Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ré-aimer la France

    téléchargement.jpegUne balle de kalachnikov a stoppé net le talent protéiforme de Bernard Maris, le 7 janvier dernier, au cours d’une réunion de rédaction dans les locaux de Charlie-Hebdo, à Paris. Je ne ferai donc pas de dessin. L’auteur avait déposé cinq jours plus tôt chez Grasset le manuscrit de Et si on aimait la France. Cette déclaration d’amour à un bouquet de valeurs en danger, va passer pour passéiste et réactionnaire, aux yeux plissés des esprits chagrins. C’est pourtant, entre le Dictionnaire amoureux de la France, de Denis Tillinac (Plon), et De chez nous, de Christian Authier (Stock) – mais beaucoup plus proche du second que du premier -, d’une ode vivifiante, et propre à déculpabiliser tous ceux qui s’arrangent tant bien que mal avec leur mauvaise conscience en entretenant leur bonne (conscience) à coups de repentance, qu’il s’agit. C’est aussi un élégant coup de poing sur la table, à l’adresse du « French bashing », ce nouveau sport pratiqué surtout par les Français eux-mêmes. Ces citoyens de plus en plus portés sur l’auto-flagellation, passionnés qu’ils sont devenus par l’expiation de fautes qu’ils finissent par s’inventer ou à amplifier, tous les accrocs au prolongement de la peine, soucieux de faire durer le purgatoire ad nauseam. L'après décolonisation a encore de beaux jours devant elle. Les idées du Alain Finkielkraut de L’identité malheureuse ne sont pas éloignées de celles de l’économiste sensible, cultivé, en un mot charmant, que fut Bernard Maris.  Le dessein de son ultime livre est de tenter de redonner le sourire aux habitants de ce pays multiculturel, cette terre des Lumières et des Droits de l’homme, et dont la langue se délite, ce « pays ou Dieu est heureux », mais où l’antiracisme fait les ravages que l’on sait. Maris a écrit ce bouquin pour les désespérés drôles : les Houellebecq, Cabu, et tous les fils de Cioran et de Reiser. Le temps de cet essai libre et enchanté, il est parti tendrement en guerre contre ceux qui parlent de la France comme d’un rhumatisme, d’un mal au dos qui ne passe pas - et qui ne passera de toute façon jamais. Contre les pessimistes, les grincheux, les « aquoibonistes » et autres apôtres passifs du c'était mieux avant. Afin de redonner confiance à ceux qui n’osent même plus murmurer qu’ils aiment leur pays, il cite – c’est de saison -, les Jean Zay, Guy Môquet, Germaine Tillion, Daniel Cordier, Honoré d’Estienne d’Orves, Henry Frenay, de Lattre de Tassigny, Pierre Mendès-France, et autres membres de l’armée des ombres. Pas de Sartre, ici, « le faux résistant, le planqué de l’Occupation », mais le Camus de Combat, oui. Bernard Maris remet à l’heure ces pendules qui ont tendance à se dérégler de façon… chronique. Amoureux de la langue française comme pas deux, « Oncle Bernard » (son surnom, et son pseudo, à Charlie-Hebdo) approuve le mot de Cioran : « Mourir pour une virgule », et déplore un pays où l’on capitule facilement, et où l’on ne résiste pas longtemps. Les pages les plus sensibles du livre, sont celles rappelant que la France a inventé l’amour courtois et la galanterie. Les troubadours ont, en effet, poétiquement exacerbé le désir, en respectant toujours de façon absolue le bon vouloir de la femme et l’autorité de son corps – ce n’est pas rien, lorsque l’on songe au contrôle de soi, tel qu’il est (mal) vécu dans la religion musulmane. « La civilisation commence lorsque l’homme domine ses pulsions », écrit Maris, et « quand les mâles voient autre chose dans un femme qu’un objet sexuel ». A l’opposé de la galanterie, se situe « le respect, mot employé à tort et à travers par la racaille et les crétins », souligne l’auteur, non sans redonner ses lettres de noblesse au respect, le vrai, montrant du doigt la marée montante de l’irrespect, qui envahit notre quotidien. « La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage. » La France n’est-elle pas le pays du culte du respect de la population féminine, et celui qui a inventé celui de l’enfant ? Avec Maris, nous flirtons alors avec la délicatesse de Proust, nous nous moquons des bobos qui sont finalement des caricatures de bourgeois assez peu bohème (lire à ce sujet Tombeau pour une touriste innocente, du regretté Philippe Murray, recommande Maris), nous réapprenons (sans aucun accent bucolique oiseux), la simplicité des paysans, cette classe sociale – le « secteur primaire » en voie de disparition, nous n’oublions pas que la lutte des classes se transforme (démographie et crise obligent) en lutte des places (le mot est de Michel Lussault, auteur de De la lutte des classes à la lutte des places, Grasset), nous savons – et  il nous est personnellement cruel de devoir nous en convaincre – que la gauche que nous aimons n’existe plus, que l’actuelle, insipide et pleutre (c’est moi qui souligne), a préféré fuir les problèmes cruciaux comme celui des banlieues et autres zones dangereuses, au lieu de les affronter avec courage. Maris agite alors le spectre terrifiant d’une forme aiguë de séparatisme, ce que Finkielkraut nomme l’échec du « vivre-ensemble », corollaire de la déliquescence du savoir-vivre (évoqué plus haut à propos de galanterie et de respect vrai), et en compagnie de l’auteur, nous nous souvenons, avec le philosophe Alain, que « le plus visible de l’homme juste et de ne point vouloir gouverner les autres ». Dans un monde de brutes, de requins, d’arrivistes (en économie comme en politique), prêts à piétiner jusqu’à leur mère pour conquérir une parcelle de pouvoir, dans ce monde ou le warrior, comme disent les adolescents, est icônisé, il est par conséquent salutaire, et apaisant, de lire Bernard Maris. Essai buissonnier, Et si on aimait la France redonne par ailleurs envie de parcourir la ville à pied, et la province en vélo, ou bien en voiture, mais slowly et vitres baissées. Julien Gracq : « Habiter une ville, c’est y tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours ». Car il s’agit en quelque sorte de réapprendre la France, de se la réapproprier, de la « désinquiéter ». Le message en forme de testament de Bernard Maris sonne juste. Il exprime, en toute simplicité, la sincérité d’un homme de bien, à l’intelligence suraiguë (perchée à des années lumière, et des Bisounours, et des défaitistes), la vérité d’un homme optimiste mais pas candide, lucide et ennemi du give up, un homme qui souhaitait juste retrouver le sourire sur les lèvres des autres. Juste ça. Au lieu de quoi, le 7 janvier dernier… L.M.