Françoise Bourdin, Sang et or

Noël 2022 au fin fond du Périgord pourpre en compagnie de ma fille, de son bébé d’un mois et demi et de la famille de son compagnon, le père de Sael Áodhán. Nous sommes treize autour de la cheminée que j’alimente en chêne sec. J’apprends la mort de Françoise Bourdin et je me souviens. Rapidement, je parcours la dépêche reproduite un peu partout, à peine modifiée, sur cet auteur « populaire » qui a vendu plus de quinze millions de livres en cinquante romans issus de sagas familiales comme les lecteurs de Christian Signol, de Claude Michelet... et de Françoise Bourdin les aiment. Pas besoin d’un papier dans Le Monde des Livres ou Le Figaro littéraire - lesquels les boudent en se pinçant le nez - pour propulser ces sous-marins de l’édition qui, sans aucun bruit, en font beaucoup dans les chaumières, loin des bobolands circonscrits à quelques arrondissements germanopratins. Je me souviens... Je copilotais le service des manuscrits de La Table ronde avec Stéphane Guibourgé (que devient-il ?) deux jours par semaine (je vivais encore à Bordeaux), tour à tour rue du Bac, rue Huysmans, rue Corneille... Autrement dit, j’ouvrais le sac postal quotidien en toile de jute beige, j’en extrayais le monceau de tapuscrits, je les flairais tous avec une technique « pro » précise, et, un matin de l’année 1990, je suis tombé sur l’un d’eux, mince, intitulé « Sang et or » (était-ce le titre originel ou bien celui que je trouvai au moment des épreuves corrigées ?) d’une certaine Françoise Bourdin qui n’avait publié jusque là que deux romans chez Julliard, « De Vagues herbes jaunes » en 1974, et « Les Soleils mouillés » en 1975. Rien d'autre depuis quinze années. Je me souviens m’être assis par terre, entouré de piles de tapuscrits sous papier kraft comme un soldat de sacs de sable, et avoir lu d’un trait ce texte dont l’action dure quelques minutes au cours desquelles un jeune torero gravement encorné est transporté à l’infirmerie de l’arène où il est en train de toréer, et l’instant de son expiration. Entre temps, sa vie défile, Bourdin la raconte, et c’est poignant, tendre et tragique, solaire et mélancolique. J’alerte aussitôt mon pote et néanmoins président des éditions Denis Tillinac par téléphone (absent, il surfait alors en Chiraquie). On a reçu un manuscrit fascinant d'une presque inconnue, il faut que tu le lises. Bloque, appelle-là, et tu lui proposes un contrat. Mais, Denis, tu ne veux pas le lire avant ? Pas le temps, j’ai confiance, vas-y. J’appelle Françoise Bourdin. Elle me dit que Actes Sud lui a déjà donné une réponse positive. Je lui coupe quasiment la parole en lui disant que je m’en fiche. Où êtes-vous ? À la Feria de Nîmes justement, pour voir des toros. J’adore. J’arrive. (J’y retournerai en septembre de la même année, à la Feria des Vendanges, pour assister à la prise d’alternative de Jesulín de Ubrique). Je pris un contrat pré rempli comme un constat d’accident au 40, rue du Bac, et un train à la gare Montparnasse. Nous nous retrouvâmes dans les salons de l’hôtel Imperator, et elle signa le contrat tandis que je sifflais manzanilla sur manzanilla La Gitana. Nous publiâmes son troisième roman en mai 1991. Une peinture de Fernando Botero, « Muerte de Luis Chalmeta » orne en vignette la couverture. J’en conçus une certaine fierté lorsque, plusieurs années après, Françoise Bourdin devint l’un des écrivains les plus lus de France, le (ou la ?) cinquième je crois. Je l’ai croisée à plusieurs reprises lorsque je fus éditeur chez Editis entre 2002 et 2006, au sein de Place des éditeurs, dont ma boutique, fitway publishing faisait partie. Mes bureaux étaient voisins de palier de ceux de Belfond, son éditeur historique. Nous prîmes quelques verres lors de salons du livre à Paris et à Francfort je crois aussi, et puis en bas des éditions, avenue d’Italie dans le XIIIe. Elle était timide, frêle, mais son regard était doux et droit, d’acier tendre. La force du jockey sous une apparence cristalline. Elle se souvenait en riant de moi déboulant à Nîmes... Je confesse n’être pas lecteur de ses romans, de cette littérature que l’on dit populaire, mais ni par aversion ni par snobisme. Seulement parce qu’elle ne me « parle » pas, comme par ailleurs la science-fiction, la fantasy, le polar (à de très rares exceptions près), le développement personnel, l'ésotérisme, la B.D. figurent des genres qui me sont étrangers – et je m’en réjouis d’une certaine manière, car cela fait ça en moins à découvrir, lors que je sais, hélas, que je n’aurais pas assez de quarantedouze vies pour avoir le temps long et calme de lire tout ce que j’envisage de lire de poésie, de romans, de philosophie, d’essais... Je confesse n’avoir pas lu une ligne de Françoise Bourdin après « Sang et or », et je me souviens le lui avoir dit, et qu’elle me répondit par un grand éclat de rire, et qu’elle me fit déposer, la délicate, une pile de Pocket choisis de ses romans, mais que je distribuais – sans éprouver le moindre sentiment d’ingratitude, cependant -, à des amies de passage chez moi (car j’ai le sentiment que le public de sa littérature est essentiellement féminin), lors de dîners à mon domicile parisien qui s’achevaient invariablement par une répartition de livres empilés devant la porte – condition expresse établie : nul ne sortira d’ici sans plusieurs livres en mains. « Sang et or » donc, que je viens de retrouver dans le long rayon de ma bibliothèque réservé à la tauromachie littéraire. Je ne sais pas si j’ai envie de le reprendre, tant ma « desafición » est devenue grande. Peut-être, oui, quand même, en souvenir de la confiance de Denis, pour l’effervescence nîmoise de ce jour-là, pour l’émotion singulière, pour la pluie qui tombe soudain sur Bayonne ce 29 décembre 2022 après-midi, et ma moto qui se mouille avec le casque et les gants sur la selle. Pour les livres. Je vais appeler ma fille, tiens, et prendre des nouvelles du petit. L.M.
La distillerie charentaise familiale Tessendier, notamment les deux frères Jérôme et Lilian, proposent trois whiskys Arlett : un Single Malt Original, un autre Tourbé, et enfin celui que nous avons goûté, avec une finition d’un an en fût de chênes japonais Mizunara, après un vieillissement de trois ans : la moitié de l’assemblage en fûts de chêne américain neufs et l’autre moitié en fûts de bourbon. Le résultat est envoûtant, élégant, expressif et épicé mais pas trop – poivre, cradamome. Avec ce whisky aux accents « vintage, » les frères Tessandier signent une véritable déclaration d’amour à leur mère Arlette (70 cl, 55€).
par Martine Brana à Saint-Jean-Pied-de-Port – un nom qui fait référence aux petits esprits de la forêt qui sortent la nuit car ils craignent la lumière, est une perle issue de malt français brassé au Pays basque. Après une double distillation dans les alambics à repasse, ce Single Malt a vieilli quatre ans dans des barriques de l’Irouléguy blanc « maison » élaboré par Jean Brana, et ayant contenu du Petit Manseng, cépage caractéristique dont on retrouve la finesse et le fruité dans le verre. Laminak est ample, généreux, frais, correctement boisé, délicatement vanillé, et possède une belle persistance. Premier tirage : 2802 bouteilles numérotées. (70 cl, 78€).
Un chiffre modeste, mais qui paraît grand si nous le comparons à un autre bijou, dernier né de la maison Brana : 972 bouteilles seulement d’un Marc d’Irouléguy XO distillé il y a 30 ans par cépages rouges et blancs séparés, puis vieilli en fûts durant 22 ans. Cette eau de vie rare et précieuse est un régal de douceur, de puissance et de complexité, avec des notes de raisins secs, une pointe réglissée et une autre de pain grillé. C’est profond mais rond, charmeur et pour tout dire bluffant. (70 cl, 148€). L.M.




Pèlerinage émouvant de groupie assumé, hier après-midi à la tour de Montaigne, à Saint-Michel-de-Montaigne (24). Visite monacale et infiniment tranquille à l'heure où la lumière d'hiver baisse en rougissant avec componction un ciel glacé et roide. Emprunter l'escalier en colimaçon aux marches usées, voir le lit, la cheminée, des peintures murales effacées, l'âtre, ce qui faisait office de lieu d'aisance, penser la cuisine, ouvrir les fenêtres, contempler la pièce ronde du bureau surtout, les inscriptions en grec et en latin dans le bois de chacune des poutres - les citations de philosophes (au premier rang desquels loge Socrate) qui accompagnèrent Montaigne, imaginer la bibliothèque face à la table de travail, écouter le silence alors à peine troublé par un pinson et un rouge-gorge, affronter le froid d'hier et ressentir, autant que faire se peut, ce que Montaigne dut tant éprouver là afin d'y écrire ses Essais. D'où, me dis-je, la présence de trois selles d'époque, car Montaigne galopait par monts et par vaux lorsqu'il n'écrivait pas ce que, justement, il prélevait en voyageant, en frottant sa cervelle à celle de l'Autre. Par pénétration, et comme par une sorte de palimpseste, j'eus l'envie forte de croire que je pouvais me projeter instantanément entre 1533 et 1592 là même, et j'imaginai, j'ai imaginé, j'ai forcé mes sens, mes muscles, mes idées rassemblées en désordre. J'ai voulu. Le moment fut délicieux, vivifiant et d'une sereine intensité, car vide de tout élément extérieur, humain surtout. La solitude (partagée) savourée en un tel endroit me fut un cadeau du ciel. J'ai repris les Essais, ce matin, non sans avoir rangé au préalable, dans la part de rayon de ma bibliothèque consacrée à Montaigne, une bouteille qui ne se boit pas, mais qui doit loger parmi l'Oeuvre, ses éditions diverses et son exégèse. Elle porte le nom de l'auteur, car un vignoble en appellation Bergerac prospère tout autour de la tour. L.M.


La poésie militante ou insipide, pénible d'Aragon sent parfois la sueur. Ses poèmes incontinents (il perd aussi son prénom, Louis, sur les trois couvertures) proposés par Gallimard ce mois-ci :
d'hommes politiques qui comptent (Churchill, de Gaulle, Ferry, Zola, Caillaux, Briand, Herriot, Jaurès, et Hubert Beuve-Méry !..) dans le recueil
Registre voisin, Régis Debray, avec
Sénèque, 1000 pages, occupera nos prochaines après-midi. Pensez ! Oedipe, Les Phéniciennes, Hercule furieux, Hercule sur l'Oeta, Médée, Phèdre, Thyeste, Les Troyennes, Agamemnon sont capables de nous faire oublier un rendez-vous chez le dentiste. Nous y reviendrons, ici. Merci la collection folio.