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  • Attention, obra maestra

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    AUTOMORIBUNDIA (1888-1948) 

    L’énorme, l’immense autobiographie, ces « mémoires d’un moribond » selon leur auteur lui-même, Ramón Gómez de la Serna (1888-1963), est un de ces livres si rares qu’on les compte sur les doigts au cours d’un siècle de littérature européenne. Valery Larbaud, qui fit connaitre en 1917 cet auteur prolifique espagnol au lecteur français, avec ses fameuses Greguerías (livre, genre singulier plusieurs fois évoqués ici), le comparait à Joyce et à Proust. Pas moins. Il y a aussi des accents borgésiens dans cet œuvre richissime, touche à tous les genres, et nous pouvons penser au Journal de Henri-Frédéric Amiel, ainsi qu’au Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa ; et aux accents toniques et désenchantés de  José Bergamín. Des chefs-d’œuvre, donc. La prose de Ramón (ainsi le désigne-t-on d’ordinaire, lors que son patronyme signifie Seigneur de la terre. Gómez : seigneur, et Serna : la terre, précise l’auteur page 47), est envoûtante comme un arc-en-ciel, volumineuse comme une houle, elle vous piège, vous hypnotise et ne vous lâche pas. Nous sommes tentés de faire des sauts de pages pour aller voir plus loin, renifler l’air à deux ou trois chapitres de là, et puis nous revenons scrupuleusement là où nous avions suspendu notre lecture. Automoribundia (*) happe. Chaque événement, petit ou grand, de l’existence de Ramón depuis sa naissance « le 3 juillet 1888, à sept heures et vingt minutes du soir, à Madrid, rue de las Rejas, numéro 5, deuxième étage », nous est conté. Mais jamais amplifié.

    Proustien

    Nul narcissisme dans ces 1040 pages. Juste une préoccupation du mot, de l’émotion de l’instant retranscrit (le côté proustien), du lyrisme aussi dans les descriptions des personnages, nombreux, des paysages urbains, souvent intérieurs, des âges de la vie, des sensations fugitives a priori insignifiantes, mais qui font littérature sous le regard, puis la plume d’un écrivain sagace et percutant comme Ramón. « Je ne lésine pas sur les détails (...) Je crois à tout ce que je dis, je ne passe sous silence aucun secret », précise l’auteur dans son Prologue. D’ailleurs, page 36, soit la seconde du chapitre premier, nous lisons le geste de révolte fondateur, « Mon premier acte sur terre fut de faire pipi... ». Nous l’attendions, ce livre publié pour la première fois à Buenos-Aires en 1948. Quelques éditeurs téméraires, au premier rang desquels André Dimanche, avait commencé d’entreprendre la traduction de l’œuvre protéiforme de l’auteur. Il y eut Seins, Le Torero Caracho, Greguerías, La Femme d’ambre (nos préférés), dix-huit autres, mais toujours pas son œuvre maitresse, dont les louanges étaient chuchotées ici et là pas nos amis hispanophones qui nous narguaient car ils l’avaient lu, ce pavé lourd des bonheurs de lecture qu'il procure avec générosité. Un exemple entre cent. Le chapitre V, « Aventure des cartouches et des mûres », est une sorte de nouvelle très proustienne en l’occurrence, à propos d’un jeu consistant à emplir de mûres des douilles laissées par des chasseurs, et auquel se livrent deux enfants, dont une fille et l’auteur, en compagnie du père de ce dernier. Extrait : « Je me rappelle que pendant le trajet nous restâmes silencieux et que j’appris ce jour-là ce qu’était la séduction féminine, son influence sur l’attention et sur la mécanique, incitant à introduire des mûres vivantes, mélange d’encre et de sang sur les doigts, dans des cartouches mortes, et à savourer de temps en temps le fruit sombre couleur de lèvres au goût de confiture. Plus tard, j’ai découvert les buissons fleuris des ronciers, où la mûre est un bouton au gilet de la nature, mais ces gros fruits du mûrier, dans le mystère de l’après-midi où riait sans relâche la femme tentatrice de l’homme prudent, celles-là, ah ! je ne les retrouverai jamais, sans cesser pourtant de les chercher toujours. » Avec Ramón, un rien fait texte, et c’est là la signature du véritable écrivain, faux diariste et vrai prosateur.

    Il fait mouche

    Que sa tante Milagros se lave les cheveux, que ses cousines Lola et Teresa sortent du couvent où elles étaient pensionnaires, qu’il résume l’année 1900 par les événements marquants (mort de Ruskin, et de Nietzsche notamment), les collèges castillans de Palencia et de Frechilla qui lui permirent de recevoir la « sur-lumière » dont a besoin, pour parler avec aisance, le jeune homme de retour à Madrid, qu’il évoque dans cette grande ville les heures chaudes recevant « leur afflux de sang optimiste », Ramón possède le talent incessant d’orner et piquer ses pages de formules qui font mouche, de touches, de notes pointues, « À la cuisine on jette des miettes dans le gazpacho, comme on jetterait du concombre aux poissons dans leur bocal », et le feuilletage aléatoire d’Automoribundia en devient un plaisir de cueilleur, de lecteur d’aphorismes gardant donc un doigt en guise de marque-page là où la lecture a été suspendue. Récréation. Ainsi du sablier acquis par le père de l’auteur, afin de savoir comment il dépensait ses heures, devenant, passé au prisme de la prose, le consciencieux contrôleur du temps familial, un personnage supplémentaire, et c’est prodigieux. Le jour du couronnement d’Alphonse XIII à sa majorité en 1902, Ramón note que « les feuilles des marronniers étaient plus grandes que d’habitude ». Au sujet de l’adolescence, son regard autocritique et dérisoire résume l’affaire, « c’est une chose barbare, c’est manger des yeux les gambas crues qu’on voit dans les poissonneries, vouloir chasser les ours blancs des vitrines des fourreurs, réclamer un journal qui ne se vend pas et qu’on ne trouve pas dans les kiosques, craindre de perdre la tête et croire qu’une belle femme pure et libre va nous arrêter dans la rue pour nous avouer qu’elle nous adore. » Et le lecteur, là, adore l’auteur de ces lignes-là. Nous n’en sommes qu’à la page 222 et nous nous pourléchons les babines, sachant que nous en avons 750 sous le coude.

    Les pages de la maturité

    Lorsque Ramón raconte qu’il devient un « monomaniaque littéraire », les pages de ce livre fleuve prennent une autre consistance. Nous cheminons, autobiographie chronologique oblige, aux côtés d’un personnage que nous voyons grandir, changer, mûrir, publier trop tôt à son goût – à seize ans - son premier livre, Entrant dans le feu. Un (petit) four. Ramón aura l’élégance de ne pas faire de la disparition de sa mère une contribution au genre littéraire dédié. Une phrase est à retenir sur le motif, « Ma mère était maintenant dans un tombeau, j’avais une mère dans la mort, la mort était maintenant ma mère. » Le talent. Il devient avocat à Oviedo, rencontre des femmes, publie dans les revues littéraires en vogue, gagne Paris où il s’émerveille de tout deux années durant, « j’apprends que, sur les ponts, les réverbères possèdent une monocle rouge afin que les bateaux ôtent le haut de forme de leur cheminée quand ils passent dessous », il voyage en Angleterre, en Italie, en Suisse, regagne Madrid, se lie d’amitié avec les écrivains en vue, devient leur coqueluche, sa revue Prometeo est emblématique, le Café de Pombo où il réunit ce que Madrid et donc l’Espagne compte d’intelligence et de subtilité, sera le salon des débats littéraires qui comptent, et où il écrit fréquemment « face à l’un des miroirs ». Ramón découvre le Portugal en 1915, s’émerveille et revient « pétri de saudades ».

    Livre-monstre

    Larbaud surgit, traduit en français quelques Greguerías, sous le titre Echantillons, dans Les Cahiers Verts. Et nous n’allons pas raconter ici la vie de ce géant des lettres espagnoles qui prétendait que « on est dans la vie un triste noceur de la mort », puisque son autobiographie moribonde s’achève lorsqu’il a soixante ans. Mais les pages sur le chalet qu’il fait construire à Estoril, au Portugal, celles consacrées à Naples, « lieu d’élection pour vivre et mourir », ville qu’il adorera sans limites, les notes et impressions sur les femmes qui traversent son existence, y compris cette énigmatique poupée de cire, sans parler de sa femme Luisa Sofovich, avec laquelle il s’exilera en Argentine en 1936, et où Ramón mourra en 1963, sont autant de visages d’une œuvre foisonnante, dans laquelle – et c’est sa précieuse singularité, aucune phrase n’est laissée au hasard, tant dans sa forme scrupuleusement écrite que par son sens. Tout ceci bouleverse durablement. Ainsi, la densité rarissime de ces mille et quelques pages font d’Automoribundia un livre exceptionnel, « un livre-monstre », avance sa traductrice dans la postface. Un livre de chevet écrit par un artiste, soit « celui qui ne réalise pas ses rêves », mais dont la vie fut bien remplie, et résumée ainsi par son auteur, « Mon triomphe, c’est de m’être dissimulé sans cesser d’apparaître ». Un livre-clé, enfin, auquel nous reviendrons souvent, comme nous retournons inlassablement à Montaigne, à Proust, à Jules Renard. L.M.

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    (*) Admirablement traduit par Catherine Vasseur, éditions Quai Voltaire/La Table Ronde, 34€. Nombreuses illustrations. Nous saluons derechef la prouesse éditoriale de l’équipe d’Alice Déon pour la réalisation d'un livre qui marquera l'édition.

  • Relire l'oeuvre poétique de Bernard Delvaille

    Qui pense à relire Bernard Delvaille (1931-2006) aujourd’hui ? Son Œuvre poétique (La Table Ronde, 2006), ce sont 480 pages d’émotions fébriles. L’homme était si sensible. Je me souviens de mes visites sporadiques. De son bureau très exigu, lorsqu’il dirigeait encore chez Seghers l’emblématique collection « Poètes d’aujourd’hui », place Saint-Sulpice à Paris. Je me rappelle sa discrétion, sa timidité, son regard triste, ses mots ouatés ; sa gêne même. Je reprends ce livre, je le feuillette, j’y ai annoté tant de passages. Je vous les livre. C’est l’émotion de cette fin de journée. Je vous souhaite de frissonner. Pas envie de commenter. Lisez, j'ai photographié quelques extraits. L.M.

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  • Zouave d'aujourd'hui

    Capture d’écran 2020-12-23 à 10.38.58.pngLe Zouave, cuvée emblématique du Domaine Jean Esprit, est un Crozes-Hermitage (2017) « très crozes ». Soit typique. Le vin est issu d’une syrah charnue, soyeuse, gourmande, puissante, d’un âge avancé (entre 70 et 100 ans). Après sa fermentation en cuves inox, il est élevé plus d’une année en fûts (neufs et de plusieurs vins), dans un chai où Jean Esprit passe de la musique classique en continu. La robe est sombre et profonde, les petits fruits rouges et noirs sont bien présents à l’attaque au nez, et l’épicé caractéristique en fin de bouche également, avec une pointe de zan pour achever une respectable complexité aromatique. Le nom de cette cuvée haut de gamme et de longue garde rend hommage à Joseph, fondateur du Domaine, né en 1872, et qui effectua plusieurs années au sein du 4Régiment des Zouaves. Petit clin d’œil : la bouteille est ornée d’un mini gland bleu à franges rappelant celui qui pendait de la chéchia (bonnet de feutre rouge assorti au sarouel), que portaient les Zouaves en uniforme. Un vin de zoif corpulent pour les belles occasions, avec viande rouge maturée ou gibier à poil à l'appui (33€). L.M.

  • Signatures

    Pour ceux qui seront dans le coin est en mal d'idées de petits cadeaux de Noël, je signerai mon nouveau livre en avant-première (il sera en librairie à partir du 13 janvier prochain), Le Bruissement du monde, ainsi que trois autres parus chez le même éditeur, le dimanche 20 décembre de 9h à 14h à la Maison de la Presse d'Anglet Cinq-Cantons, le mardi 22 décembre de 14h à 18h à la librairie L'Alinéa, rue d'Espagne à Bayonne, et le 23 décembre de 14h30 à 17h à librairie le Campus, à Dax.

     

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  • Le Bruissement du monde

    Imprimé, il vient d'arriver chez l'éditeur (je ne l'ai pas encore vu, mais cela ne saurait tarder), chacun peut d'ores et déjà le commander sur le site des éditions Passiflore et le recevoir aussitôt en cliquant ici (puis laissez-vous guider) => Le Bruissement du monde Lisez en attendant les 16 premières pages du livre (en cliquant sur "Extrait"). Il sera disponible en librairie à partir du 13 janvier. Je le signerai cependant le 23 décembre - Noël oblige -,  à la librairie Campus (Dax), et peut-être à Bayonne et à Anglet (dates à confirmer) soit en avant-première, comme le précise mon éditrice. L.M.

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  • "Flaconfinés" du côté du Beaujolais, et par là-bas

    IMG_20201120_150146.jpgIl n’est pas trop tard pour découvrir et savourer le Beaujolais nouveau 2020 de Dominique Piron, d’abord parce que c’est l’un des meilleurs, et que ce vin, lorsqu’il est élaboré de main de maître, ne se boit pas seulement le soir du troisième jeudi de novembre. Le ticket est encore valable les jours, les semaines et les mois suivants ! C’est rond, riche de fruits rouges, généreux, ample, frais et juteux à la fois (7,50€). Notons que Dominique Piron, excellent vigneron de Morgon (son Côte du Py 2017 est une référence absolue), et Chénas, entre autres, propriétaire de vignes familiales historiques (la famille Piron est installée à Villié-Morgon depuis 14 générations), a récemment cédé son entreprise de vinification et de commerce, Vins et Domaines Dominique Piron à son associé Julien Révillon. Piron, le roi du gamay, se lance un nouveau défi, en se consacrant à la mise en valeur de sa propriété personnelle, le château Vieux Bourg, à Corcelles en Beaujolais, où il produira Morgon et Chénas, un peu de Régnié et le rare Beaujolais blanc. Rendez-vous au printemps prochain pour découvrir ces nouvelles cuvées.

     

    IMG_20201105_135443.jpgIMG_20201105_135520.jpgToujours en Beaujolais, le Domaine Franck Chavy propose, entre autres, un Brouilly 2019 de caractère, la cuvée Julmary (contraction des prénoms des trois enfants du vigneron : Juliane, Manon et Amaury), à la robe profonde et aux notes explosives de cassis, mûre, groseille et une touche de poivre blanc (10,50€). Le Morgon 2019, cuvée Les granites roses, ainsi nommée en raison du sous-sol granitique de la parcelle où il voit le jour, et qui se décompose progressivement en sable rose. Même explosion fruitée avec davantage de cerise et de pêche de vigne cependant, et à nouveau cette agréable touche poivrée. Un vin droit et d’une grande fraîcheur (11€)

     

    Restons dans le coin, àIMG_20200923_192552.jpg Romanèche-Thorins, avec le château du Moulin à Vent, cuvée Les Terrasses du Château 2028. (À ne pas confondre avec ses homonymes, un cru bourgeois de Moulis, en Médoc, et un Lalande-de-Pomerol). Cette exceptionnelle propriété (qui donna son nom à l’appellation), dirigée par Edouard Parinet, et ayant Brice Laffond pour oenologue, a été distinguée une fois de plus par les dégustateurs américains du magazine Wine & Spirits (auquel nous collaborâmes, jadis) puisqu’ils le classent parmi les 100 meilleurs domaines du monde. La cuvée dégustée conjugue puissance contenue, gourmandise et soyeux des tanins. Les gamays sont opulents et la longueur en bouche généreuse (13,20€).

    IMG_20200921_201951.jpgFaisons à présent un tour à Vosne-Romanée 1er Cru, avec la cuvée En Orveaux, proposée par le Domaine familial Jean Féry, propriétaire récoltant à Echevronne, en Côte d’Or (et dirigé aujourd’hui par Frédéric Féry). Il s’agit d’un vin somptueux, issu de vignes de pinot noir de plus de 60 ans, pourvu d’une grande délicatesse. La robe vermillon est brillante. Le nez est friand de petits fruits rouges comme la griotte, et la finale en bouche est légèrement épicée. Le passage en fûts de chêne (35% de neufs à chauffe blonde) offre des tanins très fins. Notons que la parcelle En Orveaux, classée en 1er Cru, contigüe aux Echezeaux, se situe entre Chambolle-Musigny et le Clos de Vougeot. Il y a de pires voisinages (95€). L.M.