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  • « Adieu, vive clarté de nos étés trop courts »

     

    téléchargement (1).jpegVoilà un vers de Baudelaire qui aurait pu faire le bandeau de couverture de cette longue lettre d’amour fou, si le mot adieu n’était pas déjà contenu dans un titre à rendre jaloux nombre de romanciers. Adieu aux espadrilles (*), du délicat Arnaud Le Guern, est un roman à peine fictif (même les noms des chats, Pablo et Malcolm, sont vrais), très Nouvelle Vague, très morandien – mais sans la vitesse, et avec une touche du Henry Jean-Marie Levet des Cartes Postales. Entre les pages de ce livre, nous (res) sentons ce parfum sentimental, précieux et  léger comme la rosée du matin, l’été, au bord de la piscine, lorsqu’on s’est levé avant elle en prenant soin de ne pas la réveiller, pour aller fumer la première cigarette, tout en respirant les parfums tiédis du figuier à l’ombre bienfaisante; sous le soleil exactement. Arnaud Le Guern aime une femme, les actrices aussi, sa fille Louise surtout, l’insouciance, et les mots avec une gourmandise hussarde. Cette longue adresse est un joli pied-de-nez à la génération sms, qui dit avec tact et tendresse ce qu’aimer avec pureté veut dire. Le couple fait l’amour, se taquine sans jamais se griffer, les draps froissent, les jours passent, l’oisiveté chante sur la terrasse, les peaux se suffisent à elles-mêmes, les souvenirs affluent et repartent d’un revers de sa main à elle, afin d’empêcher toute nostalgie de surgir, et continuer de manger le présent à pleine bouche, comme on plante ses dents dans la peau duveteuse et craquante d’une pêche. Nous sommes dans Slogan, avec Birkin et Gainsbourg, nous feuilletons la sensualité pudique du Claire de Chardonne. Le couple est à des années lumière de Paris et son spectre de « rentrée » automnale. Les amoureux sacrifient avec délice au rite de l’apérotique : ils « apérotisent », dégustent un anjou de Mosse ou un rosé de Bandol, avant de s’entre-goûter. Ils ont le talent de savoir prendre le temps, mais avec Le Guern, le temps compte, se cueille, il frappe aux tempes du narrateur, et celui-ci a la délicatesse de ne jamais faire sentir le vertige de sa fuite. L’été est encore là, mais les saisons sont comme les coquelicots qui fanent dès qu’on les dépose sur le skai brûlant de la plage arrière du cabriolet. C’est « la vie comme à Lausanne » en plus souple, car « les espadrilles sont mes semelles de vent », écrit l’auteur. Jamais l’urgence n’ouvre ses yeux noirs, sauf peut-être sous le gouvernement du désir, et pourtant il plane comme une épée de Damoclès au-dessus de cette chambre d’hôtel. Qu’importe ! Les amants sont des aveugles. « Enlacés, nous laissons infuser une unique certitude : l’été, c’est l’amour une fin d’après-midi, au retour de la plage, nos corps fatigués de n’avoir rien fait, sinon nager, lire et bronzer ». Et c’est ainsi qu’Arnaud est grand. Léon Mazzella

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    (*) Le Rocher, en librairie fin août (c'est raccord!).

     

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  • Camorra sur Garonne

    Au cœur de la « mafia » bordelaise 

    téléchargement.jpegLoin d’être un brûlot à charge, comme celui qui irrita nombre de propriétaires bordelais, et qu'écrivit Isabelle Saporta (Vino business), l’enquête de Benoist Simmat, journaliste économique est un réel travail d’investigation au cœur de la Bordeaux Connection (*), soit au cœur de la « mafia » des grands crus girondins. L’auteur ouvre la boîte de Pandore en démontant pièce par pièce, après l’avoir pénétré et analysé dans les moindres recoins, un système fonctionnant en vase clos, véritable microcosme de propriétaires de châteaux, négociants, courtiers et autres acteurs-clés, devenus richissimes en sachant imposer avec maestria, et au monde entier, leurs règles en matière de goût, de prix, de marché, comme autant de lois émanant de leurs Ordres à caractère maçonnique, que sont les grandes confréries du « milieu », comme la Commanderie du Bontemps (Médoc, Graves, etc.), et l’Union (des grands crus). Car celles-ci fonctionnent, selon l’auteur, comme les plus belles machines à écouler les grands crus à l’exportation. Ainsi décrit-il comment les acteurs de cette caste ont par exemple vampirisé le marché chinois, aveuglé à coups d’intronisations et de fastueux dîners de gala à l’adresse de nombreux nouveaux multimillionnaires déjà hypnotisés par la culture française, et ont orchestré, de façon artificielle, l’extraordinaire valorisation des grands bordeaux en une poignée d’années. Les pages consacrées au « hold-up des primeurs » par les dégustations « avant-primeurs », et réservées aux membres – très influents sur les marchés -, de « l’Union », sont particulièrement savoureuses. Désignant ces « barons » de la Bordeaux Connection, que sont les Cruse, Castéja, Lurton, Mähler-Besse, Miailhe, de Boüard, Bernard, Pontallier, et une poignée d’autres seigneurs en leurs fiefs, sans oublier le clan des winemakers, Simmat note que, « tous, à leur corps défendant ou non, ont constitué depuis quelques décennies une nouvelle aristocratie des affaires aux codes centrés sur le commerce d’un ancien produit plaisir, les bouteilles de vin de bons Bordeaux, devenus des marques de luxe catapultées dans la compétition économique globale. » Qui l’eut (grand) cru, il y a vingt ans ? Cependant, devant le pschitt de la bulle chinoise auquel nous assistons, l’auteur s’interroge sur l’avenir de ces fantastiques débouchés pour l’élite de l’étiquette (notamment le club très fermé des « Premiers »), devenue spécialiste des magouilles complexes et opaques, sans s’inquiéter outre-mesure : les « têtes chercheuses » du lobby lorgnent déjà vers d’autres horizons, où se trouvent les puissances de demain, du Mexique au Nigeria. L’enquête, avant tout passionnante, est solide, émaillée de très nombreux faits et dires, chiffres et anecdotes révélatrices, mais son titre est racoleur. Il n’y a pas eu mort d’homme. Alors, de là parler de mafia, et donc de méthodes mafieuses… Certes, il y a des parrains. Mais Bordeaux n’est pas Naples, ni Chicago. L.M.

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    (*) Bordeaux connection, par Benoist Simmat (First).

    Texte paru (dans une version raccourcie) dans le n° Spécial Vins de L'EXPRESS du 3 juin dernier.