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  • Dolce

    Bayonne, bleue ce matin comme l'aile d'un geai. Strié de traces d'avions, le ciel est doux à caresser. White, le chat, dont la fourrure noir (jais) luit, ronronne près de moi. Café brûlant dans le jardin. Un rouge-gorge tente d'éjecter un merle de sa querencia. "Sud-Ouest" n'est pas dans la boîte aux lettres et cela ne me manque pas. Les parfums capiteux de la Nive proche enivrent l'atmosphère. Les arbres sont nus et ma mémoire pleine, dans cette maison des souvenirs de quarante ans. Aucune glace n'a pourtant de tain, et la patine ne s'est pas encore faite à l'angle des meubles et des murs. Quarante ans, ce n'est rien. C'est la fuite qui est lourde. Et l'absence qui prend parfois le poids d'un supplice. Aucune ne s'évalue en chiffres. Pas même en matière : plume, plomb... Elles sont. Là. Cohabitent. Portent un sourire beau et désarmant, qui rend la mort acceptable. La disparition soyeuse. J'appelle cela la classe, ce matin.

  • Le fantôme de Red Colombo est revenu!

    Il re-pleut sur Paris (original, nan?..). Le fantôme de la clope (lire "Voile de carotte", ante) est revenu... Donc, s'il re-re-pleut, il reviendra-re(re). Alors je l'ai re-shooté, mais bon...

    medium_DSCF1756.JPGmedium_DSCF1758.JPGmedium_DSCF1759.JPGEn plus, il a failli se faire écraser, le con!

    Sinon, le dernier livre de Kauffmann (la maison du retour, Nil) sur l'acquisition de sa maison de la Haute-lande, au retour de 3 ans de captivité, est une merveille : plus ça va, plus il écrit dense et concis, serré et fort, Jean-Paul. ¡Aplausos!

     

  • Café Baruch

    Moi, j'aime bien prendre mon petit-déjeuner en compagnie de Spinoza. Baruch de Spinoza. Cela n'a rien de snob, et puis d'abord je préfère cela à feuilleter Public en écoutant France Info. C'est ainsi... C'est un type qui m'en apprend chaque fois de belles, des simples, des évidences, des choses de la vie de tous les jours qu'il sait dire mieux que quiconque. Ouaip... Avec le café du matin, Baruch me tutoie, et je ne le rudoie jamais. Je l'ouvre au hasard et je tombe sur une perle, comme chaque fois que j'ouvre le Journal de Jules Renard.
    Sta mattino? : Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons.
    Autre version : (...) Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit ou désir, parce que nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir. (Ethique, III, 9, Scolie).
    Et que ceux qui font la grimace parce que cela leur semble entendu, (re)lisent ce guide de vie quotidienne qu'est L'Ethique!

  • Voile de carotte

    medium_DSCF1644.JPGmedium_DSCF1643.JPGIl pleut sur Paris. Par la fenêtre du salon, j'aperçois la carotte habituelle du bar-tabac d'en bas. Puis c'est son reflet, projeté sur la chaussée mouillée, qui m'apparaît étrangement. Il figure un extra terrestre vêtu de rouge, qui traverserait le carrefour... A quelques jours d'une interdiction supplémentaire de fumer ici et là, je me dis : photographie le fantôme de la clope! Clic-clac une fois, zoom, clic-clac deux fois. Voici le fantôme rouge, reflet de "carotte", poil de, voici le renard de la rue mouillée, le fugitif en gabardine de sang, bref : photos ci-dessus...

  • En repassant devant Pessoa

    medium_pessoa.jpeg"Sur toute chose la neige a posé une nappe de silence.
    On n'entend que ce qui se passe à l'intérieur de la maison.
    Je m'enveloppe dans une couverture et je ne pense même pas à penser.
    J'éprouve une jouissance animale et vaguement je pense,
    et je m'endors sans moins d'utilité que toutes les actions du monde."

    "je suis un gardeur de troupeaux.

    Le troupeau ce sont mes pensées

    et mes pensées sont toutes des sensations."

  • Association de malfaiteurs

    medium_char.2.jpegmedium_gracq.jpegmedium_rimbaud.jpegmedium_hem.jpegmedium_proust.jpegVous reconnaissez ces types?

    Ce sont des bandits!

    Des bandits de parchemin!

    Des dandys de grand chemin.

    Mais sans eux, je ne peux pas vivre.  

    Ou si peu, si mal, si creux.

    Bon, j'en ai collé une dizaine, j'aurais pu en ajouter douze ou vingt-quatre de plus, qui m'accompagnent aussi sûrement qu'un ami, des chaussures de randonnée, une carte routière, une autre du Tendre, une femme, même, parfois... Oui, la littérature est puissante! Ces dix là, sont, de gauche à droite : René Char, Julien Gracq, Arthur Rimbaud, Ernest Hemingway, Marcel Proust, Gustave Flaubert, Guillaume Apollinaire, William Shakespeare, Jules Renard, Stendhal. Soit le minimum vital. Ajoutez, sans la photo : Cioran, Cervantès, Ponge, Perse, Henein, Conrad, des Forêts, Simon, Blondin, Cendrars, Quignard, Harrison, Neruda, Blanchot, Derrida, Leiris, Torga, Hamsun... Stop it!

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  • Choses vues à Shanghai

    La mémoire du voyageur est peuplée de lieux communs qu’il n’a de cesse de vérifier in situ, sinon il ne serait que touriste.
    Son talent réside dans sa perception, qui fait de chaque lieu quelque chose de peu commun, car il cherche avec obstination ce qui distingue le oui-dire de la réalité vue en coulisses. Cela s’appelle le regard. Cela donne le génie du lieu ; des lieux.
    Les résumés à l’emporte-pièce s’éloignent alors et ne réduisent plus Venise à son masque de « Mecque des romantiques » (dixit les guides lisses et convenus), Marseille à un port africain ou Hong Kong à une forêt de gratte-ciel pour foule solitaire en débâcle. Alors comme ça, Bordeaux et Lyon seraient froides comme leur bourgeoisie confite dans sa suffisance, Le Caire, Naples et Bangkok des fourmilières sur lesquelles Gulliver aurait posé un pied, et Shanghai la cité du gigantisme à la Chinoise, la mégapole du XXIème siècle, une ville futuriste à faire pâlir les aficionados de Manhattan –réduite au rang de vieille ville nouvelle à peine capable de chatouiller le brouillard? Une naine...
    Shanghai est pascalienne : sa circonférence ne se trouve nulle part et son centre, partout. Prenez son port –le plus grand d’Asie et l’un des plus grands du monde. Partir à sa recherche, c’est marcher dans le désert : plus on avance, en taxi, dans un entrelacs de toboggans, d’autoroutes tantôt droites comme la justice, tantôt sinueuses comme un naja devant son charmeur, et plus il recule. Les distances, jaugées à l’aune de la démesure de la cité chinoise, et le mur de conteneurs qui signifie que l’on approche de l’eau, empêche de toute façon de le voir. La persévérance permet (au bout d'une heure trente de taxi), d’en saisir la couleur de plomb fondu, et de tomber sur une circulation ahurissante de dizaines de  tankers, porte-conteneurs battant tous les pavillons du monde. Vraquiers, cargos rouillés, péniches égarées à l’embouchure de la rivière Jaune, parmi lesquels de nombreux chalutiers bleu délavé, se frayent une route avec peine, comme sur le Bassin d'Arcachon de modestes pinasses glissent parmi les longs voiliers et autres yachts blancs des plaisanciers... A chacun son échelle des valeurs.
    Là, le grand contraste, le choc des siècles, des âges de la civilisation chinoise, que l’on voit à chaque coin de rue, dans n’importe quel quartier de la ville tentaculaire de 800 km -excusez du peu-, se retrouve à l’identique. Devant les énormes bâtiments amarrés, des paysans vendent des monceaux de poissons séchés de toutes espèces, des légumes frais, et du chien écorché.
    Au-delà, c’est-à-dire à proximité, il y a encore et toujours cette architecture en hauteur qui semble vouloir se hisser sur la pointe des pieds pour faire encore plus grand. Retour en ville : la coexistence pacifique et néanmoins tonitruante des époques qui s’entrechoquent, frappe le regard du voyageur à chaque instant. Parmi les fameuses tours chromées, vitrées, ni froides ni chaleureuses, de l’autre côté du Bund ou bien côté Bund (la rivière Jaune, qui charrie autant de bateaux, et dans un vacarme de teuf-teuf et de sirènes, qu’un lendemain de tempête charrie des troncs d’arbres dans les bouillons et les tourbillons d’une modeste rivière grossie par les éléments, sépare les quartiers emblématiques de la ville), il y a des hameaux entiers, vétustes, partiellement démolis, squattés, ou dans l’attente anxieuse des bulldozers, et aux allures de bidonville, de vieille ville pré-coloniale, avec ses nombreux habitants affairés en permanence, qui vendent de tout sur quelques centimètres carrés. Que le voyageur lève les yeux de n’importe quel point de Shanghai et ceux-ci s’accrochent à un mur d’architecture originale, version Wall Street, d’où il s’attend à voir sortir des golden boys cravatés comme des présentateurs de CNN, bretelles comprises. Or, dès que le regard redescend sur le plancher des poulets, et des canards pas encore laqués, les yeux ne voient que des commerçants en mouvement.
    C’est la Chine ancienne, pas l’Impériale, l’ancienne, celle de l’histoire, des photos sépia, de la littérature pré maoiste. Le choc est d’ampleur. Le mot contraste paraît faible. Celui de résistance s’impose. La cohabitation des siècles est bien ce qui frappe davantage que le goût subtil des raviolis à la vapeur que l’on déguste dans ces rues infinies, infiniment nombreuses et pour quelques yuans.
    Ici, c’est un vieillard assis sur le trottoir devant un pèse-personne ; son unique richesse. L’outil de travail prend le poids de ses semblables. La silhouette des golden boys s’éloigne à grands pas. Il ne manque que les pousse-pousse au paysage, au lieu de quoi il y a un flot incessant de bicyclettes et d’automobiles qui se fichent du piéton comme d’une guigne (traverser la rue devient un sport de combat). Là, c’est un cordonnier improvisé qui a étalé quelques pièces de caoutchouc qu’il taille à la demande et qui vous répare les semelles illico. Là-bas, c’est l’un des nombreux masseurs de pieds (souvent aveugles), qui vous déchausse et vous détend sans rendez-vous. Partout, dès qu’une goutte de pluie tombe, ce sont des vendeurs de parapluies pliables et de cirés qui surgissent plus vite que l’arc-en-ciel après l’averse. Omniprésente, la nourriture –incontestablement la plus complexe, la plus variée, la plus riche, la plus subtile, la plus inventive, la plus recherchée comme on dit, la plus audacieuse aussi; la plus délicieuse du monde-, est proposée au passant qui grignote à toute heure. Pas une dizaine de mètres dans chaque rue sans trois ou quatre invitations à la dégustation. Une vieille agite son wok devant vous, de jeunes et nombreux cuistots vêtus de blanc, dûment toqués, font de la retape en criant les mérites de leurs brochettes, de leurs soupes et de leurs boulettes. On plonge, alors, dans un film chinois gastronomique (il y en a des dizaines qui n'ont que l'art de faire la soupe aux nouilles pour scenario), des années quatre-vingt-dix; et l'on jauge, et l'on goûte, ravi. Aux anges...
    Et toujours cet encerclement, large, de métal, de béton, de post modernisme, d’imaginaire architectural et d’avant-garde effrénée, si folle dingue qu’elle semble finalement n'avoir pour fonction principale et secrète, que la volonté d’oublier les années Rouges. Ou noires. Les années Mao dont il ne reste que des vestiges en forme de statuettes et autres affiches de propagande, bradées avec panache, et pour deux yuans, dans le quartier des brocanteurs. Cette époque-là, c’est certain, appartient au passé. Et par contraste, elle semble n’avoir été qu’une longue parenthèse que le pékin de Shanghai a l’urgent souci de gommer. En silence.
    Enfin, à l’instar de New York, Shanghai a des allures de ville de province où l’homme ne se sent jamais oppressé, à la faveur de l’espace, grand, bien plus vivable que dans une métropole minuscule et débordée par l'homme -comme... Paris, par exemple.
    Ca grouille partout de l’aube à l’aube, mais sereinement. Le Chinois ne s’arrête jamais.
    La nuit à Shanghai est une ruche en activité ralentie. Shanghai ou la rupture historique à chaque coin de rue, Shanghai ou le temps incertain, Shanghai ou la résistance impassible. Shanghai ou le Grand Bond en Hauteur. Shanghai ou l’excès d’accès. Shanghai ou la profusion. Shanghai ou la folie douce. L.M.