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  • Txotx!

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    Papier qui paraît dans le dernier numéro de Pyrénées magazine :

    Txotx

    MOJON !

    Par Léon Mazzella. Photos : Serge Bonnet

    Le cidre basque n'a rien à envier à son rand cousin normand. Mieux : d'aucuns prétendent que ce dernier lui doit quelque chose… Reportage à Txopinondo, cidrerie basque du nord, avec Dominic, encyclopédiste du sagarno, lors du Txotx, la fête annuelle du cidre nouveau.

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    Il a beau être né en 1955 à Falaise (Calvados), Dominic Lagadec est le plus Basque des Normands, malgré un nom breton. Autant dire qu’il a toujours vécu “dans les pommes”.  L’apuru (patron) de la cidrerie Txopinondo ( "rassemblés autour d’un verre"), qu’il a créée à Ascain en 1998, est une encyclopédie du sagarno, le vin de pomme (Sagar : la pomme et no : qui vient de). 

    La définition juridique du cidre est “boisson fermentée à base de pommes”, et il est assimilé aux “vins tranquilles” blancs, rouges et rosés au regard des Douanes. Une cidrerie – le Pays basque en compte une centaine, surtout en Gipuzkoa, et en particulier autour d’Astigarraga et de Hernani –, désigne le lieu où l’on transforme les fruits cidricoles à pépins (pomme, poire, nèfle, coing…), à l’exception du raisin. Elles sont devenues au fil du temps des lieux de restauration. Certaines, comme Txopinondo, reçoivent le jus des pommes qui ont été pressées en Espagne, puis celui-ci est mis en barriques et il fermente à Ascain, jusqu’à la fête du Txotx, soit du cidre nouveau, qui a lieu autour de fin janvier - début février. Le terme, arrangé phonétiquement, dérive du basque zotz (petite branche d’arbre), et désigne le bout de bois qui obture l’orifice de la kupela (barrique de 5 000 à 15 000 litres – certaines peuvent contenir jusqu’à 30 000 litres !), par lequel jaillit un jet de cidre que l’on recueille dans son verre, à la queue leu leu et en file indienne, lorsqu’il est ôté d’un coup sec et à intervalles réguliers, au cri rassembleur de “mojon !” (ça mouille !), lors des longues soirées extrêmement conviviales et festives dans les cidreries, de l’hiver au printemps. Le succès rencontré par le rite du txotx et les cidreries en général va croissant et a vu passer la production du sagarno produit dans l’ensemble du Pays basque (nord et sud), de un million de litres en 1970 à douze millions aujourd’hui*. Cependant, 15 % seulement du cidre est consommé dans les cidreries et 85 % est mis en bouteilles. Le sagarno est largement distribué et même exporté : c’est le “French farm taste” très prisé des Américains, précise Lagadec, tout en mettant la dernière main au préparatifs de sa grande soirée : dans quelques heures, c'est l'ouverture de la fête annuelle du Txotx, à Txopinondo. 150 convives sont attendues, des personnalités comme José Mari Albero, qui dirige Sagardo Etxea à Aztigarraga, le maire-adjoint d'Ascain, Jean-Pierre Ibarboure… Les txuletas sont prêtes à être grillées, et la musique est assurée cette année par l'ensemble bayonnais Kriolinak. Le nombre de buveurs de cidre augmente donc vite, reprend notre encyclopédiste, et dépasse de beaucoup celui des pommiers! 

    Une histoire en dents de scie

    L’histoire du cidre basque a pourtant connu des vicissitudes et fait parfois du yoyo. La présence de pommiers en terre basque est attestée dans un document daté du 17 avril 1014, signé du roi de Navarre Sanche le Majeur.  Les cidreries sont nombreuses au Moyen-Âge, sur la Côte, autour de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, et l’apogée de la culture de la pomme basque se situe au XVIIe siècle. Un pèlerin de Compostelle écrivit alors de façon imagée que l’on pouvait aller “de Bayonne à Bilbao sans descendre d’un pommier”, raconte Dominic Lagadec, tout en vérifiant ses kupelas : "C'est mon 16è Txotx ici". Nous goûtons le cidre 2013, qu'il voit évoluer depuis mai : "moins alcoolisé que l'an passé, son goût est plus franc, plus sec", commente-t-il, "sa belle robe jaune paille et jus de citron est superbe. En bouche, le pamplemousse et la mandarine explosent doucement" . "Il fut même un temps où les marins pêcheurs basques et normands échangeaient leurs greffons de pommiers en pleine mer", poursuit Dominic. Réputé pour combattre le scorbut, le cidre était également embarqué pour l’usage de l’équipage. D’aucuns prétendent même que les marins basques auraient très tôt exporté leurs meilleurs pommiers vers la Normandie, où la culture du cidre se généralisa au XIVe siècle, puis s’étendit à la Picardie, à la Bretagne et à l’Angleterre. 

    Il y a un siècle encore, la Normandie achetait des pommes en Gipuzkoa, car le savoir-faire de la transformation (distillerie, mise en bouteilles) était encore inexistant en terre basque. Une variété de pomme du Pays d’Auge se nomme d’ailleurs Bisquette (de Biscaye) et une pomme basque s’appelle Normanda. L’apogée du cidre, quant à elle, date de la fin du XIXe siècle, lorsque le transport des pommes se faisait par bateau de Honfleur à Bayonne, puis par bœufs depuis Hendaye. La culture de la pomme périclite avec la fin de la pêche hauturière et l’arrivée du maïs. La consommation du cidre passe derrière celle du vin, les goûts et le commerce évoluant. La fin de la seconde Guerre mondiale met un coup d’arrêt à la culture du cidre basque, jusqu’à la fin des années soixante, où un regain d’intérêt s’amorce, qui ne fera que croître, avec la forte demande, notamment, des sociétés gastronomiques de Donostia, et la mise en bouteille du sagarno qui se généralise. La consommation du cidre s’accélère après la mort de Franco en 1975, qui voit aussi l’essor du Txakoli. Le modèle de la bouteille de cidre basque, baptisée Sagardo est déposé en 1982. Aujourd’hui, c’est un million de repas “txotx” typiques - avec  omelette à la morue, txuleta (côte de bœuf), fromage de brebis, membrillo (pâte de coing), noix et cidre à volonté (pour 30 à 35€) qui sont servis chaque année. Le sagarno, qui titre 6°, est consommé dans l’année et il ignore le sulfitage, ce qui en fait un produit plutôt naturel, que l’on peut boire (avec modération) jusqu’au bout de la nuit. Ce premier février, l'ambiance conviviale augmente avec le temps, la chaleur, les chants, le cidre, les agapes et les rires se font plus clairs, plus forts et communicatifs. Les convives, venus en famille, entre potes ou en groupes, lèvent les verres et trinquent. Dominic passe entre les longues tablées, puis repart vers une kupela en lançant un long "Mojoooon!"..  L.M.

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    (*) En règle générale, les variétés Basques de pommes entrent dans la composition du sagarno à 30 % minimum (et jusqu’à 50%), puis ce sont des variétés Normandes, et enfin Espagnoles, en provenance des Asturies et de Galice, qui servent à son élaboration.

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    Relancer la culture de la pomme

    La municipalité d’Ascain exprime sa volonté de relancer la culture de la pomme en replantant des pommiers. Le village offre déjà un pommier à la naissance de chaque Azkindar. Et l’élection d'une ambassadrice de charme, la Reine de la Pomme se tient le 15 août depuis 8 ans.

    Cidreries du nord et du sud

    À l’exception de Txopinondo à Ascain, et de quelques restaurants cidreries où l’ambiance est reconstituée, comme Ttipia à Bayonne, le Fronton à Arbonne et la Cidrerie à Biriatou, l’écrasante majorité des cidreries se situent en Guipuzkoa, notamment autour des villages d’Hernani, comme la cidrerie Zetala, et d’Astigarraga : cidreries Rezola, Bereziartua, Petritegi, Alorrenea, Zaplain ou, proche de San Sebastian, Burkaiztegi. Fini le temps des cidreries rustiques au rez-de-chaussée en terre battue des fermes aux murs tapissés de kupelas, et où l’on mangeait le repas Txotx à la bonne franquette. Les cidreries modernes sont d’immenses salles de réception un rien froides, de prime abord, mais elles ne le restent jamais longtemps…

    Fêtes du cidre

    Txotx, début février, marque l’arrivée du cidre nouveau et l’ouverture des cidreries de tout le Pays basque.

    Autour du 21 mars, Kukuaren Kupela (la barrique du coucou), est une fête printanière qui rappelle une rite ancestral : lorsque le coucou chantait (il fallait alors avoir une pièce de monnaie dans la poche !) ceux qui n’avaient pas encore consommé tout le cidre durant l’hiver, le montraient au village. C’était un signe extérieur de richesse.

    À la mi-juin, le cidre est également fêté et donne lieu à un festival de chantsIMG_2483.jpg de marins (en langues Basque, Gasconne, Bretonne et Française), qui se tient en souvenir des marins qui partaient en Terre-Neuve et au Labrador : le sagarno embarqué servait de monnaie d’échange avec les Indiens des rives du Saint-Laurent (il était troqué contre de la graisse de baleine, qui servait à s’éclairer).

    À la mi-septembre, à l’occasion des Journées du Patrimoine, le Ban du Pressage donne
    lieu, à Ascain, et à l’aide des pommes des vergers du conservatoire municipal, à des démonstrations de pressage à l’ancienne (à l’attention des écoliers) dans les vieux pressoirs comme celui de Txopinondo qui date de 1875.

    Pour Urtezahar (la veille de la St-Sylvestre), un réveillon sans cotillons (avec viandes nobles et boisson à volonté, 55 €) se tient à Txopinondo, afin d’enterrer “la vieille année”. L.M.

     

     

     

  • Du café avec quoi?

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    Papier paru simultanément dans un numéro Spécial Café de L'Express et de L'Expansion

    ALLIANCES

    Par Léon Mazzella

    Ecartons d’emblée les préparations qui contiennent du café - pâtisseries, glaces, sorbets, mousses et autres plats salés inventés par des chefs cuisiniers-, pour nous concentrer sur l’affaire très sérieuse des alliances du café et des mets, alcools et autres menus plaisirs.

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    La première des alliances, celle qui nous est proposée d’office dans la plupart des bars d’Europe, est celle du café avec un carré de chocolat noir, généralement fortement dosé en cacao (65, 75%), glissé entre la tasse et la sous-tasse, à côté d’un morceau de sucre. Notons en passant que le sucre est généralement l’ennemi de l’amateur de café, qui n’en ajoute jamais dans sa boisson fétiche. Mais les goûts et les couleurs du café composent une large palette et l’esprit d’ouverture minimal consiste d’abord à ne pas mépriser les amateurs de chocolat  au lait, voire de barres chocolatées et caramélisées, enrichies de fruits secs, comme ont tendance à le faire les ayatollahs du cacao absolu et à l’amertume extrême.

    Sfogliatella

    L’Italien, de nature gourmande, a coutume de mordre un ou plusieurs morceaux de chocolat gianduja (au praliné d’une onctuosité magnifique), avec son espresso. Le Napolitain l’est davantage, qui déguste régulièrement une sfogliatella avec son « caffè » matinal. La sfogliatella est une pâtisserie aussi typique de la Campanie que peut l’être la mozzarella di buffala. Elle possède la forme d’un amphithéâtre grec, comme à Delphes ou à Epidaure. Nous pouvons deviner dans sa forme une conque sibylline davantage qu’une corne d’abondance. Ainsi que la promesse d’un ruissellement de plaisirs n’ayant rien de financiers. Sa forme figure encore un panier d’osier de vendangeur. La sfogliatella est composée d’une dentelle en pâte brisée, d’une sorte de ruban infini, une écharpe soigneusement enroulée sur elle-même, laquelle renferme une crème pâtissière à base de ricotta, où l’on trouve des écorces d’agrumes et de la pulpe de courge, de la vanille, un soupçon de cannelle, et très peu de sucre. Avec un stretto brûlant –une larme d’esprit de café, la sfogliatella se transforme en chef d’œuvre matinal. Car ce drôle de coquillage qui exige d’être dégusté chaud, ne supporte guère le temps qui passe à pas de géant et partage avec l’éphémère, moustique inoffensif, le funeste privilège de flétrir en quelques heures.

    Plus universelle est l’alliance avec un macaron tout simple, sans parfum fruité additionné, comme celui que produit la maison Adam à St-Jean-de-Luz, ou bien un Muxu (macaron à la noisette) de la maison Pariès, luzienne elle aussi. Car le café, bien fait, assez serré, affectionne les saveurs régressives de la pâte d’amande et du pralin, ainsi que le couple sensitif mou-croquant de ces miracles de douceur devenus des best-sellers absolus que sont les macarons. Dans le même ordre de goûts, une madeleine, ou bien un financier escortent agréablement un café, voire un café au lait. 

    « Lait cafeté »

    À ce propos, comme il existe des ayatollahs du chocolat pur et amer, il y a ceux qui vouent le café au lait aux gémonies. Une femme de lettres  du XVIIe siècle, gourmande en diable, et qui a donné son nom à un célèbre chocolatier, s’inscrit en faux et nous donne des leçons d’ouverture d’esprit : la marquise de Sévigné adore le café au lait, qu’elle appelle délicieusement le « lait cafeté », ou bien le « café laité » et elle revendique son addiction. Dès le XVIIIe siècle, on attribue de nombreuses vertus au café au lait et l’augmentation de la consommation de lait suit naturellement celle de café, surtout au cours du siècle suivant. Aujourd’hui, ses vertus digestives sont contestées. Il demeure une boisson qui se marie agréablement avec un biscuit (bordelais) canelé, à cause du beurré et de la touche vanillée de cette gourmandise de fin de repas qui craque si bien sous la dent (avant d'entrer dans le mou, l'onctueux), lorsque sa cuisson, parfaite, ressemble à celle d'un foie frais poêlé a gusto. Osons même, avec le « lait cafeté », un Nuts ou un Mars ! Leurs saveurs mêlées ont un écho de goûter de l’enfance, qui nous éloigne de la rigueur gustative, par trop sérieuse, d’une truffe au chocolat avec un moka serré. Cela repose un instant les papilles de la nation.

    Le café se marie fort bien avec un sorbet rhum-raisins, avec une glace forte en fruits rouges (cassis, framboise), voire avec un tiramisu riche ne mascarpone (ce, en dépit de ce que nous énoncions au sujet des pâtisseries au goût de café : le tiramisu figure l’exception), et le contraste chaud-froid est en général du meilleur effet sous la langue.

    Le fameux « café gourmand » proposé dans nombre de restaurants français, est en général composé d’un assortiment propice à tester les alliances avec le café : canelé, sorbet, financier, macaron, mini tartelette, le composent fréquemment. Autant de mignardises allant comme un gant à notre expresso de bonne extraction.

    Nous évoquons (lire p.20) l’adjonction d’une larme d’alcool dans la tasse de café : anisette, calvados, grappa. Mais s’agissant d’alliances pures, il convient plutôt d’achever de boire son café, puis de servir dans la tasse vide et chaude (ou bien à part, dans un verre), quelques centilitres – au choix -  de rhum agricole ambré, d’armagnac, de cognac, de calvados ou encore d’un whisky correctement tourbé (Islay). La chimie fait le reste, le choc thermique sublime les arômes mêlés et d’étonnantes flaveurs jaillissent de la petite tasse comme de la Lampe merveilleuse d’Aladin. Cela peut par conséquent se révéler génial. Car en matière d’alliances, il convient de préférer marcher sans filet au-dessus de l’inconnu. L’empirisme conduit à des bonheurs insoupçonnés et, le cas échéant, le caractère rapidement évolutif des arômes et des saveurs développées par de telles fiançailles d’un instant que l’on aimerait prolonger, enfantent des feux qui ne sont jamais d’artifice. Pour finir, les amateurs savent qu’un café connaît un autre allié de respect comme on le dit d’un toro de combat noble : le cigare. Bien davantage qu’une cigarette, au champ organoleptique étroit comme une feuille de papier gommé, un cigare, de La Havane ou non, est un allié substantiel de l’espresso. Un module doux issu des Honduras ou de Saint-Domingue escorte à merveille et en toute simplicité un ou plusieurs cafés suaves aux notes grillées, fruitées, florales. Un habano boisé, épicé, au fumage par tiers allant crescendo, avec les cafés intenses et savamment épicés, un Grand Cru pure origine par exemple, aux saveurs fortes et assises, forment un couple propre à chasser les tourments du quotidien d’un revers de la main.  Le café en devient, selon le mot de Talleyrand, « noir comme  le diable, chaud comme l’enfer, pur comme un ange et doux comme l’amour. » Ainsi soit-il toujours. L.M.

     

     

  • Créer son propre blend

    photo.JPGPapier paru dans L'Express de cette semaine. Une expérience.

    Master class whiskies

    CRÉER SON PROPRE BLEND

    Par Léon Mazzella

    Quel amateur de whisky n’a pas rêvé d’élaborer son propre « blend », un whisky d’assemblage, qui lui ressemble ? Les master class organisées par Glen Turner sont l’occasion de se livrer à cet exercice particulier.

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    Ils représentent l’écrasante majorité des whiskies consommés dans le monde. 92% des whiskies écossais sont des Blends. Ils sont issus à 40% whiskies de malt, ou Pure malt (élaborés exclusivement à partir d’orge maltée, soit germée une fois humidifiée, puis séchée) et à 60% de whiskies de grain (maïs ou blé dans des proportions variables). S’ils n’ont ni la profondeur ni la complexité des Single malt (Pure malt provenant d’une seule distillerie), les « Blended » présentent l’avantage d’être chacun le fruit d’un mélange de cinq à cinquante malts issus de plusieurs distilleries, réalisé par le « Blender », ou maître de chai, dont le savoir-faire, avec l’alambic à distillation en continu, confine à l’alchimie. Notons que c’est à la faveur de l’épidémie de phylloxéra qui détruisit le vignoble européen à la fin du XIXe siècle, dont celui de la région de Cognac, que les Blends connurent un essor considérable – qui perdure. 

    La première étape de la master class animée par Charles MacLean, « maître du malt » (lire notre édition du 15 octobre), consiste, pour la vingtaine de participants (dont quatre femmes, le 5 décembre dernier), tous amateurs concernés, à déguster six whiskies représentatifs de la palette écossaise, aux saveurs tantôt florales, épicées, fruitées, caramélisées, boisées (single malt, blends), tantôt fumées, salines, marines (Islay), et dont la coloration varie en fonction de l’élevage. En effet, au-delà de la pureté des matières premières, et de la bonne conduite de la distillation, MacLean souligne l’importance du vieillissement en fûts de chêne, américains ou européens (espagnols notamment), dans l’élaboration du whisky, et son principe de métamorphose : « c’est comme si l’eau-de-vie était une chenille qui entrait dans un fût et qu’elle en sortait transformée en papillon : le whisky », dit-il. 

    A tâtons

    Les participants sont par ailleurs invités à réfléchir aux alliances gustatives avec une dizaine de snacks spécialement élaborés pour révéler les flaveurs spécifiques de chaque scotch. Qu’il s’agisse d’un sablé au parmesan et légumes confits, d’un saumon à la plancha, gingembre et citron vert, ou bien de pomme verte, de magret fumé, de tartare d’algues, de cheddar, de kumquat, d’œuf mimosa, ou encore des gambas au fenouil, l’aptitude des whiskies à soutenir des préparations audacieuses est confondante.

    Chacun est enfin avide d’en découdre avec l’étape expérimentale : être soi-même le « blender » de son propre whisky en réalisant le mélange qui convient à sa personnalité, ce à partir de cinq échantillons issus de plusieurs distilleries : quatre malts en provenance du Speyside, de l’île d’Islay, des Highlands et des Lowlands, et enfin un whisky de grain. Laisser libre cours à des dosages personnels oblige au tâtonnement, puis à forcer ou à minimiser selon son goût, le côté granuleux des Lowlands, la touche caramélisée des Highlands, le fumé et la pointe médicinale du Islay, la complexité céréalière du whisky de grain. Sans oublier d’ajouter de temps en temps un peu d’eau dans son verre au cours de l’élaboration expérimentale. Incomparable révélateur des saveurs du whisky, elle est l’alliée la plus sûre du dégustateur, blender or not.

     

     

     

  • Immense Bernard Frank

     

    Et l'immense (et regretté) Bernard Frank nous rappelle - à propos de Mauriac, qu'il assassine- un temps "que les moins de vingt ans"... Ce temps où l'écriture d'un papier, d'une critique, d'un portrait à charge ou non, exigeaient une connaissance, une finesse d'analyse, un talent en somme, que seuls les plumes de sa trempe possédaient et distillaient à l'envi, pour le plus grand bonheur d'un régiment de hussards aficionados => cliquez donc ci-après, afin de savourer correctement :  http://bit.ly/1u9LvF1

     

  • Napoléon, un genre littéraire en soi

    Capture d’écran 2014-12-10 à 16.43.29.pngJe sais, le papier est long, mais il arrive que l'on me demande d'écrire de longs papiers... Celui-ci paraît dans le hors-série volumineux de L'Express (il s'agit d'un mook de 212 pages), en kiosque jusqu'à fin février. Il évoque une fascination ambiguë, ou l'attirance-répulsion d'un personnage hors du commun, exercée à son corps plus ou moins défendant, sur les écrivains du XIXè siècle avant tout :

    UN GENRE LITTÉRAIRE EN SOI 

    Napoléon est sans doute le personnage historique qui exerce sur l’esprit des écrivains le plus de haine et d’admiration mêlées. Personnage infiniment romanesque et à l’ambiguïté propice, sa complexité est tellement hors-norme qu’il en devient unique, et fait de « l’Aigle », notamment au XIXe siècle, davantage qu’un homme, voire qu’un démiurge, un sujet qui crispe sur lui toutes les passions.

    Par Léon MAZZELLA

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    « Il neigeait.

    On était vaincu par sa conquête.

    Pour la première fois l’aigle baissait la tête. »

    Les premiers mots de « L’expiation », fameux poème de Victor Hugo extrait des « Châtiments », que l’on apprend sur les bancs d’école depuis des lustres, résument à eux seuls ce que l’auteur de « La Légende des siècles » doit à l’empereur : son lyrisme sans doute, la noblesse de son style, et son emphase peut-être. Le poème évoque la retraite de Russie, l’âpre hiver qui anéantit les grognards, et traduit l’admiration et la compassion pour un conquérant vaincu. L’historien Jean Tulard qualifie Napoléon de « mythe littéraire par excellence », dans la revue « Hors les murs », publiée par l’Ecole nationale d’administration (ENA). Le spécialiste de l’empereur rappelle que le Romantisme, totalement séduit par la démesure du personnage napoléonien, tire une leçon essentielle, qui sera sa marque de fabrique, celle de l’affirmation de l’individu.  Chateaubriand en est la plus belle illustration : l’homme comme son œuvre majeure, les « Mémoires d’Outre-tombe », sont imprégnés de cette image de l’individu « au-dessus de la mêlée » (pour reprendre l’expression que Romain Rolland utilisa au moment de la Grande Guerre, pour titrer son célèbre manifeste pacifiste). Le romantique est une sorte de double impérial, un personnage énigmatique, ténébreux, dont le mystère croît avec le silence, la réflexion supposée, la solitude, voire la réclusion volontaire, la nécessaire retraite… La théâtralité du personnage napoléonien déteint sur celle de l’écrivain. Jean Tulard observe que les romantiques ont été pris de vertige devant la rapidité de la chute de leur modèle. Le grand homme n’a cessé depuis d’inspirer les écrivains du monde entier. Certains philosophes, et non des moindres, sont fascinés : pour Nietzsche, Napoléon est « le surhomme » par définition, l’incarnation de « la volonté de puissance » – deux thèmes fondateurs de la philosophie nietzschéenne. Pour Maurice Barrès, Napoléon incarne l’exaltation du culte du moi. Une vision qui rejoint celle des Romantiques dans leur ensemble. Avec Victor Hugo, qui voyait en Napoléon un « Prométhée des temps modernes », le mythe napoléonien atteint son paroxysme. Dans l’ « Ode à la colonne », entre cent autres exemples, l’auteur des « Contemplations » écrit sans détours : « Avec sa main romaine, il tordit et mêla, dans l’œuvre surhumaine, tout un siècle fameux… ». Tulard prend soin de souligner que le personnage mythique, sculpté par la vie même de Napoléon, renvoie au vestiaire d’autres mythes ayant pourtant la peau dure, comme ceux de Don Juan et de Tristan.

    L'OGRE PEUT DEVENIR HÉROS

    Il n’est qu’à observer l’abondante production romanesque pour se convaincre de l’imaginaire développé par les auteurs de fictions de tout poil, qu’ils soient eux-mêmes héritiers du mouvement romantique, stylistes, auteurs prolixes de romans historiques, ou même de romans policiers.  Frédéric Dard sacrifia lui aussi au mythe, en donnant un San-Antonio forcément drolatique intitulé « Napoléon Pommier ». Le Corse nourrit tous les fantasmes, y compris politiques : « Il y a dans la fiction des Napoléon de droite et des Napoléon de gauche », écrit Jean Tulard. « Napoléon lui-même peut se classer à gauche – il est alors le rempart des conquêtes de la Révolution - ou à droite – c’est un tyran confisquant la liberté ». Le comte de Las Cases, auteur du « Mémorial de Sainte-Hélène », œuvre de propagande, pourrait-on dire, publié après la mort de Napoléon, a contribué à forger l’image du grand homme à la légende double : à la fois dorée et noire. Las Cases force cependant le trait doré du personnage de légende. Et cela eut pour effet de jeter les bases du bonapartisme. C’est donc dire qu’un ogre peut devenir un héros, qu’un sauveur peut se transformer en tyran, et qu’un démon peut revêtir les atours d’un dieu. Balzac est littéralement fasciné par le personnage, par l’homme et son action confondus : « ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume », écrit l’auteur de « La Comédie humaine ». Dans les « Contes bruns », il écrit encore : « … Un homme qu’on représente les bras croisés et qui a tout fait! (…) Singulier génie qui a promené partout la civilisation armée sans la fixer nulle part ; un homme qui pouvait tout faire, parce qu’il voulait tout ; prodigieux phénomène de volonté, domptant une maladie par une bataille, et qui cependant devait mourir d’une maladie dans un lit après avoir vécu au milieu des balles et des boulets… » Pour l’historien de l’art Elie Faure, c’est « un prophète des temps modernes ». Le caractère messianique dont on affuble Napoléon renforce le mythe, grave la légende, peaufine sa gloire. Stendhal – qui fut soldat de Napoléon -, sacrifie sans compter au mythe littéraire napoléonien dans ses deux romans emblématiques : « Le Rouge et le noir » et « La Chartreuse de Parme ». Napoléon apparaît, dans la « Chartreuse », comme un héros ayant l’image rassurante du père (rêvé, ou de substitution), notamment pour le personnage principal, Fabrice Del Dongo, lequel voue une admiration sans bornes à l’empereur. C’est aussi l’image du jeune général républicain monté sur un cheval fougueux que Stendhal dépeint, ou encore celle du héros par essence invincible, le conquérant qui ne se retourne pas et qui semble ignorer jusqu’à l’idée de la défaite – ce que l’histoire ne montra pas en ébréchant le mythe Napoléon. Et c’est justement les défaites, autant que l’ascension fulgurante suivie d’une chute vertigineuse, qui fascinent les écrivains, qu’ils soient romantiques ou qu’ils ne le soient plus. La faille, la fêlure, cette marque d’imperfection, ce talon d’Achille, loin d’écorner le mythe, le renforce singulièrement : « Il neigeait » !..

    L'IMAGE DU GUIDE SUPRÊME

    Avec la funeste bataille de Waterloo (« morne plaine ! »), Fabrice Del Dongo voit dans Napoléon l’incarnation de la « noble amitié des héros du Tasse et de l’Arioste ». Rien de moins. Il est à noter, ce recours fréquent aux grands auteurs classiques, aux références absolues : Jules César, Plutarque, voire aux dieux de l’Antiquité auxquels les écrivains font appel pour nourrir leurs métaphores. Julien Sorel, le héros du « Rouge et le noir », est, à un endroit du roman, littéralement fasciné par le souvenir de Napoléon, qui « s’était fait le maître du monde avec son épée ». Le roman européen, du vivant de Napoléon et peu après sa disparition, se nourrit sans retenue de valeurs qui sont autant d’ingrédients directement servis par le jeune mythe, et au nombre desquels nous comptons la gloire, la grandeur, l’ambition, la réussite, le courage, l’énergie, et puis la démesure, l’exaltation du moi, la fraternité virile, chevaleresque, l’image du guide suprême, du père des peuples -fantasmé. 

    La poésie dans son ensemble – celle des plus grands auteurs comme Hugo (le chantre par excellence, et le critique avisé aussi), Nerval (vigilant, au ton prudent, jamais grandiloquent), Vigny (fasciné, avec les traits d’un enfant, dans « Servitude et grandeur militaires »), Lamartine (auteur d’un célèbre « Bonaparte » quasiment hagiographique), Musset (qui fait de « l’immortel empereur » un modèle pour les jeunes, dans « La Confession d’un enfant du siècle »), comme celle des chansonniers populaires tels Béranger ou Debraux, des poètes mineurs qui ne connaîtront aucune gloire – la poésie générale française est traversée par l’écrasante figure de proue napoléonienne. L’image du héros – tout à tour épique, mythique, puis apothéotique, et enfin déchu-, imprègne des milliers de poèmes, au point que l’on parle aujourd’hui de « poésie napoléonienne » pour désigner cette époque largement dominée par le Romantisme, et de « muse la plus féconde des poètes » (Pierre Lebrun) du XIXe siècle, souligne Anne Kern-Boquel, auteur d’une thèse sur « Le mythe de Napoléon dans la poésie française des années 1815 à 1848 » (soit de Waterloo à la Révolution). Davantage que le roman, voire que du théâtre – qui n’est pas en reste en termes de culte du mythe napoléonien, la poésie est un genre qui se prête particulièrement à la magnificence du personnage carrément extra-ordinaire, du héros sur lequel le lyrisme et l’épopée peuvent couler comme du miel depuis une corne d’abondance. Car il est question de mythe, et pas de (simple) légende. Hissé à ce rang suprême, Napoléon rejoint Faust, au fil des strophes. La poésie, excessive comme elle sait l’être, glisse et flirte parfois avec l’exaltation mystique. L’exil, la mort (mystérieuse) du héros, le retour de ses cendres, sont autant de colonnes qui érigent une mythologie unique, et le portent encore plus haut, plus près des cieux. Car, de l’image de l’ogre et du despote, la poésie retient plus volontiers celle du sauveur, voire celle du prophète. Voulant ignorer jusqu’aux échecs, la poésie se dépolitise, pour se vouer à l’esthétisation pure, à la sacralisation d’une image, même si celle-ci commence à être la proie du passé. Charles Chassé, dans son étude sur « Napoléon par les écrivains » (Hachette, 1920), souligne que les écrivains sont passés tour à tour de l’admiration irréfléchie jusqu’en 1851, puis au dénigrement systématique jusqu’en 1887,  et sont enfin parvenus à une admiration raisonnée jusqu’à l’aube du XXè siècle. A l ‘époque napoléonienne, en marge d’une littérature de référence, d’auteurs reconnus et célèbres, il existe une littérature populaire fort dynamique en France, faite de ballades, de chansons et autres complaintes, ainsi que de pièces de théâtre qui témoignent toutes de l’admiration populaire pour le héros, avec quantité de pièces célébrant la gloire du général victorieux Bonaparte, puis celle de Napoléon empereur. L’ensemble constitue un corpus historiographique formidable de l’époque. Ce sont des pièces naïves qui procèdent d’une propagande spontanée. Elles sont jouées sans chichis par des amateurs, souvent, et sont données dans divers théâtres, surtout à Paris. Cette littérature de la simplicité et du premier degré, qui se situe en marge de l’officielle, est loin d’être négligeable, car elle agit comme un formidable vecteur de la légende dorée d’un mythe qui prend corps auprès du peuple. La littérature « officielle » est composée d’écrivains flatteurs, d’hagiographes sans états d’âme, « de laquais », lancerait Cyrano de Bergerac, tels Lacépède : « On ne peut louer dignement Sa Majesté, sa gloire est trop haute », Laplace : « Grâce au génie de l’Empereur, l’Europe entière ne formera bientôt qu’une immense famille », Bernardin de Saint-Pierre : « Enfin le ciel nous envoya un libérateur. Ainsi, l’aigle s’élance au milieu des orages ; en vain, les autans le repoussent et font ployer ses ailes, il accroît sa force de leur furie, et, s’élevant au haut des airs, il s’avance dans l’axe de la tempête, à la faveur même des vents contraires ». Le propos paraît ridicule aujourd’hui. Il ne l’était pas, lorsque l’auteur de « Paul et Virginie » prononça cet « Eloge académique de Napoléon », sous la figure d’un « héros philosophe, foudre à la main et caducée de l’autre, planant sur l’Egypte »… Et ça marche. Les peuples d’Europe sont conquis.

    SERVITUDE DORÉE OU LUTTE IMPLACABLE

    La peinture et la musique symphonique emboîtent le pas de cette littérature qui ne recule devant aucun excès, allant jusqu’à friser le ridicule, à son corps défendant. De Saint-Pierre, encore : « Mais, lorsque le bruit des canons annoncera à la capitale le retour de tes phalanges invincibles, que des foules de jeunes épouses et de filles couronnées de fleurs se précipiteront dans les rangs de tes soldats couverts de lauriers, pour y embrasser des frères et des époux qu’elles croyaient perdus ; qu’élevant leurs bras et leurs couronnes de fleurs vers ton char de triomphe elles t’environneront de danses et de chants de la reconnaissance et de la joie, c’est alors que les muses françaises, s’élevant vers la postérité, chanteront la paix que tu auras donné au monde. » Ainsi la légende dorée tissait-elle ses lauriers à un empereur choyé, narcissique et satisfait (et qui n’en demandait peut-être pas tant). La noire ne sera pas moins excessive. Passons à présent « en revue » les apôtres de la légende suivante : Chateaubriand, pourtant mesuré, dans « Apostrophe à Napoléon », Charles Nodier avec « La Napoléone », Paul-Louis Courier dans « Le Plébiscite », Benjamin Constant dans « Napoléon usurpateur », ou encore le poète Marie-Joseph Chénier et Madame de Staël, n’y vont pas de plume morte lorsqu’ils dégainent leur ressentiment. Charles Chassé énonce clairement que « Napoléon eut contre lui les écrivains et républicains et légitimistes auxquels répugnait son despotisme. » Et même si certains continuent de l’admirer en secret, comme Chateaubriand et Madame de Staël, ils finissent par exprimer leur désaccord avec l’empereur. Et c’est une prise de risque, car Napoléon ne « lâche pas la bride », selon sa propre expression, ni à la presse, ni aux littérateurs qui sont en délicatesse avec sa politique. Chassé : « il fallait à ses adversaires choisir entre la servitude dorée et la lutte implacable. Parfois ils acceptaient la servitude, de guerre lasse ». A la vérité, Napoléon supportait difficilement qu’on ne l’adule pas. Victor Hugo, dans son discours de réception à l’Académie française, prononcé en 1841, décrit l’état de l’opinion en 1800 : « Tout dans le continent s’inclinait devant Napoléon, tout – excepté six poètes, messieurs, - permettez-moi de le dire et d’en être fier dans cette enceinte, - excepté six penseurs restés seuls debout dans l’univers agenouillé (…) Ducis, Delille, Mme de Staël, Benjamin Constant, Chateaubriand, Lemercier. » Certains sont « des adversaires intermittents de Napoléon », selon l’expression de Chassé. L’empereur ne les craint pas, sauf Chateaubriand, Benjamin Constant et Madame de Staël. Le premier, qui dédia à l’empereur son « Génie du christianisme » en 1802, tourne casaque avec véhémence une première fois avec un article publié dans « Le Mercure » en 1807. Celui-ci annonce la fameuse « Apostrophe à Napoléon », qui figure dans le pamphlet « De Buonaparte et des Bourbons », publié après l’abdication de Fontainebleau en 1814. Bonaparte, puis Napoléon, occupent l’essentiel des « Mémoires d’Outre-tombe », à partir de la Troisième partie et du Livre dix-neuvième. Extrait de cet Apostrophe : « Dis, qu’as-tu fait de cette France si brillante ? Où sont nos trésors, les millions de l’Italie, de l’Europe entière ? (…) Cet état de choses ne peut durer ; il nous a plongés dans un affreux despotisme. On voulait la république, et tu nous as apporté l’esclavage (…) Où n’as-tu pas répandu la désolation ? Dans quel coin du monde une famille a-t-elle échappé à tes ravages ? (…) La voix du monde te déclare le plus grand coupable qui ait jamais paru sur la terre (…) tu as voulu régner par le glaive d’Attila et les maximes de Néron (…) Nous te chassons comme tu as chassé le Directoire… ». Constant, banni comme Mme de Staël, publie malgré tout en 1813 « De l’Esprit de conquête et de l’Usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne », pamphlet destiné à hâter le renversement de Napoléon (et à installer une monarchie constitutionnelle), au sein duquel le chapitre « Napoléon usurpateur » est d’une rare violence. L’empereur y est appelé « le lâche coquin ». Le livre devint un classique de toutes les luttes contre les régimes totalitaires. « Considérations sur la Révolution française », ouvrage inachevé et posthume (1818) de Mme de Staël (qui fut la compagne de Benjamin Constant), n’est pas moins tendre, même lorsque la femme de lettres y évoque Bonaparte avant son départ pour l’Egypte, mais ses attaques demeurent hésitantes. Chassé avance l’hypothèse d’un amour refoulé pour Napoléon qui aurait empêché la romancière d’exprimer sa grande déception (ou inconsciente frustration). Bien qu’interdite de séjour sur le sol français par l’empereur, qu’elle gênait, et en exil en Suisse dès 1803, Germaine de Staël nourrit ce fameux et largement partagé sentiment ambigu d’attirance-répulsion à l’égard du souverain. « Il m’intimidait toujours davantage. Je sentais confusément qu’aucune émotion du cœur ne pouvait agir sur lui. Il regarde une créature humaine comme un fait ou une chose, mais non comme un semblable. Il ne hait pas plus qu’il n’aime ; il n’y a que lui pour lui ; tout le reste des créatures sont des chiffres. La force de sa volonté consiste dans l’imperturbable calcul de son égoïsme… ». Chassé souligne qu’« il y a (là) comme une plainte personnelle qui teinte de discrétion ses remontrances ».

    LES AUTEURS RUSSES LUI VOUENT UN VÉRITABLE CULTE

    Napoléon exerce une fascination égale chez les écrivains étrangers. En Allemagne, les romanciers, francs-maçons pour la plupart, considèrent Napoléon comme l’empereur maçon qui devait octroyer la paix à l’Europe, précise Charles Chassé. Goethe décrit un génie, Fichte oscille entre admiration et dégoût, Kleist exprime sa haine napoléonienne à travers un personnage de « La Bataille d’Arminius ». Les Anglais Wordsworth, Walter Scott, Thomas Hardy, ou Coleridge, ne sont guère tendres. Outre-Manche, le fiel des poètes et des romanciers est en effet des plus denses à l’égard de celui qui leur inspire la terreur. Les auteurs russes vouent quant à eux un véritable culte à Napoléon, mais ils sont parfois aussi peu indulgents à l’égard de l’empereur et de la France, que le sont les écrivains espagnols. Cependant, c’est la fin du martyre  de Sainte-Hélène, et la mort de l’empereur qui amoindrit le ressentiment de certains. Pouchkine tourne ainsi casaque : du vivant de l’empereur, sa poésie contre lui est véhémente et post-mortem, elle devient admirative. Même revirement assorti de trémolos dans les vers, chez les Anglais Shelley et Byron, et chez le Français Lamartine notamment dans les « Nouvelles méditations poétiques ». Quelques années après sa disparition, la légende de Napoléon est réhabilitée à grand fracas, en France comme partout ailleurs, dans le roman, le théâtre et la poésie. Le retour des cendres du grand homme produit un choc et génère une empathie posthume qui transpire de certains livres. Les admirateurs tardifs les plus  éblouis, les plus épiques, sont les écrivains polonais tel Mickiewicz, ou l’Anglais Browning. Le temps du « dénigrement systématique » à l’égard de la mémoire napoléonienne, envahit l’ensemble de la littérature.

    DE LA HAINE À LA COMPASSION

    Cette période sera suivie d’une autre, où planera une « admiration raisonnée » pour l’empereur, ce jusqu’à l’aube des années 1920. Sauf peut-être en Russie, ou un Léon Tolstoï écrit avec mesure et justesse sur la gloire de l’empereur –mais aussi au sujet de la vanité de celui-ci-, en particulier dans « Guerre et Paix ». Le grand auteur avait été terrifié par le culte voué à Napoléon lorsqu’il visita Paris en 1858, déclare l’historienne Natalia Bassovskaïa. Tolstoï écrit d’ailleurs avec lucidité que « comme la guerre est déshumanisante, la figure de Napoléon n’est pas héroïsée ». Bassovskaïa souligne que le personnage (romanesque) napoléonien, d’abord dépeint sous les traits d’un « monstre corse », provoquera, après sa chute, une compassion qui ne sera cependant jamais univoque, tant chez Dostoïevski (qui se comparait volontiers à Bonaparte), que chez Lermontov ou Pouchkine. « Les classiques de la littérature russe n’avaient pas de tentation de se réjouir de son échec », énonce l’historienne. Qui ne manque de préciser que les femmes écrivains, à l’instar de Mme de Staël, et à l’image de la grande poétesse Marina Tsvetaïeva, sont plus volontiers passionnées, et comme irrationnellement captives, sous le charme de Napoléon. Voire secrètement amoureuses. Tsvetaïeva voue un véritable culte à l’empereur, allant jusqu’à décorer son intérieur d’images et de portraits de son héros absolu. Une vraie fan. Ailleurs, l’Allemand Nietzsche affûte son jugement dans « Le Gai savoir » en voyant dans Napoléon le modèle du « bon européen ». Les Français Maurice Barrès, Anatole France, entre autres, ou Rostand au théâtre, avec « L’Aiglon », ont la plume désormais apaisée. Une sorte de consensus se fait jour, en particulier dans le roman, qui se trouve débarrassé de parti-pris extrêmes. Il n’y aura jamais plus ni adoration ni haine péremptoires, mais des personnages romanesques à l ‘équilibre, ayant tiré peut-être les leçons de l’histoire. L’un des exemples les plus récents et des plus marquants de l’inspiration napoléonienne dans le roman, est La Bataille, de Patrick Rambaud (Grasset), qui obtint le Goncourt et le Grand prix du roman de l’Académie française, en 1997. Le livre (premier volet d'une trilogie, avec Il neigeait, et L'Absent), retrace la bataille d’Essling (21 et 22 mai 1809, près de Vienne). Balzac projetait d’écrire ce livre. Rambaud l’a fait. A n’en pas douter, l’immense succès du roman est à mettre pour partie au crédit de son inspiration napoléonienne. Le grand homme que l’on se plait à détester fascinera encore longtemps écrivains et lecteurs. L.M.

     

  • Le nouveau "mook" de L'Express


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    De nombreux articles sur le héros absolu, l'homme-légende, l'homme-Histoire, l'homme-destin... J'y signe le papier sur la funeste campagne d'Espagne de l'empereur, qui fut si meurtrière, avec notamment la conférence de Bayonne, au château de Marracq, ainsi qu'un long article sur Napoléon pris comme un genre littéraire en soi, ou : l'attirance-répulsion, depuis Hugo, Chateaubriand, Madame de Staël et jusqu'à Patrick Rambaud, pour un personnage qui fascine étrangement écrivains et lecteurs. 

    212 pages. En kiosque.

  • Avec ou Cent titres

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    Merveilleux petit livre que celui de Clémentine Mélois, Cent titres (Grasset), qui s'amuse (merci le logiciel Photoshop) à détourner avec humour les titres 

    IMG_2363.JPGd'oeuvres célèbres, avec ses couvertures reloaded. Voici donc "Maudit bic", de Melville, Wifigénie, de Racine, "Lexomil et le royaume", de Camus,  "Mais si", de Simenon, "Cabernet-Sauvignon", de Maurice Merlot-Ponty, "Le ravissement de Lol mdr V. Stein", de Duras, "Tendre elle m'ennuie", de Fitzgerald, et parmi les petitsIMG_2362.JPG derniers que l'on ne trouve encore que sur sa page facebook : Perec "Et le pot au lait", Emile Ajax, "Laver devant soi" et d'autres perles... Le projet est délicieusement absurde, oulipien, c'est du nonsense pur, de l'humour déjanté comme on aime, et la démarche dénote un grand amour des livres et de la littérature. Le livre-cadeau (10€) par excellence, le 23 ou le 24, quand on sera à la bourre...