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  • Malraux l’aventurier

     

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    Papier paru dans le hors-série de L'EXPRESS C'était l'Indochine (en kiosque pendant deux mois), sous le titre : Le "bourreau" de Banteay Srei

    Jeune aventurier guidé par l'insouciance de l'amour, le génial écrivain mit son talent, en 1923, au service du pillage de ce site exceptionnel de beauté. Une équipée qui finit mal pour lui. Et pour Angkor.

    Le vaste site archéologique cambodgien résonne de noms ayant marqué l’histoire. Ainsi de Banteay Srei, « la citadelle des femmes », temple situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Angkor, précisément sur le site de la cité de Shiva, appelé Isvarapura. Sans doute l’un des plus beaux de tous. Un lieu doublement célèbre. D’abord, pour la beauté de ses divers monuments, qui furent taillés dans du grès rose et de la latérite, pour la subtilité de son architecture pré-angkorienne : le temple date du Xe siècle, lorsque les parties du site d’Angkor Vat les plus visitées, aux abords de la ville de Siem Reap, datent, elles, du XIIe siècle. Mais c’est aussi un nom qui fait écho au passage d’André et Clara Malraux  (née Goldschmidt), en décembre 1923 (le couple est accompagné de Louis Chevasson, ami d’enfance d’André, et retrouvé à Saigon), lorsque ce temple était encore en ruines – tandis qu’il est aujourd’hui remis sur pied. Pris en flagrant délit de pillage à Phnom Penh, avec quantité de sculptures (notamment des bas-reliefs et des frontons) découpées à la scie –que l’on peut voir aujourd’hui au musée de la capitale cambodgienne, ainsi qu’au musée parisien Guimet -, l’emblématique futur ministre de la Culture de de Gaulle, a en effet la ferme intention de commettre les méfaits qui vont lui être reprochés. Jeune et amoureux fou – il est âgé d’à peine vingt-deux ans, et n’a encore rien publié -, le brillant intellectuel en devenir fomente en effet, dès avant son départ, le pillage de statues et autres ouvrages, dans le but de les vendre à de riches collectionneurs installés aux Etats-Unis – qu’il a pris soin de prévenir avant de quitter la France. Cela afin de pouvoir passer des jours tranquilles auprès de sa bien aimée. Son viatique ? Pèlerin d’Angkor, de Loti, un fort amour de la liberté, et un goût viral pour l’aventure. Investi d’une mission au Cambodge pour le compte du ministère des Colonies, il s’estime à l’abri de tout interdit et au-dessus des lois, s’il en existe dans ces contrées lointaines et placées sous protectorat. Las. C’est sans compter avec l’absence totale de romantisme des autorités cambodgiennes. Il y a un peu de naïveté dans l’esprit du futur auteur de La Condition humaine, certes déjà féru d’art khmer, voire d’inconscience, en agissant ainsi, armé d’une scie égoïne et d’une solide détermination. Bien que bardé de son ordre de mission qui se révèle être un piètre sésame, et malgré une mise en garde de l’administration coloniale sur la protection récente de l’ensemble du site d’art Khmer à ciel ouvert, l’équipée, flanquée de bœufs à la peine, traînant les chars destinés au transport des bas-reliefs et autres sculptures, connaît quelques difficultés pour évoluer dans des forêts denses jusqu’à Banteay Srei, alors perdu et pratiquement abandonné aux éléments qui le rongent. Cet isolement total est une aubaine inespérée pour Malraux et ses compagnons, qui vont casser, marteler et scier plusieurs jours durant. (Notons que le célèbre archéologue Henri Marchal contribua largement à la reconstruction, pierre par pierre, du temple, suite aux déprédations malruciennes).Trahis par un de leurs guides, les autorités assigneront donc le trio à Capture d’écran 2015-04-03 à 10.12.39.pngrésidence, plusieurs mois durant, ce dès leur retour à Phnom Penh. Condamné à trois mois de prison ferme, et Chevasson à dix-huit mois, Malraux doit son salut à l’action de Clara. Relâchée, l’amoureuse remue l’intelligentsia parisienne, lorsqu’elle arrive en France. Et c’est en partie grâce à une pétition garnie de prestigieuses signatures (Gide, Breton, Aragon, Gallimard, Mauriac), que les voleurs échappent aux geôles cambodgiennes et n’écopent, en appel, que de peines de prison avec sursis, revues à la baisse de surcroît. Têtu et revanchard, Malraux en tirera, et une certaine aigreur –persuadé d’être le découvreur, et non pas le voleur, du site de Banteay Srei -, et un récit d’aventures plus abracadabrantesque que romanesque, intitulé La Voix royale (Grasset), qui marque son entrée - fracassante et un brin fracassée -, à la fois en littérature (le livre obtient le prix Interallié en 1930), et dans le paysage intellectuel national. Un moment attaqué, jamais inquiété, le grand homme se relèvera bien vite et saura emprunter d’autres voies royales.  Léon Mazzella