J'ignore vraiment pourquoi je me sens impressionné par la forme (la quantité de pages) davantage que par le fond (les thèmes sont costauds, pour la plupart) de certains livres de cette rentrée : le Reinhardt qui mélange les genres et qui m'attire par son côté sexuel, le Carrère sur le nauséabond et border-line Limonov, qui affichait il y a peu un portrait de Mussolini dans son bureau..., le Grossmann (que je lirai quand même car il semble que ce soit un livre majeur sur l'histoire d'Israel, au delà du sujet extrême du livre : la perte du fils à la guerre et le refus de la mère d'accepter cela -l'ensemble raconté par le père lui-même), le Schneider -je le lirai sans doute, moins à cause du thème du frère perdu, suicidé il y a trente-cinq ans, que pour la prose de l'auteur de "Marilyn, dernières séances", et de "Maman" -sur la mère de Proust. Tous ces livres, et bien d'autres encore, me rebutent un peu.
Mais allez savoir pourquoi (je ne crains même pas de paraître ringard en écrivant ce qui suit) je n'ai pas cette appréhension devant la énième relecture d'un Dostoïevsky ou de Proust. Peut-être parce que je sais par avance qu'à chaque page une belle phrase me sautera à la gueule avec eux (comme avec le "Journal" de Jules Renard, un poème de Char, une page de Gracq ou les aphorismes de Cioran, en gros), et donc qu'un plaisir du texte me ravira et comblera, à lui seul, ma journée -et qu'avec les autres, je deviens méfiant, rétif, paysan : j'attends de voir. Je sais c'est con, mais qui puis-je! Reconnaissez que j'ose le dire, que je ne crains pas d'avouer cette étrange faiblesse, que j'associe à ma baisse d'aficion (tenez : demain, il y a un mano a mano Castella-Perera à Bayonne avec des toros de Jandilla : cartel de lujo! Eh bien je n'irai pas, c'est comme ça : pas assez le feeling. Perdu, le feeling, té!). Mais de voir quoi, donc ? Je me suis connu plus fonceur, plus découvreur -certes, lorsque c'était mon métier de me "cogner" toute la rentrée littéraire pour un hebdo (oulà, c'était y'a longtemps, ça), j'y allais, mes manches retroussées, et allez! J'en avalais deux-trois chaque jour, car à l'époque il y en avait quand même près de quatre cents au courrier, au total et dès avant l'été -et dès le petit-déjeuner, je me les bouffais tout crus. Puis je sélectionnais, et puis je rédigeais mes pages, je faisais part de mes coups de coeur et de mes coups de gueule...
Aujourd'hui, je trouve peut-être que "la chair est triste..." Alors, "Rouler", de Christian Oster (L'olivier), me ravit bizarrement car son road-novel de Paris à Marseille ne raconte strictement rien, presque rien, mais-mais que cela produit de la littérature, de la vraie. Si, si. Je me régale avec de petites choses : "Petit éloge de la première fois", de Vincent Wackenheim, "Petit éloge des amoureux du silence", de Jean-Michel Delacomptée (folio 2€, les deux), "Petit dico des vins naturels" de Jean-Charles Botte (Le courrier du livre) même si ce n'est pas de la littérature, "Les corrections" de Franzen, car je ne l'avais pas lu et que je veux le faire avant de prendre "Freedom" dont tout le monde ne parle plus. Ah, la dure loi de la mode, éphémère, et celle, plus sévère encore, de la vie d'un livre : pffffuuuiiittteuse. (Tu passes un an, six ans, à l'écrire et la presse en parle trois jours de rang et le public suit. Ou ne suivra jamais, sauf quand tu mourras, et alors là : pour trois jours maximum tu en prendras, mon vieux. N'espère pas plus -mais au fond tu t'en fous puisqu'alors tu seras mort...).
Et vous savez quoi? Aujourd'hui, mon pied littéraire je l'ai pris avec l'album Rimbaud de La Pléiade, paru en 1967 et que j'ai trouvé pour le quart d'une demi poignée de cacahuètes chez un bouquiniste bayonnais qui ignorait qu'il valait plusieurs centaines d'€. C'est pas la question : je me le garde, bordel! Mais écoutez : l'icono est vieillotte, l'odeur du papier est plus que moisie, les feuilles sont rêches, mais l'atmosphère de Charleville, du Harar, de cette putain d'indépassable "Saison en Enfer" sont là, pregnantes, épousantes. Et j'ai relu dans la foulée mes poèmes préférés d'Arthur, au premier rang desquels je place à jamais "Sensation". Et mon bonheur fut total. Après, je suis descendu à ma pharmacie, comme chaque jour (j'ai nommé ma librairie de quartier) et j'ai trouvé les couvertures pâles, les jaquettes aguichantes comme des pubs pour des bagnoles, et les gens qui passaient à la caisse avec leur Nothomb (j'ai rien contre elle, au fond, mais bon) ou leur Vargas (bon choix!), un rien pathétiques.
Alors je suis allé m'asseoir dans le micro-jardin public du coin et j'ai lu vous savez quoi?.. "Avec mon meilleur souvenir", de Sagan. Oui! Et j'ai adoré, comme on adore une série genre les experts à miami police chose new york special six feet desesperate Dr who Grey's love truc. Vous voyez le genre? La littérature tient à peu de chose, pour peu qu'on prenne suffisament de distance avec cette satanée morue.