins qui flirtent avec le bon goût originel du raisin. Ni trafiqués, ni concentrés, ni flatteurs, ils sont au contraire francs, directs, souriants et gorgés de soleil. Les rouges sont puissants, excellents tout de suite et néanmoins de garde, les rosés ne sont pas vineux mais faciles à boire, les blancs ont une grande tenue pour la région.
- Louis-Marie Teisserenc, patron d’un cru, qui fédère une soixantaine de domaines, est aussi fier des côtes de Thongue et de ses « vignerons de respect », qu’il peut l’être de son domaine de l’Arjolle, à Pouzolles, dirigé de main de maître avec la complicité de Charles Duby. Ils gèrent aussi la gamme impressionnante des vins du domaine de Margan (à Pouzolles également). C’est à l’Arjolle que l’on trouve par exemple la seule parcelle française de Zinfandel, le cépage cher aux Californiens. Des expérimentations qu’autorise la grande liberté des vins de pays. Déguster au chai les cuvées Synthèse et Paradoxe devient un safari oenologique des plus décontractés.
- Au domaine Bassac, à Puissalicon, les trois frères Delhon, champions de la discrétion, font des vins bios (certifiés ecocert), notamment un muscat petit grain qui est un miracle de douceur : ni gras, ni trop fruité, c’est le blanc moelleux d’apéro et de dessert par excellence.
- Au domaine Saint-Georges d’Ibry, à Abeilhan, Michel Cros partage avec chaque visiteur, son enthousiasme et sa joie de vivre en faisant de jolis vins d’assemblage – en agriculture raisonnée –, gouleyants et de belle tenue, en particulier l’Âme des pins (rouge et blanc).
- Au domaine Magellan, aux étiquettes design, le savoir-faire d’un homme de Meursault, Bruno Lafon, et celui d’une toulousaine ancrée à Magalas, sa belle-sœur Sylvie Gros, font de cette superbe propriété l’un des fleurons de la région. La cuvée Fruit défendu est connue des cavistes parisiens, et le superbe Alta, comme leur gamme de Vieilles vignes, n’ont pas à rougir de la concurrence extra régionale.
- Au domaine Montrose, à Tourbes, Bernard Coste tient un discours décapant et moderne : il a su résister au défaitisme en sauvant la propriété familiale. On lui a dit : laisse tomber le vin, il en a fait. Avec succès. Son rosé, « mon rosé de montrose » est une star. Homme de marketing, il prouve que l’on peut produire et donc vendre du bon vin pas trop cher. Convaincu qu’avoir l’un des fonciers les moins chers du monde est un atout, il n’est pas de ceux qui se plaignent et manifestent.
L.M.