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  • Sagan, enfin

    Avec l’auteur des Bleus à l’âme pour prétexte, je risque une confession intime sur l’apprentissage et l'impulsion littéraires. Je parlerai de son œuvre lorsque je la connaîtrai davantage.

    Capture d’écran 2017-01-31 à 00.47.35.pngNous le savons, mais nous ne pouvons nous en empêcher : Écrire à chaud est néfaste, car peu clairvoyant. J’ai pourtant envie de dire combien « je suis Françoise Sagan », ce lundi soir, et combien « je suis » aussi (quelle prétention !) « Catherine Deneuve » au sommet de sa beauté dans « La Chamade », d’après le roman éponyme du « charmant petit monstre ». Merci à Arte, qui nous a offert un doublé, ce 30 janvier, avec le film d’Alain Cavalier (1968), et le documentaire « Françoise Sagan, l’élégance de vivre », réalisé par Marie Brunet-Debaines, enrichi de la voix et des témoignages infiniment touchants de Denis Westhoff, le fils de Sagan. Cela a permis d'oublier Brigitte Bardot (pourtant si présente, par palimpseste), devant la plastique inouïe de Deneuve. Et de découvrir en profondeur le personnage iconique de Françoise Sagan. Merci Arte pour cette soirée tout en tact, en légèreté, en vol de libellule au-dessus du torrent : Bien davantage qu'un James Dean féminin, Sagan est une hussarde, une femme pétrie de vie, cette chose qu’elle s’employa à brûler (avec élégance) chaque jour, chaque nuit par les deux bouts. 

    Capture d’écran 2017-01-31 à 10.02.22.pngNégligence

    Je confesse – et beaucoup se reconnaîtront dans ce qui suit -, avoir bêtement négligé de la lire durant de nombreuses années, la jugeant trop légère, allant alors jusqu’à me moquer de ceux qui la lisaient, à commencer par ma mère, à laquelle j’opposais Yourcenar, voire Duras, les jours d’égarement ou de colère capricieuse. L’époque n’était pas avare en marguerites, et le socle de la pensée était plombé d’un revêtement sartrien à toute épreuve, bien qu'assez peu résistant. Il fallait « faire genre », lire Barthes qui nous barbait, mentir en affirmant avoir aimé le dernier Sarraute, se jeter sur le nouveau Kundera comme un ovin dévot, faire semblant d’aimer l’engagement et même, déjà, conchier le poétique jugé ringard par de nouveaux tribunaux, de certaines proses somptueuses (le Rostand de Cyrano, le Morand nouvelliste, le Toulet de Mon amie Nane). Jusqu’à ce que Stendhal nous tire par la manche, un soir de lecture clandestine car tardive et sous les draps, d’un Dumas de fortune ou d’un Pergaud de contrebande, en nous chuchotant que « La politique dans un roman, c’est un coup de pistolet dans un concert ». Tout devint lumineux. Nous étions jeunes.

    Lumière

    Le déclic avait eu lieu timidement en classe de première, avec des extraits de Vents et d’Amers, de Saint-John Perse, et la bombe Alcools, d'Apollinaire, éveillé par un prof de Français iconoclaste (Lycée de Bayonne, 1975 - je resitue).

    Puis vint la vraie lumière, l’effet détonateur, cette lumière qu'alluma un ami, en me faisant découvrir pêle-mêle Blondin, Nimier, Drieu, Chardonne, mais aussi Huysmans, Barbey d'Aurevilly, Frank, Cioran, des écrivains éloignés d’une littérature de gauche engoncée et triste dans laquelle je me complaisais. Nous dévorions tous deux les livres plus vite que les termites les poutres et mon chien de chasse sa gamelle. Mon appétit accrût singulièrement au contact de cet ami littéraire capital. Nous poursuivions des études à Sciences-Po Bordeaux (ou bien c'était l’inverse : des études nous poursuivaient et nous nous planquions chez Mollat), car on se fichait pas mal de la politique (nous n’aurions cependant raté un cours de Jacques Ellul sous aucun prétexte). Mais nous préférâmes, une fois nos études achevées, oser invectiver Philippe Sollers dans un restaurant, d'une table l'autre, et mon ami aller chiper le courrier coquin de Gabriel Matzneff directement dans sa boîte aux lettres, rue des Ursulines, ce à la faveur d'une virée parisienne placée sous le signe de Léon Bloy et de Dominique de Roux. Nous étions de vrais sales gosses...

    Merci par conséquent à Benoît Lasserre, qui fit office de déclencheur décisif et d'accélérateur incisif. J'avais peu lu, jusque là. Un peu de Kipling et de London, Hamsun et Hölderlin avec passion, les Romantiques allemands, je dévorais la poésie française du XIXè, et puis Vesaas, Ramuz ; mais Lucky Luke surtout. J'avais cependant déjà placé Char et Gracq (découverts le 7.7.77) au-dessus de tous de façon péremptoire.

    Serait-ce grâce à M. Louis, le prof de Français et à mon ami que j’ai commencé d’écrire des livres... Si j’étais présomptueux, je risquerais la comparaison suivante : Mr Louis et Benoît figurent ce qu'ont pu représenter ensemble l'instituteur Louis Germain, Pascal Pia et Jean Grenier pour Camus.

    Stupéfaction

    Sa culture, déjà grande (nous avions vingt ans et des poussières), il la partageait avec moi comme le pain, en me tendant la plus belle part à chaque occasion, et elles étaient quotidiennes. Je découvrais une autre littérature, un pan complémentaire, en somme. Je mis un temps mon obsession de la Nature entre parenthèses (Rousseau, Giono, Genevoix, Moinot, Stevenson) ainsi qu'une attitude bornée qui boutait hors de ma jeune bibliothèque tout livre se déroulant peu ou prou en milieu urbain, car cela m’asphyxiait dès les premières lignes. Ainsi n'ai-je pu lire Proust que fort tard. 

    Aussi, Sagan. Jamais lue jusqu'à il y a peu. Sauf « Bonjour tristesse », mais en le rangeant par la suite dans un coin reculé des rayonnages. Qu’est-ce qu’on peut être bête, snob et bête, quand même… Ce côté petit-intello-de-gauche, sans réel fondement, a longtemps collé à la peau de nombre d’entre nous. Je fus même offusqué, un jour que je rendais visite à Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil, de voir en arrivant, posé sur la grosse télévision, reposant sur Télé 7 jours, le dernier Sagan. Je crois que c’était « …Et toute ma sympathie », à moins que ce fut « Derrière l’épaule », c’est possible aussi. Je n’en suis pas certain… C’était comme si mes yeux étaient tombés sur un Marc Lévy en visitant Flaubert à Croisset ! Allez comprendre. Allez comprendre comment, avec le temps, nous revenons – ou plutôt nous allons enfin – vers des Sagan, après les avoir négligés, méprisés au nom d’une barre placée haut, au nom d’une certaine idée prétentieuse, pédante, hautaine au fond, de la littérature.

    Ou alors, ou alors. Ou alors… notre époque décline (c'est un fait), au point que l’inculture, la déculturation ambiante, une certaine ignorance assumée, nous font mettre désormais la barre plus bas, là où ça nivelle, nous pousse à délaisser ce qui provoqua nos décharges d’adrénaline littéraires les plus fortes, et qui se trouve à présent relégué au rayon du trop littéraire, du compliqué, étiqueté prise de tête, donc superflu... De la même manière que nous jugions faible ce vers quoi je me rends ce soir avec délice : « la petite musique Sagan », ce style dépouillé et cheminant, ce côté romancière du couple comme le fut Moravia, ce timbre que les films de Claude Sautet possèdent, ces chansons d’Aznavour qui touchent les quadras adultères…

    Perspicacité

    Je trimbale avec moi depuis plusieurs jours un livre formidable de Sagan :Capture d’écran 2017-01-31 à 09.56.59.png « Chroniques, 1954-2003 » (Le Livre de Poche, dans une édition reliée, comme les « poche » ont pris l’habitude d’en produire à l’approche des fêtes, et qui hisse le format au rang d’ouvrage de collection). Ce sont ses articles (les chroniques sont des articles endormis, écrit Denis Westhoff dans l'avant-propos) sur tout et rien, parus dans L’Express, ELLE, Femme, Egoïste, Vogue, La Parisienne… Les textes sur Verlaine, Depardieu, sur Capri, Naples, sur la mode, le rugby, la lecture ou encore Orson Welles… sont des petits joyaux. C'est stylé, diraient les jeunes, espiègle (une marque de fabrique) et perspicace. L’auteur de tant de romans délivre aussi une écriture journalistique de talent.

    Car, sous ses airs distillés et shootés, sous ses paupières tellement lourdes qu’elles donnent envie de tomber avec elles - à l’instar des seins de Billie Holiday, et derrière une légendaire frange blonde bien commode, Françoise Sagan porte véritablement, passé le masque de la pudeur et de la distinction, un regard percutant et précis sur les êtres, les sentiments et sur les choses, comme une flèche décochée trouve le mille sans aucun bégaiement. Alors oui, ce plaisir tardif de retrouver quelque livre racorni publié par Julliard ou Flammarion et au titre singulier emprunté parfois à Éluard –un titre saganien (ça se dit ?), faire provision de quelque Pocket à la couverture douce et claquante, puis lire peinard, désinhibé, procure un plaisir simple incroyablement bienfaisant. Merci par avance, Françoise Quoirez, de Cajarc (Lot), car nous n’avons pas fini de découvrir vos sortilèges. L.M.

     

  • déconnectionature

    Capture d’écran 2017-01-29 à 13.47.26.png

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Voilà un drame auquel je pense de façon récurrente depuis que je suis devenu père. Vivre au plus près de la Nature, en oublier sa nature humaine, tenter par tous les moyens de nous confondre avec le monde animal, afin d'être accepté par lui en ses territoires, pratiquer l'approche, le mimétisme, l'oubli absolu de soi et de notre culture, de nos repères, pratiquer l'imprégnation au plus près, retrouver avec un bonheur ineffable notre instinct enfoui - autant que faire se peut -, est non seulement un plaisir (le plus grand que j'ai jamais connu, éprouvé, ressenti de toutes mes fibres d'homme sensible), mais une nécessité; désormais. Car, nos enfants : les miens d'abord, les tiens ensuite, lecteur, n'ont hélas qu'une vague idée de la prédation et de sa nécessaire cruauté (un concept culturel, déjà - ça commence!), condition sine qua non de la survie de chaque espèce dans la chaîne écologique, alimentaire et blablabla. Ils ne savent souvent de la viande qu'une barquette blanche recouverte de cellophane avec un extrait posé à plat, froidement, entre. Et refusent de savoir l'entre deux : l'entre vie-et-mise au rayon frais. C'est bien sûr désolant, attristant même. Y remédier semble aujourd'hui peine perdue, tant la "décadence" (annoncée par Michel Onfray), semble en marche. Donc, la déconnection. Un mal planétaire. Celui de l'intermédiaire, du filtre virtuel, celui de l'Internet - je ne ferai pas de dessin, c'est inutile. Chacun comprend. Cette déconnection-là, la Terre la paiera cher. Car, pour une fois, la méconnaissance du "terrain" va plomber durablement l'espèce humaine. Parce que, au fond, chacun s'en fout et se contente de dédouaner sa conscience en "likant" tel truc ou telle cause sur un réseau social. Affligeant, non?.. L.M.

     
  • Clémentine

    photo bouteille clémentine.jpgCette splendide eau de vie de clémentine corse bio, c’est du pur fruit que l’on « mange » tandis que nous la humons longuement, puis la dégustons lentement, au goutte à goutte, et c’est aussi comme un panier de clémentines chaudement cueillies que l’on a respirées sur l’arbre, juste avant d'en éplucher quelques unes. C’est magique. La distillation est décidément une alchimie. C'est l’art de déstructurer (à leur arrivée, les fruits sont découpés à la main et mis à macérer), dans le respect absolu de la matrice, le produit « mère ». Ce que Martine Brana réussit à faire, avec ce nouvel opus - ajouté à la gamme prestigieuse de la distillerie Etienne Brana, dont elle est la talentueuse héritière. Voici la quintessence du fruit, une sublimation par la transparence éloquente de l’alcool. Bonus esthétique et séduisant, le flacon est d’un chic redoutable. Aussi troublant que ceux que l'on aperçoit encore, dans certaines pharmacies anciennes, sur l’étagère tout là-haut. Aussi fascinant qu’un élixir de longue vie embarqué par quelque grand marin explorateur du XVIII ème siècle, et que l’on dit capable d’affronter, en pensée - en pensée seulement-, les 40 èmes rugissants, le scorbut, la dysenterie, les Indiens et toutes les tempêtes de l’âme. Et du coeur aussi…

    Capture d’écran 2017-01-20 à 17.33.18.pngDonc, cette Clémentine. Qui résonne dans ma mémoire2016-12-14 01.16.04.jpg familiale… Car, ce fruit fut inventé  dans le verger de mon grand-père, au domaine Pont-Albin, sur la petite commune de Misserghin, située sur les hauteurs d'Oran. Une modeste orangeraie (avec des biagaradiers) qui devint le terrain de jeu expérimental du Frère Clément (Clément Rodier, 1839-1904), religieux spiritain. Le bien nommé était davantage attiré par la perspective d'effectuer des greffes dans le verger providentiel, que par l'orphelinat voisin dont il avait la charge... Il créera ainsi la mandarinette, rebaptisée plus tard clémentine, réputée sans pépins, à la différence de la mandarine; avec le succès que nous savons. En 1962, les nombreux pieds-noirs qui fuirent en Corse, ou qui retrouvèrent l'île de Beauté, y firent prospérer ce fruit nouveau. Aujourd'hui, 98% des clémentines en proviennent.

    Capture d’écran 2017-01-20 à 17.38.22.pngJe la savoure, cette Clémentine, comme je boirais l’eau glacée d’une source de montagne, à plat ventre contre le torrent, après une longue et rude randonnée on ne peut plus assoiffante, à cause du fil à retordre que des isards, et des truites fario nous auraient procuré.

    Et, c’est encore là, le miracle : cette eau de vie (44°) est un don, une apparition troublante. Une aventure sensorielle. Une émotion. A partager. Comme il convient de continuer de répandre la bonne parole à propos de la Prune, de la Poire et  de la Framboise issues de la distillerie artisanale basque. L.M.

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    812 flacons de 50 cl seulement. 80€ Sur réservation : Brana

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

  • Le Parler pied-noir en poche

    photo 2.JPGC'est étrange, et flatteur, de se retrouver aux côtés de Nicolas Bouvier (Journal d'Aran et autres lieux), d'Anita Conti (Racleurs d'océans), d'Alexandra David-Neel (Au coeur des Himalayas), d'Ella Maillart (La Voie cruelle), ou encore Werner Herzog (Sur le chemin des glaces), dans cette collection Voyageurs de la Petite Bibliothèque Payot.

    Mon Parler pied-noir arrivera donc en librairie le 18 janvier. Il s'agit de la réédition en format de poche de mon long-seller, paru en 1989 chez Rivages et constamment réimprimé depuis. Purée!..
    J'ajoute qu'il s'agit d'une nouvelle édition revue et - considérablement - augmentée (192p. 8€)

     
     
     
     
  • je me calfeutre

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    Le calfeutrage est une prison volontaire d’une grande douceur. On se love, on tourne en rond comme un chien au-dessus de sa couche, et pour un peu nous gratterions instinctivement, comme lui (et de manière totalement absurde, mais l’instinct n’est-ce pas…) jusqu’au carrelage, afin d’y trouver la chaleur imaginée sous la terre froide en sa surface. « Je me calfeutre », dit Cyrano. J’aime ce « feeuutre ». Le sentez-vous seulement? Il dit tout de ce que nous prenons alors soin de dissimuler avec circonspection : nos pieds d’abord, notre cou, nos extrémités, sauf le nez, quoique. Sous le plaid, la couverture, la couette, l’ensemble couvrant, le toit de la tente, même si celui-ci nous prive de la voute céleste et étoilée. J’ai vu des kayaks transparents à Mayotte. Quelle divine invention! Existe t-il des tentes translucides, comme à l’hôtel merveilleux « Aire de Bardenas », en Navarre, soit en plein désert, qui puissent nous offrir la possibilité de faire l’amour tout en regardant Orion ou la Grande Ourse – ce qui n’empêche aucune jouissance, bien au contraire. Aujourd’hui, 8 janvier, il ne fait pas chaud, et un tel euphémisme est toujours « le moins que l’on puisse dire ». Ou écrire. J’ai pourtant une furieuse envie d’enfiler une combi intégrale, de prendre une planche et d’aller, de courir, surfer. Glassy. Un mètre, un mètre cinquante, La Chambre d’Amour, ma chambre d’amour, des vagues accortes, avec des tubes ronds comme la nuit opportune, un vent d’Est, un ciel bleu pur et dur, un horizon sans promesses, pour une fois. « Que faire ? », dirait Lénine. « Foncer », répond Macron. Et vlam ! Mon époque me désespère, « la marée montante de la bêtise » (Camus) me rattrape. Faute de cieux, je choisis de lire Onfray pour tenter d’oublier tout ce bastringue. Nous surferons un autre jour. L.M.

     
  • Déon, addendum

    photo 1-1.JPGJ'ai retrouvé, plié en quatre dans mon exemplaire de Bagages pour Vancouver dédicacé par Michel Déon, cette page que j'ai rédigée pour « Sud-Ouest Dimanche », et parue il y a plus de 31 ans, le 8 septembre 1985 – putain, 31 ans !.. (A l'époque, Pierre Veillettet me laissait carte blanche dominicale). Outre le papier consacré à Déon, il y est question du délicat Charade, d'Anne Bragance : Les caprices du destin, et de quelques perles : Parvenir, haïr, perdre : Mes chers enfants, d'Yves Laplace, Tott, de François Tallandier, Tabou, de François Rivière, Tout l'été, de Jean Blot, et enfin de Mohican de Christian de Montella. Voici le papier sur Michel Déon, intitulé :

     

    LA VIE N'ATTEND JAMAIS

     

    « Mes arches de Noé », deuxième : Pour cette rentrée, Michel Déon nous offre une nouvelle galerie de portraits souvenirs avec « Bagages pour Vancouver ». Précipitez-vous !

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    photo 2-1.JPG

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    En marge de cette rentrée aux allures d’un lâcher de chiens affamés (lesquels auront un os ?), pas même annoncée sur les listes des parutions officielles, la sortie du nouveau livre de Michel Déon, « Bagages pour Vancouver » (La Table ronde), est aussi discrète que les couleurs de sa jaquette sont douces. Bouffée d’air pur ! « Bagages pour Vancouver » est le second volume de « Mes arches de Noé », recueil de récits entrecoupés d’une vie, celle de Déon. Le premier volume racontait la découverte de Spetsai, en Grèce, le Portugal de Chardonne, l’amitié de Kléber Haedens (les plus belles pages du livre), celle de Morand, de Cocteau et de tant d’autres îles…

    photo^^.JPGLe second est du même cru. L’auteur poursuit l’évocation de ses souvenirs, de ses amitiés, de ses voyages. C’est un Déon amoureux de la vie et désireux de la vivre avec fureur, qui nous apparaît ici. Conscient, comme Balzac, qu’une nuit d’amour, c’est un livre en moins, Michel Déon vit malgré tout à pleins poumons, touché par une des grâces de l’existence : une entière et permanente disponibilité. Sur la route de Port Lligat, où l’attend un Dali obsédé par sa philosophie du pet, Perpignan surprend le jeune reporter Déon au moment des ablutions matinales de la ville. Dali attendra ; la vie, elle, n’attend jamais.

    « Les gens de la nuit » écrivent le jour

    Fonceur, bringueur, Déon traverse en gourmand raffiné le Paris des années de béton (les années Sartre), avec des copains capables de désarmer toutes les tyrannies intellectuelles. Qu’ils s’appellent Laurent, Blondin, Nimier, Fraigneau, Laudenbach ou Hecquet (que La Table ronde ferait bien de rééditer) (*) tous ces gens préféraient les gueules de bois aux langues de plomb.

    C’est l’époque des reportages pour « Match », des lectures pour Charles Orengo, à la fois César, Machiavel et Chateaubriand des éditions Plon ; l’aventure bénie de « La Parisienne », jusqu’à ce que le Nouveau Roman pose sa cafetière sur la table et la nouvelle critique ses scalpels sur le billard. Ce sont les nuits alcoolisées, « rechargées » aux Halles et achevées entre les seins de jolies filles sans bas bleus… N’importe ! Ces jeunes dilettantes à l’ambition bien vertébrée savaient être jansénistes le jour. Ce sont encore les virées à « La Bourdette », chez Haedens, les blagues caustiques de Nimier, qui firent de lui un mythe plus qu’un écrivain… La découverte de la petite musique Sagan, l’amitié irlandaise avec Christine de Rivoyre, l’hommage au grand Fraigneau, qui répétait à ses cadets (dont Déon), que la vie est aussi une fête, que les moralistes sont des raseurs et l’amour un plaisir de civilisé. Bref, ce sont les années folles des hussards, vécues à 200 à l’heure dans la « Gaston-Martin » (un surnom attrapé devant chez Gallimard) de Nimier. Cette galerie de portraits-souvenirs, parfois émouvants (sur la tombe de Paul-Jean Toulet à Guéthary, chez une ancienne conquête à Saint-Jean-de-Luz), sont autant d’hommages aigres-doux rendus à une époque perdue, lost, et que Déon semble regretter : sans doute a-t-il à présent le sentiment d’être devenu un de ces aînés dont il croque admirablement le profil…

    D’entre tous, c’est celui de Coco Chanel qui reste au fond du verre. Magnifiée, telle qu’on la devinait, la grande dame ouvre le livre en nous apparaissant dans toute sa noblesse, vêtue d’un tailleur de tweed blanc et d’un immuable canotier, un soir de Noël, dans sa chambre au Ritz. Cette nuit-là, Déon l’acheva calé dans un fauteuil, dans son appartement de la rue Férou, en compagnie d’Angelo Pardi et de Pauline Théus, les personnages principaux du « Hussard sur le toit », de Giono (autre émotion vive). Ce fut une nuit inoubliable, gravée à jamais dans la belle mémoire du plus stendhalien de nos écrivains. « Remettez-nous ça ! », dira Blondin.

    Léon Mazzella

    Sud-Ouest Dimanche, 8 septembre 1985.

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    (*) C’est fait, depuis.

  • Déon

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    Je reprends la seconde édition de mon premier roman Chasses furtives, augmentée d'une préface de Michel Déon avec une certaine émotion, depuis que l'auteur des Poneys sauvages a disparu. Je lui dois d'ailleurs le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française que ce petit roman reçut à sa parution deux années avant cette réédition, laquelle date de 1995, comme je dois à un autre grand académicien disparu, Pierre Moinot, le second prix que le livre reçut (le même jour, d'ailleurs), le prix François Sommer. Il y  a eu une troisième édition depuis (*), et - imbécilement -  j'ai cru bon de ne pas y inclure cette préface. C'est con. Et je m'en veux, ce matin. J'ai relu également toutes les lettres que Déon m'a adressées depuis Old Rectory, Tynagh, Co. Galway (Irlande), au fil des années, ainsi que les quelques articles que j'ai pu écrire sur ses livres, en particulier Bagages pour Vancouver (pour Sud-Ouest Dimanche). Aussi, unephoto 2.JPG certaine mélancolie me saisit, et je revois par exemple Michel Déon dans ma voiture, une VW Polo noire, à Bordeaux, dans laquelle j'avais laissé Athos, mon griffon korthals, le temps long de notre dîner en tête à tête au Chapon fin, chez Francis Garcia, un soir de novembre 1987.

    Le clébard fit une fête de tous les diables à Déon, lorsque celui-ci se glissa dans un habitacle enrichi de parfums capiteux à faire fuir toute femme, et tandis que je m'excusais pour l'enthousiasme débordant de mon sauvage à poil dur, Michel caressait le chien à qui mieux mieux tout en m'engueulant copieusement pour ne l'avoir pas amené au restaurant (nous nous étions retrouvés au Chapon fin et je le raccompagnais à son hôtel). Là-dessus, il ajouta que son invitation à venir chasser la bécassine sur ses terres irlandaises ne pourrait cependant pas se réaliser en compagnie d'Athos, pour des raisons de quarantaine dissuasives. Et il le regrettait pour lui, pas pour moi! Un souvenir parmi d'autres... L.M.

    (*) Editions Passiflore, 2012.