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  • Esprit de Granit et Les Hauts du Fief

    images.jpegJe ne dirai jamais assez de bien de la Cave de Tain, à Tain L'Hermitage (Drôme). Voici deux de ses nombreuses réussites et d'abord : Esprit de Granit, un Saint-Joseph 2011 issu de syrah soyeuses comme rarement, avec une robe rubis lumineuse, un nez de fruits noirs compotés, épicé (cardamome), une bouche ample et puissante sans être machiste : élégante mais virile. Idéal sur les viandes rouges que l'on avait délaissées cet été, voire une volaille forte comme la pintade, en attendant les premières grives ou le perdreau rouge de septembre, voire le sanglier d'avant-ouverture... Renseignements pris après dégustation, il s'agit d'une sélection parcellaire, issue d'un terroir exceptionnel, en gros. Tout est maîtrisé, du travail en vert, effeuillage compris, jusqu'à la date optimale de la récolte, en passant par la sélection précise des baies juste avant la vendange. Ici, il s'agit de vieilles vignes plantées en coteau sur les contreforts du Massif Central, sur des arènes granitiques. Le flacon vaut 15€ et c'est une paille, eu égard au bonheur produit.

    images (1).jpegUne autre des dix cuvées parcellaires bichonnées par des hommes constamment sur le terrain et proposées par la Cave de Tain, est un Crozes-Hermitage 2011, Les Hauts du Fief. Et c'est splendide, corpulent, gentleman-farmer, issu de syrah de 30 ans. Robe profonde. Nez épicé (poivre) et de fruits noirs bien sûr, un rien minéral, ce qui éclaircit les fosses nasales au passage, les yeux archi-fermés. La bouche, fraîche et profonde, persistante et réglissée mais à peine, nous redonne des baies mûres à foison; et on prend. Avec ça, sortez un vieil ardi gasna (un brebis forcément paysan d'Ossau-Iraty), juste après une côte de boeuf bien persillée et sortie du froid au moins deux heures avant. Cuisson : Juste aller-retour, dirait Firmin Arrambide (Les Pyrénées, à St-Jean-Pied-de-Port, 64), sur la plancha archi-chaude. 13€ la boutanche, c'est cadeau, té!


    images (2).jpegimages (3).jpegimages (4).jpegALLIANCES : Joseph Kessel, Les mains du miracle, Jérôme Garcin, Olivier, (les deux en folio), Dylan Thomas, Portrait de l'artiste en jeune chien (Points). Du poignant, du qui décoiffe, du mémorable, qui décante en somme. Et en tongs s'il vous plaît, parce qu'il fait beau et qu'il convient de détendre l'esprit du texte. En plus, y'a été indien en vue! Si, si...

  • Drouant et l’Académie Goncourt

    Voici un papier retrouvé à l'instant dans mes archives et que publia une revue d'histoire. A l'heure où l'on pense déjà fort au lauréat du plus prestigieux des prix littéraires français, voici une évocation historique de ce restaurant chargé d'anecdotes. 

    (Personnellement, et puisque personne ne me pose la question, je donne Jean-Philippe Toussaint -pour son roman Nueque publie Minuit le 5 septembre prochain- vainqueur. Nue clôt le cycle romanesque consacré à Marie Madeleine Marguerite de Montalte, après Faire l'amour, Fuir, et La vérité sur Marie. Quatre bijoux). Et vous?


    téléchargement.jpeg« Drouant dérive du germanique drogo, qui signifie quelque chose comme le bon combat ». C’est Hervé Bazin qui parle. L’auteur de « Vipère au poing » qui fut un membre marquant de l’Académie Goncourt, savait de quoi il en retournait dans le salon du premier étage. Le bon combat demeure, qui fait triompher le livre, au restaurant Drouant, chaque année à l’heure du déjeuner, début novembre…

    Le génie d’un lieu provient du lien entre des êtres géniaux. Ici, l’escalier est signé Ruhlmann, la cuisine actuelle Antoine Westermann, l’atmosphère est résolument Art déco ; l’esprit, Goncourt.

    L’âme du lieu est double : littéraire et gourmande. Gastronomie et littérature ont toujours fait  bon ménage. La plume tombe vite le masque lorsque la fourchette montre les dents.

    Le restaurant de la Place Gaillon (Paris 2ème), n’échappe pas à la règle. Mieux : il la dicte depuis un siècle et un an. Une paille !

    Entrer chez Drouant, c’est pénétrer l’antre d’un club fermé et fixé à dix membres selon les vœux des frères Edmond et Jules de Goncourt.

    L’Académie française a ses fauteuils, ses habits verts et ses épées pour ses pensionnaires. L’Académie Goncourt elle, a ses couverts gravés au nom de ses membres. Cela vous pose. « Cette nuance, soulignait Roland Dorgelès, aide à prouver combien les académiciens de la place Gaillon se veulent des copains au sens étymologique, « ceux qui partagent le pain ». Plus prosaïquement, ajoutait Dorgelès, on parle des déjeuners Goncourt et des séances du quai Conti ». Mais la querelle de bretteurs n’a pas eu lieu. Les Académies ne se tordent pas le nez et observent au contraire un respect mutuel qui n’a pas de prix.

    Pour l’historien, Drouant évoque aussitôt Louis XV, qui aimait chasser au faucon à proximité de la porte Gaillon, l’une des six percées dans l’enceinte bastionnée dont Louis XIII avait ceinturé la capitale.

    L’homme de lettres pense immédiatement à Zola, qui campa « Au bonheur des dames » dans ce quartier, et nourrit son livre des scènes de rue quotidienne de la place et ses alentours.

    L’amateur gourmand pense à la boucherie Flesselles, qui fut célèbre dans les années 1870 et qui fut remplacée par le restaurant Drouant en 1880.

    Lorsque l’Alsacien Charles Drouant, échouant à Paris, ouvre alors un modeste café-tabac, il est loin d’imaginer  que son nom va se perpétuer ainsi. Il l’agrandit néanmoins sa petite échoppe, en fait un bistrot que des artistes et des écrivains ont la bonne idée de fréquenter : Pissaro, Daudet père et fils, Renoir, Rodin, … La bande d’intellos artistes s’agrandit, peintres, sculpteurs, poètes, journalistes, romanciers, agrandissent le cercle et en font leur repaire. Leur rituel dîner du vendredi forge la célébrité du lieu dans le métal le plus résistant.

    Le prix Goncourt existe depuis 1903 (il fut attribué pour la première fois, le 28 août de cette année-là, à Jean-Antoine Nau pour son roman « Force ennemie ». Déjà tout un programme qui renvoie à la sagacité de Bazin à propos de « Drouant / drogo »…).

    Le prix ne commencera à être décerné chez Drouant que le 31 octobre 1914 par la Société littéraire des Goncourt. Le prix ne fut pas décerné cette année-là pour cause de guerre (et il fut par ailleurs refusé une seule fois, en 1951 par Julien Gracq -photo-, pour son magnifique roman « Le rivage des Syrtes ». L’immense écrivain eut toujours « La littérature à l’estomac » et pas devant les flashes et les caméras…).

    L’Académie est donc fidèle à Drouant depuis 1914. Le testament d’Edmond de Goncourt résume l’affaire : « Je nomme pour exécuteur testamentaire mon ami Alphonse Daudet, à la charge pour lui de constituer dans l’année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire dont la fondation a été, tout le temps de  notre vie d’hommes de lettres, la pensée de mon frère et la mienne, et qui a pour objet la création d’un prix de 5000F destiné à un ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année, d’une rente annuelle de 6000F au profit de chacun des membres de la société » .

    Il est précisé que les dix membres désignés se réuniront pendant les mois de novembre, janvier, février, mars, avril, mai et que le prix sera décerné dans le dîner de décembre… Les frères Goncourt avaient en effet voulu recréer l’atmosphère des salons littéraires du XVIIIème siècle, et aussi l’ambiance des déjeuners et dîners littéraires mondains du XIXème, comme les fameux dîners Magny. Jules meurt trop tôt, en 1870. Edmond anime alors seul le Grenier, puis la Société littéraire, qui devient Académie afin de se démarquer de l’autre, la Française du quai Conti, parce qu’elle refusa l’immortalité à de nombreux grands écrivains comme Flaubert, Zola, Balzac, Baudelaire et Maupassant.

    Encore le bon combat. Et c’est à vous donner envie de paraphraser Sacha Guitry lorsqu’il conchiait la Légion d’Honneur : «il l’avait, encore eut-il fallu qu’il ne l’eut pas mérité »…

    48 heures après la mort d’Edmond en 1896 –il avait 74 ans-, son notaire, Maître Duplan, lisait ainsi à Alphonse Daudet et Léon Hennique, ses légataires universels, le testament précité. L’aventure était lancée.

    Depuis, le Goncourt est le plus convoité des très nombreux prix littéraires français. « Il y en a davantage que des fromages », plaisantait François Nourissier. Il assure gloire et fortune à un auteur et à son éditeur. Le restaurant Drouant bénéficie par conséquent depuis longtemps du mythe Goncourt. Abriter l’Académie équivaut à posséder le Trésor des Pirates. Un trésor métaphysique.

    À l’étage, chez Drouant, nous trouvons les Salons Goncourt, Apollinaire, Colette, Ravel et Rodin. Il est très agréable d’y déjeuner ou dîner dans la grande salle du rez-de-chaussée, près du monumental escalier.

    La veille de notre visite au restaurant, j’y avais retrouvé le lauréat 1976, Patrick Grainville, afin de lui demander un texte pour les éditions que je dirigeais alors.

    Lors de notre second passage, Jorge Semprun (mort depuis) y mangeait en agréable compagnie à une table voisine. Juillet tirait à sa fin. L’esprit du lieu était habité à tous les étages par l’Académie. Nous prenions notre repas en bas, avec une amie.

    La mosaïque bleue travaillée à la feuille d’or, le fer forgé, les glaces immenses pour « narcisser » entre la poire et le fromage ou parmi les superbes peintures qui ornent les murs, le service élégant et discret, prévenant et jamais obséquieux, escortèrent avec grâce le foie de canard marbré de pigeon et sa gaufre au lard fumé, la blanquette de barbue et de queues de langoustines et le risotto à la truffe d’été, le carré d’agneau et son gnocchi… Les fameuses feuilles de chocolat en hommage à Jules et Edmond sont un dessert des éditions… Ganache, reconnues dans le village « germanopralin ». Le vin de Vacqueyras fut parfait du début à la fin. Joie ! C’est à peu près le menu qui fut servi en 1903 lors de l’attribution du premier Goncourt (bisque d’écrevisse, barbue sauce poivrade, terrine de foie gras…), chez Champeaux.

    Les membres de l’illustre Académie doivent leurs couverts à leur nom, à André Billy (académicien de 1943 à 1971, qui en suggéra la création. Et c’est Mr Odiot, fondeur en vermeil de la Place de la Madeleine qui grava fourchettes et couteaux. De là à penser avec feru Robert Sabatier, que c’est avec ceux-ci que l’on fait de la cuisine littéraire, il n’y a qu’un « plat » que nous ne franchirons pas.

    Plutôt citer Jacques de Lacretelle, qui résumait merveilleusement l’alliance de la littérature avec la gastronomie. Composer un roman ou un menu relèverait d’une alchimie voisine : « C’est un art (la gastronomie) où il faut suivre une tradition, mais où l’on peut tout inventer. Je ne vois pas de plus belle définition pour dire ce qu’est le talent littéraire ».  L.M.

  • Un été avec Montaigne, un automne avec Camus


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    Montaigne illuminé par Antoine Compagnon -un vrai passeur, cet érudit, est la bonne surprise de l'été qui s'achève(*). Bravo à Olivier Frébourg, éditeur (Les Equateurs), pour ce formidable succès éditorial, en partie imprévisible comme il se doit et par conséquent tellement rassurant : aucune affirmation de marketteux, ni aucun pifométrage ne guideront jamais le choix du public -ce bouche à oreille magique qui tout à coup enflamme les consciences et les tables des libraires, en l'occurrence. Il en va toujours ainsi. Qui peut dire que tel roman sera le succès absolu, l'ouvrage plébiscité par un large public, cette rentrée-ci? Bien sûr il y a des tendances. Certaines sont lourdes mais sans surprise (Nothomb, d'Ormesson retrouveront leur armée de fidèles). Toussaint, Haenel, Darrieussecq, Gallay, Rolin, Germain, Ford, Coetzee, Chalandon vendront. Minard, Razon, Thomas, Ovaldé et Cabré aussi. Mais il y a certainement, parmi les 555 livres parus ou à images (1).jpegparaître ces prochains jours, un ou deux romans qui ne font pour le moment d'autre bruit que celui de leurs pages entre les doigts de lecteurs avisés et curieux et qui vont sortir de l'ombre comme le soleil entre deux masses nuageuses. On parie! Tiens, jouons un peu : vous pensez à quel livre?.. Moi je ne pense à aucune nouveauté de cette rentrée, mais à un auteur : Camus. Albert Camus. Et oui. Le 7 novembre prochain il aurait eu 100 ans (et j'espère que j'en aurai 55), et de nombreux éditeurs, à commencer par le sien (Gallimard), vont fêter l'événement, puisqu'une soixantaine d'ouvrages sont attendus sur l'inépuisable sujet. Il y a déjà eu le superbe album de Jacques Ferrandez, L'Etranger, une BD littéraire de haut-vol avant l'été (Gallimard). En folio le mois prochain, reparaîtront Les Carnets (en trois volumes), les Journaux de voyage, ainsi que des coffrets thématiques : L'absurde (L'étranger, Caligula, Le malentendu, Le mythe de Sisyphe),  La révolte (Les Justes, La peste, L'homme images (2).jpegimages (3).jpegrévolté). Vous allez voir ce que l'on va lire! Encore Camus... Je préfèrerais me réjouir du succès des livres de certains de mes amis présents à cette rentrée, comme Saber Mansouri, Je suis né huit fois (Seuil) ou Jean Le Gall, New York sous l'occupation (Daphnis et Chloé) -remarquables premier et second romans (j'y reviendrai). Mais qui sait! Et si c'était eux? dirait Lévy (Marc). Croisons les doigts.

    (*)Un été avec Montaigne est un petit livre épatant que l'on rachète et que l'on offre après l'avoir lu, avec ce plaisir de transmettre un objet à haute valeur ajoutée. A l'origine, il s'agit d'une série d'émissions brèves qui furent diffusées sur France Inter au cours de l'été 2012 (cet été, la série eut Proust pour sujet, par le même Compagnon, très fin connaisseur de l'auteur de La Recherche). La lecture revigorante du petit livre jaune agit par contagion, car la philosophie simple et droite de Montaigne l'naltérable opère, via la lecture qu'en fait Compagnon, comme une bière fraîche au coeur de la soif. L'éthique de l'auteur des Essais est une leçon de vie permanente et une esthétique : un art de vivre en beauté. Qu'il évoque l'altérité, le pouvoir et la corruption, l'éducation, le corps, la lecture ou l'arrogance, le négoce (negotium) et le loisir (otium), l'acédie ou la solitude, la vanité ou l'Amitié, la mort ou le désir, Montaigne est un guide étonnement moderne, à l'avant-garde pour son époque, qui ne cesse de douter et de rechercher son assiette (un terme d'équitation et Montaigne chevauchait beaucoup), dans un monde qui bouge; rien de plus mais le projet est de taille et permanent. Le relire est toujours aussi salutaire et à travers le libre éclairage qu'en donne donc Antoine Compagnon, Montaigne nous devient encore plus familier, plus tutoyant. Faites passer!

    PS : nous pouvons bien sûr nous interroger sur ce recours aux classiques, qui rassure en période de crise, lorsque celle-ci opère par capillarité jusque dans le moindre recoin de nos existences (la lecture, un recoin?!..), et cela ne doit pas occulter notre curiosité vive face à tant de nouveautés, de fleurs en somme, que sont les nouveaux livres d'auteurs connus et les premiers livres d'auteurs à découvrir avec alegria.

  • Frédéric Musso poète

    images.jpegFrédéric Musso fait de la photo à sa façon. Ses instantanés sont des poèmes en prose ciselés, aussi vifs que toniques et qui possèdent une qualité rare, que j'appellerai la souplesse du chat : prenez un chat, jetez-le par la fenêtre (du premier étage, ho!), le chat retombera sur ses pattes. Toujours. Un bon poème est un chat lancé par la fenêtre du premier. Un bon poème est rond. Un peu comme un oeuf (mais un oeuf c'est ovoïde, c'est pas rond! Okok). En tous cas, ça retombe sur ses pattes en bouclant sa boucle et en la bouclant, voire en vous la bouclant (en nous en bouchant un coin, quoi). Frédéric Musso y parvient. Poète exigeant, il apparaît intraitable avec le choix du mot juste (et parfois rare, ou bien oublié). Ses poèmes courts et denses sont de temps en temps teintés de lointains jeux de mots. Ils disent tous l'essentiel d'une sensation, ils captent à temps des instants fugitifs avec la main, avec une épuisette, ils enserrent un sentiment, ce sont des tableaux aussi et encore des souvenirs (d'Algérie). Certains poèmes de ce nouveau recueil au titre camusien : L'exil et sa demeure (La Table ronde, 96 p. 14€), contiennent des images fortes : "peler les mots jusqu'au trognon pour que se lève le poème"... "tu vacillais le coeur haut comme la patte du chien qui pisse"... "le bois flotté des métaphores"... "La beauté fut condamnée par contumace. On accusa les ombres de légèreté."

    En voici une petite poignée en guise d'appât : 

    "Debout dans les trèfles l'enfant se caresse comme on froisse une rose. Son autre main arrondit le soir. Enfant royal. Plus tard chargé de mots il s'astiquera sous la lampe, l'être tout entier en branle. Désuni."

    "Le coeur saillant pousser la porte d'une femme. Considérer que l'aménagement des corps ne relève pas seulement du territoire. S'asseoir au bord de la finitude et contempler l'innocence de l'origine du monde."

    "Poésie qu'on file avec la patience des vieux marcheurs. La renverser d'un revers de rêve pour que chantent les mots qu'elle brise sous nos pas."

    "Bel canto des corps. Le vent velours caressait nos chairs de poule. Un cri d'enfant est sorti de ta bouche. Quand le soleil a posé son front sur la mer nous avons allumé des américaines et nous avons souri comme des demi-dieux."

    "Dans l'odeur nue de l'aube le piéton de la plage pouvait croiser la perfection d'un squelette d'oursin, le bras d'honneur d'une branche sur le sable ou l'idée singulière que les ombres mûrissent en douce avant de s'allonger."

    "Le temps glissait sur son erre. Une créature s'attardait aux angles morts du désir. Elle caressait ta peau comme on dessine sur le sable quand le soleil va se coucher."

    "Les rêves consumés dans la broderie du sommeil. Les mots qui cillent. Ferme la fenêtre. Tire le rideau. Ta main à fleurs de cimetière sous la lampe, son ombre sur le papier où se dénoue le plus clair de ta nuit."


  • Qui o qua

    IMG_0944.jpgProcida me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre mes yeux. Cette île me rassemble et me ressemble. Elle irradie en moi, éloigne de la peau de mon âme les tourments. J’habite Procida comme le fleuve finit par habiter la mer. Ma confusion des sentiments s’épanouit sur le microcosme de la Corricella comme une feuille de thé dans l’eau bouillante. Chaque chose reprend place, chaque être observe l’autre en amitié ; insulairement. Ici je découle. Deviens poisson, nage en eaux claires. Je mûris comme le citron sous le soleil clément. J’oublie le manque. Je me nourris d’ombre et de petites tomates. Je IMG_0945.jpgplonge dans l’eau noire, pilote le bateau, un gozzo,  comme je caresserais une nouvelle femme. Le voilier de Paolo qui s’avance pour mouiller dans l’anse de Chiaia, le regard du vieux pêcheur taiseux qui reprise son filet, l’écho d’une Vespa à l’assaut de Terra Murata suffisent à mon bonheur écrasé de soleil du passager clandestin que je suis devenu sur l’île de mes ancêtres. 

    (photos : seul à bord, stasera : il benessere).

    Traduction de mon amie écrivaine napolitaine/procidienne et présidente du Prix Elsa Morante, Tjuna Notarbartolo : 

    Procida me riconcilia con la vita quando mi scivola negli occhi. Quest'isola mi ripiglia e mi somiglia. Mi splende dentro, allontana i tormenti dalla pelle dell'anima. Abito Procida come il fiume finisce per abitare il mare. i miei sentimenti confusi si stemperano sul microcosmo della Corricella, come una foglia di tè nell'acqua bollente. ogni cosa è al suo posto, ogni essere osserva l'altro in piena amicizia; insularmente. Sono alla deriva. divengo un pesce, nuoto in acque chiare. divengo maturo come il limone sotto un sole clemente. Scordo ogni mancanza. Mi nutro d'ombre e di pomodorini. Mi immergo nel mare profondo, guido la barca, un gozzo, come se accarezzassi una nuova donna. La barca a vela di Paolo che si avvicina per bagnarsi nell'ansa della Chiaia, lo sguardo del vecchio pescatore taciturno che ripara la sua rete, l'eco di una Vespa che scala Terra Murata, bastano alla mia felicità schiacciata di sole, da passeggero clandestino, quale io sono divenuto sull'isola dei miei avi.