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  • La Désoeuvre

    b39ab3736d5267bdbcda23be198741b0.jpgKarine Henry (avec son complice Xavier Mony) fut ma libraire lorsque je vivais encore dans le Marais, à Paris. Leur librairie, « Comme un roman », rue de Saintonge, où je lus un soir, sur leur invitation, plusieurs de mes nouvelles des « Bonheurs de l’aube », avait des dimensions raisonnables. Elle était ma querencia du quartier, mon refuge presque quotidien. Elle est devenue un formidable espace de 300 m2 sur deux niveaux, rue de Bretagne, à quelques mètres, près de l’entrée du Marché des Enfants Rouges. Ce soir, Karine et Xavier fêtaient leur installation là, juste avant Noël, ainsi que la parution du premier roman de Karine, « La Désoeuvre » (Actes Sud). J’en reviens (je déteste les cocktails. Au bout d’un quart d’heure, je m’y sens aussi à l’aise qu’un poisson rouge tombé dans la gamelle d’un chat angora, je transpire, je cherche la sortie, je file à l’Anglaise…). Je tenais à aller embrasser Karine, qui m’avait adressé son livre. Je savais, nous savions tous que Karine était habitée par les mots, fascinée par les livres et nourrie de littérature exclusivement. J’ignorais, nous ignorions presque tous qu’elle écrivait. Chaque matin. Tôt. Qu’un fucking bug avait fait disparaître son roman de son pc. Qu’elle le réécrivît cinq ans durant. Il est épais, touffu, c’est une forêt. Avec songes, sortilèges, peurs, traumas, folie dévastatrice et immense douceur aussi. J’y entre à peine, par conséquent je n’en parlerai pas encore. Cependant, dès les premières lignes, je suis pris comme le thon dans le filet. J’y reviendrai, lorsque je serai sorti de cette forêt de 500 pages. (Bravo Karine…).

    Premiers mots : « Un bruit. Un bruit sec d’os qui se brise. Je me redresse. Le feu. C’est le feu qui éclate, claque devant mes jambes rougeoyantes. Ma jupe est brûlante, je dois l’écarter de mes cuisses avant de ramener mes pieds nus sous mon corps abandonné au fauteuil et à la chaleur de la cheminée qui l’enveloppe, alanguit sa chair. La nuque ploie, et de là, de cet angle cassé, j’aperçois à mes pieds la bouteille de sancerre vide à la moitié… »

    En deux mots : "Marie hérite de la maison de sa soeur Barbara à Artel. Les carnets de cette dernière offrent à la cadette l'occasion de revenir sur les traces de son enfance minée par la mort tragique de ses parents et la folie de sa soeur."  

    Lien avec la librairie et un résumé du livre de Karine : http://www.comme-un-roman.com/auteur/karine-henry/la-desoeuvre.html

    Lien pour écouter/voir Karine parler de son roman : http://marais.evous.fr/Karine-Henry,2882.html


  • écrire en confiance

    Antoine Compagnon, dans Les antimodernes (Gallimard), cite ceci de Gracq (à propos de Paulhan) : ignorant l'écrasante force de dissuasion de la littérature déjà écrite, il faut écrire comme on se jette à l'eau, en faisant un acte de confiance.

    Telle est la réflexion du jour. J'invite à y réfléchir et à m'écrire. 

  • Le fortifiant de la mort

    En relisant Cécile Guérard, Petite philosophie pour temps variables, (La Table ronde)

    La mort nous renforce. Elle transforme peu à peu notre peine en sérénité. Celle ou celui qui part et que nous aimons (nous ne pouvons écrire au passé) nous laisse un héritage fait de sa sagesse. Pétri de ce qu’elle, ou il, fut de meilleur(e). Passée la douleur qui frappe fort, la vie fait place à la douceur en éloignant l’ombre persistante, si on la laisse faire, de l’opportuniste Faucheuse. Car il s’agit d’un virage sur la piste de l’existence. Une course contre la Fucking horloge du monde. Aucun olympisme là-dedans. Juste une course. L’expérience de la mort… Epicure, que je relisais cet après-midi pour penser philosophiquement à  tout çà, nous chuchote qu’on peut se mettre en sûreté contre toutes sortes de choses, mais en ce qui concerne la mort, nous habitons tous, tant que nous sommes, une cité sans défense. « Mourir est cependant le seul verbe impossible à conjuguer à la première personne de l’indicatif présent », précise judicieusement Cécile Guérard. « La mort est intransitive »… Si je puis soulager quiconque vit cette expérience pour la première fois, et à distance, avec l’aide d’Epicure, je dirai que la mort n’est rien. C’est son attente qui est douleur. « Ce serait donc une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence ». La mort est privation de la sensibilité. Cependant, bizarrement, c’est notre sensibilité qui se trouve soudain accrue. "La mort est l’indicible qui nous laisse muet ; un temps". Cette Etrangère suprême que nous portons pourtant en nous depuis la matrice, depuis le ventre de notre mère, frappe sans frapper avant d’entrer, ai-je envie de dire. « La mort d’un être aimé et proche nous désigne. Elle nous montre personnellement du doigt », nous dit Cécile Guérard. La mort d’un proche nous déchire, car elle emporte une partie de nous. J’ai relu, cet après-midi, à travers cette Petite philosophie pour temps variables, de vieux potes de bon conseil en de telles circonstances. Penser c’est apprendre à mourir nous dit Platon (et Montaigne après lui). La philosophie est méditation de la vie, souffle Spinoza. Au fond, avance timidement Jankélévitch, ils ont peut-être raison tous les deux, conclut joliment Cécile Guérard.
     
     

  • Platon

    On dira que je m'émerveille de peu. Platon offert au kiosque à journaux m'enchante. L'acte est fort. "Le Monde" de la philosophie offre ce soir trois bijoux plus éternels que les diamants : Le Banquet, Apologie de Socrate et Phèdre. En payant, le regard balaye les couvertures étagées : Carla, Cécilia, Carlos, l'inévitable Nabot-bien-sûr (mais l'overdose guette). Platon est placé gagnant. L'éphémère en quadrichromie me fait sourire nerveusement. A sa belle santé!
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    "Il faut lire comme les poules; en picorant", disait Montaigne. Et embrasser Platon comme du bon pain!.. (photo ©CL)

  • "La littérature, pour quoi faire?"

    C'est le thème de la Leçon inaugurale du Collège de France qu'Antoine Compagnon a prononcée en prenant sa Chaire de Littérature française moderne et contemporaine (Fayard).123e6f1bf6524f64bc03a49f5b505cdc.jpeg
    Pudiquement retranché derrière des phrases phares d'auteurs, il exprime notamment ceci :

    "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature". Proust, Le Temps retrouvé. La réalisation de soi, jugeait Proust, a lieu non pas dans la vie mondaine, mais par la littérature, non seulement pour l'écrivain qui s'y voue en entier, mais aussi pour le lecteur qu'elle émeut le temps qu'il s'y adonne (ajoute Compagnon).
    Francis Bacon a tout dit : "La lecture rend un homme complet, la conversation rend un homme alerte, et l'écriture rend un homme précis" (...) Suivant Bacon, proche de Montaigne, la lecture nous évite de devoir recourir à la sournoiserie, l'hypocrisie et la fourberie; elle nous rend donc sincères et véritables, ou tout simplement meilleurs.

    Bergson (a une comparaison sur les poètes et les romanciers qui peut rappeler Proust, précise Compagnon) : "Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révèlera". 

    Tout Proust est là : "Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence, énonçait-il au départ de la Recherche. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n'est qu'en dehors d'elle que l'écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impression passées, c'est-à-dire à atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art".

     

     

  • JG, je m'interroge


    Gracq, écrivain tantrique?
    Gracq était un guetteur pusillanime qui observait au-delà, tapi en deçà. Occupé à sa phrase qui gouvernait seule la possibilité d’une action libératrice ; un dénouement. S’il avait le goût du risque calculé, il lui manqua l’audace de  franchir ce pas au-delà qui l’aurait propulsé dans l’arène du monde et du vivant. Au lieu de quoi Julien Gracq fut l’écrivain du regard scrupuleux et de la rétention. Il fut résolument l’écrivain du désir. Et plus encore de cette incapacité à se résoudre à sortir, non pas de sa réserve mais du lit du pensionnat. J’en reste convaincu. Gracq n’aura jamais pu affronter l’inconnu de ce dortoir qu’il maintînt à distance respectable. Et sa vie sociale tout entière fut le prolongement de ce choc à la fois fondateur  et déconstructeur. Le hiératisme de Gracq tiendrait finalement davantage d’un banal défaut de courage que d’une ascèse admirable et exemplaire car naturellement consentie. Sans doute est-ce pourquoi il vénérait  « Les aventures du capitaine Hatteras ». Elles flattaient à l’envers son impuissance à agir. L’action dans son œuvre est toujours à venir. Comme le livre de Blanchot, le silence de Jabès, la musique tue mais si sonore de Bergamin et les chemins qui ne mènent nulle part de Heidegger. Il est l’anti-Char de l’éclair me dure et qui était du bond (Un Char d’action). Gracq ou l’immobilité seulement mue par les tourbillons et les remous de l’Evre et de la Loire à ses bords ? –Chi lo sa ?


  • after JG

    Voici quelques liens pour ne pas perdre le contact. Voir aussi le site officiel de JG (celui de son éditeur de toujours, José Corti), qui figure dans les "sites amis" de ce blog.

     

    http://lauravanel-coytte.hautetfort.com/julien_gracq/

    http://fr.wasalive.com/fr/julien+gracq

    http://www.republique-des-lettres.fr/10226-julien-gracq.php

    http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3260,50-992797,0.html

    http://afterjuliengracq.blogspot.com/2008/01/lon-mazzella-dans-liberation.html

     

    Les obsèques civiles de l'auteur du "Rivage des Syrtes" se sont déroulées à Montreuil-Juigné, près d'Angers, où il est décédé samedi 22 décembre dernier à l'âge de 97 ans.

     

     

    L'écrivain Julien Gracq a été incinéré, jeudi 27 décembre, au crématorium de Montreuil-Juigné (Maine-et-Loire), près d'Angers. Ses obsèques étaient simplement civiles, selon l'avis publié dans la presse locale. En effet, ses proches ont indiqué que l'auteur du "Rivage des Syrtes" ne se préoccupait pas de l'au-delà. Ses cendres seront déposées dans une tombe dans le cimetière de son village natal, Saint-Florent-le-Vieil.
    Depuis des années, Julien Gracq vivait retiré dans sa maison familiale de Saint-Florent-le-Vieil. Il est mort samedi, à l'âge de 97 ans, à l'hôpital d'Angers où il avait été transporté après un malaise. (source : nouvelobs.com dont je vous invite à consulter l'admirable DOSSIER JULIEN GRACQ : lien http://bibliobs.nouvelobs.com/2007/12/24/mort-de-julien-gracq)

     

  • JG, suite

    André Breton, L’Amour fou. "J’aimerais que ma vie ne laissât pas après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique." Jamais la phrase de Breton, le découvreur, l'ami et maître de Gracq, n'a été aussi nécessaire.

  • Gracq, donc


     1de78d07e2fde1d5c20c8eeea486f216.jpegVoici un papier donné à Libération le 31 et qui paraît ce matin. Voici le lien : http://www.liberation.fr/rebonds/301441.FR.php

    Il suit un autre, plus court, donné à chaud à Sud-Ouest, publié le 24 et que voici :  

    (photo : JG) 

    Ces journées chez lui

    C’est à la faveur d’un article consacré à son livre sur Nantes (La forme d’une ville), que je donnais à Sud-Ouest Dimanche en 1985, que j’ai « rencontré » Julien Gracq comme il a toujours envisagé toute rencontre : à travers les mots. Au bout  de quatorze années d’un « commerce » épistolaire, rare, dense, précieux, je me proposais de lui rendre visite. Je me sentais enfin prêt. C’est le 30 janvier 1999 que je rencontrais pour la première fois mon monument préféré. Ce jour-là, j’eus l’impression de me rendre à la fois chez Flaubert, Proust et Stendhal. J’étais chez Gracq. Un homme simple, affable, gourmand (je me souviens de cette bouteille de vin d’Anjou que nous avons sifflée avant d’aller déjeuner à « La Gabelle »), curieux ; vert. La légende vivante, l’auteur classique et déjà intemporel, m’a reçu chaque année dans ce petit salon sobrement décoré, rehaussé d’un portrait de l’auteur signé Hans Bellmer et d’une énorme télévision ! Y trônaient, la première fois, Télé 7 jours et un roman de Sagan… Julien Gracq, alias Louis Poirier, vivait comme tout le monde. C’est au cours de ce pèlerinage annuel ou presque, qui n’interdit pas notre correspondance, que j’ai pu découvrir un Gracq inédit, surprenant de vitalité et de lucidité. D’abord il était bavard comme une pie. Il me posait sans cesse des questions sur ma vie, mes goûts, « mon » sud-ouest, la gastronomie, la tauromachie, la vie sauvage… Son évocation d’une corrida à Bayonne dans les années cinquante n’avait d’égal que celle de la route d’Hossegor ou encore d’un canard Apicius dégusté chez Senderens. Mais l’essentiel de notre temps était consacré à la littérature. Son impressionnante connaissance et la subtilité de son analyse du sujet, que je connaissais à travers ses essais, je l’entendais ! L’homme était surprenant par sa « radicalité de la nuance » : refuser catégoriquement que son œuvre paraisse en format de poche correspondait à une vision noble du livre. « Le poche dévalorise le livre, en fait un produit jetable… et ne rapporte rien à l’auteur », me dit-il. Au fil de nos rencontres, l’homme ne semblait jamais faiblir. Son coup de fourchette demeurait aussi alerte que ses coups de griffes à l’adresse des poseurs du mundillo littéraire. La seule amertume de Gracq, ces derniers temps, était de se sentir en surnuméraire : « mes amis ont tous disparu et d’aucuns me pensent mort ». Gracq a continué d’écrire jusqu’à la fin. Des fragments, à la manière de ceux qui firent Lettrines, ou Carnets du grand chemin. Il m’affirma ne jamais avoir tenu de journal intime. Et qu’il n’entendait plus publier, après ses Entretiens, un livre de compilation. Il me récitait des poèmes entiers de Baudelaire par cœur, relisait ses chers Poe et Verne avec une passion intacte. Il ne redoutait que la mort du livre. Gracq, sur le perron de sa maison, me répondit d’une grimace et d’un geste vague de la main lorsque je le questionnais sur sa santé, à la fin de notre dernière rencontre. Sa dernière lettre, en octobre dernier, fut terrible. Il l’achevait par ces mots : « je ne suis hélas guère plus visitable… ». L.M.