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Gracq, donc


 1de78d07e2fde1d5c20c8eeea486f216.jpegVoici un papier donné à Libération le 31 et qui paraît ce matin. Voici le lien : http://www.liberation.fr/rebonds/301441.FR.php

Il suit un autre, plus court, donné à chaud à Sud-Ouest, publié le 24 et que voici :  

(photo : JG) 

Ces journées chez lui

C’est à la faveur d’un article consacré à son livre sur Nantes (La forme d’une ville), que je donnais à Sud-Ouest Dimanche en 1985, que j’ai « rencontré » Julien Gracq comme il a toujours envisagé toute rencontre : à travers les mots. Au bout  de quatorze années d’un « commerce » épistolaire, rare, dense, précieux, je me proposais de lui rendre visite. Je me sentais enfin prêt. C’est le 30 janvier 1999 que je rencontrais pour la première fois mon monument préféré. Ce jour-là, j’eus l’impression de me rendre à la fois chez Flaubert, Proust et Stendhal. J’étais chez Gracq. Un homme simple, affable, gourmand (je me souviens de cette bouteille de vin d’Anjou que nous avons sifflée avant d’aller déjeuner à « La Gabelle »), curieux ; vert. La légende vivante, l’auteur classique et déjà intemporel, m’a reçu chaque année dans ce petit salon sobrement décoré, rehaussé d’un portrait de l’auteur signé Hans Bellmer et d’une énorme télévision ! Y trônaient, la première fois, Télé 7 jours et un roman de Sagan… Julien Gracq, alias Louis Poirier, vivait comme tout le monde. C’est au cours de ce pèlerinage annuel ou presque, qui n’interdit pas notre correspondance, que j’ai pu découvrir un Gracq inédit, surprenant de vitalité et de lucidité. D’abord il était bavard comme une pie. Il me posait sans cesse des questions sur ma vie, mes goûts, « mon » sud-ouest, la gastronomie, la tauromachie, la vie sauvage… Son évocation d’une corrida à Bayonne dans les années cinquante n’avait d’égal que celle de la route d’Hossegor ou encore d’un canard Apicius dégusté chez Senderens. Mais l’essentiel de notre temps était consacré à la littérature. Son impressionnante connaissance et la subtilité de son analyse du sujet, que je connaissais à travers ses essais, je l’entendais ! L’homme était surprenant par sa « radicalité de la nuance » : refuser catégoriquement que son œuvre paraisse en format de poche correspondait à une vision noble du livre. « Le poche dévalorise le livre, en fait un produit jetable… et ne rapporte rien à l’auteur », me dit-il. Au fil de nos rencontres, l’homme ne semblait jamais faiblir. Son coup de fourchette demeurait aussi alerte que ses coups de griffes à l’adresse des poseurs du mundillo littéraire. La seule amertume de Gracq, ces derniers temps, était de se sentir en surnuméraire : « mes amis ont tous disparu et d’aucuns me pensent mort ». Gracq a continué d’écrire jusqu’à la fin. Des fragments, à la manière de ceux qui firent Lettrines, ou Carnets du grand chemin. Il m’affirma ne jamais avoir tenu de journal intime. Et qu’il n’entendait plus publier, après ses Entretiens, un livre de compilation. Il me récitait des poèmes entiers de Baudelaire par cœur, relisait ses chers Poe et Verne avec une passion intacte. Il ne redoutait que la mort du livre. Gracq, sur le perron de sa maison, me répondit d’une grimace et d’un geste vague de la main lorsque je le questionnais sur sa santé, à la fin de notre dernière rencontre. Sa dernière lettre, en octobre dernier, fut terrible. Il l’achevait par ces mots : « je ne suis hélas guère plus visitable… ». L.M.
 

 

Commentaires

  • Léon, enfin une nécrologie de circonstance.
    Merci.
    Nulle part je n'ai trouvé dans la presse en ces jours un texte de cette qualité doublé d'autant d'affection vraie pour l'Homme Gracq.
    Le ton même de votre papier pourrait s'apparenter à du Gracq. C'est surprenant.
    On a envie, en vous lisant, de braver le temps pour sortir acheter Le beau Ténébreux.
    Je vous salue

  • MERCI, chère Aude, de cette lecture. J'ai dû faire court pour des raisons évidentes de place. Mais j'ai des réserves de confidences dans mes Moleskine... Aucune intempérie ne peut résister au désir (besoin?) d'acquérir "Un Beau ténébreux". Les trois premières pages de son avant-propos, déjà, suffiront à en effacer les déboires. Bonne lecture. LM

  • de retour d'Ariège où j'aime en famille me couper d'un peu de tout ( sauf de l'essentiel, la nature, les livres et la bonne table) en entrouvrant discrétement la porte de votre blog, voilà, je découvre une maison de la douleur. D'abord Bourgois ( passeur de Brautigan, peut-être mon écrivain préféré) et puis Julien Gracq l'immense, que je sais si cher à vote coeur. C'est d'ailleurs un poche de Brautigan en main ( sucre de Pastèque) que je reçois ces tristes nouvelles...pour le reste un coup de fil( et un coup de Viognier plus tard) au taulier de la maison de la presse voisine m'a permis, in extremis, de me faire mettre de côté le libé du jour...enfin, maigre consolation tu penses, votre nécro me donne envie de braver pour de bon cette espèce de timidité maladive( vous savez cette peur panique d'aller musarder sous l'ombre portée de la statue du commandeur du Grand Ecrivain, rien de plus bête, ni plus ni moins) qui jusqu'ici m'interdisait d'ouvrir un de ses ouvrages... à plus. bien à vous

  • Et oui... Moi aussi je reviens : je pars en écrivant sur Bourgois et je rentre en écrivant sur Gracq! Noël entre apostrophes pour parenthèses. J'étais aussi, en plus du Pays basque (français et espagnol) du côté du Luchonnais et en Alta Ribagorça (Catalogne espagnole) vers Taüll. J'ai donc pensé à vous, car je me doutais que vous étiez dans les parages. Le Grand Ecrivain, en attendant, est lu comme jamais! Un tour dans les librairies parisiennes, cet après-midi, m'a fait réaliser, une fois encore, combien la mort faisait vendre. Je suis passé aussi chez Corti : Fillaudeau courait de colis en enveloppes et en factures. A La Procure, vitrine spéciale Gracq, table itou avec un panneau : "nous recevrons Le Rivage des Syrtes lundi. Etrange... Prenez donc (si je puis me permettre) Un Balcon en forêt ou Le Rivage, à bras le corps. Pour commencer. Mais y a-t-il un ordre pour entrer chez Gracq?

  • j'en prends bonne note...et sinon, un peu que vous pouvez vous permettre. allez, on met les kids au bed, et on fera un beau rêve sur un motif rustique de là-bas, tiens, rien que d' entrevoir déjà certaine tranche de cette terrine de pigeon entrelardée de vieux jambon espagnol, servie pas plus tard qu' hier ( nostalgie quand tu nous tiens au bide) par un chef local grand ami de Pierrot Pouce... Un balcon en forêt alors...

  • Oui, Le Balcon, c'est bien. Sinon, après ces agapes incessantes, demain, je fais les lentilles traditionnelles aux enfants, car : des lentilles le premier janvier (bon ok on sera le 4 mais le 1er ils étaient ailleurs et moi encore plus loin) c'est des pépèttes toute l'année! (vieille tradition/superstition pan-méditerranéenne)

  • moi aussi teins, du coup je leur mitone mes lentilles, pour les aider à y voir plus clair dans ces brumes de banlieue.

  • Envie d'un pied de cochon désossé et bien pané, juste sur un lit de mâche ou d'épinards frais. Puis d'une viande croustillante à tomber, lentement passée à la rôtissoire. Sans pommes sarladaises. Exceptionnellement...

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