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scène de la vie parisienne

  • L'impudence

    Je déjeunais seul avec un manuscrit à corriger, tranquille, d'un pied de cochon pané sauce ravigote et de brochettes de coeurs de canard, à J'Go, vers Mabillon à Paris. A côté vinrent s'atabler trois êtres bruyants qui voulaient manifestement que chacun les remarque et cesse tout de go de vivre pour les regarder. Il s'agissait d'un acteur de troisième zone et de deux vieux pages, assistants, groupies, que sais-je. Afin de me concentrer, de reprendre calmement le fil de ma relecture, un moment troublée par ces trois pachydermes impolis, je fis écran avec ma main sur le front. L'acteur, que je feignis de ne pas reconnaître (qu'en avais-je à foutre!), tandis que deux ou trois passants vinrent lui serrer la main et le congratuler pour ses prestations, fut intrigué : je fus surpris de voir combien mon indifférence -l'indifférence d'un seul-, semblait le gêner comme du poil à gratter dans la chemise. Il ne cessa de se retourner vers l'ingrat, l'ovni que j'étais à ses yeux. J'en conçus un sentiment de pitié pour ces ego surdimensionnés qui ne peuvent respirer si le monde ne les observe pas avec des yeux mouillés d'envie. La serveuse du restaurant, faussement, exagérément flattée par l'acteur, ne se sentait plus. Les deux vieux parlaient très fort, comme si tout leur était forcément dû, y compris les meilleurs égards, les meilleurs vins, les plus beaux plats de ce restaurant. Ce fut pitoyable. Je corrigeais derechef, il se retournait de temps à autre pour voir si, enfin, je le reconnaitrais. Ma vue transversale me dit tout cela sans m'empêcher de travailler, bien après avoir déjeuné. Ils partirent. Debout, vêtu d'un manteau bruyamment remis, il continua d'attendre, de s'étonner de tant d'ignorance, enfin, de la part d'un être humain... C'est décidé : je n'iirai pas voir de film avec le nom d'Edouard Baer à l'affiche. Ce mec est un cabotin.