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  • 74

    74 Sans Domicile Fixe sont morts en France depuis le début de cette année.

    21 au cours des 11 derniers jours, dont 2 enfants de 8 et 9 ans. Cela en fait 4 depuis le 1er janvier.

    22 mars, le printemps déplie ses quartiers, sa nappe, ravive nos sourires; une décontraction générale pointe son oublieuse mémoire, e la nave va...

     

  • Miguel Delibes

    Son oeuvre est âpre, puissante, sans concessions, verticale*. Les personnages de ses romans sont Espagnols jusqu'à l'os. De Castille particulièrement. Miguel Delibes vient de casser sa pipe (89 ans). Chez lui tout est bon et se trouve à l'enseigne de l'épicerie fine Verdier. Si vous ne l'avez pas encore lu, vous avez la chance de vous trouver sur le seuil d'un grand bonheur, comme on dit dans ce cas. Franchissez-le, ouvrez la porte et prenez Les Rats, Le Chemin, L'Hérétique, Les Saints innocents, Dame en rouge sur fond gris, Vieilles histoires de Castille, Le linceul, Cinq heures avec Mario... (je balaye l'étagère des yeux et les souvenirs de lecture affluent. Tout à l'heure je relirai juste mes annotations en marge, comme souvent, histoire de replonger dans le bain vivifiant et fort comme l'aube givrée dans le campo qui parcourt les livres de Delibes. Ce campo où j'ai un jour chassé, en compagnie de l'un de ses fils. Celui-ci m'offrit un livre de son père, dédicacé -un livre moins connu que ses romans- , puisqu'il est consacré à la chasse en Espagne : El libro de la caza menor)...

    ¡Vaya!

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    *Je la rapproche de l'oeuvre d'un autre Grand d'Espagne, publié également à l'enseigne jaune (rouge pour les premiers livres de ces deux auteurs) des éditions Verdier : Julio Llamazares.

    MD3.jpgCette photo d'un Miguel Delibes jeune, a été retrouvée par sa famille, parmi les papiers de l'écrivain, peu après sa mort. Elle m'a été amicalement transmise par son fils Adolfo, que je remercie ici à nouveau.

     

    DÉTAILS sur certains livres de Delibes :

    L'important, c'est La Triologia del campo, composé des Rats, du Chemin et des Saints innocents. Mario Camus adapta au cinéma Los Santos inocentes, avec Francisco Rabal dans le rôle de l'Azarias, le débile d'un village de Castille encore médiévalisé, où règne un señorito. Azarias sait parler aux oiseaux et il a apprivoisé une corneille, à laquelle il murmure sans cesse milana bonita, milana bonita... Innocent touchant, il sourit au ciel, obéit au maître; jusqu'à un certain point...

    Dans Le chemin, les personnages : Daniel le Hibou, Roque le Bouseux, German le Teigneux, possèdent une force peu commune, un savoir d'hommes de Nature impressionnant. Ce sont des poètes, des sages qui tutoient les oiseaux. Extrait : Sûrement qu’on perd beaucoup de temps en ville, pensait le Hibou, et au bout du compte, il doit y en avoir qui, après quatorze ans d’études, n’arrivent pas à distinguer un geai d’un chardonneret ou une bouse de vache d’un crottin.

    Le linceul, recueil mince de nouvelles paysannes, où  l’apprentissage de la mort à travers les yeux d’un enfant qui la découvre devient inoubliable, est à rapprocher de cette trilogie de l'éternelle Castille aux champs noirs, où des êtres rustiques vivent dans des villages hors du temps et du progrès. Car c'est peut-être le livre le plus épuré, le plus dépouillé, où l'écriture est la plus essentielle du Delibes auteur d'une certaine ruralité, dont les valeurs cardinales sont placées sous le signe tutélaire d'une communion viscérale, voire instinctive, avec la nature.

    Miguel Delibes se définissait lui-même ainsi : Quand je me regarde de l’extérieur, je vois que je ne suis pas un écrivain génial. Je suis un chasseur qui écrit...

    Son goût pour le journalisme était par ailleurs démesuré. Il a dirigé le plus important quotidien de Castille et déclina l'offre de diriger la direction d'El Pais! Je crois que quand on vous a inoculé le poison du journalisme, c’est pour toujours, déclara-t-il un jour au Monde. Hemingway a dit qu’il fallait s’en retirer à temps parce que c’est une profession stérilisante pour un écrivain. Je crois que le journalisme est en quelque sorte le prologue de la littérature. En ce qui me concerne, il m’a aidé beaucoup par l’exercice de synthèse qu’il m’a imposé. (Il disait également, avec une exquise politesse, qu’il détestait parler aux journalistes... à moins que ceux-là se passionnent comme lui pour la chasse et la pêche, la truite et la perdrix).

    Et puis il y a le Delibes émouvant, moins rural, celui de Cinq heures avec Mario, et surtout de Dame en rouge sur fond gris, portrait extrêmement émouvant d'une femme presque parfaite, irréelle, qui ressemble à celle qui partaga trente ans de la vie de l'écrivain et dont la disparition, en 1974, l'empêcha d'écrire une seule ligne durant trois années.

     

    Outre les premiers romans comme Lune de loups et La pluie jaune, de Julio Llamazares, jeune écrivain visiblement habité par l'oeuvre de Miguel Delibes, je rapproche l'écriture et l'univers de Delibes de ceux du Jean Giono de Que ma joie demeure et du Grand troupeau, et du Jean Carrière, qui fut son fils spirituel, de L'épervieur de Maheux et de La caverne des pestiférés. Et, plus près de nous, c'est l'univers et l'âpreté des personnages des romans de Sylvie Germain, surtout les deux premiers : Le Livre des nuits et Nuit-d'Ambre, qui m'y font immédiatement penser. Pour aimer lire Delibes, mieux ressentir l'expression du sous-sol de son talent dans le vin de sa prose, il faut avoir aimé aussi, par exemple, Le Llano en flammes et Pedro Paramo, de Juan Rulfo... Cet ensemble forme une sorte de famille littéraire, à laquelle chacun peut ajouter une ou deux lectures, un auteur ou deux...

    A vous de jouer, ici même!..

     

     

  • Coatalem via Segalen

    Reçu ce matin le nouveau roman d'un auteur que j'aime vraiment : Jean-Luc Coatalem (Le dernier roi d'Angkor, Grasset).

    Avant d'y entrer, je trouve ceci en exergue, qui m'évoque un mot fameux de Montaigne : Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis et non pas ce que je cherche.

    Tout semble concentré, et dit, ou presque, dans cette phrase de Segalen :

    On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi. Victor Segalen

    Je reviendrai parler du Dernier roi d'Angkor.

  • Lisez-le, cessez de le regarder!

    Lisez-le, cessez d'évoquer, de ressasser sa gaucherie à l'oral, les phrases qu'il n'achève pas, ses bras qui fendent l'air comme une éolienne, son regard qui résume l'angoisse permanente et forte : lisez Modiano! Et cessez de juger, de gloser sur le mal être évident d'un homme lorsqu'il passe à la télé et pas*, ou si peu, l'écrivain qui écrit à la main, en silence, chez lui, depuis quarante-cinq ans.

    Pas forcément L'Horizon, paru ces jours-ci, mais les vingt précédents, et surtout Un pedigree (et Dans le café de la jeunesse perdue), afin de comprendre tous les autres, même s'il s'agit (attention poncif) à chaque fois du même livre éternellement recommencé, à l'instar d'une douleur lancinante, ancrée très profond et qui ne passe pas.

    Un pedigree a cette dimension autobiographique et sans concession qui permet d'éclairer l'oeuvre, depuis La Place de l'Etoile, son premier roman.

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    *Dois-je répéter encore qu'un auteur n'est -ou ne devrait être- que ce qu'il écrit? Et que ce ne sont pas les séances de brushing-choucroute d'un Zeller ou le choix du décolleté d'un BHL, qui doivent laisser à penser d'une part que l'un écrit blond et romantique et l'autre imberbe et chic. A propos du second, certains passages de l'énorme confession inclassable de Marie Billetdoux, C'est encore moi qui vous écris! sont d'une refoutable acidité pour le jeune futur nouveau philosophe, tout entier obsédé par la construction minutieuse de son personnage, comme une midinette avant un casting...

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    Tiens, par exemple, j'ai vu Charles Juliet -immense auteur, poète précieux d'Affûts, diariste profond à la langue forte et ancienne (le tome VI de son Journal vient de paraitre), l'auteur de récits et nouvelles subtils comme Lambeaux, L'année de l'éveil, Attente en automne..., signer dans une librairie, vendredi soir. Déjà, il est étrange qu'un tel ours se plie à ce genre de singerie. Et bien il était comme il doit être chaque jour, ailleurs : simple, humble, presque timide, économe de paroles, tout entier écrivain. En dépit de son profil anguleux, d'aigle en observation, il m'évoquait un bernard-l'hermite hors de sa coquille : l'abdomen frêle et fragile, infiniment vulnérable, replié sur sa fine peau, avec des pinces hypertrophiées et davantage encombrantes qu'utiles à une quelconque défense. Une sorte d'albatros baudelairien. Je me suis dit qu'il perdait son temps et qu'en étant là, il n'écrivait pas. Et que, comme souvent, nous n'avons rien à dire à un auteur assis derrière un rempart de livres, ni un auteur à un lecteur debout et tenant l'un de ces livres dans une main, il valait mieux qu'il abrège. Seul le stylo doit parler, non? Tout le reste est littérature.