Le Désert des Tartares, le film
Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati, adapté au cinéma en 1976 par Valerio Zurlini, avec une distribution mirifique : Fernando Rey, Vittorio Gassman, Max Von Sydow, Philippe Noiret, Jean-Louis Trintignant, Laurent Terzieff, Giuliano Gemma, Francisco Rabal, Helmut Griem... Et un jeune Jacques Perrin impérial, est de ces films, à l’instar de La 317ème Section ou du Crabe-Tambour, pour ne citer que deux opus signés Pierre Schoendoerffer avec Jacques Perrin et d’immenses Bruno Cremer, Jean Rochefort, Jacques Dufilho pour escorte, qui laissent des traces dans notre mémoire. Celle-ci est faite de vertu (virtus), d’honneur, de dignité, de parole donnée, de fidélité, de respect, de courage enfin. Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq plane sur ce Désert, et le lieutenant Drogo ressemble tellement à Aldo que parfois nous les confondons dans une lecture croisée ou plutôt mêlée agréablement, sans dissociation excessive.
Un tressaillement de coque
Nous trouvons, en prêtant l’oreille et l’attention, un même vrombissement ourdi, une marée montante, un bourdonnement, un « tressaillement de coque ». Au lieu de citer Buzzati, je choisis de citer l’humilité de Gracq à propos de son propre Rivage, roman frère (*) du Désert : « J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue » (En lisant en écrivant). J’ai revu le film adapté du Désert, ce mardi soir, et j’en garde derechef le sentiment suranné d’une morale perdue, d’un art d’être, d’un comportement fraternel entre tous admirable ; profondément humain, en somme, là, sur cet « excipient inerte », comme Gracq qualifiait le matériau géographique de son Rivage. Et cet « imperçu » volontaire est magnifié par Valerio Zurlini ainsi que par les puissantes jumelles de la Capitainerie, brandies entre les créneaux du Fort Bastiani, siège d'un roman de l'attente (d'un ennemi)... Ce qui se raréfie possède un prix, et ce livre ainsi que ce film fidèle au texte de Buzzati, en sont l’inestimable preuve. Il s’agit là d’un septième art révolu, eu égard à l’indigence de la production ambiante, laquelle ne serait presque rien sans son Botox technologique. Faites donc passer. L.M.
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(*) J'évoquerai ultérieurement la tout aussi évidente fraternité du Rivage et du Désert avec Sur les falaises de marbre, d'Ernst Jünger.