Le Pays basque intérieur, ça change de la côte. Balade gourmande.
------
Aïnhoa passe pour l’un des plus beaux villages de France et il l’est. C’est sans doute aussi le plus charmant du Pays basque intérieur, n’en déplaise à tant d’autres ! Mais il faut parfois choisir. Ses maisons traditionnelles, sa rue principale, le respect scrupuleux de l’architecture originelle et l’absence de pollution visuelle, le rendent infiniment attachant. Autour du splendide fronton, deux institutions trônent depuis des lustres : Ithurria et Oppoca. Registre classique audacieusement revisité par les chefs Xavier chez Ithurria et Patxi chez Oppoca. Xavier cultive son jardin pour en cuisiner les herbes, les fleurs, les légumes et les fruits (cela devient à la mode chez les chefs), et propose une cuisine franche, avec des produits locaux judicieusement choisis. En témoignent les grosses asperges des Landes (dans les « ventas » proches, vers lesquelles 12 000 voitures se ruent chaque jour sans s’arrêter à Aïnhoa, des asperges made in China sont paraît-il vendues ! Ici, c’est du local pur jus). Avant le coup de feu, en saison, Xavier part cueillir les figues de son figuier, à Dancharia, pour le jambon aux figues « comme ça elles ne passent pas par le frigo ! », dit-il. Stéphane est en salle, Maritxu et Marion sont à la direction, et plusieurs petits-enfants prétendent à la succession, dont Louis, déjà étudiant au Lycée hôtelier de Biarritz.
À Oppoca, les chambres, refaites récemment, splendides et aux noms évocateurs, accueillent des voyageurs exigeants en recherche d’un calme absolu : Argi (la lumière), Izar (les étoiles), Ametz (le rêve), Ortzi (le ciel), Mendi (la montagne), Arantxa (l’aubépine). La table de Patxi est claire : porc basque d’Oteiza, truite de Banka de Michel Goïcoechea, agneau de lait des Pyrénées. Du fiable.
À Sare, Mecque de la contrebande, Arraya tient bon la barre, avec son restaurant classique, rassurant par les temps qui courent, et son hôtel charmant. Là aussi, l’entreprise est familiale : les Fagoaga, à la suite de Paul, retraité méritant, ses fils Jean-Baptiste et son épouse Laurence (hôtel, restaurant), et Sébastien et son épouse Laurentxa (boutique de produits maison, fabrique de gâteaux basques), avec René Dubès et le jeune Olivier Sautel aux fourneaux, perpétuent une tradition saratar. Celle du goût juste et du confort vrai. En annexe, la maison d’hôte Dominxenea (« la maison de Dominique », qui date de 1505), au cœur d’Ihalar, le quartier historique le plus beau de Sare, est une maison d’hôtes à prix doux, plantée à une minute à peine de l’hôtel. On ne peut oublier le gâteau basque estampillé Arraya (le « pastiza », en Basque) de Sébastien Fagoaga, car il reflète le savoir-faire de l’association Eguzkia (Soleil), laquelle garantit une qualité extrême, via le respect d’une charte exigeante. Ce label réunit vingt-cinq pâtissiers de la région.
Au restaurant Lastiry, qui fait face à Arraya, Pierre et Louise Etcheverria ont ranimé une maison emblématique du village, qui tombait à l’abandon. Hôtel, restaurant, retrouvent des couleurs : « Ca faisait mal au cœur de laisser ça comme ça », dit Pierre. Le peintre Mattin Partarrieu, un ami, orne les murs, et une cuisine gaie peint généreusement les assiettes : Saint-Jacques au xingar (ventrèche), ris de veau au Moscatel, charcuteries locales comme le tripotx, extraordinaire boudin lié au sang d’agneau !
À Saint-Pée sur Nivelle, le décor change radicalement, du moins côté face. Pile, la grande Auberge basque étend toute sa splendeur, large, débonnaire, généreuse et classique. Face aux montagnes, la modernité impose un style épuré avec les baies vitrées des chambres et du restaurant. Cédric Béchade et son équipe distillent ici une atmosphère « no stress » qui se ressent à chaque instant et partout. Les cuisiniers, foulard rouge sur la tête, exécutent une gastronomie subtile sans cris ni chuchotements, sous les yeux des clients, comme si tout coulait de source. Le chef passe les plats tout en surveillant l’ensemble. Rare. L’Auberge basque a ouvert en avril 2007 et connaît depuis un succès serein. Des pros, comme Samuel Ingelaere, sommelier exceptionnel et directeur de la boutique générale, épaulent le chef. Des céramiques signées Cazaux font office de dessous de plats, l’art, la sobriété règnent partout, du parc à l’étage des chambres au design subtil et jusqu’au bar. Le minimalisme ne rejaillit pas dans l’assiette, à la faconde de conteur gourmet. Artistique. Comme peut l’être la table historique, qui appartient au panthéon des saveurs du Pays, d’Arrambide père et fils (Firmin et Philippe), à Saint-Jean-Pied-de-Port. L’hôtel-restaurant Les Pyrénées, à l’instar de l’Irouléguy Arretxea, de Rieuspeyrous, ou des eaux-de-vie de Martine Brana, du jambon de Pierre Oteiza ou encore de l’ardi gasna (fromage de brebis) de Maïté Goni (Xistu, à Arrosa), font partie du paysage culturel. L’équipe de « Fifi » Arrambide, avec Jean Etcheparre -quarante-six ans dont trente de maison et Patrick Fillatrieau, passe avec « alegria » des plats toujours irréprochables.
Artistique, Ostapé l’est aussi. Cette auberge de luxe, mais qui a su garder une rusticité chic, nichée sur les hauteurs de Bidarray, crée par Alain Ducasse et dirigée depuis son ouverture par un hédoniste, François Ricau, Ostapé donc, possède de nombreux atouts, dont un chef de talent : Claude Calvet. Avec des perles comme Julie en salle, une belle carte proposant un veau élevé sous la mère, acheté sur pieds à la ferme voisine de Suraya, de même que le « mamia » (caillé de brebis) du petit-déjeuner, provient d’une ferme que l’on aperçoit en le dégustant depuis la terrasse d’Ostapé ( : « sous la feuille de chêne »), ce lieu magique, qui offre des suites d’un raffinement rare, a tout compris de l’équation du plaisir. D’ailleurs, afin de pouvoir le prolonger sans risque, Ricau propose la nuit à moitié prix, après dîner. Histoire d’oublier les virages de la route d’un retour qu’il est bon de différer.
Au fond, il n’est qu’un seul retour que l’on redoute de différer, ici. C’est celui qui arrête le train du plaisir, quand on zippe son sac, que l’on relit l’heure du ticket retour, au moment de se dire : bon, quand est-ce que je reviens pour me frotter à nouveau à la Côte, et explorer d’autres villages gourmands de ce Pays qui sait se donner à fond, pour peu qu’on prenne le temps de l’observer, de l’écouter, de le laisser nous parler. Car c’est lui qui nous apprivoise, s’il le désire. Et jamais l’inverse. ©L.M. La suite en kiosque (pages 60 à 65 et 118-119).
Photos (LM) : C'est à partir d'eux que l'on fait de l'ardi gasna (fromage de brebis). L'auberge Ostapé, à Bidarray : le bonheur sur la terre basque. Un gamin qui sait déjà tout de l'art de faire le behi gasna (fromage de vache), à la ferme Oheta, à St-Martin d'Arosa.