Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Sétif 45

    Pierre Nora : Il faut distinguer la Mémoire et l'Histoire.

    (La première est porteuse d'affect, l'autre de faits.)

    La repentance, l'empathie, bêler en choeur sans savoir, moutonner, ou bien hurler avec les loups... Tout cela suscite la honte. L'Etat français réprima durement une manifestation pacifique de nationalistes décidés à fêter la Victoire à leur manière, en arborant le drapeau algérien. Cela se passa dans les rues de Sétif, dans le Constantinois, le 8 mai 1945, jour de liesse mondiale. Quoi de plus naturel, en somme? L'humeur était au plus jamais ça et à l'éradication du mot racisme dans chaque esprit. Or, l'interdiction de hisser d'autres couleurs que celles du drapeau français faisant loi, le premier débordement dégénéra comme nous le savons. Surtout les jours suvants, dans d'autres zones sinistrement célèbres de la région de Constantine : Guelma et Kherrata. Et le film (si polémique et donc révélateur d'un passé qui ne passe pas et d'une mémoire que la France entendrait encore occulter) de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, que je n'ai pas encore vu, est d'emblée une fiction à mes yeux. Il est donc dispensé de la rigueur historique d'un documentaire. Toute polémique relève par conséquent, et intellectuellement parlant, de la subjectivité et du traitement artistique d'un événement inscrit dans le temps.

    Mais j'ai envie de rappeler que le même Etat français, policé, ne leva pas l'arme, ni le petit doigt, gardé sur la couture du treillis, pour défendre sa population civile dans les rues d'Oran, un certain 5 juillet 1962 lorsque les mêmes nationalistes, une guerre intestine plus tard, fortifiés par leur victoire, bravèrent outrageusement (aux yeux au moins du code de l'ONU) les règles d'une indépendance proclamée et donc d'une obligation de ranger les armes,  et se livrèrent à un massacre (toujours aussi peu connu) dans les rues d'Oran -et dont je suis, à mon corps défendant, un rescapé.

    Le coupable est le même, en dépit d'un bouleversement sociologique, car de 1945 à 1962, les données furent bien évidemment profondément modifiées. Nous sortions d'une guerre contre les nazis d'un côté. Nous sortions d'une autre -vraie- guerre, celle d'Algérie de l'autre. Mais il s'était passé 17 ans, dont 8 d'affrontements règlementaires, puis terroristes et enfin sauvages.

    Le FLN massacra par la suite les harkis, ses frères jugés collabos, lâchement abandonnés par ce même Etat français -alors qu'ils avaient servi (sous le Drapeau...), ces indigents Indigènes... De chair à canon aux premières lignes des combats les plus âpres du second conflit, comme celui de Cassino.

    La réalité est double : d'une part, l'Etat français a agi en aveugle sans mémoire, et sa couardise, tant à l'égard des harkis qu'à l'égard de ses propres ressortissants pieds-noirs, l'ont rendu infiniment, définitivement détestable. Notre méfiance permanente est désormais à son comble (et c'est pourquoi nous devons relire régulièrement Le Prince, de Machiavel).

    D'autre part les ferments nationalistes algériens n'ont démontré, sitôt proclamée l'Indépendance et dans les jours qui ont suivi le départ d'un million de Français, qu'ils étaient, déjà, définitivement immatures pour mener à bien une politique de réelle autonomie, fondée sur une idéologie empruntée au Grand Frère, mais assez peu importable; au demeurant...

    Est-ce le lot des populations insulaires comme celui des populations côtières, envahies par des civilisations diverses depuis l'invention de la communication des hommes d'un pays l'autre, à l'aube de l'humanité ?..

    Selon toute vraisemblance, cette tentative d'importation est aujourd'hui un échec avéré. Et il m'a été rapporté d'Oran, il y a quelques jours,  par l'une de mes deux soeurs, qui effectuait son premier retour aux origines (sur son lieu de naissance), que d'aucuns, toutes générations confondues, regrettaient encore le grand départ de juillet 1962.

    Comme quoi, le mot fraternité est à redéfinir dans Le Robert comme dans le Larousse, car il semble, parfois, correspondre à des valeurs solaires, camusiennes ai-je envie de risquer, qui ont l'intelligence de transcender les conflits les plus violents de l'Histoire. Même si Jules Roy avait au fond raison de préciser avec subtilité que : Là-bas, on était tous frères, rarement beaux-frères...

    Relire à ce propos les Chroniques algériennes qu'Albert Camus publia dans L'Echo d'Alger (reprises en folio/Essais).

    *

    Il nous faut penser aux barbares des invasions qui tuaient puis faisaient pénitence, la pénitence devenant tout à coup une technique qui permettait le meurtre. Sigmund Freud, préface aux Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski (folio)

  • Deux manuels fondamentaux

    Longtemps je me suis levé de bonne heure. Pour aller à la rencontre de l'aube. Et de la nature la plus sauvage possible. Pour être en contact avec ce qui subsiste de nature animale au fond de moi et qui fait battre mon coeur plus fort qu'à n'importe quel autre moment de la vie (à une exception près, que chacun vient de deviner). Croiser le regard d'un grand mammifère, tutoyer les oiseaux, approcher, toujours, me fondre, déjouer les ruses, devenir soi-même animal au point de pouvoir reléguer le Sioux au rayon Folklore, tenter de toucher un gros animal de la main -ce que je suis parvenu à faire, tout cela a toujours constitué l'une des plus grandes joies de mon existence, depuis l'âge de dix ans et des poussières. Pour parfaire mes connaissances, notamment celle des oiseaux, que je voulais sans faille, j'avais toujours avec moi un exemplaire en poche, puis dans la boîte à gants de la voiture et un autre au pied de mon lit, du "Peterson". J'ai nommé Le Guide des oiseaux de France et d'Europe, de R. Peterson, G. Mountfort, P.A.D. Hollom et P. Géroudet (éd. Delachaux et Niestlé). Ma bible (avec la poésie de Char dans le registre du mot et la prose de Gracq dans celui de la phrase). Puis, vers l'âge de quarante ans, j'ai commencé à m'intéresser de près à la psychologie de mes congénères directs, les êtres humains. Et au-delà des rencontres quotidiennes que nous faisons tous lorsque nous ne vivons pas sur le Mont Athos, rencontres devenues plus récurrentes car le cours de ma vie m'obligea à fréquenter avec moins d'assiduité que je l'eus voulu, et le monde animal et le Sauvage dans son entier, j'ai trouvé un manuel à mes yeux indépassable de la psychologie humaine : A la recherche du temps perdu. Car tout est dans Proust, s'agissant des sentiments. Absolument tout. La magie opère chaque fois que j'ouvre n'importe lequel des trois volumes, déjà usés, de ma Recherche en Pléiade, par bonheur dispensés du roboratif attirail critique dont les éditions postérieures à la mienne ont été plombées jusqu'au grotesque. (Je ne redirai jamais assez que l'Université a partie liée avec la chirurgie et son manque singulier, voire affligeant, de poésie). Ainsi, d'une page l'autre, toujours au hasard -à l'instar du feuilletage qui convient au Journal de Jules Renard, j'affine chaque jour davantage ma connaissance de ce drôle d'oiseau qu'est l'homme lorsqu'il est en société, en picorant seulement Proust à la manière d'une poule (suivant en cela un précepte de lecture indiqué par Montaigne). Et si le Peterson ne m'a pas quitté, je ne l'ouvre plus guère car je pense le connaître par coeur, sans forfanterie. Le second manuel cité m'est un bréviaire, un viatique, une source de plaisir aussi précieuse à mes yeux de néophyte du sujet, encore, que peuvent l'être le blanc du givre et le bleu du ciel, un matin de novembre, afin qu'une aube devienne un chef d'oeuvre, pour peu qu'un bouquet d'oiseaux ou un sanglier solitaire jaillissent devant moi, surpris.

  • Le dernier roi d'Angkor

    images.jpgJean-Luc Coatalem apparaît comme l'un des écrivains français dont la prose chaloupée, dense, précieuse sans être emphatique, est l'une des plus somptueuses d'aujourd'hui. Son dernier roman, Le dernier roi d'Angkor (Grasset) est un bonheur d'écriture. Coatalem écrit avec tact et avec coeur. Sa phrase, racée, musclée, est féline dans sa retenue et dans sa précision. Ses images fortes comme du rhum le matin, cinglent l'idée de leur caresse. Comme certains vins, son style est droit et bouleversant à la fois. L'histoire, ample et profonde, est celle de la quête de soi à travers celle d'un presque frère, surnommé Bouk, Cambodgien énigmatique, orphelin peut-être, prince? Un être de mystères en tout cas, qui partagea la vie d'une famille française (flanquée d'un chien nommé Mozart) avant de s'évanouir dans l'espace et puis dans le temps. Le narrateur, hanté par la présence-absence de cet ami d'enfance si taiseux, partira sur ses traces, comme un Tintin reporter, de Viroflay aux ruines khmers. Afin de tenter d'en finir avec une évidente fascination mêlée de crainte. Coatalem nous conte au passage quelques aventures amoureuses avec la dextérité d'un Roger Nimier ourlé de la prose poétique d'un Paul Théroux. Il a le talent pour ça. Voir Il faut se quitter déjà (lire ici, à la date du 22 décembre 2007). La rencontre avec Bouk aura lieu, mais nous tairons bien sûr de quelle manière. Et nous voulons croire que ce fut peut-être une rencontre du narrateur avec son jumeau astral...  Coatalem n'abat-il pas une carte maîtresse en citant Victor Segalen, en exergue de ce beau roman : On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi.

  • Saber Mansouri et la confiscation de l'islam

    Chauves, lisez Mansouri : vos cheveux repousseront!

    9782742791330.jpgSaber Mansouri récidive. Après La Démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ? (André Versaille) –lire ici même à la date du 15 avril dernier, voici L’Islam confisqué, manifeste pour un sujet libéré (Sindbad). Cet essai remet les pendules à l’heure et part posément en guerre contre le mal le plus banalisé du monde depuis l’aube de l’humanité : le préjugé. Le vite dit. Le caricatural. La confusion intellectuelle originelle. Sujet : l’islam. Auteur : un helléniste certes, mais d’abord un « immigré arabe choisi » (ainsi se présente-t-il). Cet intellectuel tunisien désormais inféodé à Saint-Germain-des-Prés, qui enseigne à l'Ecole pratique des hautes études, nous dit son agacement à propos de l’agglomération des genres, de l’auberge espagnole qu’est devenue le mot islam, et du mélange du religieux et du politique, surtout. Le sacré et le profane, le spirituel et le temporel, Dieu et ses représentants sur terre… Bref : il est ici question de la vision globalisante de l’islam comme d'une horrible théocratie qui brouille (c'est le moins qu'on puisse dire) la vision nécessairement claire des choses importantes du monde actuel. Et des dangers redoutables que cela engendre quotidiennement, dans la perception, dans la conscience, dans le discours et aussi dans les faits. Le racisme ordinaire comme le lynchage médiatique en sont deux exemples. Car le nœud du problème est là : l’islam désigne aussitôt dans l’inconscient collectif occidental, le terrorisme au nom du religieux. Or la réalité est infiniment plus complexe. L’historien juge malhonnête, partial, d’invoquer le fanatisme catholique pour tenter de justifier l’intégrisme musulman. L’essayiste ne cède jamais à la facilité ni aux travers pratiques trop souvent croisés dans de nombreux ouvrages. Chercher les origines du problème dans les textes originels, c’est faire fausse route, dit par ailleurs Saber Mansouri. Il explique les représentations de l’islam et ses réalités au fil de l’espace-temps. Car le monde musulman, ce sont quinze siècles que l’on ne peut résumer à Ben Laden et à la burqa. Mansouri cite Mahmoud Darwich : « L’Histoire ne peut se réduire à une compensation de la géographie perdue. » Il combat l'emprise du théologico-politique. Et revient aux fondamentaux, en historien scrupuleux qui se méfie des discours hâtifs d’une « littérature journalistique » bâcleuse et speedée, comme des « orientalistes de bureau » qu’il déteste cordialement. Il effectue le voyage permanent entre l’hier et l’aujourd’hui sans être bêtement comparatiste (le monde « arabo-musulman » de 2010 n’est pas celui des Mille et une nuits), évite les pièges tentateurs que sont : l’anachronisme, le passéisme (nous fûmes), le victimisme (ils sont les responsables de notre malheur présent), ainsi que le complot (on complote contre nous). Autrement dit l’attirail paranoïaque sociologique que la dictature de l’image et sa médiocrité gluante nous donnent à bouffer à longueur de temps et à largeur d’écran.  Il s'agit, on l'aura compris, d'un traité intelligent sur un sujet trop souvent mal traité. Ainsi Saber Mansouri s’attache-t-il à chaque page de son brillant essai, à « rendre présent l’islam comme objet d’étude et d’analyse. » Il illustre son propos de faits réels récents : l’affaire des caricatures parues dans un journal danois en 2005 (qui fut d’emblée politique et qui illustre la confusion fulgurante et donc dangereuse, du religieux et de l’idéologique). La place et le rôle de l’image dans la culture islamique (il rappelle, citant Julien Gracq, que les grandes religions monothéistes ont jeté l’Image au feu et n’ont gardé que le Livre). L’arrivée du Hamas au pouvoir et la récurrence de la question palestinienne (avec une terrible réalité : une autorité politique divisée entre deux frères ennemis ; Hamas et Fatah). Le 11 septembre (et les Croisades selon Bush, ou « le terrorisme comme carrière de l’empire américain»). Le concept fourre-tout de Grand Moyen-Orient. « L’introuvable démocratie en terres d’islam. » Le pitoyable débat sur l’identité nationale, enfin. Non sans avoir recours à deux pensées philosophiques arabes lumineuses et d’une finesse intemporelle : Ibn Rushd (Averroès) et Ibn-Kaldûn. Car le refrain de Mansouri est une forme de rappel à la conscience : de quel islam parlons-nous lorsque nous l’évoquons ? Et comment s’opère (par exemple) le glissement d’une pratique privée et pacifiée d’une religion vers un « islam belliqueux » et guerrier : le jihad armé ?.. L’auteur n’oublie pas non plus de souligner l’évidence selon laquelle le kamikaze est « un perdant radical », en dépit des promesses paradisiaques de nombreuses vierges… Et le concept (en guise de corollaire) de « la haine de soi » lequel, loin d'être réducteur, explique peut-être l'acte terroriste dans sa fondamentalité surréelle. Sans empathie exagérée, Mansouri –adepte de « la patience raisonnée » et de « la distance critique »-, n’oublie pas non plus, en lecteur de Jacques Derrida (qui disait qu’on ne compte pas les morts de la même façon d’un bout à l’autre du monde), d’évoquer « le détournement des malheurs » : nul ne s’offusque plus du deuil quotidien irakien, n’est-ce pas? La banalisation, non plus du mal (thème cher à Hannah Arendt), mais de sa représentation, est un monstre glacé. Si Saber Mansouri, disciple du grand humaniste Pierre Vidal-Naquet dont il fut l’élève, invoque volontiers Voltaire en s'en remettant presque à la clairvoyance et à l’actualité de sa pensée, il m’est apparu, en lisant L’Islam confisqué, que son auteur avait des accents elluliens (je fus l’élève de Jacques Ellul), notamment à propos de la question philosophique sur l’attribut de « meilleur » dont on affuble certains imams… Mais qui lit encore Ellul aujourd’hui ?..

    En attendant, lisez Mansouri. Et ne vous faites pas de cheveux !..

  • Callcut, vin singulier

    éimages.jpgChristian Authier, auteur Stock/La Bleue, dont J'ai Lu vient de reprendre les deux premiers romans : Enterrement de vie de garçon et Les liens défaits, publie un texte très court, une sorte de tranche de jambon -mais c'est du pata negra, piqué par deux agrafes, publié aux éditions du Sandre à Paris, intitulé Callcut. Sous-titre : Boire pour se souvenir (au lieu de l'attendu boire pour oublier). Oun biyou!
    Il y est question d'une rencontre avec un vin exceptionnel, ourdi comme un complot plus que fabriqué (vinifié?) , par un taiseux poète , Eric Callcut, qui débouchait ses flacons sur un parking, à l'ombre de tout, surtout des gens du milieu. Son Picrate devint un nom de code. Entre initiés capables de s'émouvoir devant un vin au goût de raisin, un vin naturel (si cela a encore un sens), un vin vrai. Un vin comme on les aime, les guette, les traque... Authier dit que c'est un vin sauvage, irréductible, émouvant, artiste... Et le Callcut, une fois évanoui, disparu, pffuit (l'enquête continue), devient -via Authier-, un poème au déjanté qui rassemble et magnifie, une ode au je-ne-sais-quoi du presque-rien qui fait tout, le récit humble d'une rencontre presque amoureuse, le portrait dévisagé d'un rivage emblématique de l'amitié, et j'y vois aussi le goût naturel de Chrisitian Authier pour le disparu qui ne passe pas. Le garçon possède, il est vrai, le talent de dire avec justesse et délicatesse la trace, l'ombre, cette poussière qui décante au fond du coeur. L'usage de la métaphore avec ce picrate là n'en devient que plus forte.

    "Seulement, le tout-venant a été piraté par les mômes.
    Qu'est-ce qu'on fait? On se risque sur le bizarre?
    "
    Michel Audiard, Les Tontons flingueurs.

    Citation reprise en quatrième de couverture du petit livre.

  • Dans L'OBS paru hier

    Deux idées de randos données à TéléParisObs paru cette semaine. Une dans les Pyrénées, l'autre à Procida. Extraits.

    Randonnées à Procida

    Le Golfe de Naples offre trois îles au voyageur. Ischia, Capri et Procida. La plus petite n’est pas la moins charmante.

    DSC01118.JPG

    Capri est l’île de la Grotta Azzura, celle de la villa de Malaparte qui servit au tournage au Mépris de Godard et l’île luxueuse de la Jet Set internationale. Ischia est grande, ses plages nombreuses et certaines criques encore préservées, mais son port d’arrivée a été livré en pâture au tourisme de masse. Procida, dont l’architecture singulière des maisons de pêcheurs bigarrées vaut déjà le voyage, ignore le tourisme. C’est une île qui vit réellement, sur 4 km2 à peine et qui grouille de ses 10 000 habitants. Ils sont pêcheurs, petits commerçants, artisans, ou bien prennent le premier bateau du matin pour gagner leur pizza quotidienne à Naples et reviennent avec celui du soir. La traversée est d’une demi-heure avec le rapide et d’une heure avec le lent. Les Napolitains sont d’ailleurs nombreux à posséder une maison de pêcheur sur l’île, ou bien à venir déjeuner ou dîner d’un coup de hors-bord, dans les restaurants de Procida, surtout sur le splendide petit port de pêche de Corricella. À Procida, on se fiche donc du tourisme. Nul ne souhaite vendre son île ou hameçonner le voyageur. Procida n’est jamais fardée. Loin de la fourmilière napolitaine, l’île est marquée par la nature, la littérature et le cinéma. La littérature, c’est d’abord Graziella, bref et faible roman (folio) de Lamartine. Le poète eut une idylle avec jeune fille de l’île, promit à sa dulcinée de revenir, lorsqu’il dût repartir. Il ne tint pas sa promesse et Graziella mourut d’amour. Elsa Morante écrivit ici un grand roman L’île d’Arturo. L’intrigue, plantée sur l’île, est un hymne au monde insouciant et sauvage de l’enfance et de l’adolescence. Le lire ou le relire (folio) sur l’une des plages de l’île, au bout d’une balade à pied sur les chemins, peut virer à l’enchantement. Car comme Arturo est beau, Procida est belle et rebelle, peuplée d’anciens marins, de petits armateurs, de vieux qui rafistolent leurs filets, de femmes qui vendent leurs gros citrons difformes –la spécialité de l’île, avec le limoncello dont il est issu. Procida produit par ailleurs un vin blanc sec et humble, toujours « de la casa », peu titré, que l’on boit à chaque terrasse...

    © L.M. (la suite en kiosque).

    ----------

    Rando familiale au cœur de « L’Eden des Pyrénées »

    Cap sur le lac Suyen, en Val d’Azun, aux portes du Parc National.

    IMG_0954.JPG

    8 heures. Barrage du Tech. L’heure idéale pour laisser sa voiture à proximité de la Maison du Parc National des Pyrénées. Le paisible lac du Tech, accessible par la route, au-delà d’Arrens-Marsous, est un éternel assoupi. Le brouillard empêche de d’envisager une randonnée de difficulté moyenne jusqu’au splendide lac Migouélou. Les semelles Vibram ne souffriront pas ce matin. L’arc onctueux du barrage adoucit l’espace. Un vautour fauve sort de la brume, à une vingtaine de mètres au-dessus de notre tête et vient se poser à flanc de falaise, juste devant le barrage qui vrombit. Altitude modeste : 1200 m. Nous sommes dans un sanctuaire : à l’entrée du Parc, au carrefour des vallons de Bouleste, de Poueylaïn et du Plan d’Aste. En vallée d’Arrens, en Val d’Azun, en Lavedan, en Bigorre. Dans les Hautes-Pyrénées enfin. Le mythique refuge Ledormeur est à deux heures de marche à peine. Cap sur le Suyen et la cascade de Doumblas pour une randonnée familiale.

    Devant nous, se dresse le premier « 3000 » en venant de l’océan. C’est le Balaïtous. 3144 m. En 1864, Charles Packe, montagnard célèbre, atteint son sommet et pense être le premier à le faire. Hélas !.. Un cairn (petit tas de cailloux faisant office de balise sur les sentiers de randonnée) témoigne d’une précédente ascension. Ce sont les géodésiens Peytier et Hosard, chargés en 1825 de tracer les premières cartes de cette zone pyrénéenne, qui ont gravi le sommet, aidés des montagnards et des chasseurs de la vallée voisine. Le grand pyrénéiste Henry Russell appellera plus tard le Balaïtous « le Cervin des Pyrénées ». Comme s’il fallait à chaque 3000 d’ici d’avoir le mérite d’être comparé à un sommet alpin ! Par beau temps, nous sommes cernés de merveilles pointues : les cols du Gabizos, de l’Aubisque, du Soulor, des Spandelles et par le Pic du Midi de Bigorre. Sentiment d’être invité au banquet des Splendides.

    Existe-t-il pente plus douce que celle qui touche le lac du Tech ? La forêt de sapins s’arrête, comme retenue, laisse de basse mer, pour laisser place à une prairie où paissent les vaches. Puis ce sont des pêcheurs de truites qui poivrent le liseré du lac.

    Un lac d’altitude nous apprend la flore. Et la poésie botanique aussi : la joubarbe à toile d’araignée, l’iris et le lis des Pyrénées, l’aconit vénéneux, le chardon fausse-couline, la saxifrage faux-Aizoon, deviennent des sujets de conquête visuelle. Et sémantique, ou poétique.

    Ramond de Carbonnières, autre pyrénéiste fameux, eut le nez creux, sous la Terreur. Il s’enfuit de Paris le 10 août 1789 pour effectuer un voyage scientifique aux Pyrénées. Naturaliste, géologue, écrivain, il donna son nom à une fleur, la ramonde, ou ramondia. Et baptisa le Val d’Azun « Eden des Pyrénées ». Chercher la ramonde devient un nouveau but de randonnée...

    © L.M. (la suite en kiosque).

    Photos : © L.M.