Envie d'en croquer un, ou deux...
Eloge de l’ortolan
Plus transgressif, tu meurs. Il est interdit de le capturer aux matoles, ces cagettes qui le prennent vivant, entre la mi-août et la fin septembre, sauf si l’on est agriculteur et que l’on respecte un cahier des charges kafkaïen. C’est la résultante d’une tolérance, autrement dit d’un presque vide juridique, et d’un savoir-faire ancestral auxquels les héritiers d’aujourd’hui tiennent davantage qu’à la prunelle de leurs yeux, qui leur permettent pourtant de scruter le ciel avec science, lorsque le temps de la migration bat son plein. Il est engraissé jour et nuit et, ce bruant particulier (emberiza hortulana), le seul de la famille qui soit capable de tripler son poids en deux à trois semaines, devenu gras comme un moine, achève sa vie dans un verre d’armagnac, qu’il aspire et dont il inonde ses chairs. Ce qui ne gâche rien, honore l’oiseau et son bourreau. Plumé, non vidé, placé dans une cassolette à sa taille –comme un cercueil de luxe-, il est servi aux convives tandis qu’il « chante » encore tant il grésille. La serviette sur la tête, afin de ne pas laisser échapper son fumet et de masquer la grimace du dégustateur qui se brûle et se huile les babines (comme çà les tenants des deux théories du port insolite de la grande serviette sur la tête seront contents), il est dévoré avec les doigts jusqu’au bec. Tout le reste se mange, possède le goût de la noisette, du foie gras… et de l’ortolan. Et surtout, surtout, de l’interdit. Un goût indéfinissable. Autrement, ça se saurait.
Plus transgressif, tu meurs. Il est interdit de le capturer aux matoles, ces cagettes qui le prennent vivant, entre la mi-août et la fin septembre, sauf si l’on est agriculteur et que l’on respecte un cahier des charges kafkaïen. C’est la résultante d’une tolérance, autrement dit d’un presque vide juridique, et d’un savoir-faire ancestral auxquels les héritiers d’aujourd’hui tiennent davantage qu’à la prunelle de leurs yeux, qui leur permettent pourtant de scruter le ciel avec science, lorsque le temps de la migration bat son plein. Il est engraissé jour et nuit et, ce bruant particulier (emberiza hortulana), le seul de la famille qui soit capable de tripler son poids en deux à trois semaines, devenu gras comme un moine, achève sa vie dans un verre d’armagnac, qu’il aspire et dont il inonde ses chairs. Ce qui ne gâche rien, honore l’oiseau et son bourreau. Plumé, non vidé, placé dans une cassolette à sa taille –comme un cercueil de luxe-, il est servi aux convives tandis qu’il « chante » encore tant il grésille. La serviette sur la tête, afin de ne pas laisser échapper son fumet et de masquer la grimace du dégustateur qui se brûle et se huile les babines (comme çà les tenants des deux théories du port insolite de la grande serviette sur la tête seront contents), il est dévoré avec les doigts jusqu’au bec. Tout le reste se mange, possède le goût de la noisette, du foie gras… et de l’ortolan. Et surtout, surtout, de l’interdit. Un goût indéfinissable. Autrement, ça se saurait.
(j'avais publié ce petit texte dans "Le Monde", il y a trois ans environ, dans le cadre d'un dossier de 8 ou 12 pages que j'avais piloté, sur le thème des Menus de fêtes. Et là, subitement, cet après-midi, je suis pris d'une envie d'en manger!.. De l'ortolan).