Dans le dernier n° du magazine Maisons Sud-Ouest, outre un portrait que j'ai brossé de Claude Cabanes, qui fut longtemps rédacteur en chef de L'Huma, j'ai décrit la maison merveilleuse d'une artiste singulière et immense : la peintre et scultpeur Lydie Arickx. Photos de son atelier (celles de la maison sont en kiosque!) et texte :
Une maison de lumières
La scène se passe quelque part au sud des Landes (pour créer heureux, créons cachés, chuchote l’artiste). Visite à Lidye Arickx, peintre et sculpteur qui décoiffe, au cœur de sa maison de lumières...
À l’origine, c’est la matrice, la maison des racines adoptives. Des origines flamandes n’empêchent pas l’élection du lieu, le choix du cœur, si fort qu’il dépasse le déterminisme des racines. « Ma mère adorait les Landes et, à force d’y passer des vacances, elle voulut y établir les siens. » Ainsi la famille Arickx vécut-elle là. Dans une petite basco-béarnaise ordinaire, plutôt sombre, étroite, ramassée sur elle-même, entourée de friches gourmandes qui gagnaient du terrain à la manière des végétaux froissés dans les contes fantastiques que l’on raconte le soir à des enfants fascinés. C’est la maison des parents, la maison de famille. Là où Lydie Arickx a grandi avant de s’envoler, de papillonner ici et là : études à l’ESAG (école supérieure d’arts graphiques) de Paris, ville où elle vécut jusqu’en 1991. À partir de ce moment-là, tout bascule : elle part s’installer dans les Landes, à Saint-Geours-de-Maremne, douze années durant, puis elle revient, en 2003, là où elle a passé son enfance, à quelques lieues de là, dans la maison des parents, une fois ceux-ci décédés. Ni son frère ni sa sœur ne souhaitant reprendre la matrice, c’est Lydie, son compagnon Alex Bianchi, photographe qui travaille chaque jour dans l’immense atelier de Lydie à maroufler, monter des châssis, photographier tout, et leurs deux fils Baptiste et César, qui vont faire de la maison de l’enfance de Lydie un chef d’ œuvre de demeure contemporaine ouverte à la lumière comme un corps vivant offert à l’amour, et aux prolongements comme des membres faits pour entourer ceux qui y vivent et y accueillent leurs amis ou des rencontres de passage avec ce qu’il faut de génie naturel pour que chacun s’y sente chez soi, entouré d’art et d’amitié. Le contraire de la pieuvre : ici, nul tentacule, mais que des bras aimants.
Lydie a tout cassé, tout contrôlé aussi. Avec, toujours, l’œil complice d’Alex, sa moitié au sens premier du terme, son soutien permanent, son châssis fondamental, l’armature d’une femme peintre et sculpteur, célèbre en Europe, et dont les œuvres font partie du fond du Musée National d’Art Moderne de Paris. Du patrimoine. Elle a vécu dans cette maison de l’âge de cinq ans à l’âge de vingt ans. Elle est revenue s’y établir dans les grandes largeurs à l’âge de quarante-neuf ans. « On a tout agrandi, tout ouvert. Les enfants ont fait pousser des ailes à la maison-mère, à la matrice centrale, au berceau originel. Alex, mon mur porteur, a veillé à tout à mes côtés. Et je n’ai pas perdu un geste de ce que chaque personne chargée des grands travaux a fait. » Lydie a aimé charnellement vivre ce chantier comme si elle avait assisté à la réalisation d’une œuvre gigantesque. Habituée aux immenses toiles, aux fresques de quinze mètres de long, aux lourdes et imposantes sculptures en bronze, la conduite à distance des travaux de renaissance de la « domus » fut pour l’artiste une jubilation permanente. « Bien sûr, les travaux ont été confiés à un architecte Bayonnais de renom, Patrick Arotcharen et à un maçon exceptionnel qui a pratiquement construit la maison tout seul, Alain Lemonnier, mais j’ai infléchi les actes au fur et à mesure de leur apparition. » Lydie considère qu’il est indispensable d’habiter une maison en chantier. Assister chaque coup de pelle, tout accompagner, épauler sans jamais conduire les travaux, apporter les touches nécessaires à l’harmonie des goûts fut une aventure formidable pour la famille. Lydie se souvient de cette période de camping sauvage dans un chantier sans fenêtres, sans toit un temps, des intempéries, des difficultés tournées en dérision, comme d’une expérience créative et de plein contact avec la matière de ce qui devenait, au fil du temps, la maison du bonheur. Une telle « performance » -il n’y a pas d’autre mot lorsqu’il s’agit de la maison d’un couple d’artistes, est un incessant ballet de réajustements, un flux constant de personnalisation, de mise en adéquation, de projection dans un quotidien que l’on souhaite parfaitement adapté, sur mesure, fondu enchaîné, souple, en écho à soi-même.
« Une maison, c’est notre espace du corps », dit-elle. Son père et son frère avaient construit une première fois cette maison dans les années soixante-cinq. Le corps originel, c’est eux. La maison-mère, ce sont les hommes du clan qui l’ont bâtie. Ses splendides prolongements, c’est la fille qui les a signés, avec l’aide d’une poignée de spécialistes à l’écoute de chaque membre du clan. « Aujourd’hui, c’est une maison de jubilation. Les lumières y entrent différemment à chaque moment de la journée et ne sont jamais les mêmes selon la saison, le temps… C’est aussi une maison de sons et de bruits sympathiques. L’un de ceux que nous préférons, loin d’être désagréable ou inquiétant, est celui de la pluie d’orage qui avance, avec la force variable du vent, en martelant l’étang depuis la forêt jusqu’aux murs et aux verrières. » La maison de Lydie et Alex est un lieu fondamentalement ouvert. C’est un jeu d’interfaces. Dans l’espace, nous voyons toujours ce qui se passe d’une pièce à l’autre, les gens qui y évoluent ne se sentent pas pour autant regardés. « C’est une maison de communication, au sens fort du terme. Car une maison est davantage qu’un simple abri pour le cocon familial, c’est aussi le reflet de ce que l’on vit chacun, et comment nous vivons ensemble ce cocon, ces relations entre nous et notre relation globale au lieu. » De fait, la maison de Lydie est un lieu d’échanges, de vie, un espace de respect et de liberté de chacun, pris dans une communauté de communication. « Chacun s’affaire à son occupation et tous se sentent rassurés car rassemblés. » L’architecture de la maison a considérablement œuvré dans ce sens : on y évolue, on passe d’une pièce à l’autre en cheminant, en effectuant une sorte de voyage d’une zone commune à un espace privé, et en étant constamment escorté par des œuvres d’art de Lydie, des photos d’Alex, de nombreuses peintures et sculptures d’artistes amis, aussi. Certains meubles sont également sortis des mains imaginatives et adroites d’Alex. Il faut dire que ces deux-là forment un couple insécable d’amoureux réputés fusionnels comme ces oiseaux d’oisellerie nommés inséparables. À la question : êtes-vous attachée à une galerie parisienne comme celle de Jean Briance, Lydie répond spontanément : « je ne suis attachée à rien, sauf à Alex. » Et lui se plait à dire qu’il a arrêté la cigarette, mais qu’il continue de fumer –uniquement- des Arickx… L’addiction est identique.
Il y a beaucoup d’angles de murs en verre, afin que le regard de Lydie ne puisse jamais se trouver arrêté, bloqué par une impossibilité de voir à travers. Ainsi, la nature est omniprésente, puisqu’on peut l’admirer de n’importe quel endroit de cette grande maison aux multiples prolongements et recoins. « Notre maison est devenue en moins de cinq années, une maison de rencontre qui marche beaucoup à l’instinct. Chacun s’y sent libre, y évolue tout de suite sans crainte, naturellement. Qu’il s’agisse de la famille, des amis proches et fréquemment présents, ou bien d’amis de passage, de rencontres nouvelles. Et c’est un grand bonheur de s’apercevoir de cela, que cette connivence entre le lieu et l’Autre opère facilement. C’est magique et ce n’est pas un hasard. » Pour Lydie comme pour Alex, leur maison est le reflet de leur « posture de vie », de leur attitude face à la vie. « La maison parle d’ailleurs pour nous, enchérit-elle, et la refaire complètement m’a considérablement ouverte. Nous sommes, elle et moi, entièrement tournées vers la lumière. » L’atelier de l’artiste, où elle se rend chaque jour avec Alex, est l’ancienne usine de son père, où étaient fabriqués des socles en béton pour compteurs électriques. Elle est au bout d’un chemin, sur la propriété, et il s’agit d’un espace gigantesque, à la mesure des travaux de Lydie, avec une partie dédiée à la peinture, et une autre à la sculpture. Une hauteur sous plafond de cathédrale –une chance, eu égard à la production incessante de l’artiste-, permet de stocker toiles, dessins et sculptures. « Prendre ce chemin à pied m’est une respiration indispensable. Il me permet à la fois de lâcher prise et de me préparer à attaquer une œuvre. » La maison de Lydie Arickx n’a pas de nom. « Nous avons pensé à la maison de là-bas, à la maison du bout du rien, à la maison du bout du chemin de là-bas, aussi. Elle n’a en réalité pas besoin d’être nommée. De toute façon, ces choses-là, ce baptême-là ne se décident pas, si elle doit porter un nom, celui-ci s’imposera un jour à elle-même. Et à nous ! Nos chats non plus n’ont pas de nom. » Pas plus que les canards colverts et les oies grises, d’Egypte et bernaches nonettes qui volent, broutent ou barbotent près du magnifique étang. Un étang artificiel qui a une histoire singulière. Il n’a pas cinq ans. Un jour, Alex et ses fils se sont attaqués à la jungle de vergnes qui envahissait le parc devant la maison, bouchait l’horizon, menaçait d’étrangler le terrain. Ce jour-là, un sourcier de la région vint les voir. Personne ne l’avait requis, cependant il avait senti qu’il lui fallait venir. Comme Gérard Gauyat connaissait parfaitement le terrain, il indiqua avec précision la nature du sol de chaque parcelle et la présence de chaque source. Ainsi, une fois le terrain élagué, totalement défriché, puis creusé, il fut relativement simple de le mettre en eau et de faire un étang artificiel. Le rêve de Lydie se réalisa. Et Gérard lui apprit aussi que c’était le rêve secret de son géniteur. Ainsi, la fille accomplît-elle sans le savoir un double souhait profond. Gérard Gauyat est mort peu de temps avant la fin des travaux, il y a bientôt quatre ans. Aujourd’hui, il semble avoir toujours existé, apporte une atmosphère infiniment paisible, qui tranche avec le tumulte des chairs, contenu dans la peinture de Lydie. Entre la maison, l’étang et l’immense atelier, il y a un chemin de paix. Et entre Lydie et son art, il y a l’esprit du lieu. La magie de « la maison de là-bas »…
© L.M.
texte et photos