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  • Le woodland de Gracq

    A lire dans un nouveau magazine de Milan Presse, L'Esprit des LANDES, et dont le premier n° paraît, cette évocation par Julien Gracq de cette « province des arbres » qui le conduisait vers le bonheur. Voici donc le début de mon papier (la suite en kiosque!) :

    La vie est faite de rencontres, de correspondances au sens baudelairien du terme :  il arrive que la connivencia (qui partage avec le duende le talent de surgir quand ça lui chante), apparaisse au détour d’une discussion au sujet des Landes.
    Pendant plus de vingt ans, j’ai eu la chance d’échanger (par lettres et de visu), avec le plus grand prosateur du XX ème siècle (s’il faut inscrire Gracq dans le temps). Au cours de nos conversations, avec la littérature pour sujet principal, Julien Gracq empruntait des chemins de traverse comme il le faisait au volant de sa 2 CV sur les routes de France. En scrutateur du paysage, en entomologiste de l’impression procurée par l’évocation d’un coin de nature, l’entrée d’un village, la lumière d’un couchant. Les deux volumes des Lettrines et les Carnets du grand chemin sont ses livres les plus précieux « sur le motif ». Dans le Sud-Ouest, nous savons qu’il n’aima guère Bordeaux. Des Pyrénées, il retint davantage Prats de Mollo, le Vallespir, que les sommets élancés. « Le Bassin d’Arcachon, me dit-il un jour, comme Noirmoutier et le Gois, je ne les aime pas à cause de ces étendues de sable à marée basse d’où émergent des pignots, des piquets, des barques échouées et des squelettes de bateaux qui m’évoquent un paysage d’après la débâcle. » Curieux de l’autre et soucieux de s’effacer, il me questionnait sur Bayonne, ses corridas (il gardait le bon souvenir d’une), bien que le Pays basque « l’ennuyait ». Les Landes avaient sa préférence : « Parlez-moi de vos barthes de l’Adour ! » Depuis la pièce où il recevait, à Saint-Florent-le-Vieil, et par la fenêtre de laquelle je voyais couler la Loire et devinais des paysages gracquiens, nous évoquions ces prairies humides, ces paysages des confins qui métissent les milieux, et où des eaux étroites se confondent avec une terre chevelue qui les boit. Des Landes, il aimait les odeurs de résine, « de liesse et de vacances », la lumière « jaune et fruitée ». La forêt surtout : « épaisse torpeur végétale », « cuirasse de sous-bois », comme une armée qui « desserre ses rangs vers le Sud »… L’écrivain traversa ce woodland avec gourmandise, via Sanguinet, Parentis, le Pays de Born, Lit-et-Mixe et, loin de le trouver monotone, s’en émut en géographe : « Jamais je ne l’ai prise (la route des Landes) sans être habité du sentiment profond d’aborder une pente heureuse, une longue glissade protégée, privilégiée, vers le bonheur »...  ©L.M.

  • no comment (coton-tige)

    Un chômeur vole pour pouvoir manger à nouveau en prison

    Taïwan - Un demandeur d'emploi relâché de prison a volé des Coton-Tige juste pour se faire arrêter à nouveau car il " ne pouvait oublier les plateaux repas du département de police ".

    A peine a-t-il été relâché de prison pour avoir volé une paire de chaussures, qu'il a volé une boîte de Coton-Tige pour être arrêté à nouveau. L'homme sans domicile fixe a pris l'habitude de commettre régulièrement des vols afin de pouvoir se nourrir gratuitement. "Si quelqu'un ne va pas bien et vient aux alentours de l'heure du déjeuner, nous allons lui préparer quelque chose" déclare pourtant un officier. Ce chômeur n'est pas le premier à agir de la sorte. Il y a quelques mois, un autre homme a volé une moto et l'a conduite directement au bureau de police pour être emprisonné.`

    source : la page d'accueil de Yahoo.fr, cet après-midi. Qui a dit que nous étions devenus trop nombreux sur cette Terre? -Qui?.. Malthus?..

  • Un roman français

    Dans la dernière livraison du magazine Maisons Sud-Ouest, ce portrait que j'ai réalisé de Frédéric Beigbeder. J'ai lu son nouveau livre hier (Un roman français, qui paraîtra fin août chez Grasset) et j'avoue avoir été touché par l'humilité, qui semble à peine feinte*, d'un personnage sensible, a priori à l'opposé de l'image qu'il donne, en tout cas qu'il véhicule ou qui est colportée de lui (l'oiseau de nuit, le pipeule, le publicitaire qui écrit des romans à succès...). Il y est surtout question de son enfance, de sa famille, sur fond (c'est le fil conducteur du livre) de garde à vue dans une "geôle" parisienne. J'ai personnellement vécu la même expérience, deux semaines à peine avant lui, dans une cellule parisienne aussi; je connais ce traumatisme-là. Revivre enfin, à travers le livre de Beigbeder, ma propre enfance à la plage de Cénitz, à Guethary, m'a copieusement ému, hier...  Voici, par ricochet, un extrait du portrait qui paraît en kiosque :


    " Dans le capharnaüm très rangé de son appartement germanopratin, il plonge ses deux bras dans les livres empilés, trouve immédiatement « Lettres à moi-même » de Paul-Jean Toulet, les ouvre sans hésitation à la page datée du 27 octobre 1901, et nous lit les lignes qui évoquent la Villa Navarre, avenue de Trespoey à Pau. La demeure familiale des Beigbeder est aujourd’hui un hôtel Mercure… Frédéric a beau être né à Neuilly et être devenu une proie pour les magazines people, il pense souvent à Pau et au Guéthary de son enfance, à la route de Cénitz, « le sentier Damour », qui conduit à la plage où il pêchait la crevette, avant de découvrir l’ivresse douce des nuits biarrotes : « Ado, j’ai passé mon temps dans les boîtes de l’époque, comme l’Exocet, très hard-rock, très heavy metal. Oh ! Je ne suis pas du tout surfeur, mais plutôt night-clubber, là-bas ». Les origines du romancier sont Limousines et Pérgourdines, côté mère. Et Béarnaises côté père. Chaque été, il prend ses quartiers à Bidart, car sa fille Chloé, neuf ans, adore la Côte basque de son papa.
    Contrairement aux idées reçues sur le personnage, volontiers déjanté, « Beig » est un homme calme qui affiche sa triple fierté d’être citoyen d’honneur de la ville d’Oloron-Sainte-Marie, parrain de la FNAC de Pau et membre de l’Académie des Lettres Pyrénéennes (*). « J’y suis en bonne compagnie, avec Roger Grenier, Jean-Marie Rouart, Paule Constant… Edmond Rostand la fonda en 1917. Cela vaut bien l’Académie française ! ». L’écrivain souhaite désormais mentionner son appartenance à « l’autre » Académie, sur la couverture de ses prochains ouvrages. Il est souvent « descendu » sur la Côte, ces derniers mois, pour retrouver son enfance basco-béarnaise –sujet de son prochain roman, à paraître en septembre chez Grasset. « Un livre pour connaître mes origines. Car jusqu’à quarante ans, un homme veut se couper de ses racines. Après, il veut savoir qui il est et donc d’où il vient. Et le Sud-Ouest est l’endroit où je me sens le mieux sur Terre. Tout m’y plaît : la cuisine –moi qui ne suis pas du tout gastronome, les gens, les paysages. Guéthary est l’un des plus beaux endroits de la Côte basque, donc de France ! ». Aujourd’hui, rien ne l’émeut comme le souvenir des parfums de vent salé et d’hortensias, ou celui, délicat, du temps où il suffisait au petit Parisien qu’il était, d’allonger la main pour cueillir des mûres. Nous sommes loin des nuits chez Castel, rue Princesse, à Paris. L’auteur de « L’amour dure trois ans » a beau déménager chaque fois qu’il change de compagne, le siège social de son cœur est assigné à résidence à cheval entre Pau et Guéthary. Et c’est ainsi que Toulet est grand.  ©L.M.

    *L'auteur est passé maître dans l'art d'écrire : je déteste parler de moi -tout en le faisant sur 280 pages, malgré Mauriac, appelé à la rescousse... Et dans celui de se plaindre de sa condition d'enfant gâté découvrant la copie de La Geôle de Reading... Il reste, à mes yeux, l'écrivant, subtil par endroits, de choses que l'on peut ressentir sur la Côte basque. Envers et contre tout, en dépit du fameux Familles, je vous hais! et du devoir de maturité.

    (*) L’Académie édite La Revue Régionaliste des Pyrénées. Son dernier hors-série est consacré à Paul-Jean Toulet  (7, rue Henri-Faisan, 64000 Pau).

     

  • L'esprit Arzak

    Des photos de François Mouries illustrent ce papier sur le restaurant Arzak, à San Sebastien, que je signe dans le dernier n° de Maisons Sud-Ouest, et dont voici un extrait (le reste en kiosque!) :

    "Elena a quarante ans et en paraît trente. Aïta (Papa en Basque, elle l’appelle toujours ainsi) en a soixante-sept, mais il est hors-d’âge, comme les grands armagnacs. Juan Mari et Elena forment un tandem insécable en cuisine. « Los Arzak » comme on a l’habitude de les désigner, fonctionnent main dans la main depuis 1995, date à laquelle Elena est revenue à la maison mère, fondée en 1897 par les aïeuls Juan Maria Etxabe et Escolastica Lete, après des études hôtelières en Suisse et une tournée des grands chefs européens, y compris Ferran Adria, ami et compagnon d’aventures intello-gastronomiques de Juan Mari. Mais Elena a toujours traîné dans les cuisines d’aïta depuis sa plus tendre enfance. « J’avais onze ans, ma grand-mère paternelle Francesca dirigeait la casona (maison), Maïté ma mère pilotait l’administration et mon père était au piano. Avec ma sœur Marta (aujourd’hui membre de la direction du musée Guggenheim de Bilbao), nous passions deux à trois heures par jour à aider en cuisine, pendant les grandes vacances. Et pendant mon tour des grandes tables, je revenais chaque fois montrer à mon père ce que j’avais appris, nous échangions déjà beaucoup. » (...)

    Pour penser, à l’étage, passée la cave aux 100 000 bouteilles et 2500 références, qui reposent sur des bacs en inox, où la lumière provient de fibres optiques afin de ne pas augmenter la température, fixée à 16°, il y un appartement consacré à ce que nous avons envie d’appeler le « phosphoring ». C’est le labo Arzak. Il n’en existe qu’un seul autre, celui de Ferran Adria. Deux personnes, Xabi et Igor y travaillent constamment, sans jamais descendre en cuisine. Ils goûtent, tentent, pensent, isolés comme des moines du goût, déstructurent les produits comme le philosophe Derrida le faisait avec les concepts, décortiquent jusqu’à l’âme des ingrédients et les fiancent pour produire « de l’inédit bon ». La pièce d’à côté est consacrée au design des plats. Ils y sont dessinés, disposés selon des critères indispensables, on projette leurs photos au mur, on discute sans cesse. Enfin, une dernière pièce de cet étage labo est ce que Juan Mari nomme « la banque d’idées ». Elle contient 1600 produits différents, venus du monde entier, dûment lyophilisés, dans des boîtes transparentes, sur étagères, et cela constitue un trésor qui enrichit chaque jour l’esprit créatif de l’équipe. Celle-ci allie la jeunesse porteuse du savoir le plus talentueux, à l’expérience « maison » la plus sédimentée : Pello, chef des cuisines, compte trente ans de «boîte » à son actif, Antolina, pâtissière, quarante ! Une saga sur fond de longues tables en inox. Dans un établissement « reloaded » par le décorateur Borja Azcarate, lequel travaille avec le mari d’Elena, architecte, Manu Lamosa. Ça reste en famille. Revenons au labo… Machine à déshydrater, machine à lyophiliser : le tandem Arzak expérimente, n’hésite pas à utiliser les outils modernes. Interrogés sur la techno-cuisine, la cuisine moléculaire et autres avatars décriés pour leur utilisation parfois abusive de produits chimiques nocifs, « los Arzak » répondent sagement : il faut manier cela avec prudence, parcimonie et seulement pour sublimer un produit. Exemple : « de l’œuf à la poule et de la poule à l’œuf », est un plat qui est issu d’un bouillon de poule et de chair de poule  lyophilisée (réduite en poudre) laquelle, plus concentrée en goût, vient assaisonner le bouillon en rehaussant les saveurs du produit originel. Ce n’est pas pour faire joli ou tendance, mais parce que c’est bon ainsi ! Excitant pour les neurones comme pour les papilles…
    La philosophie Arzak repose sur cinq principes, comme la cuisine basque (maritime) repose sur quatre piliers : les chipirons à l’encre, la morue à la biscayenne, les kokotxas (bas-joues de merlu) au pil-pil et le merlu en sauce verte. Ces cinq axiomes sont : une cuisine d’auteur, une cuisine basque, une cuisine d’investigation, une cuisine d’évolution et une cuisine d’avant-garde. Juan Mari : « Nous partons d’une culture propre, identitaire, forte. Nous l’enrichissons en la frottant à d’autres cultures, d’autres produits, d’autres façons de faire. Nous adaptons cela au goût local et au goût général (c’est parfois difficile). Au final, nous accomplissons une évolution, nous avons le sentiment d’avoir créé quelque chose. » Aujourd’hui, « los Arzak » rêvent peut-être d’inscrire au patrimoine culturel du goût, qui n’existe pas dans le réel, mais qui transcende un tissu de légendes, un plat, un seul, que l’avenir désignerait, ou pas, comme le cinquième élément de la cuisine basque. Mais ils n’y pensent pas trop. Le tandem se concentre sur l’unité de lieu (l’adresse originelle) et l’unité de production (un seul restaurant), ce malgré des tombereaux de propositions mirifiques. L’envie d’encourager, de conseiller les initiatives formidables comme la future Université gastronomique basque les anime. Ils ont surtout l’ardent désir de continuer de cultiver leurs valeurs propres : l’humilité, la capacité à être constamment ému par le monde qui les entoure. Continuer de penser comme un enfant, enfin… « J’ai commencé dans les années soixante-cinq avec la nouvelle cuisine basque, dit Juan Mari. Vingt ans après, avec Elena, le restaurant a été propulsé dans la modernité. Aujourd’hui, ma cuisine serait impossible sans elle. Mais, surtout, avec Elena, la maison Arzak a gagné au Loto !.. »  " ©L.M.

  • Ecrire, c'est exister contre

    Elisabeth Barillé, dans son Petit éloge du sensible (folio) : "Savourer ses sensations suppose d'en rester un tant soit peu détaché. C'est l'art des oenologues : ils posent dans leur bouche un passage de vin à déguster, en tournant attentivement les pages, en brassent les saveurs. Quand ils le recrachent, leur coup de langue est aussi un coup du cerveau se détachant de ce qu'il vient de savourer en le jugeant. En gros, tout est affaire de diététique (de dieu, d'été, d'éthique). La finesse du sensible dépend d'une diététique de la conscience. D'elle, Roland Barthes disait qu'elle était, au sens banal du terme, un plaisir."

    Plus loin : "S'il suffisait de se lâcher pour écrire, tout le monde écrirait. Se lâcher, c'est à la portée de tous, alors qu'écrire, c'est faire preuve de contrôle, juger ses pensées, peser ses mots. Inventer un langage, son langage. Poser sa voix. Ce n'est pas si simple..."

    Enfin : "Ecrire, c'est résister sans cesse. Ecrire, c'est exister contre."


     

  • L'autre Pays basque

    Le Pays basque intérieur, ça change de la côte. Balade gourmande.
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    Aïnhoa passe pour l’un des plus beaux villages de France et il l’est. C’est sans doute aussi le plus charmant du Pays basque intérieur, n’en déplaise à tant d’autres ! Mais il faut parfois choisir. Ses maisons traditionnelles, sa rue principale, le respect scrupuleux de l’architecture originelle et l’absence de pollution visuelle, le rendent infiniment attachant. Autour du splendide fronton, deux institutions trônent depuis des lustres : Ithurria et Oppoca. Registre classique audacieusement revisité par les chefs Xavier chez Ithurria et Patxi chez Oppoca. Xavier cultive son jardin pour en cuisiner les herbes, les fleurs, les légumes et les fruits (cela devient à la mode chez les chefs), et propose une cuisine franche, avec des produits locaux judicieusement choisis. En témoignent les grosses asperges des Landes (dans les « ventas » proches, vers lesquelles 12 DSCF6114.JPG000 voitures se ruent chaque jour sans s’arrêter à Aïnhoa, des asperges made in China sont paraît-il vendues ! Ici, c’est du local pur jus). Avant le coup de feu, en saison, Xavier part cueillir les figues de son figuier, à Dancharia, pour le jambon aux figues « comme ça elles ne passent pas par le frigo ! », dit-il. Stéphane est en salle, Maritxu et Marion sont à la direction, et plusieurs petits-enfants prétendent à la succession, dont Louis, déjà étudiant au Lycée hôtelier de Biarritz.
    À Oppoca, les chambres, refaites récemment, splendides et aux noms évocateurs, accueillent des voyageurs exigeants en recherche d’un calme absolu : Argi (la lumière), Izar (les étoiles), Ametz (le rêve), Ortzi (le ciel), Mendi (la montagne), Arantxa (l’aubépine). La table de Patxi est claire : porc basque d’Oteiza, truite de Banka de Michel Goïcoechea, agneau de lait des Pyrénées. Du fiable.
    À Sare, Mecque de la contrebande, Arraya tient bon la barre, avec son restaurant classique, rassurant par les temps qui courent, et son hôtel charmant. Là aussi, l’entreprise est familiale : les Fagoaga, à la suite de Paul, retraité méritant, ses fils Jean-Baptiste et son épouse Laurence (hôtel, restaurant), et Sébastien et son épouse Laurentxa (boutique de produits maison, fabrique de gâteaux basques), avec René Dubès et le jeune Olivier Sautel aux fourneaux, perpétuent une tradition saratar. Celle du goût juste et du confort vrai.  En annexe, la maison d’hôte Dominxenea (« la maison de Dominique », qui date de 1505), au cœur d’Ihalar, le quartier historique le plus beau de Sare, est une maison d’hôtes à prix doux, plantée à une minute à peine de l’hôtel. On ne peut oublier le gâteau basque estampillé Arraya (le « pastiza », en Basque) de Sébastien Fagoaga, car il reflète le savoir-faire de l’association Eguzkia (Soleil), laquelle garantit une qualité extrême, via le respect d’une charte exigeante. Ce label réunit vingt-cinq pâtissiers de la région.
    Au restaurant Lastiry, qui fait face à Arraya, Pierre et Louise Etcheverria ont ranimé une maison emblématique du village, qui tombait à l’abandon. Hôtel, restaurant, retrouvent des couleurs : « Ca faisait mal au cœur de laisser ça comme ça », dit Pierre. Le peintre Mattin Partarrieu, un ami, orne les murs, et une cuisine gaie peint généreusement les assiettes : Saint-Jacques au xingar (ventrèche), ris de veau au Moscatel, charcuteries locales comme le tripotx, extraordinaire boudin lié au sang d’agneau !
    DSCF6154.JPGÀ Saint-Pée sur Nivelle, le décor change radicalement, du moins côté face. Pile, la grande Auberge basque étend toute sa splendeur, large, débonnaire, généreuse et classique. Face aux montagnes, la modernité impose un style épuré avec les baies vitrées des chambres et du restaurant. Cédric Béchade et son équipe distillent ici une atmosphère « no stress » qui se ressent à chaque instant et partout. Les cuisiniers, foulard rouge sur la tête, exécutent une gastronomie subtile sans cris ni chuchotements, sous les yeux des clients, comme si tout coulait de source. Le chef passe les plats tout en surveillant l’ensemble. Rare. L’Auberge basque a ouvert en avril 2007 et connaît depuis un succès serein. Des pros, comme Samuel Ingelaere, sommelier exceptionnel et directeur de la boutique générale, épaulent le chef. Des céramiques signées Cazaux font office de dessous de plats, l’art, la sobriété règnent partout, du parc à l’étage des chambres au design subtil et jusqu’au bar. Le minimalisme ne rejaillit pas dans l’assiette, à la faconde de conteur gourmet. Artistique. Comme peut l’être la table historique, qui appartient au panthéon des saveurs du Pays, d’Arrambide père et fils (Firmin et Philippe), à Saint-Jean-Pied-de-Port. L’hôtel-restaurant Les Pyrénées, à l’instar de l’Irouléguy Arretxea, de Rieuspeyrous, ou des eaux-de-vie de Martine Brana, du jambon de Pierre Oteiza ou encore de l’ardi gasna (fromage de brebis) de Maïté Goni (Xistu, à Arrosa), font partie du paysage culturel. L’équipe de « Fifi » Arrambide, avec Jean Etcheparre -quarante-six ans dont trente de maison et Patrick Fillatrieau, passe avec « alegria » des plats toujours irréprochables.
    Artistique, Ostapé l’est aussi. Cette auberge de luxe, mais qui a su garder une rusticité chic, nichée sur les hauteurs de Bidarray, crée par Alain DSCF6104.JPGDucasse et dirigée depuis son ouverture par un hédoniste, François Ricau, Ostapé donc, possède de nombreux atouts, dont un chef de talent : Claude Calvet. Avec des perles comme Julie en salle, une belle carte proposant un veau élevé sous la mère, acheté sur pieds à la ferme voisine de Suraya, de même que le « mamia » (caillé de brebis) du petit-déjeuner, provient d’une ferme que l’on aperçoit en le dégustant depuis la terrasse d’Ostapé ( : « sous la feuille de chêne »), ce lieu magique, qui offre des suites d’un raffinement rare, a tout compris de l’équation du plaisir. D’ailleurs, afin de pouvoir le prolonger sans risque, Ricau propose la nuit à moitié prix, après dîner. Histoire d’oublier les virages de la route d’un retour qu’il est bon de différer.
    Au fond, il n’est qu’un seul retour que l’on redoute de différer, ici. C’est celui qui arrête le train du plaisir, quand on zippe son sac, que l’on relit l’heure du ticket retour, au moment de se dire : bon, quand est-ce que je reviens pour me frotter à nouveau à la Côte, et explorer d’autres villages gourmands de ce Pays qui sait se donner à fond, pour peu qu’on prenne le temps de l’observer, de l’écouter, de le laisser nous parler. Car c’est lui qui nous apprivoise, s’il le désire. Et jamais l’inverse. ©L.M. La suite en kiosque (pages 60 à 65 et 118-119).

    Photos (LM) : C'est à partir d'eux que l'on fait de l'ardi gasna (fromage de brebis). L'auberge Ostapé, à Bidarray : le bonheur sur la terre basque. Un gamin qui sait déjà tout de l'art de faire le behi gasna (fromage de vache), à la ferme Oheta, à St-Martin d'Arosa.

  • Cuisine de crise


    La difficulté est créatrice. Et la crise n’est jamais triste, si l’on réfléchit un peu lorsqu’on est perplexe au marché ou devant son frigo.

    La cuisine est toujours gaie, qui associe avec talent les produits simples à l’inventivité et à l’audace. La crise n’oblige en rien à manger mal. Avec quelques idées pour sublimer les restes, un trognon de chou-fleur a soudain de la gueule et des kilos de nourriture sont sauvés de la poubelle ! Les plats pauvres ont une histoire propre : les « migas » (miettes, en Espagnol), sont un plat composé à l’origine de miettes de pain ramassées aux tables des restaurants par des mendiants qui inventèrent ce mets « à la fortune de la poêle », en y ajoutant de l’ail, de l’huile d’olive et, au gré, chorizo, œuf, raisin frais ou secs. La pizza de base figure la Baie de Naples, la lave (tomate) du Vésuve, et l’écume de la mer (mozzarella). Les « pasta e fagioli » sont un plat italien humble, à base de pâtes diverses de fins de paquets, mélangées à des haricots blancs pour oublier la viande. Les « Moros y Cristianos » cubains (Maures et Chrétiens), à base de haricots noirs et de riz blanc, constituent le plat qui symbolise le métissage, une certaine « créolité » qui tient au corps. Avec la « soupe de pierres » marseillaise –des galets mis à bouillir : l’eau prend le goût de la mer et donne l’illusion du poisson-, nous touchons à la poésie. Tous ces plats réputés pauvres apaisent la faim avec talent et beauté. L’évolution du goût propulse ou rétrograde à l’envi : pêcher une femelle d’esturgeon pleine d’œufs était une plaie pour le pêcheur, il y a environ quarante ans en Gironde. Les canards de basse-cour n’en voulaient plus et les gamins se sentaient punis lorsqu’on leur en donnait à pleines cuillerées. Même chose pour les pibales. Personne ne voulait, il y a quarante ans, au fond de l’estuaire de l’Adour, de ces alevins d’anguilles valant aujourd’hui 1200€ le kilo. Sauf un fabricant de colle, installé dans les Landes, qui en débarrassait les pêcheurs. La cuisine humble a de beaux jours devant elle. Je sais qu’avec trois œufs et des chips broyées à la main et posées dessus, ma fille étudiante offre une omelette croustillante. Et qu’avec une boîte de sardines, un tube de harissa et une fourchette, elle écrase tout, tartine du pain et ravit ses copines. Pour la chef Véronique Melloul, réfléchir à un tel sujet est une occasion de cuisiner innovant et utile. Corrézienne élevée par sa grand-mère Louise, Véronique a travaillé chez les plus grands, comme Ferran Adria, et a bourlingué, notamment outre-mer, avant de se poser chez elle, au Bistro Poulbot, à Paris. La nuit, elle invente des recettes qui font entrer la campagne dans la modernité... ©L.M. (la suite en kiosque, dans VSD paru ce matin, p. 70 et s.)