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L'héritier

Qui se souvient de L’héritier, de Claude Fessaguet, paru en 1985 dans la si belle collection Le Chemin, de Gallimard, que dirigeait encore Georges Lambrichs ? Extrait (page 93) :
« Ces vacances devaient être les plus heureuses de ma vie. J’aimais Julie. La douceur satinée de sa peau, la façon qu’elle avait de pencher légèrement la tête en me regardant, la fragilité de ses poignets, tout en elle me donnait un bonheur aigu voisin de la douleur. Je ne pouvais me détacher d’elle. Je la suivais d’une pièce à l’autre sans cesser de la toucher, de l’effleurer, si bien que nos mouvements même dans les gestes de la vie quotidienne étaient ralentis, rythmés par le désir. La nuit, dans l’obscurité du sommeil nous restions rivés l’un à l’autre et le seul battement de ses paupières lorsqu’elle s’éveillait, suffisait à me ramener à la conscience. Julie ne bougeait pas mais je sentais son corps s’adoucir, mollir soudain et glisser contre le mien. Nous étions sans poids, lents et libres comme en eau profonde. Son désir était le mien, elle prenait de ma bouche les mots et les gémissements et de nos violences confondues naissait une paix émerveillée ou subsistait, lointain et sourd, le recommencement du désir. L’instant et le présent étaient si pleins que nous étions uniquement occupés à les vivre. Nous ne faisions pas de projets. Nous n’avions pas d’avenir. Boy devait me dire, plus tard, que nous ne faisions pas de projets parce que nous n’avions pas d’avenir. Dans sa bouche, ces mots avaient la froideur d’une évidence. »


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