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  • Vo solcando un mar crudele...

    Je peux écouter cet extrait dix fois de suite, à la dixième écoute, j'ai autant de frissons qu'à la première... => Artaserse/Vinci/Fagioli

    Capture d’écran 2019-08-25 à 13.41.48.pngArtaserse, ultime opéra baroque de Leonardo Vinci (1690-1730, rien à voir avec le peintre), fut donné en 1730 à Rome pour la première fois. Le rôle d'Arbace (contre-ténor) est interprété l'année suivante à Milan par Carlo Broschi, le fameux castrat Farinelli. Cette vidéo (Nancy, 11 octobre 2012) montre le contre-ténor argentin Franco Fagioli dans le rôle d'Arbace, ami d'Artaserse (prince, futur roi de Perse, interprété par Philippe Jaroussky), amant de sa soeur Mandane, et accusé à tort du meurtre de Xerxès, le père d'Artaserse. Le Concerto Köln, dirigé par un génial Diego Fasolis, est dans la fosse. Nous ne sommes guère éloignés de Haendel (Xerxès/Serse, et l'indépassable Largo intitulé Ombra mai fu...). La mise en scène est subtilement contemporaine (tant de femmes des coulisses pour un opéra interprété par des hommes exclusivement : quatre contre-ténors sur scène, notamment, puisque les femmes étaient interdites de scène à l'époque de la création de cet opéra, en vertu d'une ordonnance papale qui sera démentie en 1798. Aussi, les personnages féminins comme Semira et Mandane sont-ils interprétés par des hommes) . L'extrait, Vo solcando un mar crudele, clôt avec splendeur le premier acte, dont voici l'argument : "Le Préfet Artaban vient d’assassiner le roi de Perse Xerxès Ier ; il projette de tuer également son fils et successeur Artaserse, afin d’installer sur le trône son propre fils, Arbace. Celui-ci avait été banni par Xerxès à cause de son amour pour Mandane, sœur d’Artaserse. Mais Arbace, ami d’enfance d’Artaserse, refuse de se joindre au complot. Artaban persuade Artaserse d’ordonner la mort de son frère Darius, au motif qu’il serait coupable de la mort de leur père. Mais l’erreur est bientôt révélée, et Arbace est accusé d’être l’assassin. Ne pouvant se défendre sans dénoncer son père, il se tait et est condamné à mort." Mais la fin sera heureuse, malgré une tension à son comble au troisième acte... Soulignez le jeu d'acteur de Fagioli, sa performance totale, eu égard aux changements de ton de sa voix, de l'aigu au grave. Bonheur. L.M.

  • Le goût des cochons

    Capture d’écran 2019-08-19 à 16.41.16.pngBlandine Vié est une sacrée auteure gourmande, passionnée de cochon au point de lui consacrer un ouvrage il y a peu et des articles à la ribambelle sur le site Greta Garbure qu’elle co-anime avec son complice Patrick de Mari. D’ailleurs, l’un de ses « posts » mis en ligne a été retenu dans une mini-anthologie de la fameuse collection « le goût de » au Mercure de France. Dans « Le goût des cochons » (8,20€) figure, aux côtés de classiques comme Renard (avec un extrait célèbre des « Histoires Naturelles »), Claudel (et un délicieux poème en prose décrivant la bête), Maupassant (avec un texte de jeunesse), Huysmans (un extrait de « En route »), Hugo (et un émouvant poème, « Le porc et le sultan »), Verlaine (avec un détonnant pastiche des « Amants » de Baudelaire, intitulé « La Mort des cochons », pornographique à souhait, tiré de « L’Album zutique » qu’il coécrivit avec Léon Valade) et, plus près de nous, Jérôme Ferrari (et un extrait brut de son « Sermon sur la chute de Rome », décrivant un paysan Corse occupé à châtrer les verrats), ou Philippe Sollers (en amoureux délicat de la chair du cochon, dont il fait l’éloge)... Figure donc un texte délicieux de Blandine Vié au sujet de l’étymologie des mots du cochon, de la truie et de ses attributs, intitulé « Une vulve de truie peut en cacher une autre ! » À l’arrière-train où vont les choses, et sans évoquer la peste porcine africaine qui fait des ravages en Chine, donc le bonheur des éleveurs bretons, et qui est provisoirement circonscrite dans les Ardennes belges, mieux vaut en rire en s’instruisant - grâce à ce texte bref et dense, érudit et drôle à la fois. Blandine y enchaîne comme dans un rébus le sens caché des mots, dont les évocations rebondissent et jouent à ... saute-cochon. Remarque : ceCapture d’écran 2019-08-19 à 16.42.10.png florilège fait la part belle au côté immonde du cochon davantage qu’à ses qualités. C’est toujours comme ça ! La relation de l’homme avec cette « bête singulière » (titre d’un ouvrage capital, de référence, sur le sujet et dont un extrait aurait pu figurer dans ce petit bouquin : « La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon », de Claudine Fabre-Vassas (Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines), est ambiguë depuis les origines. Nous lui ressemblons tant ! Je laisse le dernier mot à Churchill : « Donnez-moi un cochon ! Il vous regarde dans les yeux et vous considère comme son égal. » L.M.

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    Capture d’écran 2019-08-19 à 16.41.42.pngRappel : N’oubliez pas le superbe album, richement illustré, de Éric Ospital (le charcutier star d'Hasparren) et ses amis, intitulé « Copains comme cochons » (Tana, 24,95€), car il offre, outre 75 recettes du groin à la queue, signées de chefs très gourmands, un énorme hommage à la convivialité et à l’art de vivre... dans l’esprit du Sud-Ouest, ainsi qu'une ode à l'amitié qui fait plaisir à lire et à voir. Nous croisons, au fil des pages, pêle-mêle, Joël Dupuch, Julien Duboué, Sébastien Lapaque, Jean-Luc Poujauran, Yves Camdeborde, et aussi Sébastien Gravé, Vivien Durand, Christian Constant, Stéphane Carrade, Antoine Arena, Stéphane Jégo, tant d'autres. Ils sont tous là! Afaria!..

  • Ardèche Sud toute !

    Cela se passait le 19 juin dernier et il faisait une chaleur inhumaine dans ce restaurant nommé Elmer, planté dans le Marais à Paris, rue Notre-Dame de Nazareth pour être précis. Pour preuve, je sifflai une bouteille d’eau glacée avec des bulles qui piquaient fort mais tant pis et en quelques libations, à peine arrivé, non sans avoir salué ma charmante hôtesse Anne-Sophie, visiblement zen et comme thermo-régulée de la tête aux pieds.

    Mes confrères transpiraient et ça ne semblait pas les gêner d’avoir la chemise collée aux poils visibles sur leur peau, à travers un tissu comme passé sous la douche. Moi si. Cette vue me gênait, et j’enrageais qu’un choc thermique puisse faire apparaître un pareil spectacle sur moi, sitôt débarqué, jeté au hammam comme un homard dans le bouillon. Pour un peu, je repartais, ce que j’ai déjà fait maintes fois pour moins que cela. Or, je restai, car le sujet était friand, sinon affriolant : déguster des vins d’Ardèche dans les trois couleurs, et nous aimons beaucoup, vraiment, les vins de cette région-là. La thématique était d’ailleurs plus choisie : « Les Exceptions du Sud Ardèche ». Vingt-cinq vins à (re)découvrir.

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    Mes pensées, assorties d’un regard et de quelques mots amicaux, allèrent immédiatement à la petite brigade qui souffrait à plus de 50° Celsius afin d’achever avec peine et plaisir de préparer ce qui devait nous régaler (ah, ces filets de canette avec des petits pois à la crème de sarriette et leur surprenant jus à la cerise, qui suivirent un inoubliable vinaigre de bonite juste déposé comme ça, goutte à goutte, sur un tartare de bœuf au couteau de belle extraction). Anne-Sophie et Manon avaient les yeux qui virevoltaient, elles contrôlaient tout, y compris la température de la salle. Elles veillaient aux groins...

    Je faillis défaillir, ne pouvant me résoudre à « attaquer » quelque flacon avec mon verre à pied, eu égard aussi au rang de soldats – j’ai nommé les bouteilles, nombreuses, alignées, pleurant leurs larmes car le journaliste en dégustation est un goujat qui ne respecte rien, plus rien, à commencer par ses congénères qu’il bouscule, toise, salue de loin ou ne salue pas (tiens, je repense à l’opuscule nécessaire de Stéphane Méjanès : lire plus bas la lecture que j’en fis tout récemment), car que ça coule ne les gène guère, tu penses, ils se font rincer, alors le liquide, c’est naturel qu’il dégouline, lors qu’ils ne découlent, eux, d’aucune source buvable... J’ai reconnu dans le tas de chairs amassées un pique-assiette notoire, qui est de tous les râteliers du midi et du soir, et qui déguste aussi bien que je récite la messe en Latin...

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.06.15.pngEt que c’est donc à hue et à dia, à la va comme je te pousse carrément qu'il faut alors tendre un bras que l’on voudrait télescopique afin d’attraper une première bouteille de hasard, le rosé 2018 friand en diable du Domaine du Père Léon (cela ne s’invente pas, et je ne fis pas exprès, croyez-moi). Grenache, syrah, cinsault d’une rondeur, d’un fruité charmant, flatteur mais convaincant car conquérant, et ça vaut la bagatelle de 6€ - prenez la clé de la malle du 4x4, Nathalie, et garnissez  avec vos caisses, car l’été sera long et les amis nombreux, à la campagne !.. Bon, je commence ?.. Je sais, Laurent, que tu ne m’en voudras pas pour ce « compte-rendu » atipico.

    So, : le viognier (blanc, 2017) succulent de la Gamme Réserve du Domaine duCapture d’écran 2019-08-15 à 08.09.26.png Colombier, qui naît sur des coteaux argilo-silicieux et volontiers caillouteux, et qui jouit le veinard d’une fermentation lente sur lies en fûts de chêne avec batonnage durant trois à quatre mois (on croirait lire du Ponge mâtiné d’un compte-rendu de stage chez Sade), est renversant de pureté. Rien à dire de plus. Le mot pureté ¡ Basta ya ! Un autre viognier (quel cépage magnifique, en Ardèche, oublions un instant Condrieu ! Nous repensons à celui, adoré, de notre pote Christophe Reynouard, du Domaine du Grangeon – notre querencia ardéchoise, car le bonhomme te fait aussi un chatus et une syrah à tomber raide par terre).

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.11.14.pngViognier, disais-je : Terroir « Grès du Trias » des méritoires et salutaires Vignerons Ardéchois, « cave coop » d’exception, est à féliciter pour sa belle présence en bouche, un rien grasse, sa générosité, son élégance, sa belle tenue d’apéro, pas de soirée (2018, 8,10€).

    La Cuvée 1799 du Château des Lebres (rouge, 2017), souligne la bienvenue de 20% de cabernet-franc qui offre vigueur et fraîcheur comme nous tendons, genou fléchi et tête baissée, un bouquet d’hortensias parce que nous accusons un retard d’une minute, voire davantage, à une promise de passage...

    Arrêt sur écran : un couple de faucons crécerelle nichant dans la grangeCapture d’écran 2019-08-15 à 08.14.20.png en face vient de se poser sur le faîte du splendide toit de tuiles qui, lorsque je pose mon regard sur lui, m'évoque aussitôt « Tous les matins du monde », de Pascal Quignard, et le film sublime qu'il engendra : le son du clavier pourrait les déranger. Oui, j'écris dehors. Magie concomitante : un chevreuil que je reconnais, passe. Ce chevreuil, je l'aime, c'est désormais un compagnon de l'aube surtout, un complice qui m'évite...

    Or, Les Lebres! Le reste est composé de syrah à 50% et de merlot à 30%. Cela vous coûtera 11,5€ mon bon, et c’est cadeau, pour la puissance que ce feu vous envoie d’emblée, mais avec tact et galanterie. Car la garrigue sait y faire, avec ses subtilités chaleureuses, au nez comme en arrière-bouche.

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.16.24.pngDésolé Orélie (Vignerons ardéchois), ce coup-ci tu m’as déçu, toi qui tant de fois m’enchanta. Je suis en conséquence au regret d’écrire que tu m’apparus fade, buvardée, en rouge 2018, surCapture d’écran 2019-08-15 à 08.25.25.png ce tartare privé de désert à cause de toi...

    Le 2017 du Domaine Coulange (Côtes du Rhône Village Saint Andeol) fut plus accort, et accordé comme un luth théorbe sur une cantate de Bach, friand immédiatement. Ses 60% de grenache (et 40% de syrah pour suivre) y sont pour beaucoup je pense, moi qui ne pense jamais lorsque je déguste. À 10€, je passe commande illico.

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.27.57.pngIdem pour le Château de Rochecolombe (Côtes du Rhône Village Saint Andeol), nez intense, épicé à souhait, avec des notes de fruits noirs à s’en balancer sur le cou et la nuque, une bouche ample. Un vin enchanteur (genache et syrah, 10,60€).

    Le Domaine du Chapitre, (Côtes du Rhône Village Saint Andeol) piloté par un ténor qui se produit à l’opéra, FrédéricCapture d’écran 2019-08-15 à 08.30.43.png Dorthe (mon vis-à-vis, à table. En face, j’avais un soliste quelque peu aviné qui louchait et vacillait tout en balbutiant des propos incongrus – bref, le mec était bourré, car il effectuait son trip à Paris en forme d’échappée belle, façon Salon de l’agriculture, le Crazy Horse en moins (quoique). Ce Chapitre, donc, vante la grenache (60%) avec maestria et dominio  comme on dit dans l’arène. C’est riche de fruits rouges et noirs mûrs à souhait, c’est large, ample, grand, il y a là matière à discussion avec le sanglier que je tuerai à la fin de l’été. 12€ le flacon.

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.32.31.pngJe ne suis pas dessert, mais je me dois d'être complet. Aussi, dirai-je le bien que je pense de la Cuvée des Patriarches du domaine Les Hauts de Vigier, 100% syrah (bravo la cuisine pour les abricots rôtis, faisselle, oseille et citron vert !), aux notes de fruits secs, de pain grillé, car selon moi, ce flacon aurait sa place pour escorter une viande rouge maturée, une côte épaisse, un onglet long et large. À 6,55€, prenez-en d’avance pour inonder la grosse cocotte Staub des premièresCapture d’écran 2019-08-15 à 08.33.24.png daubes de l’automne. C’est un ordre.

    Finissons-en avec Ninon, car il faut finir avec elle, vous ne pensez pas ? Ce muscat à petit grain 100%, passerillé, son nez d’acacia, de pêche blanche, ses notes d’abricot mûr en bouche, ce vin « parcellaire », donc suivant une mode certaine, « je fais du parcellaire... » entend-on souvent (mais un bon point pour une cave-coop : le Caveau des Vignerons Alba-la-Romaine, 13,40€ le col), nous a charmé, même si, dessus ou avec, nous eussions préféré un roquefort des familles. L.M.

  • Connaissez-vous Albert Caraco?

    Capture d’écran 2019-08-13 à 13.54.31.pngTrop méconnu, cet homme (1919-1971), ce philosophe à la pensée noire et sans ambages, ce pessimiste glacial qui considérait que « les ombres de la mort sont les épices de l'amour », ayant eu le dégoût absolu de la vie, des religions, du sexe, de lui-même (pas gai, vous dis-je, le mec), et à côté duquel Kraus et Lichtenberg sont des amuseurs, Schopenhauer un professionnel donc trop loin du sujet, Cioran un styliste, Guardini un faiseur, Judrin un cousin éloigné, et Stifter et Pavese des frères ès suicide métaphysique (en plus d'être oedipien, avec Madame Mère, chez Caraco). Je ne vous dis rien sur sa vie, tout ça. Fouillez. Juste quelques phrases qui vous donneront le ton, et l'envie - ou pas - d'entrer dans cette  oeuvre singulière entre toutes. L.M. :

    « Les êtres nobles aiment rarement la vie ; ils lui préfèrent les raisons de vivre et ceux qui se contentent de la vie sont souvent des ignobles. »

    « Je n’aime point la vie et le mépris qu’elle m’inspire s’étend aux créatures, je ne plains jamais ceux qui meurent et je conseille à ceux qui souffrent de mourir au lieu de chercher ma compassion, la mort est à mes yeux le remède omnibus et la solution de la plupart de nos problèmes. »

    « L’histoire est une passion et ses victimes sont légion, le monde que nous habitons est l’Enfer tempéré par le néant, où l’homme refusant de se connaître, préfère s’immoler, s’immoler comme les espèces animales trop nombreuses, s’immoler comme les essaims de sauterelles et comme les armées de rats, en s’imaginant qu’il est plus sublime de périr, de périr innombrable que de le repenser enfin, le monde qu’il habite. »

    « Nous deviendrons atroces, nous manquerons de sol et d’eau, peut-êtreCapture d’écran 2019-08-13 à 13.54.58.png manquerons-nous d’air et nous nous exterminerons pour subsister, nous finirons par nous manger les uns les autres et nos spirituels nous accompagneront dans cette barbarie, nous fûmes théophages et nous serons anthropophages, ce ne sera qu’un accomplissement de plus. Alors on verra, mais à découvert, ce que nos religions renfermaient de barbarie, ce sera l’incarnation de nos impératifs catégoriques et la présence devenue réelle de nos dogmes, la révélation de nos mystères effroyables et l’application de nos légendes plus inhumaines sept fois que nos lois pénales. »

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    N.B. : Nous devons beaucoup au regretté « Dimitri », Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions l'Âge d'homme, ami d'Albert Caraco, et éditeur de la meilleure partie de l'oeuvre de ce dernier.

  • Dumas l'après-midi

    Capture d’écran 2019-08-11 à 18.09.45.pngLa formule est relativement simple pour qui souhaite agrémenter un dimanche après-midi d’août avec des lectures qui emportent plus sûrement qu’une bourrasque. Prenez quelques contes et nouvelles de Maupassant pour vous faire l’esprit comme on se fait la bouche ou les jambes : Amour, Les Bécasses, Les Tombales,Capture d’écran 2019-08-11 à 18.12.27.png Miss Harriet, cela suffit, puis emparez-vous du Sphynx rouge, la suite des Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas (initialement connu sous le titre du Comte de Moret). L’histoire survient juste après le siège de La Rochelle, soit bien avant Vingt ans après. Il n’y a plus de Mousquetaires, mais un portrait vibrant du duc de Richelieu tient lieu ici de colonne vertébrale, et sur plus de sept cents pages. C’en est fait. Voici le retour tonitruant, au grand galop, de votre âme d’enfant ayant tant aimé lire tard sous les draps les romans d’aventure, de cape et d’épée, Jules Verne, Rudyard Kipling, Fennimore Cooper... Vous vous calez, bien allongé sur le canapé, les pieds sur l’accoudoir d’en face, un coussin supplémentaire sous la nuque. L’immense talent de Dumas est là, dès la troisième page, qui décrit un certain Étienne Latil, attablé dans une auberge à l’enseigne de La Barbe peinte, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie dans le quartier du Marais, à Paris. Il vous prend par le col et n’entend pas vous lâcher de sitôt. Il fera sans doute nuit lorsque vous lèverez une première fois les yeux du livre pourtant lourd à vos bras tendus, ou posé en angle sur votre ventre : « Sa rapière, dont la poignée était à la portée de sa main, s’allongeait de sa hanche sur sa cuisse et glissait comme une couleuvre entre ses deux jambes croisées l’une sur l’autre. C’était un homme de trente-six à trente-huit ans, dont on pouvait d’autant mieux voir le visage, au dernier rayon de lumière qui filtrait par les étroits vitraux losangés de plomb donnant sur la rue, qu’il avait suspendu son feutre à l’espagnolette de la fenêtre. (...) Son nez droit et son menton en saillie indiquaient la volonté poussée jusqu’à l’entêtement, tandis que la courbe inférieure de sa mâchoire, accentuée à la manière de celle des animaux féroces, indiquait ce courage irréfléchi dont il ne faut pas savoir gré à celui qui le possède, puisqu’il n’est point chez lui le résultat du libre arbitre, mais le simple produit d’instincts carnassiers ; enfin, tout le visage, assez beau, offrait le caractère d’une franchise brutale, qui pouvait faire craindre, de la part du porteur de cette physionomie, des accès de colère et de violence, mais qui ne laissait pas même soupçonner des actes de duplicité, de ruse ou de trahison. » Élégance et désinvolture. Fougue et franchise. Force et panache. Le pouvoir de Dumas est inaltérable. Cela fonctionne, s'enchaîne comme la saison 3 de La Casa de Papel : que vous le vouliez ou non, vous êtes embarqués dans le torrent d'une calle Estafeta du ciné, de la littérature, du bonheur de se laisser aller au simple. Nous aimons régresser, ronronner en le lisant, entrer dans le récit, avoir derechef treize ou quatorze ans, chausser des bottes de buffle abaissées au-dessous du genou, porter une chemise bouffant à la ceinture, revêtir un justaucorps de drap aux manches longues et serré à la taille, et veiller à ce que son épée ne court le risque de se rouiller au fourreau. L.M.

  • Que c'est bon de reprendre Ramón!

    IMG_20190810_135004_resized_20190810_015102457.jpgGrâce soit à nouveau rendue à Valery Larbaud d’avoir découvert Ramón Gomez de la Serna en 1917 pour le lecteur français. Nous tenons Le Torero Caracho pour le meilleur roman ayant la corrida pour thème, La Femme d’ambre comme celui qui évoque Naples la vénéneuse avec le plus de subtilité, Seins pour le livre le plus sensuel, le plus drôle, le plus abouti – 300 pages - sur le sujet (nous espérons lire un jour Automoribundia, l'autobiographie de l'auteur encore non traduite), et enfin Greguerías (le terme : humour+métaphore, « l'une de mes cendres quotidiennes », « oeillet sur le mur », disait lui-même l'inventeur de ce trait poétique), comme le recueil de micro-fragments le plus agréable à lire, autant que le Journal de Jules Renard et les Carnets de Cioran, en plus humoristique. Je tape dedans au hasard afin que celle ou celui qui ne connaît pas encore le plaisir de lire Ramón ressente son ça : « Le poète se nourrit de croissants de lune. » « Les épis de blé chatouillent le vent. » « Il devrait exister des jumelles olfactives pour percevoir le parfum des jardins lointains. » « Le glaçon tinte dans le verre comme un grelot de cristal au cou du whisky. » « Le brouillard finit en haillons. » « L’âme quitte le corps comme s’il s’agissait d’une chemise intérieure dont le jour de lessive est venu. » « Le bon écrivain ne sait jamais s’il sait écrire. » « Lorsque le cygne plonge son cou dans l’eau, on dirait un bras de femme cherchant une bague au fond de la baignoire. » « Accroupies à l’ombre de l’arbre qui se trouve au milieu de la plaine, les idées du paysage tiennent salon. » « L’épouvantail a une allure d’espion fusillé. » « Les jours de vent, les joncs ont cours d’escrime. » « La migraine est cette femme pénible qu’on ne veut pas recevoir, mais qui se glisse chez vous en disant :Je sais que vous êtes là. » L.M.

  • L’effraie, c’est la patronne

    Capture d’écran 2019-08-08 à 00.25.31.pngElle niche dans l’une des granges et sort tard, la nuit. Mais je veille encore, tire sur un cigare ou pas, contemple les étoiles, écoute les froissements, les chuintements, les cris, le silence ; le temps. Alors, depuis le faîte, elle ouvre ses ailes vers minuit, et se lance, décrit une courbe, tombe bas, rase le sol, évite joliment le mirabellier, puis remonte très vite et me frôle la tête, ou peu s’en faut. Cela fait déjà deux fois. Deux soirs de suite. Signe. Par son vol d’intimidation caractéristique, cette chouette effraie me signifie que je suis moins chez moi qu’elle n’est chez elle. Qu’elle entend bien rester ici, en posant ses conditions. C’est elle la patronne. J’obtempère mais elle ne le sait pas. J’aime. L.M.

  • Oreste en rut, ou l'instinct racinien

    Capture d’écran 2019-08-03 à 09.18.23.png

    Le héros racinien est un chevreuil en rut. Prenez d’un côté Oreste. Vous observez un personnage en proie à un transport (amoureux) qui l’entraîne hors de lui-même, voire à un destin, si l’on veut faire plus tragique. C’est la même chose. Il est devenu le sujet des Dieux qui tirent les ficelles de sa vie comme ils l’entendent. Il sent, sait (?) souhaite sa passion fatale. Il se fiche de tuer, voire de mourir pour posséder cequ’il convoite. La passion est invincible, et elle nécessite du malheur, qui l’alimente, tout en fondant le rebondissement indispensable à toute mécanique tragique. Oreste ne peut rien sur soi, mais peut encore pour soi, comme se plait à le préciser l’immense connaisseur de l’œuvre de Racine que fut Raymond Picard, et dont je m’inspire ici. Il aime d’un amour « fou » Hermione (qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n’aime qu’Hector, son époux défunt). C’est la chaîne tragique. La faiblesse d’Oreste, sa faute, ou plutôt son aveuglement est de penser que la puissance de son amour aura raison du refus d’Hermione. Il ne s’interroge pas sur la force de l’amour. La testostérone semble pousser le cœur du coude pour figurer au premier rang. Sûr de son destin, il croit que celle qu’il aime et qui ne l’aime pas finira forcément par l’aimer. Ben voyons. On se croirait dans une émission de téléréalité, sauf que Racine en a fait une grande tragédie. Prenez à présent l’un des chevreuils en rut que j’observais à l’aide de mes jumelles hier soir, à la tombée du jour. Les mâles aboient – c’est comme ça que l’on dit, et il s’agit vraiment d’un aboiement. Ils défient, ne pensent pas un instant qu’une seule chevrette songerait à leur résister, une fois les concurrents écartés, combattus, éliminés. Trop sûrs d’eux... L’instinct les gouverne, à l’instar des Dieux. Cette force les meut mais ne les émeut pas. Certes, le sens inné du devoir de reproduction de l’espèce préexiste à toute parade nuptiale dans le monde animal. Cependant, s’agissant d’aveuglement, le héros racinien comme le chevreuil en rut au cœur de l’été sont mêmement emportés par une puissance qui semble leur échapper, et qui n’est guère belle à voir pour un esprit délicat épris de tendresse et de tact. Vanité...  C’est pourquoi les chevrettes, et les héros raciniens féminins – Hermione, Andromaque-, sortent ontologiquement vainqueurs d’un combat qu’elles n’ont pas à mener. Et leur silence est pur. J’aime.

  • « Réarbrons »!

    Capture d’écran 2019-08-01 à 11.17.54.pngC’est un livre magnifique composé essentiellement (de plus de 120) dessins de David Dellas, artiste de grand talent, conseiller technique au sein d’Arbre & Paysage 32, rugbyman, ainsi que de textes de Bruno Sirven, géographe, et d’une préface du botaniste Francis Hallé. « Arbres et arbustes en campagne » (Actes Sud, 30€, 2è éd. Juillet 2019), fait écho à l’exposition « Nous les Arbres », qui se tient à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris) jusqu’au 10 novembre. Ces dessins d’un réalisme puissant, méticuleux, délicat, d’arbres et arbustes champêtres : frêne, aulne, érable, buis, charme, bouleau, peuplier, chêne, marronnier, figuier, sureau, pommier, mûrier, haies... sont formidables de précision et de poésie. Ils nous permettent de renouer avec une tradition des sciences naturelles, en particulier la botanique, qui est de représenter le vivant, le végétal par le dessin ou la gravure. Ainsi, la pédagogie s’associe-t-elle à l’art. Les arbres sont représentés nus, ce qui permet le détail, et avec leurs racines. Les feuilles et les fruits font l’objet de planches distinctes. Ce sont des arbres familiers, que l’on a coutume de voir dans le paysage des campagnes, mais que nous négligeons d’observer, qui sont ici l’objet d’une véritable performance esthétique obéissant à un sens de l’observation hors du commun, allié à une grande sobriété. Les textes s’attardent avec justesse aux bienfaits de chaque « arbre hors forêt », inscrit dans un biotope qu’il épouse – comme l’aulne et la rivière, à la quantité de ressources qu’il produit, à ses rôles bienfaiteurs pour l’écologie, la biodiversité, les agrosystèmes, et pour l’homme – qu’il soit agriculteur ou promeneur. L’arbre purifie l’eau, retient les sols et les protège, accueille quantité d’êtres vivants (insectes, oiseaux, petits mammifères), stocke l’excès de carbone, oxygène l’air, produit de la biomasse, de l’énergie, des écomatériaux, protège du vent, rend les sols vivants, il paysage et aménage l’espace qu’il occupe, redistribue l’énergie solaire, réconcilie l’agriculture avec l’environnement, longtemps opposés, car le modèle agro-sylvo-pastoral souffre souvent d’un manque de complémentarité. L’arbre n’est-il pas tout à la fois paravent, parapluie, parasol, garde-boue, garde-manger, et bien plus encore ? Il doit cesser d’être perçu et utilisé comme « une astuce cosmétique pour camoufler des sites disgracieux », et d'être combattu, abattu par l'agriculture intensive. Plaidoyer pour le « réarbrement », militant d’une politique de l’arbre – non forestier - au sein du territoire, l’ouvrage n’est pas qu’artistique, élégant, sensible, bouleversant par son dénuement chromatique, sa texture, même s’il se contemple bien davantage qu’il ne se lit. Les textes qui l’ornent sont brefs mais denses, ligneux... Ils nous apprennent enfin un glossaire singulier où il est question de taille (émondage et étêtage), de têtards, de trognes, de ragosses, de cépée, de sessille, de drageon, de marcotte, de mycorhize, de nodosité, de phrygane, et autres suber et tire-sève. Un petit bijou, ce bouquin. L.M.

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    L'ouvrage de David Dellas n’est pas sans rappeler un autre, devenu un classique, de Jacques Prévert, « Arbres », enrichi de splendides gravures signées Georges Ribemont-Dessaignes (Gallimard).