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  • Le Politique et le Littéraire

    A la mémoire de Pierre Moinot.
     
    La tentation littéraire est une tendance récurrente chez nos hommes politiques. Rarement avec succès. Analyse du sujet
     
    N’est pas Malraux qui veut. Les hommes politiques  français ont toujours été tentés de faire une œuvre littéraire, en complément d’objet direct de leur destin politique. C’est plus fort qu’eux : laisser une si jolie trace de leur passage dans les Ministères ou dans les Chambres, semble être une habitude hexagonale, depuis Montaigne, tantôt maire de Bordeaux, tantôt auteur des « Essais ». Mais Dr Jekyll et Mr Hyde ne boxent pas toujours dans les mêmes catégories…Rarement avec talent, souvent avec peine, la plupart du temps, c’est en faisant seulement des livres que ces traces apparaissent. Et chacun sait que le livre ne fait pas la littérature, loin s’en faut. Les exemples fameux –contemporains seulement*-, se comptent sur les doigts de la main de Blaise Cendrars : André Malraux d’abord, Saint-John Perse, Paul Claudel, Léopold Sédar Senghor, Paul Morand. Et encore ! Parmi ceux-ci, les ambassadeurs sont-ils d’authentiques politiques ?Évidemment, nombreux sont ceux, parmi les ténors d’aujourd’hui, qui publient. Mais il est à noter que beaucoup s’adonnent à la biographie, d’un de leurs maîtres généralement. (Laissons de côté les ouvrages partisans, de programmes et d’entretiens).  Jack Lang, François Bayrou, Alain Juppé, Philippe  Séguin, Robert Badinter… Ils ont tous écrit « leur » Henri IV, leur François Ier, leur Montesquieu, leur Talleyrand. Des livres d’histoire. Certains excellents, d’autres hagiographiques, et d’autres encore tellement narcissiques que l’on se demande si ce ne sont pas des allégories du transfert. Des projections en forme de bio. D’où le fossé : Flaubert pouvait écrire : « Madame Bovary c’est moi ». Aucun homme politique, saisi par la tentation romanesque, n’a pu dire une chose pareille. Ils peuvent tout au plus laisser accroire que, François Ier, c’est (un peu) eux …Lorsque Valéry Giscard d’Estaing, amateur de Maupassant, s’essaye au roman, cela donne « Le Passage », et quand Alain Juppé se lance dans le Journal, façon « mes travaux et mes jours », cela produit « La Tentation de Venise » : deux ouvrages que la littérature n’a pas jugés bon de retenir.Autrement dressé, ce portrait de groupe revient à signifier que l’homme politique n’est pas littéraire, romancier, mais seulement essayiste ; si l’on excepte Malraux. Et il est rarement (grand) poète, comme Aimé Césaire.La tentation poétique fait de Dominique de Villepin un talentueux anthologiste. Pas un poète. (passer derrière l’incontestable Pompidou n’était pas aisé, sauf à moderniser le propos, ce qui fut fait), avec son « Eloge des voleurs de feu ». Citer René Char à tout bout de champ et de titre d’essai ne suffit pas pour être confondu avec un allié substantiel…L’exception vient peut-être de quelques esprits hors du commun, comme Jacques Attali, à la faveur du talent protéiforme et prodigieusement productif du sujet, lequel publie des essais remarquables et remarqués, et touche à presque tout, du traité d’économie au roman, de la biographie au théâtre… La tentation saint-simonienne a fait son succès avec les « Verbatim » élyséens. Depuis, chacun de ses livres se vend plutôt bien, y compris « La Vie éternelle, roman »...Autre cas à part et semblable au cas Attali  : celui de Régis Debray : brillant essayiste et romancier reconnu depuis « La Neige brûle », il est aussi un fin observateur critique de la sphère du pouvoir. Seulement, pouvons-nous considérer les conseillers du Prince comme des hommes politiques, au moins de l’ombre ? Si oui, nous observons alors certaines éminences grises effectuer un chemin à l’envers, qui va de la fiction à l’essai. Denis Tillinac, romancier employé à plein temps par la littérature dans tous ses états, est entré, sur le tard, dans le monde de la réflexion, en publiant des essais, parfois graves, « Elluliens »  –mais sans délaisser le roman pour autant! Cela se produisit peut-être à cause de (ou grâce à) son immersion en Chiraquie.Il y a le fantasme, aussi : le mythe Mitterrand est nourri par un amour immodéré des livres et de la littérature, qui en a fait un écrivain sans livres. Enfin : sans œuvre proprement littéraire. Un amateur. Un vrai grand homme politique à la française : cultivé et fin connaisseur de littérature classique. C’est la tentation colossale. Ainsi, chacun garde l’image de Tonton lisant « En lisant en écrivant », de Julien Gracq, dans l’avion présidentiel… Une image qui évacua l’auteur de « La Paille et le grain ». Normal ! Le patron de la politique française lisant « le patron des lettres françaises », comme l’a nommé un jour François Nourissier, ça en jette pour l’Histoire.Peut-on parler d’œuvres littéraires, enfin, à propos de certains ouvrages politiques ? Et en nous fondant sur quels critères ? Depuis Saint-Simon, que l’on peut prendre plaisir à lire en dehors du sujet qu’il traite, grâce à sa haute teneur littéraire, qui donc nous a émus ? Chacun possède sa « short list », selon sa famille politique et ses affinités.Les Mémoires valent généralement davantage pour leurs révélations, leurs secrets enfin dévoilés, que pour leur tenue littéraire. Font exception celles d’un De Gaulle (publiées dans la collection La Pléiade ! Mais l’Académie française, autre « collection » de luxe, a bien accueilli  l’un des successeurs du Général parmi les siens. Dans un cas comme dans l’autre, le soupçon de condescendance est de mise), ou celles d’un Pierre Mendès-France ou encore d’un Alain Peyrefitte. Chacun mes goûts !Et puis nous pouvons nous poser la question suivante : un homme politique s’étant retiré prématurément des affaires publiques, peut-il devenir un bon écrivain ? Il en a le droit. Mais le pouvoir ?.. Le cas de François Léotard, dont on commence à louer le talent, à l’occasion de la sortie de son troisième roman, « Le Silence », est relativement isolé. « La maîtrise du verbe s’acquiert », déclarait l’ancien ministre au « Monde des Livres », le 9 mars dernier. Huguette Bouchardeau, une fois ex-ministre, s’est essayée au roman. Elle est également devenue éditrice. Et elle nous permet ici, de parler, enfin, de femme politique, et plus seulement d’homme ! Les femmes de la trempe de Simone Veil sont rares. Encore plus rares celles qui font œuvre littéraire. Les Mémoires de Madame de Genlis sont là pour nous le rappeler, avec perfidie, tout en mettant en garde les femmes ayant des velléités d’écriture, « comme les hommes »…Le mundillo  littéraire demeure méfiant devant un produit comme le nouvel opus d’un François Léotard : l’auteur n’étant pas du sérail, il ne sera jamais « des nôtres »… L’attitude, corporatiste, exclusive et un brin hostile dans sa préciosité, est typiquement française. La méfiance du Littéraire est aussi  forte vis-à-vis de l’intrusion du Politique dans son pré carré, qu’envers celle du show-biz. Il a d’ailleurs une bonne raison de s’en méfier, le Littéraire : c’est lui, en principe, qui est sollicité pour faire office de « nègre » : le Littéraire tient la plume du Politique, comme il tient celle du chanteur ou de l’actrice. Alors, lorsque le premier tient tout seul sa plume, le Littéraire doute. Et hésite à l’accueillir  sur son terrain de jeu, où les règles d’appartenance et de maintien sont drastiques.On le voit bien, la tentation littéraire de nos hommes politiques est incontestablement plus fantasmatique dans le pays de Voltaire, que partout ailleurs, et c’est heureux. Nous vivons plutôt bien dans un pays qui parle de bouffe à table, se chamaille pour une sauce avec autant de virulence que pour un candidat à la Présidence, et adore débattre jusqu’à plus soif de la vénération de certains hommes politiques pour la chose littéraire. D’autant que cette bizarrerie, eu égard à la majorité écrasante de technocrates appelés à nous gouverner, aurait tendance à disparaître. À appartenir un jour au Musée, comme la cigarette de Pompidou, anthologiste de la poésie française, qui fut aussi Président de la République . Française elle aussi… L.M.
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    *Laissons le Cardinal de Retz de côté pour nous attacher à la modernité, ainsi que les auteurs étrangers : les Mario Vargas Llosa, les Carlos Fuentes, les Octavio Paz (pour ne citer que des écrivains Sud-Américains-, ayant fait ou continuant de faire œuvre politique en marge de leur œuvre principale). Ces derniers sont des écrivains qui « donnent » dans le politique, et pas l’inverse. 
     
    Texte publié la semaine dernière dans Le Journal du Salon du Livre. 

  • Allez au musée!

    medium_cover.jpgDans "Le Nouvel Obs" de cette semaine, édition Paris - Île de France, paraît un dossier que j'ai eu le plaisir de "piloter" (et de co-rédiger). Il est consacré à l'art contemporain en Ile de France et en province. Allez-y voir! Il y a des musées et des expos qui décoiffent, pour tout le monde, dans l'Essonne, le Val de Marne, le Limousin, à Bordeaux, Montpellier, Caen, Rennes, Rouen, Saint-Paul-de-Vence, Sérignan -dans l'Héraut... C'est pas de la pub, c'est un "post" sur mon blog? Hé! Ho!

  • Les bigoudis verts de Voltaire

    « Il faut cultiver son jardin »

    Candide n’avait pas raison : il a raison. La fameuse phrase de Voltaire résonne aujourd’hui comme une bouffée d’air frais chargé de chlorophylle. L’encre a toujours aimé la proximité de ce parfum-là. Le génie des Lumières est là. La riche idée de donner tant d’espace à l’allégorie du jardin ! De rappeler qu’il est un vrai sujet littéraire, une source d’inspiration, un lieu d’écriture, un puits de métaphores. L’art du jardin –une vraie science extrême-orientale-, enseigne, dans le Yuan Ye, qu’il faut borner les sentiers des Trois Bons Amis : le prunier, le bambou et le rocher, car il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. Quid de la littérature aujourd’hui ? Son ambition n’est-elle pas, depuis l’invention de l’écriture, de durer, elle aussi, mille automnes ? Or, lorsqu’elle passe l’hiver, elle s’estime heureuse ; survivante… L’enseignement du jardin, celui de Voltaire, et de tout jardinier, sont bien là : planter pour durer, travailler pour laisser la trace. « La démarche créée le chemin », chuchote le poète Portugais Eugenio de Andrade. Suivre la leçon, ne pas succomber à la tentation des paillettes, rester sourd aux Sirènes de l’Ephémère. Air connu, c’est vrai. Mais qu’il faut malgré tout chantonner régulièrement. Oui, le jardin procède donc d’un authentique art de vivre. Le jardin ou le génie du lieu. Le jardin comme soupir. Comme pansement pour apaiser  l’asthme allégorique et chronique qui saisit tout amateur de littérature. Face à  l’anxiété récurrente du mundillo littéraire devant la mort encore annoncée du roman, il y aura toujours le recours salutaire au jardin. LM
    (Edito du Journal du Salon du Livre de Paris, 23 mars 2007).




  • René Char, l’indispensable


    À l’occasion du centenaire de sa naissance, le pays fête l’un de ses très grands poètes. Char devient un compagnon pour de nombreux lecteurs. Qui s’en plaindra, en ces temps de manque ?
    René Char aurait donc eu 100 ans le 14 juin prochain. Avant d’évoquer le poète, ce numéro du Journal du Salon étant consacré au « littéraire et au politique », il nous est permis d’évoquer brièvement le Capitaine Alexandre –surnom de Résistance de René Char-, autrement dit les années sombres qui donnèrent ce chef d’œuvre de poésie et d’engagement intitulé Feuillets d’Hypnos. Des notes qui « marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela ».
    medium_char.GIF Marqué par le message d’Héraclite et par celui d’Hölderlin, Char se situe dans la filiation directe de ces grands voyants. Poète solaire, de l’éclair et du fragment, de « la radicalité de la nuance » (l’expression est de son ami Albert Camus), René Char est aujourd’hui fêté comme l’immense poète qu’il est. Aimé passionnément, plébiscité, lu par de plus en plus de jeunes, la poésie de Char a même inspiré au moins deux générations de poètes, dont une a déjà pris sa retraite. Car le plus difficile peut-être, lorsqu’on entretient un commerce avec la poésie morale de Char, avec ses aphorismes parfois abscons, ses déclarations fulgurantes –derrière lesquelles il nous semble chaque fois entendre sa voix forte à l’accent provençal-, soit avec l’essentiel des poèmes qui composent ses recueils majeurs : Fureur et mystère, Les Matinaux, La Parole en archipel, Le Nu perdu, Recherche de la base et du sommet, c’est de savoir se débarrasser progressivement de Char, dont l’influence est tentaculaire. Char envoûte. Char nous dure. Ils sont nombreux à être tentés de faire de sa poésie, non seulement un oeuvre de chevet, mais un bréviaire pour chaque matin qui se lève. Un compagnon de route. Un viatique. Un allié substantiel… Citer Char peut devenir une manie. Il en existe de pires. Mais, à la manière d’un conseil à un jeune poète, j’ai envie de chuchoter que le danger est alors de se trouver sous emprise. Il faut, à la fin, se garder de Char...
    À l’occasion de ce centenaire et du Printemps des poètes, l’indispensable collection Poésie/Gallimard, que dirige un autre poète qui a
    medium_Couv_Pays_de_Rene_Char_.2.jpg connu Char, André Velter, publie une édition exceptionnellement belle, précieuse, de Lettera amorosa (enluminée par Georges Braque et Jean Arp). Il s’agit sans doute du plus beau poème d’amour en prose française du XX ème siècle (avec Prose pour l’étrangère, de Julien Gracq). Lettera amorosa devrait être à l’authentique poésie de l’amour pur, ce que Belle du seigneur est devenue au fil des ans, pour le roman de l’amour fou : le cadeau idéal à faire à celle ou celui que l’on aime. C’est en tout cas tout le « mal » que je souhaite à ce magnifique petit livre bleu. De même que je souhaite à tous ceux que l’environnement et l’esprit de l’œuvre de Char intéressent (Char est en effet indissociable des amitiés nombreuses qu’il noua avec les peintres qui comptent le plus aujourd’hui), de plonger dans le magnifique album que Marie-Claude Char donne à Flammarion : Pays de René Char. L’épouse du poète de l’Isle-sur-la-Sorgue n’a de cesse d’œuvrer au rayonnement de cette œuvre capitale, et qui ne fait que grandir, depuis la disparition de son auteur en février 1988. Ce nouvel ouvrage de Madame Char, d’une très haute tenue, nous fait pénétrer l’intimité du monde de René Char.  Aux Busclats, à Paris, en Alsace, ailleurs, en famille, en compagnie d’amis : résistants, compagnons de son village, artisans, peintres célèbres : Gaspérine, Braque, Giacometti, Staël, écrivains et poètes : Camus, Eluard, Dupin, compagnons de route artistique comme les époux Zervos. Tant d’autres personnages admirables, inconnus ou célèbres, ayant fait du chemin avec, à Céreste notamment, ayant vécu la simplicité des jours, l’importance de l’art, le sérieux –ou l’impérieuse nécessité plutôt-, de la poésie, en commune présence avec le poète. « Partout en son Pays : la poésie », souligne Marie-Claude Char. Un ouvrage de référence paraît. Char est splendidement fêté. L.M.
    (texte paru dans Le Journal du Salon du Livre de Paris qui vient de s'achever, et que j'ai co-rédigé chaque jour). 

  • En lisant...

    Quelques notules sur mes lectures récentes
     
    Les Classiques du Rugby
    Nul ne s’étonnera de ce que Denis Tillinac, Pdg de La Table ronde, auteur lui-même d’un inoubliable Rugby blues, lance une collection intitulée « Les Classiques du rugby », qui se propose de publier 15, ou plutôt XV titres d’ici le coup d’envoi de la Coupe du Monde, contre laquelle la collection entend s’appuyer. Six titres sont déjà sortis : ce sont tous de salutaires rééditions. Des classiques, comme Le Rugby c’est un monde, de Jean Lacouture, à l’érudition joyeuse, ou Les Contes du rugby, de Henri Garcia. Des souvenirs truculents : Qui veut jouer avec moi ?, au fort accent bayonnais, d’Adolphe Jauréguy. Les Ovaliques, de Georges Pastre, mélange de récits, de pastiches et d’histoires drôles. Sacrées bourriques ! Les gladiateurs du rugby (comprenez les avants : ceux qui déménagent les pianos, mais n’en jouent pas…), ne sont pas les mules que l’on croit. Paul Katz le prouve. Enfin, Légendes d’ovalie, de Benoît Campistrous et Jean Lapoujade, aux accents « Haedensiens ». Tous ces grands petits bouquins expriment le rugby comme façon de vivre et d’être au monde. Chacun répète que le rugby est un état d’âme, un mystère, un envoûtement. Suivront, notamment, Ironies ovales d’Antoine Blondin, L’esprit du jeu. L’âme des peuples, de Daniel Herrero et Mon beau rugby, de Paul Voivenel. Au total, une équipe de livres qui sentent tous le « grrrand sud », et ne manquent donc ni de force ni de caractère. Cette collection ne doit pas nous faire oublier le plus émouvant des livres « littéraires » parus en 2006 sur le sujet (à La Table ronde aussi) : les Mémoires de l’aîné des Boni : André Boniface : Nous étions si heureux…

    Exquis d’écrivains et nourritures canailles

    Une nouvelle collection, que dirige Chantal Pelletier chez Nil, se propose de faire passer à table des écrivains gourmands ou gourmets. Claude Pujade-Renaud, avec Sous les mets les mots, Chantal Pelletier : Voyages en gourmandise, et Martin Winckler : A ma bouche, ouvrent le bal. Ces diables de petits livres sont tantôt sensuels, tantôt drôles, toujours métissés de saveurs et de souvenirs d’enfance. Algérienne pour Winckler, Lyonnaise et Bressanne pour Pelletier, Méditerranéene et Béarnaise pour Pujade-Renaud. Voyages dans le monde des mots et le monde des saveurs des cinq continents, « exquis d’écrivains » mêle avec subtilité littérature et art culinaire. Une réussite.
    Autrement plus scientifique, le copieux essai sur les Nourritures canailles de Madeleine Ferrières, à qui l’on doit déjà une passionnante Histoire des peurs alimentaires (les deux au Seuil), nous raconte et nous explique, avec une érudition qui force le respect, la généalogie des racines de la cuisine française. Cette histoire des habitudes alimentaires se double d’un essai brillant qui démontre –entre autres choses-, que la cuisine dite bourgeoise, est en réalité la cuisine de pauvres. Etude de plats emblématiques à l’appui. Passionnant.

    Nur
    Avec Nur (Rouergue), Arnaud Rykner signe un bref texte d’amour brut. Un homme rencontre une jeune et très belle femme au cours d’un voyage d’affaires dans un pays oriental dévasté par la guerre. Sa peau à elle est aussi mate que la sienne est pâle. Elle est mariée, aime son mari, mais elle aime aussi aimer à fond cet homme surgi de nulle part. Le sexe les unit, la sensualité les avale. Il l’appelle Nur : « seulement », en Allemand. « Lumière », en Arabe. Et dit qu’ils vivent, l’espace que quelques jours à peine, un amour de roman, comme il n’en existe que dans les livres… L’absolu de cet impossible amour est chuchoté dans une langue simple et redoutablement efficace. Percutante. Roman écrit à la deuxième personne, roman miroir de l’immédiateté, par conséquent, Nur résonne comme toutes ces histoires qui, parce qu’elles ne mènent à rien, nous disent tant sur nous-même.


    La maison du retour
    Avec La Maison du retour (Nil), journal du retour de l’enfer de sa captivité au Liban, dans la paix d’une maison de la Haute-Lande dont il fit l’acquisition, Jean-Paul Kauffmann signe un livre grave et profond. En compagnie des oiseaux de nuit qui chahutent dans le grenier, de deux maçons qu’il surnomme Castor et Pollux, d’un vieil exemplaire trouvé aux « Tilleuls », cette maison qu’il fit retaper,  d’extraits des Bucoliques et des Géorgiques de Virgile, Kauffmann va réapprivoiser le monde en laissant la nature s’emparer doucement de ses cinq sens. Subtil, pudique et intime à la fois, ce livre dit aussi l’étonnement d’un homme qui semble « revenu de tout » et qui revient peu à peu à tout. Comme un chevreuil avance à découvert entre pins et fougères. En s’émerveillant d’un crapaud à la peau bleue sur la margelle, du discours de faux rustres sur le terreau de son airial. En écoutant Haydn en boucle, et en s’accommodant du silence minéral de ses nuits solitaires. Un grand Kauffmann, comme on le dit d’un grand margaux.

    Retour sur le Camus de Musso
    La vérité camusienne est culturelle : Camus n’échappera pas à cette « castillanerie » que désignait son maître Jean Grenier, un brin railleur. L’orgueil de Camus est peut-être d’avoir su qu’il inventait une littérature  des confins : entre la littérature de rupture et la littérature traditionnelle. Camus ? Un écrivain border-line. Un philosophe pour classe tous risques, qui se plaisait à dire, au faîte de sa fulgurante ascension : « J’ai toujours eu l’impression d’être en haute mer : menacé au cœur d’un bonheur royal »… (Camus ou la fatalité des natures, de Frédéric Musso, Gallimard/Essais, déjà évoqué dans une note d’octobre ou novembre dernier…).

  • J'irai cracher sur...

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    J'ai piqué sur un blog littéraire recommandable (oui! il faut lire et relire Olivier Larronde!),

    le blog de Boulon

    (http://profdefrancais.hautetfort.com/),

    cette singulière illustration.

    Il n'y a pas de seau métier, dirait ma grand-mère...

  • Donner, recevoir

    "La pensée dominante assure que ce qui circule entre les hommes se définit essentiellement par l'échange marchand. Or le lien social n'est pas seulement fait de calculs et d'intérêts réciproques. Le don fait appel à une multitude de passions variables selon le contexte : honneur, prestige, image de soi... Fondamentalement, le don est ce qui fait que le lien est véritablement social ou humain". Le Seuil publie en avril "Ce qui circule entre nous", un essai de Jacques T. Godbout sur "donner, recevoir, rendre"... Il me tarde de voir ce que ce livre a dans le ventre.

  • Mort d'un écrivain rare

    J'ai connu Pierre Moinot. L'Académicien français, auteur de l'inoubliable, du magnifique "Guetteur d'ombre" (folio, Prix Fémina 1979), entre autres bijoux, était un homme exceptionnel. J'ai eu la chance de travailler avec lui, à son domicile parisien de la rue du Cherche-Midi, à mon recueil de nouvelles "Les Bonheurs de l'aube", avant de le faire avec  mon éditeur Olivier Frébourg. Pierre était l'un de mes souteneurs en littérature, avec Jean-Jacques Brochier (disparu l'année dernière). Il avait beaucoup oeuvré pour que j'obtienne le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française en 1993, pour mon premier roman "Chasses furtives", et lorsque Michel Déon en fit la préface pour sa réédition en 1995, Moinot me chuchota qu'il aurait été heureux de la rédiger, lui aussi... Je m'étais juré de lui demander une postface pour sa nouvelle édition prochaine (chez Privat en septembre) : trop tard. Pierre est mort le 6 mars dernier. Il était devenu aveugle et mes dernières lettres, adressées il y a deux ans -il voyait encore-, je les avais composées en corps 18, à l'ordinateur... Nous avons écrit un livre ensemble, et j'en suis encore plus fier aujourd'hui : "Chasses à coeur ouvert", avec Xavier Patier et Philippe Verro aussi (éd. du Gerfaut). Quatre textes de réflexion, pour dire que le chasseur a le pouvoir de donner la mort, mais aussi celui de ne pas la donner... Gallimard, l'éditeur de Pierre Moinot, annonce pour le mois d'avril, la parution de "La Saint-Jean d'été. Il y est question d'un gamin du marais poitevin "qui découvre le pouvoir de l'imaginaire, croit aux merveilles, espère des découvertes et ressent intensément son appartenance à la nature et à son histoire. Avec le grand âge, rien n'a changé". Pierre Moinot avait 86 ans.

  • Moi, chochote?..

    Comme souvent, je clique sur "Nouveaux blogs mis à jour" pour voir ce que les autres expriment sur leur blog. Là, il y a 2 minutes, j'ai cliqué sur http://lesitedemamere.hautetfort.com/ et je me suis posé la question : es-tu devenu ringard, léon, au point d'être un chouia choqué par un tel propos? Ou bien n'as-tu pas compris qu'il s'agissait du second degré, d'un qui joue avec Oedipe sans aucun complexe? Bref, il y a parfois, dans la blogosphère, d'étranges expressions. Mais passons...

  • Les Femmes en noir du Hadramaout

    Voyageur, dans non n° 1, publie donc ceci. Il manque les dessins de Catherine Delavallade!.. Pour les voir, rendez vous au kiosque à journaux le plus proche.

    Voici un bouquet de fragments extraits du long « Journal du Yémen », écrit sur place par Léon Mazzella au fil des rencontres avec des paysages et des êtres ; au fil des jours. Impressionniste, cette éphéméride sans date procède par touches pointillistes. La forme choisie lui a semblé la plus appropriée à un récit de voyage dans un pays imprégné de délicatesse et de subtilité.

    Toutes les poches en plastique qui volent au vent comme des mesquites dans le désert d’Arizona, sont noires par ici. Encore les femmes ! La couleur !

    Hadramaout (je ne me lasse pas de prononcer ce nom à voix haute : hhadrramoutt’ ), région de Wâdî Do’an, entrée dans le Daw’an vers midi.

    Cet âne bâté d’herbe très verte, avec une femme en noir derrière, assise sur l’extrémité de la croupe pointue de l’animal.

    A Al-Hajarayn: les deux falaises (al-hajjara : le rocher). Déception, à la dégustation. La réputation de meilleur miel du monde (celui du Yémen en général) semble usurpée.Zénith : même à l’ombre, le feu du chalumeau de chems, le soleil, plombe les neurones.

    Un dromadaire dans un pick-up 4x4 : la synthèse du désert.

    Les hommes attendent . Les femmes travaillent ou bien demeurent derrière leur voile et leurs murs, lesquels sont un voile moins sûr.

    Deux jeunes bergères en noir avec le chapeau en osier pointu, le makhl, et le visage caché par de superbes masques noirs et brodés, percés de deux fentes en amande pour leurs beaux yeux noirs. Elles avaient le bras replié, la main en arrière près du visage et un caillou dans la paume. Etait-ce pour nos appareils-photos ? Ou bien pour guider leur troupeau…C’était deux panthères noires à l’œil de lionne ; prêtes à bondir, masquées, dentelées.Je n’ai lu qu’une chose dans leur regard, en un éclair : leur fierté.

    Ces encadrements de fenêtre, en bois, figurent les silhouettes des femmes en noir qui marchent par deux (comme les hirondelles de la maréchaussée, chez nous, dans les dessins désuets de Bellus que publiait « Jours de France » dans les années 70…).

    Il y a, par ici, un paysage qui évoque autant l’Amirauté du « Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, que le Fort Bastiano, du « Désert des Tartares », de Dino Buzzati. Les plateaux désertiques sont ponctués de forteresses en ruines. On imagine vite des soldats plongés dans une attente centenaire, professionnelle, une attente héritée, une attente lourde comme le silence, un silence écrasé par un soleil implacable. Un silence lourd comme l’attente lourde comme le silence…

    Les hommes accroupis, assis ou allongés, attendent. Ils sont à l’ombre et leur vie semble rythmée par les rites de la prière, du narguilé, des dominos et des discussions interminables.
    Ils boivent du thé. Mais qu’attendent-ils vraiment ? Attendent-ils seulement ?…

    Certains petits villages sont serrés en bouquet comme des boutons de rose (des sables).

    Mais l’image de la rose des sables est davantage présente dans leur manière de disposer les tuiles en argile (en quinconce) pour les faire sécher.

    Cet après-midi, après un somme dans le funduk du village de Badha où nous passerons la nuit, nous avons traversé une palmeraie sèche comme un coup de trique, mais pourvue d’un antique système d’irrigation qui n’attend que l’eau pour vivre. En sortant de la palmeraie, nous avons visité un village bâti à flanc de montagne (que je baptisais Chabadabada : face à Bâda, en yéménite gascon). Les hommes, lascifs sur le parapet-rue, semblaient peu habitués à voir des étrangers. Impossible de boire du thé : il n’y a aucun bar. Les villageois utilisent le rouge vif pour peindre le pourtour de leurs fenêtres, comme des bouches grandes ouvertes sur une photo de choristes (la bouche) en chœur. D’autres (cadres de fenêtres) sont vert cru. Deux maisons sont blanches et zébrées d’ocre. Les zébrures figurent des palmes. Il paraît que ce sont des maisons de  gens riches ou d’hommes politiques (s’enrichit-on en politique sans devenir zébré ?).

    L’appel à la prière jaillit régulièrement des haut-parleurs disposés aux quatre-vingt-dix coins des villages.

    Nous buvons un thé aux clous de girofle et à la cardamome préparé par nos guides. Une graine de cardamome est pressée entre deux doigts avant d’être mêlée au thé qui s’agite déjà dans l’eau bouillante. Quelques clous de girofle se trouvent dans le sachet qui contient la cardamome : ils la parfument ainsi, à peine. Sinon, nous nous croirions tous chez le dentiste…Le galop d’un dromadaire possède une grâce qu’aucun cheval ne peut dispenser, en raison du port de son cou (plus que de sa tête) et aussi pour la longueur et la finesse de ses pattes. Au galop dans un mirage de chaleur, ils ressemblent aux éléphants de Dali dont les pattes s’allongent comme des échasses étirées par un confiseur spécialiste du berlingot de foire.

    Départ de Bâda pour la côte Sud, dans le Golfe d’Aden. Destination : Bîr’Alî.Pause-thé dans un village, Haoreiba, sur une route montagneuse.Le regard d’une petite fille à côté de son père qui joue aux dominos avec trois autres hommes. La beauté de cet homme maigre, au cheveu lisse et brillant, indien, aux yeux maquillés de khôl, placide et silencieux. Il observe ses amis jouer, accroupi comme jamais je ne pourrais m’accroupir, à une distance respectable de la table sommaire de jeu.

    Le poissonnier qui débite du thon frais. Un autre qui vend de petits squales séchés et noirs de mouches.
    Beaucoup de femmes en noir, très jeunes, au regard toujours aussi fascinant. Et toujours ce mystère de leur corps dissimulé qui excite l’imagination, et qui possède une charge érotique bien supérieure à celle du corps d’une femme entièrement nue.

    Cette partie du Hadramaout est selon Modjahed, peuplée en majorité d’homosexuels. Nous n’en voyons aucun : soit ils sont tous morts (ils auront été lynchés ou sabrés en place publique), soit ils se cachent bien ; et on les comprend.

    Et tout à coup, en haut de cette route de montagne, surgit le désert. Nous sommes arrivés au faîte de ces énigmatiques falaises d’argile qui nous entouraient depuis deux jours et dont nous devinions le relief plat comme la main. Aussitôt, la sensation du désert nous a envahis. A la première courbe, la vue est vertigineuse, sur les palmeraies et les villages des vallées que nous venons de traverser.

    Ces canyons évoquent irrésistiblement les attaques d’Apaches de notre mémoire cinéphile.

    L’étrange vie de ces Arabes du désert, qui ne sont pas nomades, mais dont on se demande de quoi ils vivent, dans ces hameaux construits au milieu du néant (à première vue). Enigmatique. Lunaire, même.

    La robe noire des femmes du Hadramaout, c’est leur prison portative.

    Retour sur l’image des ongles. L’angle. L’ongle.Un bloc de maisons étroites et hautes (impossible –normal- d’écrire immeuble) sur un rocher, dessine une main aux doigts joints dont les terrasses, parfois blanchies, seraient les ongles.

    Le Yémen est composé de maisons-doigts dressés, de villages-mains

    LM

  • Voyageur...

    C'est un nouveau magazine de voyages, top luxe, raffiné, qui est paru samedi en kiosque. "Voyageur". Dans ce n°1, j'ai publié un carnet de voyage au Yémen, illustré de dessins de mon amie Catherine Delavallade, ainsi qu'un reportage sur la fleur de jasmin en Tunisie. Feuilletez, c'est classieux, d'un beau format et la maquette est élégante.