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  • La vague goffmanienne

    Cela pourrait rester goffmanien -pour parler comme les étudiants en ethno-, en référence aux travaux célèbres d'Erving Goffman sur les comportements sociaux. La littérature peut mieux faire et c'est l'une de ses vertus. 

    La scène se passe à la plage de La Chambre d'Amour, à Anglet (64). Plus exactement sur le parapet qui la surplombe. L'Océan est agité, la marée haute et rebelle. Les vagues frappent les blocs de pierre extraits de la montagne proche, empilés là pour amoindrir l'ardeur de la mer qui érode la côte.

    Un homme de petite taille, vêtu pauvrement mais avec soin : veste bleue élimée, pantalon assorti, chemise blanche à col "pelle à tarte" ouvert généreusement sur un poitrail plat, imberbe et maigre. Physique sec. Comme le sont sans doute ses gestes, et comme sa diction doit être : sèche. Rêche et abrupte. Par rafales, cet homme doit parler.

    Il tire sur une Gitane maïs plus qu'il ne la fume. Il est debout sur le parapet que les vagues menacent d'éclabousser d'un instant, l'autre.

    Les séries de vagues frappent, toujours plus menacantes.

    Le petit homme regarde l'horizon; impassible.

    Avec, en plus, cet air d'écouter les éléments comme on entend sans l'écouter, un bavard anonyme et aviné au comptoir d'un bar. Sans prendre la peine de répondre à ses questions enchaînées et qui n'attendent d'ailleurs aucune réponse, mais seulement une approbation automatique.

    Sans affect apparent, quoi.
    Soudain, une vague plus forte que les autres  explose, gicle et inonde le petit homme debout sur le parapet.

    Le douche.

    Au lieu de s'exclamer et de reculer, l'homme "sec" ne bouge pas. Trempé, stoïque, il continue de tirer sur ce qui reste de sa Gitane imbibée. L'eau dégouline de ses cheveux jusqu'à ses pieds. Le regard des passants alentour, témoins de ce qui lui arrive, le paralyse plus sûrement qu'une injection d'anésthésiant. 

    Cet homme foudroyé est en train de vivre l'un des moments les plus douloureux de sa vie.

    Il regarde l'horizon. Imperturbable perturbé jusqu'aux os de l'âme.

    Je partage sa douleur profonde du mieux que je peux. A distance. Impuissant. Juste témoin.

    A l'heure où j'écris cette scène (30 octobre 06, minuit moins le quart), l'homme ne se trouve plus sur ce parapet de La Chambre d'Amour.

    Et pour cause. Cette scène s'est passée il y a trente ans environ. Mais il m'a semblé capable de rester là l'éternité, tant je devinais son désir double de devenir invisible, ou bien d'être changé en statue.

    Ce récit (envie de l'écrire enfin, ce soir), est une espèce de stèle en souvenir d'une scène quotidienne, ordinaire, sauf dans la Creuse, le Quercy, et autres lieux où l'Océan, de notoriété publique et donc largement admise, ne vient jamais frapper les parapets. Mais alors, jamais... 

  • Impudeur/douleur/écriture/servitude

    La plupart de mes proches réagissent par mail ou par texto à mon blog. C'est étrange. Soit "on" ne sait pas encore faire avec (il est facile d'écrire des commentaires sur les notes), soit vous continuez de préférer l'intime, le chuchotement, à l'extime et à la mise à nu.

    Car il s'agit si souvent du coeur, des tripes et des sentiments montés à cru.

    S'agissant de la maladie de mon père, tous, à une exception près, évoquent la générosité, l'amour, le courage.

    Je les en remercie.

    Puisse mon témoignage à vif servir à amoindrir la douleur d'un ou d'une si, par malheur, un jour, un tel drame le touchait de près.

    Tel est mon but, au-delà d'une catharsis personnelle. 

  • Voir (Journal impudique, 2)

    En dépit de notre imaginaire, de nos peurs et d'un certain dégoût culturellement partagé, la lente déliquescence du corps vivant m'est plus insoutenable que l'idée de la lente décomposition du corps mort. Ne pas voir et se faire une idée "de" augmente l'horreur, c'est vrai. Mais voir, de nos yeux voir, réduit l'imagination à néant et nous fout à la gueule une cécité qui commence à droite, une hémiplégie qui se manifeste à gauche, une incontinence qui exige un attirail ordinairement dédié au nourrisson. La régression, le retour, le bouclage de la boucle. Le nourrir à la cuiller, une serviette (bavette) sous le menton mal rasé... La mort, parfois, ressemble au retour au ventre maternel. Je pense que mon père ne serait pas contre une plongée finale dans le sexe de sa mère, comme dans un film d'Almodovar ("Parle avec elle", je crois, ou bien "Tout sur ma mère"). Malgré toute sa conscience, et donc toute sa douleur, je ne lui poserai pas la question. Oui, ce soir plus que jamais, je pense à la parole phare de René Char : "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil". Car mon père est frère de soleil, homme solaire, homme marin,  Méditerranéen comme on peut être Africain (selon un Tiken Jah Fakoly : globalement, totalement : sans distinction de frontière), Napolitain né sur le sol Africain, d'Algérie, Camusien comme le soleil en face de "l'Etranger", ou celui qui grille la pierre des "Noces à Tipasa". Le Camus de "l'Eté", des "Noces" (le plus beau. Le Camus essentiel)... Corticoïdes. Tumeur récidivante. IRM. Scanner cérébral. Marre de ce vocabulaire Vivagel. Face à cela, il y a l'irrémédiable de son regard en fuite, mais encore et plus que jamais droit. Un regard qui hurle. Je sais, ce soir, que le regard peut hurler. Et qu'il peut le faire avec infiniment de pudeur, comme pour s'excuser d'être encore là, encombrant, et de nous donner tant de peine -je veux dire de travail. Shit.

    Je pense tout à coup à James Dean et à Roger Nimier, parmi des millions de mecs morts au volant. Le premier à 150 km/h : la vitesse de la légende vivante qu'il se construisait. Le second au volant de son Aston Martin, un 19 septembre 1962, aux côtés de Sunsiaré de Larcône. La mort qu'il faut. La mort qu'il nous faut. A tous. Non?..

  • La puissance d'exister

    Oui, le livre de Michel Onfray (Grasset), condensé de ses trente livres précédents, subtile "compil" de l'essence de la philosophie hédoniste qu'il construit, est un bouquet d'énergie solaire, de lucidité terrestre et d'appétit épicurien. J'aime sa façon d'être philosophe -le taon qui agace le cul de l'âne-, de démasquer, en Socrate du XXIème, et  de déstructurer 2000 ans de philosophie officielle, bâtie sur l'exclusion, l'hostilité, l'ordre, l'enfermement, et sa déclinaison ou son relais par les pouvoirs (Eglise, Etat, Ecole; à la suite du magistère platonicien). Ses réflexions sur l'historiographie -tronquée à la serpe rouillée par les historiographes autoproclamés-, la perversité de l'Eglise, et surtout la philosophie dominante (celle qui sépare le corps et l'esprit, pis! qui vilipende le corps, rejette les plaisirs comme le Malin, et la femme avec), sont plus que salutaires. L'envie, au sortir de ce livre qui compte, est immédiate, de se jeter sur tous ces philosophes parfaitement inconnus, qui parsèment les deux premiers volumes -décapants- de sa "Contre-histoire de la philosophie", et puis les fétiches : Montaigne, Epicure, Spinoza, Nietzsche (qu'il faut savoir lire, et pas jeter aux orties au prétexte qu'il fut récupéré par les Monstres du XXè siècle). D'ailleurs, j'ai eu le bonheur de retrouver, à Bayonne, mon Zarathoustra de classe terminale (au parfum moisi d'un Lucky Luke de la même époque) et je ne connais pas de meilleur viatique pour un trajet en tgv de 4h30; désormais. Oui, Onfray nous parle, car il parle du plaisir de vivre, de la vie sur cette terre, avec un athéisme vigoureux, là où tout se passe et se passera, et rejette violemment tout l'Ordre (pétri de névroses séculaires) qui vomit le bonheur, prône la souffrance au prétexte que le plaisir viendra dans l'au-delà (des cathos aux islamistes en passant par Hegel et bien d'autres serviteurs des Princes). L'hédonisme selon Onfray n'est rien moins que la jouissance (en conscience) des plaisirs de la vie, bâtie sur une morale inflexible, du souci de l'autre. Et sur une confiance donnée sans entraves, donc libre, jamais dictée par un sacrement ou une promesse sociale : seul l'individu fait confiance à un autre individu, pour un temps déterminé, sans contrat aléatoire. (Rien à voir avec un épicurisme si souvent mal interprété, perçu bêtement comme un égoïsme et une débauche). Son érotique solaire repose ainsi sur le respect et donc le don, l'amour authentique et libre (voir l'éros léger, par opposition à l'éros lourd). Onfray est dans le concret, le matériel, le corps, la parole, l'exemple pris dans le quotidien, sa philosophie se fonde sur l'existence (comme Montaigne a bâti ses Essais sur sa propre vie et rien d'autre), et jamais dans le propos nébuleux, désincarné, éthéré, excluant, élitiste, d'une philosophie (volontairement) absconse, et dégoûtante (qui dégoûte d'y aller voir).

    Patron! Remettez-nous çà... Ouais, tournée générale!

     

  • au présent

    Elie Wiesel, in Un désir fou de danser :

    « Pour que l’homme s’accomplisse, dans l’extase  ou la chute, il lui faut s’accrocher au présent.

    Bien que fugace, l’instant conserve sa propre éternité, tout comme l’amour et même le désir conçoivent leur propre absolu. »

  • journal impudique

    C'est encore bizarre, un blog. Ce que chacun en fait, ce que j'en ai fait hier (voir : Bayonne, ce soir), ce désir sourd de rendre extime l'intime extrême; cette irrépressible envie d'être impudique en conscience. D'exposer. D'en prendre le risque. Manière, peut-être, de transformer l'événement en chose littéraire, si l'on considère une note de blog comme une page de quelque chose qui s'écrit. Et ce qui s'écrit dit cela si souvent... Cet appel a généré des sms de réconfort. C'est énorme. Comme l'outre d'eau potable est énorme au naufragé entouré de mer. Comme "la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride" (Char). Le monde n'est pas encore désert. L'épreuve continue, mais il y a des voix, ici et là, et surtout une écoute discrète. Des traces d'amitié permanente, d'autres qui resurgissent, de nouvelles qui prennent part sans prendre parti. "Non, Jojo, tu n'es pas seul"... Si je trouve un peu de temps, dans la tranchée de la nuit prochaine, je prendrai Spinoza comme on téléphone à un pote. A ce stade, tout est bon. "Et que si c'est pas sûr, c'est quand même peut-être..." (Brel, à la rescousse, fait aussi du bien, comme un vieux film qu'on se projette, ou un Lucky Luke écorné, retrouvé, et qui sent le papier moisi d'une enfance lointaine).

  • la magnanimité...

    medium_onfr.jpegMichel Onfray, dont je vous invite à lire le magnifique dernier opus, "La puissance d'exister. Manifeste hédoniste" (Grasset), écrit ceci, à la fin de son émouvante préface en forme d'aveu tranquille, intitulée "Autoportrait à l'enfant" :

    "On devient vraiment majeur en donnant à ceux qui ont lâché les chiens contre nous sans savoir ce qu'ils faisaient le geste de paix nécessaire à une vie par-delà le ressentiment - trop coûteux en énergie gaspillée. La magnanimité est une vertu d'adulte. (...) Serein, sans haine, ignorant le mépris, loin de tout désir de vengeance, indemne de toute rancune, informé sur la formidable puissance des passions tristes, je ne veux que la culture et l'expansion de cette "puissance d'exister" -selon l'heureuse formule de Spinoza enchâssée comme un diamant dans son Ethique. Seul l'art codifié de cette "puissance d'exister" guérit des douleurs passées, présentes et à venir".

  • aimer, c'est voir l'unique en l'autre

    medium_van_h.jpegSelon Hegel, la philosophie , "c'est le courage de la Vérité et la foi en la puissance de l'esprit". Ce qui permet, peut-être, parfois, de nous aider à vaincre les "passions tristes" dont parle Luc Ferry (dans L'Express. On le voit partout en ce moment, et cette posture de philosophe officiel, obligatoire, devient agaçante), soit  : la culpabilité, les regrets, la nostalgie, l'espérance. Autant de sentiments "où se niche la peur", ajoute-t-il.

    Ferry écrit aussi un truc qui me plaît bien, à propos d'un texte de Pascal sur l'amour : est-ce que je tombemedium_francine.jpeg amoureux parce qu'elle est comme ci ou comme ça, qu'elle a telle ou telle qualité? Non. Ce qu'on aime chez quelqu'un, ce ne sont ni ses qualités objectives ni ses particularités locales, mais sa singularité. Aimer quelqu'un, c'est pouvoir dire : "Ca, c'est bien toi." Savoir qu'il n'est pas remplaçable. La sagesse consiste à apprendre à vivre avec cette question : "Qu'est-ce que je fais de la singularité que j'aime en l'autre, sachant qu'elle est atrocement fragile?" Comment vaincre ma peur de le perdre? Ou plutôt, que faire de cette peur? Voilà une vraie question philosophique...

    (illustrations : Françine Van Hove)

     

     

  • zed

    medium_emilfork.jpegj'adore cette déclaration que fit Daniel Emilfork (qui a quitté ce monde avant-hier, non sans l'avoir marqué de son physique hiératique et inquiétant, de Nosferatu -de Murnau-, de dandy désinvolte, de sa voix si grave, de ses regards si perçants, de son jeu si fébrilement calme, dans une quantité impressionnante de seconds rôles au cinéma et au théâtre) = "Je suis acteur pour que les jeunes gens et les vieux écrivent des poèmes et aient des utopies. Je veux que les gens rêvent à un autre monde". J'ai prélevé ceci dans la belle "nécro" signée Fabienne Darge, qui a rencontré Emilfork en 2003, et publiée par "Le Monde" de ce jeudi soir. Et je suis ému. Rien à ajouter, donc. L'émotion opère. Elle fait son travail.

    (photo : un physique à la Henri Michaux...)

  • ô toulouse-eu!

    medium_toul.jpegj'étais hier dans la ville rose, et la douceur de l'air, le sourire des passants, la gaîté de la brique, les tons sereins des rues, la lascivité  de la garonne, une halte calme chez privat, d'autres arrêts à la terrasse des cafés sur des places douces, pour des rendez-vous pro, ne m'ont jamais donné l'impression que j'y étais pour travailler. je me suis souvenu des trois années passées là-bas, et du bonheur d'y vivre au quotidien...

    tout cela pour dire qu'au retour, je trouve paris, comme l'écrit veilletet à propos de la france, lorsqu'il revient de sanlucar de barrameda (voir note plus bas), maussade et rogue... 

    (photo john weiner) 

  • kant

    sans rire, lire kant, c'est jouissif.

    je le croyais seulement compliqué et rébarbatif, et je le (re)trouve limpide et tonique.

    révolutionnaire (sa théorie sur les Lumières, son invitation, sincère, faite à chacun à trouver -en soi-, l'énergie, la volonté de s'affranchir de toute tutelle...).

    tout cela donne la pêche.

    lisez kant, l'original, pas la glose (très récente) de luc ferry!

    pas même celle de michel onfray -quoique plus lucide, plus critique et plus moderne, plus rentre-dedans comme d'habitude (onfray est un mec nécessaire).

    lisez des passages ici et là, au hasard de ses oeuvres majeures, et vous sentirez l'effet paradoxal d'une lampée d'aphorismes de cioran : loin de vous attrister, la lecture de cioran, comme celle de kant, vous emplit le corps et l'esprit d'énergie.

    yeach! 

  • 1, 2, 3... bonheur!

    C'est un petit Folio à 2€, il s'intitule "1,2,3... bonheur! Le bonheur en littérature", c'est une petite anthologie de textes sur le sujet. On y trouve Le Clézio, Giono, Andersen, Hugo, Saint-Matthieu (les Béatitudes), Gide, Alain, Tolstoï, Maupassant, Pirandello, Voltaire... Et c'est le plein de vitamines, comme l'aurait dit Raymond Carver. 124 pages à offrir et à offrir, et surtout à lire en bus, aux feux rouges, en métro, chez soi, au bistro. Le plein d'énergie. Mieux qu'un comprimé de vitamine C à croquer le matin. Il fait grand soleil aujourd'hui. Le ciel est bleu, l'été Indien, et Paris souriant. Vive la vie et Buongiorno Bella!..

  • Grands Prix

    "Les Bienveillantes" de Littell écrasent le marché de la librairie : 900 pages, 25€, un bon kilo de papier, et les concurrents râlent : le Français, lecteur, a un budget serré, et il aime de plus en plus s'attacher à un livre unique (souvenez-vous du dernier Gavalda, du Da Vinci Code, du troisième Houellebecq...), davantage, aujourd'hui, qu'à des petits livres minces comme des tranches de jambon (autre époque : celle qui fit le bonheur des Delerm, Ernaux, Echenoz, Bobin, Gailly, Bernheim, Viel...). Le minimalisme (physique, s'entend), aurait-il vécu? Contre exemple : le petit Bataille sur Bernard Grasset, encore goncourable (par quel tour de passe-passe, puisque cela ne peut intéresser que le douzième du village germanopratin?). Mais les poids moyens se vautrent (Nothomb, Angot, Poivre's brothers...). Schneider résiste grâce à l'éternel "effet Marilyn". Tout cela ressemble à de la politique, à du sport de compète, pas à de la littérature. C'est pourquoi, cet après-midi, malgré le soleil, et tout en écoutant Léonard Cohen, je relis Proust, je découvre Pamuk (bien, les Nobel! C'est du solide, Pamuk, et il a du souffle), et puis j'ai toujours à portée de main un bon vieux Platon pour ce soir (probablement Gorgias)...  Parlez-moi de course aux prix, et je pense davantage à Schumacher -moi qui déteste l'univers de la bagnole-, qu'à l'écurie Gallimard, bien placée, en pôle position, cet automne...

    Conclusion : j'aime malgré tout ces potins, car ils permettent de redire ceci : le monde littéraire est, et sera toujours sujet à l'imprévisible absolu. Et cette fantaisie, ces coups du hasard, procèdent du charme de la périphérie de la Littérature. Reste le texte : peu m'importe, au fond, la vie privée si bien cachée de Gracq. L'essentiel est de le lire, et de revenir sans cesse à lui. Comme on retourne à Flaubert. Comme on rentre chez soi après une semaine d'absence. Le plaisir du texte réside entre les pages; entre les draps. Et nulle part ailleurs.  

    NB : lu, hier soir, d'un trait, la "short" de Jorge Semprun, intitulée "Les Sandales" (Petit Mercure) : un bijou de clairvoyance sur la relation amoureuse clandestine. Un vrai coup de talon aiguille dans le bide des mecs. J'adore. 

  • Dans Le Nouvel Obs.-Paris d'aujourd'hui

    Cette rando dans les Côtes d'Armor...

    Iode et Pataugas

    À l’automne, les Côtes d’Armor portent un manteau de douceur sur l ‘aridité de leur paysage. Le caractère sauvage de cette côte, déchiquetée par endroits et en rondeurs à d’autres, demeure, mais avec ce ouaté propre à octobre. Depuis Paimpol, atteint depuis Paris par Tgv, via Guingamp et le Ter bucolique qui longe le Jaudy –un bras d’estuaire qui serpente entre forêts, buissons épais, champs d’un vert dru et falaises-, il faut prendre la route de Tréguier. Un peu à regret, certes, tant les environs de Paimpol méritent un week-end à eux seuls : une autre fois. Cap sur la Côte des ajoncs. C’est à Tréguier que tout commence. Le circuit, bien balisé, invite à découvrir un littoral magnifique, bordé de parcs à huîtres, et ponctué de villages séduisants. Tréguier, d’abord, et ses Tours des armateurs (d’anciens greniers à blé), conduit, à pied de préférence, dans la vieille ville par la rue Ernest Renan.  La maison natale, devenue musée, de l’historien et philosophe, se visite. À proximité, la poissonnerie Moulinet propose de déguster de fabuleux plateaux de fruits de mer. Les rues sont calmes comme un dimanche de match loin du stade. Les maisons, cossues, à la pierre épaisse, sont assoupies comme de gros matous au soleil. En longeant l’estuaire du Jaudy, aux allures paisibles de fjord, nous arrivons à Plouguiel par une route collinaire et forestière. Le panorama, mi-marin, mi-terrien, procède du charme de cette Côte des ajoncs : il réside dans ce sentiment incertain ; de l’entre deux mondes. Devant le café Pesked, à la sortie de Plouguiel, le paysage devient lacustre, marécageux. Les parfums de marée et d’huître sont puissants. L’atmosphère, vivifiante et silencieuse. Sur la route de Plougrescant, en plein pays de Trégor et Goëlo, il est bon de bifurquer. Le panneau « Le Palud », par exemple, vous emmène vers un havre vaseux, d’herbes drues et de pierres. Des bateaux, quille en l’air ou à flanc comme le labrador sur le perron, invitent à la sieste. Un sentier pédestre y vaut le détour, qui longe le littoral jusqu’à La Roche jaune. Là, passé le panneau « L’Enfer », suivez le circuit jusqu’à la chapelle Saint-Gonéry, au clocher étrangement tordu, à rendre Pise jalouse, et le site du Gouffre. Sans oublier la Pointe du château qui permet d’admirer, outre le phare de la Corne, l’île d’Er, à l’embouchure du Jaudy, le fameux archipel des Sept-ïles*. A Plougrescant comme ailleurs sur le circuit de la Côte des ajoncs, de nombreux panneaux « voies sans issue » sont à prendre délibérément, car ils conduisent vers des petits « spots » charmants et dépeuplés, sauf par les oiseaux. « Er Varlenn », par exemple, est un chemin qui débouche sur un paysage ostréicole truffé d’îlots et de rochers qui donnent l’aspect d’une dentition monstrueuse à la surface de l’eau. Et il y a toujours un circuit pédestre à prendre ou à reprendre, qui caresse le littoral par ses rochers et ses ajoncs, ses falaises et ses chemins bordés de fougères. Passée la zone de Plougrescant, le paysage côtier devient somptueux, sauvage, paisible. Un parfum capiteux d’algues et de varech emplit les poumons, des goélands planent à l’appui du vent, et tout autour, côté terre, la campagne (que l’on aurait tendance à négliger), est douce, piquée de bois de conifères, de maisons en pierre habilement planquées ; à l’abri des intrusions indiscrètes. Sauf celle, de carte postale, qui se niche entre deux rochers, au bord de l’étang de Castel Meur. Il flotte partout, sur cette côte des ajoncs, un air d’Irlande, que l’on retrouve du côté de Killorglin, dans le Kerry. Pors-Scaff, est une magnifique anse hérissée de rochers, où l’on foule de gros galets roulés, qui donnent un aspect lunaire au lieu. De là, on emprunte un sentier côtier vers Roch Wen, l‘anse voisine, puis Roudour, direction Ralévy et l’anse de Gouermel ; pour une pêche à pied en famille, si la marée est basse. De multiples sentiers pédestres sont proposés par les dépliants des offices du tourisme. Il ressort un sentiment formidable de souci environnemental : l’accès y est strictement réglementé : pas de vélo, pas d’animaux, même un chat tenu en laisse y est proscrit. A Buguelès, soit nous poursuivons en boucle le Circuit des ajoncs jusqu’à Tréguier, en redescendant par Penvenan, Camlez, Lannion, Guingamp. Soit nous nous arrêtons quelque part pour dormir et l’on demeure sur le littoral, pour suivre la Côte de granit rose, qui prend le relais, avec ses célèbres rochers ronds, le lendemain dès l’aube !La route passe par Port-Blanc, les Dunes, jusqu’à Perros-Guirec, via la grande plage de sable fin de Trévor-Tréguignec. A Perros-Guirec, le GR 34, en 2h30, propose un aller-retour sur le Sentier des Douaniers, testé, accessible aux handicapés, qui invite à ne jamais quitter le chemin. En effet, la fréquentation de la Côte de granit rose a fini par perdre sa végétation et à souffrir de l’érosion (lire encadré). L’idéal est d’aller jusqu’au bout de la Côte de granit, à Trébeurden, et même à la Pointe de Bihit où une table d’orientation idéalement située, offre un panorama fantastique sur la région (anse de Lannion à l’ouest, Roscoff et l’île de Batz devant, l’île de Milliau (accessible à pied sec à marée basse), Perros à l’est), puis de revenir à Trégastel, pour l’île Grande et sa station ornithologique de Pleumeur-Bodou, et surtout la presqu’île Renote, qui offre sans doute –avec Ploumanac’h depuis la plage de Saint-Guirec-, le plus beau chaos de granit rose de cette superbe tranche de côte. À Ploumanac’h et ses Landes, coup d’œil sur l’île de Costaérès et son château. Longer la plage et emprunter le sentier des Douaniers, sur 5 km,  jusqu’à Trastréou, permet de découvrir, passé le  phare de Min Ruz, de micro-criques : Kamor, Laeron, Skevell, Rolland, et surtout les rochers célèbres aux noms évocateurs : la bouteille renversée, la tête de mort, les amoureux, le lapin, la sorcière, la tortue… Certains préfèrent la Vallée des Traouïéro, de Perros à Trégastel, par le Moulin à marées, plus bucolique, plus botanique aussi. L’une n’empêche pas l’autre. Un pique-nique et hop ! L’ensemble est réalisable dans la journée, et à un rythme contemplatif.

    L.M.

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    *Rouzic, Malban, Les Costans, Bono, l ‘île aux Moines, l’île Plate et Le Cerf. Départ en bateau depuis la plage de Trestraou (Perros-Guirec) pour le royaume incontesté des oiseaux marins –Fous de Bassan notamment-, et autres phoques gris.

     


    Erosion, mon beau souci…

    La Maison du (Conservatoire du) Littoral, associée à la commune de Perros-Guirec, idéalement située sur le Sentier des douaniers au départ de Ploumanac’h, s’emploie depuis dix ans, et avec succès, à protéger la Côte de granit rose, en particulier le Sentier des douaniers. Classé depuis 1946 au titre des Monuments naturels, il est emprunté par 800 000 visiteurs annuels : cela n’use pas que les souliers. C’est pourquoi nul ne doit s’écarter du sentier pédestre (interdit aux vélos et aux animaux de compagnie). Jadis, son absence a fait disparaître toute végétation. Elle est aujourd’hui protégée par des filets horizontaux en toile de jute, et des câbles tendus dissuadent de marcher hors sentier. Les résultats, palpables (l’herbe repousse !) ne doivent justement pas être palpés... Quatre permanents y veillent à longueur d’année, qui proposent également des expos sur la faune, la flore, l’archéologie ; et des balades commentées. Tél : 02.96.91.62.77
    ITINERAIRE
    Train depuis Paris-Montparnasse jusqu’à Paimpol, via Guingamp.
    Premier jour : prendre la Côte du circuit des ajoncs depuis Tréguier jusqu’à Buguelès en voiture, mais en la laissant le plus souvent possible pour emprunter un des nombreux sentiers pédestres qui longent le littoral. Second jour : Longer la Côte de granit rose depuis Perros-Guirec jusqu’à Trébeurden en voiture, puis la laisser à Ploumanac’h pour emprunter le Sentier des douaniers jusqu’à Perros-Guirec.

  • Presse-Papier

    medium_thumb_Sans_titre.6.JPGPolitis est aux abois et lance un appel (le polithon), pour rassembler un million d'euros avant la fin du mois.

    Preuve que la presse est vraiment malade...

    (Rendez-vous sur http://www.pour-politis.org/  Et pour les messages de soutien : pourpolitis@orange.fr).

    Libé lance son dernier (?) plan de sauvetage. Continuons de l'acheter chaque matin.

    Mais bon, Le Monde et le groupe Bolloré (Direct Soir) lancent le 6 novembre un nouveau gratuit, Info plus. Il me tarde de voir çà.

    Metro lance une nouvelle formule, fort de son assise enfin marquée.

    Axel Ganz va lancer son féminin, Jasmin.

    Mais le Français passe désormais plus de temps à lire la presse sur le net et achète par conséquent moins de journaux, surtout quotidiens.

    Qu'est-ce que je pourrais lancer, sinon des galets bien plats sur l'eau lisse pour faire le plus de ricochets possible?

    Je me le demande, ce soir.

    En revanche, si vous avez un (ou deux) million(s) d'euros à investir, je me pose comme rédac'chef, puisque c'est mon métier.

    J'ai des projets plein la tronche et de grands départs inassouvis en moi...

     
    et pour finir cette note, je vous recommande le blog DES LIVRES ET MOI http://deslivresetmoi.hautetfort.com/ 

     

  • En feuilletant Georges Henein

    Cerné, au même titre, par l'existence et par son éclipse. Cerné comme un visage qui usera désormais de sa fatigue comme d'un argument littéraire à l'égard de la vie.

     

    Bel horizon de lave refroidie, aux oiseaux stables, aux pas enchâssés dans l'immobilité suprême, dans le triomphe du manque d'avenir.

     

    Faire un de ces chemins humains qui se comblent d'eux-mêmes, qui vont, de mousse en repli, jusqu'à l'orgueilleux et ultime effacement.

     

    L'éventail du brouillard vient à peine de s'ouvrir. C'est le moment où tout peut se feindre, sans que rien puisse se nommer.

     

    Comment écouter quoi quand le qui n'est plus là, quand l'absence n'est personne?

     

    L'insistance de la vie se fait soudain légère. Un cerf-volant passe les cimes.

     

    Ce qui n'a pas été dit, ce qui a été soigneusement placé hors-circuit, ne se résorbe pas pour autant. Et ce qui ne se résorbe pas finit par constituer non pas du silence, mais un double du langage. Un langage retiré avant l'heure et qui s'alcoolise tranquillement dans sa cachette.


    ...Le délicat pourrissement des confidences refusées...

     

    Une fleur de silence cueillie sur le chemin des ténèbres intérieures.

     

    L'aube n'en finit plus de se lever dans un pays où il n'est jamais midi.

     

    La disposition amoureuse n'est pas une exigence de la vie, mais une forme de respiration, un principe d'ampleur.

     

    Il y a sur une certaine table

    un objet qui sourit à travers tous les sommeils du monde

    c'est un visage (...) jamais oublié

    un visage qui berce

    l'infinissable neige du souvenir... 

     

  • Fragile, changeant, sensible, charmant!

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    Biarritz, un jour, c'est gris et morne (note précédente), et le lendemain c'est le bonheur.

    voila ce qui définit ce pays : l'imprévu, la surprise, la  pétulance, comme la fantaisie dans un couple, quand celui-ci demeure : ciel bleu, chaleur d'août, la mer est plus douce qu'en été, la journée se passe en maillot, dans l'eau, sur le sable, à suivre les plages au gré de la marée qui monte : milady, ilbarritz, marbella, côte des basques aller retour...

    jours d'été même pas indien, d'été pur, silencieux, calme, serein, bleu, espagnol un brin, basque à mort, doux, tiède, salé, poisson à la plancha, rioja, sable chaud, douche sur la plage douce et tiède elle aussi, coucher de soleil de la mort.

    prendre un tgv pour paris, après, c'est suivre le chemin de l'abattoir.

     

  • Octobre à Biarritz

    Il y flotte comme un atmosphère de désertion. Peu de gens marchent dans les rues, et un silence oppressant par endroits, qu'augmente le plomb du ciel, charge notre propre balade au bord de la plage, du Port des Pêcheurs au Port-Vieux, et de la Côte des Basques à la rue Gambetta, d'un ton clandestin à peine moins blâfard que l'air. Heureusement il y a l'iode, le vent -timide mais là-, les vagues parfaites le matin, une douzaine d'huîtres au Bar du Marché, et le bonheur simple de lire la presse devant l'océan, en inclinant de temps en temps le journal pour lire l'eau et laisser à la fin l'écume des nouvelles, en lui préférant le ressac.

  • Grâce

    "Elle a des yeux de voleuse de cerises
    Elle possède un regard foudre ourlé de si beaux cils
    Des yeux qui disent malice ma brise me grisent 
    Elle n'a pas les mots dans les poches
    Elle ne garde pas ses cils dans ses yeux feu
    Elle, mon beau souci, please!
    S'il plaît  au soleil d'ici, je percerai à jour azur le secret des si lisses cils
    Ses yeux hélices plissent de rire silice feliz
    Délice, délice des cils, délices l'hélice de tes yeux
    Tornade au coeur de mon ventre tord mon sourire d'être sous ton regard
    Malicieuse balise océane
    Ton sourire essuie le sel des larmes
    Attise bizzzz la nuit des nuits
    Versa-t-il, Ulysse, un regard lisse sur sirènes, dis?
    La nuit  versatile
    Les courants sensibles
    La mer lisse
    Tes si doux cils délice
    Ta peau mica
    Ont conduit Ulysse à Ithaque attaque, tic sous cils style
    (genre...)"
     
    Vassilis Damestoios 
    Traduction : J.B.Adamsberg (Athènes, 2006)

  • Sanlucar de Barrameda

    En ce moment, je cite, j'ouvre cette colonne aux autres, aux émotions textuelles de mes jours et de mes nuits. Ce matin, c'est à celui qui fut mon premier rédacteur en chef (à Sud-Ouest Dimanche, années 80), et qui est par ailleurs écrivain, Pierre Veilletet, que je donne la parole. C'est la fin d'un de ses papiers consacré à Sanlucar de Barrameda (l'une de mes querencias andalouses), dont il a fait son port d'attaches (après Bordeaux). Sa comparaison avec Naples et l'esprit napolitain est contestable; mais assez bien vue...

    "Si vous ne connaissez pas la Place du Cabildo ou le Bajo de Guia à l'heure où l'on partage les tortillas de camarones, quelque chose manque à votre culture du bonheur. Je n'ai rencontré pareil savoir-vivre, au plein sens du terme, que dans un autre port, celui de Naples. Toutefois l'enjouement m'y a paru un peu surligné; ici on n'est pas moins théâtral, mais la spontanéité l'emporte presque toujours sur le cabotinage. Mon port d'attache, mon havre de paix n'a qu'un inconvénient : plus j'y séjourne et plus je trouve au retour la France maussade et rogue." 

     

    Cette remarque est à rapprocher d'une autre, d'une justesse difficilement contestable. Nous la devons à Nicolas Fargues. Il écrit ceci, dans J'étais derrière toi (POL), à propos du regard, soit d'une opposition de caractère entre le Français fielleux et l'Italien bien dans ses baskets :

    "Ce que j'ai pu noter aussi, dans cette trattoria, c'est qu'en Italie, les gens se regardent vachement plus ouvertement que chez nous. Si tu ne présentes pas trop mal, si tu fais un peu gaffe à ta mise, on te mate, et c'est assez gratifiant. C'est agréable, ce côté fair-play de gens qui ne mettent aucun orgueil à faire semblant de ne pas t'avoir remarqué, à faire forcément la gueule. Eux, ils matent et ils assument."

    Relire ça me donne envie de me barrer à Procida, à Sanlucar, ailleurs, té!.. 

  • Lettre

    Tu m'as dit si tu m'écris

    Ne tape pas tout à la machine

    Ajoute une ligne de ta main

    Un mot un rien oh pas grand'chose

    Oui oui oui oui oui oui oui oui

     

    Ma Remington est belle pourtant

    Je l'aime beaucoup et travaille bien

    Mon écriture est nette et claire

    On voit très bien que c'est moi qui l'ai tapée

     

    Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire

    Vois donc l'oeil qu'a ma page

    Pourtant pour te faire plaisir j'ajoute à l'encre

    Deux trois mots

    Et une grosse tache d'encre

    Pour que tu ne puisses pas les lire

     

    Blaise Cendrars 

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  • Envie d'en croquer un, ou deux...

    Eloge de l’ortolan
    medium_ort.jpeg Plus transgressif, tu meurs. Il est interdit de le capturer aux matoles, ces cagettes qui le prennent vivant, entre la mi-août et la fin septembre, sauf si l’on est agriculteur et que l’on respecte un cahier des charges kafkaïen. C’est la résultante d’une tolérance, autrement dit d’un presque vide juridique, et d’un savoir-faire ancestral auxquels les héritiers d’aujourd’hui tiennent davantage qu’à la prunelle de leurs yeux, qui leur permettent pourtant de scruter le ciel avec science, lorsque le temps de la migration bat son plein. Il est engraissé jour et nuit et, ce bruant particulier (emberiza hortulana), le seul de la famille qui soit capable de tripler son poids en deux à trois semaines, devenu gras comme un moine, achève sa vie dans un verre d’armagnac, qu’il aspire et dont il inonde ses chairs. Ce qui ne gâche rien, honore l’oiseau et son bourreau. Plumé, non vidé, placé dans une cassolette à sa taille –comme un cercueil de luxe-, il est servi aux convives tandis qu’il « chante » encore tant il grésille. La serviette sur la tête, afin de ne pas laisser échapper son fumet et de masquer la grimace du dégustateur qui se brûle et se huile les babines (comme çà les tenants des deux théories du port insolite de la grande serviette sur la tête seront contents), il est dévoré avec les doigts jusqu’au bec. Tout le reste se mange, possède le goût de la noisette, du foie gras… et de l’ortolan. Et surtout, surtout, de l’interdit. Un goût indéfinissable. Autrement, ça se saurait.

    (j'avais publié ce petit texte dans "Le Monde", il y a trois ans environ, dans le cadre d'un dossier de 8 ou 12 pages que j'avais piloté, sur le thème des Menus de fêtes. Et là, subitement, cet après-midi, je suis pris d'une envie d'en manger!.. De l'ortolan).