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La vague goffmanienne

Cela pourrait rester goffmanien -pour parler comme les étudiants en ethno-, en référence aux travaux célèbres d'Erving Goffman sur les comportements sociaux. La littérature peut mieux faire et c'est l'une de ses vertus. 

La scène se passe à la plage de La Chambre d'Amour, à Anglet (64). Plus exactement sur le parapet qui la surplombe. L'Océan est agité, la marée haute et rebelle. Les vagues frappent les blocs de pierre extraits de la montagne proche, empilés là pour amoindrir l'ardeur de la mer qui érode la côte.

Un homme de petite taille, vêtu pauvrement mais avec soin : veste bleue élimée, pantalon assorti, chemise blanche à col "pelle à tarte" ouvert généreusement sur un poitrail plat, imberbe et maigre. Physique sec. Comme le sont sans doute ses gestes, et comme sa diction doit être : sèche. Rêche et abrupte. Par rafales, cet homme doit parler.

Il tire sur une Gitane maïs plus qu'il ne la fume. Il est debout sur le parapet que les vagues menacent d'éclabousser d'un instant, l'autre.

Les séries de vagues frappent, toujours plus menacantes.

Le petit homme regarde l'horizon; impassible.

Avec, en plus, cet air d'écouter les éléments comme on entend sans l'écouter, un bavard anonyme et aviné au comptoir d'un bar. Sans prendre la peine de répondre à ses questions enchaînées et qui n'attendent d'ailleurs aucune réponse, mais seulement une approbation automatique.

Sans affect apparent, quoi.
Soudain, une vague plus forte que les autres  explose, gicle et inonde le petit homme debout sur le parapet.

Le douche.

Au lieu de s'exclamer et de reculer, l'homme "sec" ne bouge pas. Trempé, stoïque, il continue de tirer sur ce qui reste de sa Gitane imbibée. L'eau dégouline de ses cheveux jusqu'à ses pieds. Le regard des passants alentour, témoins de ce qui lui arrive, le paralyse plus sûrement qu'une injection d'anésthésiant. 

Cet homme foudroyé est en train de vivre l'un des moments les plus douloureux de sa vie.

Il regarde l'horizon. Imperturbable perturbé jusqu'aux os de l'âme.

Je partage sa douleur profonde du mieux que je peux. A distance. Impuissant. Juste témoin.

A l'heure où j'écris cette scène (30 octobre 06, minuit moins le quart), l'homme ne se trouve plus sur ce parapet de La Chambre d'Amour.

Et pour cause. Cette scène s'est passée il y a trente ans environ. Mais il m'a semblé capable de rester là l'éternité, tant je devinais son désir double de devenir invisible, ou bien d'être changé en statue.

Ce récit (envie de l'écrire enfin, ce soir), est une espèce de stèle en souvenir d'une scène quotidienne, ordinaire, sauf dans la Creuse, le Quercy, et autres lieux où l'Océan, de notoriété publique et donc largement admise, ne vient jamais frapper les parapets. Mais alors, jamais... 

Commentaires

  • bonjour pouvez vous me dire de qui est cette très belle peinture illustrant votre note sur une fenêtre à paros , je crois , merci

  • Lol ! C'EST UNE PHOTO, que j'ai prise cet été à Paros, d'un encadrement à-la-va-comme-je-te-pousse (contreplaqué, toile, peinture, truc et voilà), d'une petite fenêtre dans une rue ordinairement ensoleillée. Et ça le fait! J'y vois personnellement du Nicolas de Staël. C'est en effet une espèce de peinture. Une peinture fortuite de bricolo du dimanche après-midi qui ignore que nous en parlons, là. Je suis heureux que vous ayiez vu là une oeuvre picturale. Bonne soirée, Léon (je viens d'arriver à Bayonne, con!).

  • extraordinaire! j'y suis retourné et j'ai cherché la fenêtre mais je n'y vois qu'une peinture , de lumière , de mer , de ciel , de trouée , la méditerranée , (con !) du de Stael oui j'y retrouve pas mal de peintre du sud , bravo !
    j'aime beaucoup la note ce récit sur lequel je commente , très évocateur et puissant de mystère humain face à l'immensité , face à soi enfin ça parle tout seul ,
    je me réjouis de lire à nouveau d'aussi belle notes
    L

  • Merci de ces compliments, cher aloredelam! Il y a parfois des moments de grâce, comme çà, auxquels bien entendu on ne s'attend pas, lorsqu'on se promène dans une rue d'une île grecque... Quant à ce récit, il me trottait dans la tête depuis des années, et là, d'un coup d'un seul, il est revenu et sorti. Il m'a tant "marqué", ce bonhomme surle parapet de la Chambre d'Amour...
    Je suis allé voir votre blog : j'aime bien votre poésie (eau de toi), l'arbre de gaston miron... J'y retournerai. SVP = j'ai perdu la formule magique pour créer un lien sur mon blog. Merci de me la donner (en commentaire ou par mail), je pourrais ainsi commencer par faire un lien avec votre propre blog.

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