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  • Perplexe


    alqaidamanuelweb.jpgJe ne sais que penser de ce livre (je ne l'ai pas encore eu en mains) qui paraît chez André Versaille

    Al-Qaida : Manuel pratique du terroriste

    Présentation de l'éditeur :

    Voici Al-Qaida elle-même, dans sa parole la plus secrète : voilà comment les jihadistes de la Base parlent et se parlent. Dans leur violence la plus crue. Ce manuel rédigé par Al-Qaida explique comment doit se comporter le parfait terroriste. Il détaille, en 18 leçons, comment échapper aux poursuites, recruter, recueillir de l’information, fabriquer de faux papiers, détruire, commettre des attentats, fabriquer des poisons, assassiner, résister aux interrogatoires, s’évader, le tout au nom du Jihad “contre les régimes athées et apostats” peuplés “d’infidèles”…

    Nous avons décidé de le mettre à la disposition du public au nom du principe qui veut qu’on ne se défende efficacement contre un péril que si l’on en comprend la nature.

    Votre avis sur l'idée de publier un tel manuel m'intéresse (hors considérations économiques sur un possible coup éditorial).

    Car cela me rappelle les dégâts réels que fit la publication, au début des années 80, d'un livre intitulé Suicide mode d'emploi, et à côté desquels la vague de suicides romantiques qui suivit la publication, en Allemagne, des Souffrances du jeune Werther, de Goethe, relève de la dérive poétique...

    Car enfin, comment croire au principe douteux (souligné par moi ci-dessus) de l'éditeur, lequel semble vouloir se dédouaner par avance?

    Que m'apporte de connaître, de manière technique, la façon d'agir aveuglément (comme aucun animal n'agit jamais car l'instinct est davantage "guidé" que dans ce cas humain) d'un terroriste animé par l'acte de tuer aveuglément un maxium d'innocents (André Breton et son acte surréaliste pur : descendre dans la rue et tirer dans la foule au hasard, sont -heureusement- restés au stade du fantasme, de la geste esthétique douteuse, bref, de la provocation. Les terroristes, eux, passent à l'acte), pour mieux comprendre les ressorts de sa démarche? Rien, a priori. Tout au plus une satisfaction voyeuriste désintéressée et acquise par effraction. Mais c'est trop mortifère pour me procurer du plaisir comme je l'entends et l'apprécie depuis toujours. Et pour vous?..

    Je pense tout à trac à ces ados de Columbine, et de tant d'autres collèges américains où pénétrer armé n'est même pas une formalité, je pense aux effets d'identification funestes du film Scream, je pense à la dérive profondément abyssale des milliers d'ados qui s'emmerdent à longueur de journée en France. Je frissonne de me voir si frileux, si réac. Mais il m'apparaît que l'idée (éditoriale) n'est pas bonne, parce que je fais de moins en moins confiance en la nature humaine, surtout par temps de crise, favorable, nous le savons, à l'émergence, à l'éclosion, à la renaissance instantanée de la Barbarie la plus horrible. Mais bon...

    A une époque, il y eut le manuel du savoir-vivre. Voici celui du savoir mourir. En tuant. Signe des temps.

  • Si peu de bruit

    Tandis que les jurys livrent leur listes ressérées de candidats aux grands prix littéraires d'automne, et bien que je ne puisse m'empêcher de faire mes propres pronos, comme chacun, j'ai plaisir à lire des livres dont on parle peu, qui ne font de bruit que celui des pages que l'on tourne et qui possèdent pourtant des qualités immenses et insoupçonnées du grand public; ce que je regrette. Et la fureur ne s'est pas encore tue, d'Aharon Appelfeld, par exemple (à l'Olivier), nouveau livre du grand humaniste hanté par les camps, n'est pas un larmoiement à la Elie Wiesel, mais plutôt un hymne à la fraternité, un éloge de la dignité humaine, qui rapproche Appelfeld de Primo Lévi. L'horreur innommable nous est ici décrite calmement, sans haine, car toujours percent le courage et l'espoir à la surface de l'Enfer. C'est d'un grand message d'humanité et d'humilité qu'il s'agit, avec, au bout d'une interminable errance dans la neige et la forêt -avec la peur du nazi, la faim, le froid, les loups, après une évasion d'un camp, le cadre d'un chateau dans la ville de Naples pour havre, ouvert aux survivants, avant le chemin du Retour, si existent encore pour chacun, et ce chemin et des Lieux. Le bonheur de lecture ne vient pas à l'improviste, avec les livres d'Appelfeld, mais il surgit doucement à la faveur d'une sorte de petit miracle : je pense à l'allégorie de la musique de Bach ou Brahms jouée par un trio, et à la lecture du Livre, qui parviennent à transfigurer les visages des réfugiés. Ainsi reviennent-ils à la vie, s'échappent-ils un instant de l'horreur qui les hante et les hantera tout leur vie... Le narrateur au moignon ajoute alors : Tout ce qui n'est pas compréhensible n'est pas forcément étrange.