Préfaces
Effilage du sac de jute, de René Char, enluminé par Zao Wou-Ki, paraît en poche (Poésie/Gallimard), et c'est très beau : l'écriture de Char (il s'agit de la reproduction de manuscrits) et les huiles de son "allié substantiel" furent publiés à 100 ex. de luxe il y a un lustre. Certes, le texte seul est publié depuis 32 ans par Gallimard, mais là, nous sommes en présence d'un petit format qui "donne à voir" quand même un dialogue poète - peintre comme ce duo là savait les construire. Les "richesses du livre pauvre" surgissent de ces alliances précieuses. "Faire du chemin avec", semblent nous rappeler les deux artistes, à la pointe d'un écho ténu et fragile comme le givre sur l'herbe lorsque le premier rayon du soleil perce aux alentours de huit heures du matin, l'hiver. Seule ombre au tableau : la préface, signée Dominique de Villepin. Comment diable admettre l'alliance d'un politique -certes féru de poésie au point d'avoir emprunté le titre d'un poème de Char, Le requin et la mouette, pour titrer l'un de ses essais, et aussi d'avoir publié une anthologie poétique, Eloge des voleurs de feu - avec cette beauté-là! Cela m'émeut à l'envers au lieu d'aiguiser ma curiosité. Est-ce parce que le préjugé m'interdit provisoirement de passer outre ma surprise?.. C'est sans doute aussi pourquoi je n'ai jamais ouvert l'anthologie de la poésie française de Georges Pompidou. En revanche, j'aime lire Senghor, Césaire; moins Havel... Je lirai, certes, la préface sûrement ampoulée, voire amphigourique, du Romantique de la République, mais bon, là, je ne le peux pas encore. Remarquez, il y a trois mois, j'ai publié (excusez immédiatement la comparaison, s'il vous plaît!) un livre sur les Landes et c'est Henri Emmanuelli qui a préfacé le bouquin! Et l'an passé, j'avais déjà donné des textes sur les Lacs des Pyrénées au même éditeur (Privat), et c'est Jean-Louis Etienne qui avait préfacé l'ouvrage joliment aquarellé. Mais (re)bon... Je compte moi-même quatre préfaces à mon actif, l'une pour un livre sur un bar emblématique bayonnais, Rendez-vous, Place Saint-André, une autre sur les Histoires d'un braconnier, deux autres enfin sur des Chasses gasconnes, et enfin des Chasses extraordinaires. J'en compte une seule au front de mes propres livres : celle que Michel Déon me donna pour la réédition de mon roman Chasses furtives... Mais je frise l'indécence en précisant tout cela. Et je remarque combien ma première vie, de chasseur (stoppée net il y a onze ans par une sorte d'AVC métaphysique), fut préfacière. Reste Char et Zao. Un petit bijou de livre, un cadeau.
Ecoutez (page 11) :
L'écoute au carreau
Pour l'agrément d'un instant j'ai chanté le givre, fils du dernier spasme de la nuit d'hiver et de l'éclair arborisé du petit jour, avant-coureur piétiné des longues présences du soleil. Mon givre! Tué par la cupidité de celui qui n'osa pas t'aborder avec franchise : "Que ce qui émerveille par sa fragilité s'étiole dans l'ombre ou périsse! Mon ardent ouvrage presse." Son ardent ouvrage presse!
Parmi les déments disséminés dans l'étendue de la mémoire assourdie, l'astre de tous le moins guérissable.