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  • Plozévet

    Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en IMG_20181228_184535_resized_20181228_070242539.jpgdépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être  (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture). 

    IMG_20181227_101600_resized_20181227_114815728.jpg

    Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.

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    (*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau... 

    (**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).

    (***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.

  • Gros manuel de culture générale à haute valeur ajoutée

    Capture d’écran 2018-12-20 à 13.43.48.pngLa première question que l’on se pose en soupesant ce volume de 1 500 pages signé de Luc Ferry est : comment cet homme à l’agenda d’ex-ministre fait-il pour trouver le temps de... Nous pensons aussitôt après : c’est sans doute le livre d’une vie. Il en a écrit des dizaines d’autres, mais celui-là pourrait bien être sa « somme ». C’est que le « Dictionnaire amoureux de la Philosophie » (Plon, 30€) ratisse large : la liste des entrées déborde largement celle des ouvrages comparables, et davantage académiques, plus stricts quant à la définition de la philosophie, y compris, et à l'opposé, l'inclassable Monde de Sophie, de Jostein Gaarder ou bien l'iconoclaste Antimanuel (de philo) de Michel Onfray. La définition de la Philosophie selon Ferry touche non seulement aux principaux courants et concepts classiques – qui figurent tous dans cet imposant ouvrage -, mais également à l’animalité, l’argent, l’audimat, l’automobile, le big data, les bouffons, l’uberisation du monde, Frankenstein, l’héroïsme, l’holisme opposé à l’individualisme, l’islamophobie et l’islamonazisme, au jeunisme, à Lisbonne, Noël, Pâques, au racisme colonial, la robotique, et même au vin (dernière entrée - et pas des moins intéressantes - de ce foisonnant dico). C’est dire si le spectre s’élargit à notre modernité, aux nouveaux regards (portés) sur le monde actuel – lesquels sont pour la plupart une façon de revisiter la pensée à travers une réflexion relativement identique, et cependant corrigée, enrichie. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce livre. Qui est par ailleurs bien écrit, ce qui permet une plongée dans chaque entrée des plus aisées. Luc Ferry rend son bouquin encore plus sympathique par des digressions, ici le récit de souvenirs personnels liés au texte, comme à propos d’écologie politique, lorsqu’il publia dans les années 1990 « Le Nouvel ordre écologique », là des anecdotes tirées de son quotidien. Le ton de cette conversation proposée au lecteur démystifie un ouvrage de cet ordre, sans pour autant le rendre simpliste : Chaque entrée recèle une réflexion en profondeur sur une thématique dûment, sérieusement abordée sous divers angles. Ce Dictionnaire amoureux en devient un livre de culture générale à haute valeur ajoutée, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent, et qui sentent si mauvais l’absence de soif de savoir, le refus de connaître, le déni, le non souci de prendre le temps de la réflexion, fut-ce la plus humble et la plus brève... Pour cela au moins, ce pavé (rêvons qu’il soit jeté lors de manifestations au lieu des vrais, en pierre), mérite toute sa place dans la liste des cadeaux à faire à ceux que l’on aime. L.M.

  • Le Vin, c'est Particulier...

    IMG_20181218_150438_resized_20181219_112601357.jpgIl vient tout juste d'arriver au courrier par coursier : le livre Le Vin, son histoire, ses terroirs, publié par le groupe Le Figaro via sa filiale Le Particulier, paraît. 194 pages denses etIMG_20181218_150323_resized_20181219_112600472.jpg cousues main, aux petits oignons, rédigées scrupuleusement et littérairement, avec goût et circonspection, sous la houlette de notre complice depuis tant d'années Philippe Bidalon. Nous y avons, personnellement, beaucoup donné, des Origines du sang de laIMG_20181218_150921_resized_20181219_112601974.jpg vigne au vignobles du Sud-Ouest en passant par ceux de la Loire, de la bulle de Champagne à l'aristocratie (bordelaise) du bouchon, des climats bourguignons au choix des verres, et d'autres chapitres plus ou moins grands. Ce fut un plaisir. Le bouquin se tient. Il est élégant, gourmand, richement illustré, jamais pompeux, toujours sérieux mais avec ce qu'il faut de distance pour demeurer suave, hédoniste, généreux. Aucune prise de chou là dedans. Que du plaisir en partage. Faites passer ! L.M.

     

  • Un inédit de Rostand

    IMG_20181218_113337_resized_20181218_113430117.jpgÀ défaut de publier un inédit de Marcel Proust, Atlantica livre un inédit d’Edmond Rostand, « La Maison des amants ». Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup. Certes, cette pièce est inachevée. Mais la beauté réside dans l’inachevé, quoi qu'en dise l'un de ses personnages (lire plus bas). C’est l’acte I d’une pièce prévue en trois. Le premier tiers. Le reste est à imaginer, à échafauder, construire, détruire, refaire. Jusqu’au quatrième tiers... Et, si l’on considère « Cyrano de Bergerac » comme l’un des plus beaux textes jamais écrits en langue française, nous ne regrettons pas l’hypothétique exhumation d’un Proust de derrière les tiroirs brinquebalants aux relents de naphtaline. Après tout, Marcel manqua le Goncourt et Edmond connut un succès populaire foudroyant. Ces deux-là n’ont pas fini de connaître les lois de l’apogée... Le succès de « La Recherche » fut plus lent, mais pas moins durable. Sur la ligne de départ, les paris auraient pu aller bon train. Marcel demeure un ton au-dessus, celui de l’introspection. J’ai plaisir à le nommer ornithologue de l’homme – ce drôle d’oiseau. Rostand est bien plus généreux, débonnaire sans compter, cash en somme. Et puis ils sont incomparables à la fin – pourquoi cette digression, je vous le demande ?.. Cette « Maison des amants » est d’une facture plutôt prude, elle cultive le tact et la bienséance comme d’autres le haricot tarbais ou le voussoiement. Le titre est beau et prometteur. Les aficionados d’Edmond avaient eu la joie de découvrir un premier inédit voilà quelques années : « Le Gant Rouge ». Voici, par l’entremise d’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Rostand, l’universitaire Olivier Goetz (maître de conférences en arts du Spectacle à l’Université de Lorraine, et entre autres co-organisateur d’un colloque qui se tint à Arnaga – Cambo, demeure-musée de l’auteur de « L’Aiglon », en septembre dernier, sur le thème suivant : Poésie du spectacle et spectacle de la poésie dans l'oeuvre d'Edmond Rostand), ce début de pièce interrompu par la maladie, la guerre et enfin la mort de son auteur de la grippeIMG_20181218_113250_resized_20181218_113429716.jpg espagnole le 2 décembre 1918 – il y a tout juste un siècle -, qui devait narrer l’amour absolu entre Joconde et Hermeril (« Cyrano » fut donné en novembre 1897, mais les feuillets de cette pièce inachevée datent de 1895). C’est vif et primesautier, léger et frais, en vers, et contre toute attente cinq scènes en disent déjà long, sur une petite quarantaine de pages aérées. Les amants ne « parlent » cependant pas dans ce premier acte, et nous le regrettons. Ils sont évoqués par d’autres personnages, ce qui rend l’extrait encore plus appétant ; et frustrant. Qu’importe ! Un certain Taldo déclare, page 33 :

    « C’est le seul grand amour que j’attends, que j’espère.

    Pas d’amour à mi-cœur, pas d’amour à mi-ciel.

    J’adore le parfait. Je hais le partiel.

    L’incomplet me paraît ce qu’il y a de pire,

    Et c’est à l’absolu, seulement, que j’aspire. »

    Tout Rostand...

    L’ouvrage comprend par ailleurs le fac-similé du manuscrit enrichi, raturé, corrigé de la main de son auteur, ce qui constitue déjà un précieux document : voir le travail en cours et tenter de deviner ce qui se passait dans la tête de celui qui cheminait sur le papier IMG_20181218_113313_resized_20181218_113430503.jpgcrayon en main, est toujours émouvant. Un texte de Goetz, « Exquise esquisse », analyse la genèse de la pièce, et clôt ce petit bouquin précieux et co-édité avec la Villa Arnaga-Musée Edmond Rostand, propriétaire du manuscrit. À quelques jours de découvrir au cinéma (le 9 janvier) le film « Edmond » (d')après la pièce homonyme (et formidable, nous l'avons vue il y a quelques mois au théâtre du Palais-Royal, à Paris), du même Alexis Michalik, l'actualité a du pif et ne manque pas de panache. L.M.

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    Atlantica, 13€

     

  • Whisky Express

    IMG_20181205_145532_resized_20181205_025738181.jpgCe mercredi, dans L'EXPRESS, je donne trois pages sur le sujet malté : la revanche des Single Grain. Delphinat à The Balvenie (Speyside). Et un choix de six beaux flacons pour les Fêtes. Enjoy, avec toujours un chouia d'eau dans le verre. L.M.  =>

    IMG_20181205_145652_resized_20181205_025737304.jpgIMG_20181205_145637_resized_20181205_025736550.jpgIMG_20181205_145622_resized_20181205_025735655.jpg