Rendez-vous, Place Saint-André, de Colette Larraburu (Elkar) -voir la note du 10 décembre dernier, est un ravissement. Sous-titre : Trente ans de vie du Café des Pyrénées : c'est réducteur, car ce sont trente ans de vie bayonnaise qui sont ici contés, tant l'objet de l'étude reflète les années 80 à aujourd'hui dans leur globalité. Il s'agit d'une enquête aussi sérieuse que chaleureuse, vivante, profondément humaine, à la fois psychologique et sociologique. Le microcosme du Café des Pyrénées, à Bayonne, est un prisme au travers duquel un pan d'une certaine histoire du Pays basque, de la cause basque aussi, peuvent-être lus. Ce bar qui ouvre sur l'emblématique Place Saint-André, constitue un espace où l'évolution des habitus, a été marquée par des phénomènes saillants : la rue Pannecau en tant qu'artère-symbole où furent perpétrés nombre d'attentats, notamment ceux du GAL. La disparition progressive du petit commerce de proximité. La reconquête de l'espace avec l'arrivée d'étudiants. Et cela, Colette Larraburu en "rend compte" à travers de nombreux témoignages. Son livre est le fruit d'un travail minutieux de journaliste scrupuleux, qui sait donner la parole à, et reporter avec talent. Rendez-vous, Place Saint-André est l'histoire, humaine, d'un lieu singulier et à forte valeur ajoutée. Vif, alerte et précis, son écriture est belle, de surcroît.
Voici la préface que j'ai donné à ce livre :
"Un café peut devenir une seconde maison, si l’on affectionne les lieux de rencontre, d’échanges et de fusion des caractères sur l’autel d’un comptoir unique. Chaque café est un tissu de liens, un cœur qui bat, un organe de circulation de l’information allant de l’extérieur vers l’intérieur, soit, en l’occurrence, des artères du Pays basque vers l’entrelacs veiné de la ville –Bayonne, où se chuchotent et se chantent les nouvelles depuis toujours. C’est aussi le réceptacle d’informations plus délicates, à caractère politique, disons à forte valeur ajoutée. Pas de complot ourdi, de piège déjoué ou de tension désamorcée sans un café pour les fomenter ou les dissoudre. Si les murs d’un café sont en ciment, l’esprit qui y circule cimente ceux qui le fréquentent : ça ne sortira pas d’ici. Dans ce livre précieux, qui porte un regard d’une acuité rare sur un microcosme singulier, Colette Larraburu a su avec maestria toucher l’âme de ces lieux de mémoire et de vie forte, en ouvrant celle des hommes et des femmes qui les animent par destination. L’écoute est un art, faire dire en est un autre, d’amont. Colette Larraburu possède l’un et l’autre. En la lisant, j’ai appris mille secrets bayonnais et autant de ficelles éclairantes sur l’esprit de cafés d’apparence familière. Car, en observant et en laissant s’épancher avec tact les acteurs de ce monde irremplaçable –qui bat cependant de l’aile dans nos sociétés moisies, ce que révèle Colette Larraburu, à partir d’une observation à la fois clinique et clanique, mais surtout empathique et chaleureuse, touche à l’universel. Et c’est ainsi que l’image de la palombière, avec son poste de vigie, un ou plusieurs guetteurs, pour comparer et donc mieux comprendre la philosophie des cafés bayonnais, peut être déclinée à l’envi. Il existe des palombières dans le monde entier ! Où, dès leur seuil franchi, une batterie de rites de passage se met en branle, car il ne s’agit jamais de franchir le rugby, con! Il faut encore savoir en jouer, avoir la démarche idoine pour se faire accepter, la jouer humble, passer le ballon, offrir des sourires et des verres, et laisser le sac de ses défauts à l’entrée. Entre la porte et le zinc, le café impose sa vérité à celui qui y pénètre. La situation stratégique de tel bar, comme le mythique Café des Pyrénées, au bout de la rue Pannecau –ce « pont entre le Petit et le Grand Bayonne », détermine par ailleurs l’atmosphère particulière de chacun. Au-delà, tout est question d’affinités passagères ou durables. Personnellement, j’ai longtemps été Machicoulis, puis Au Clou, et pas seulement pendant les fêtes, plutôt le matin tôt. De même que le samedi, je suis Bar du marché : un petit coup du coude avant de passer à la table de Joséphine, sur place. J’ai vu apparaître des cafés « de détournement du sujet originel », ceux où l’on grignote pas mal, à l’instar d’Ibaïa, entre tant d’autres. Les querencias changent : mon actuelle, c’est le café François : Au mastroquet des halles… Nos préférences créent des habitudes. Mais il vaut mieux prendre l’habitude de n’avoir aucune préférence : je serai à jamais du côté de ceux qui entretiennent « l’esprit bar », en défendant le convivial poteo contre le pathétique botellon, descendant du xahakua, qui avait de la classe. Enfin, la nostalgie grave nos choix irrationnels : à cause des souvenirs que j’y ai sculptés lycéen, c’est Chez Tony, ancienne « annexe » depuis longtemps disparue du Lycée, que se trouve mon bar élu. Fantomatique, il demeure et j’y entends encore, en passant devant le commerce qui l’a remplacé, l’intact brouhaha de mes potes de bahut." © L.M.