Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Voir (Journal impudique, 2)

En dépit de notre imaginaire, de nos peurs et d'un certain dégoût culturellement partagé, la lente déliquescence du corps vivant m'est plus insoutenable que l'idée de la lente décomposition du corps mort. Ne pas voir et se faire une idée "de" augmente l'horreur, c'est vrai. Mais voir, de nos yeux voir, réduit l'imagination à néant et nous fout à la gueule une cécité qui commence à droite, une hémiplégie qui se manifeste à gauche, une incontinence qui exige un attirail ordinairement dédié au nourrisson. La régression, le retour, le bouclage de la boucle. Le nourrir à la cuiller, une serviette (bavette) sous le menton mal rasé... La mort, parfois, ressemble au retour au ventre maternel. Je pense que mon père ne serait pas contre une plongée finale dans le sexe de sa mère, comme dans un film d'Almodovar ("Parle avec elle", je crois, ou bien "Tout sur ma mère"). Malgré toute sa conscience, et donc toute sa douleur, je ne lui poserai pas la question. Oui, ce soir plus que jamais, je pense à la parole phare de René Char : "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil". Car mon père est frère de soleil, homme solaire, homme marin,  Méditerranéen comme on peut être Africain (selon un Tiken Jah Fakoly : globalement, totalement : sans distinction de frontière), Napolitain né sur le sol Africain, d'Algérie, Camusien comme le soleil en face de "l'Etranger", ou celui qui grille la pierre des "Noces à Tipasa". Le Camus de "l'Eté", des "Noces" (le plus beau. Le Camus essentiel)... Corticoïdes. Tumeur récidivante. IRM. Scanner cérébral. Marre de ce vocabulaire Vivagel. Face à cela, il y a l'irrémédiable de son regard en fuite, mais encore et plus que jamais droit. Un regard qui hurle. Je sais, ce soir, que le regard peut hurler. Et qu'il peut le faire avec infiniment de pudeur, comme pour s'excuser d'être encore là, encombrant, et de nous donner tant de peine -je veux dire de travail. Shit.

Je pense tout à coup à James Dean et à Roger Nimier, parmi des millions de mecs morts au volant. Le premier à 150 km/h : la vitesse de la légende vivante qu'il se construisait. Le second au volant de son Aston Martin, un 19 septembre 1962, aux côtés de Sunsiaré de Larcône. La mort qu'il faut. La mort qu'il nous faut. A tous. Non?..

Les commentaires sont fermés.