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Il Gattopardo


« Nunc et in hora mortis nostrae. Amen. »
La récitation quotidienne du Rosaire était finie. Pendant une demi-heure la voix paisible du Prince avait rappelé les Mystères Douloureux ; pendant une demi-heure d’autres voix, entremêlées, avaient tissé un bruissement ondoyant d’où s’étaient détachées les fleurs d’or de mots inaccoutumés : amour, virginité, mort ; et pendant que durait ce bruissement le salon rococo semblait avoir changé d’aspect ; même les perroquets qui déployaient leurs ailes irisées sur la soie de la tenture avaient paru intimidés ; même la Marie Madeleine, entre les deux fenêtres, ressemblait davantage à une pénitente qu’à une belle grande blonde, perdue dans on ne sait quels rêves, comme on la voyait toujours.

« Nunc et in hora mortis nostrae. Amen » Le rosaire quotidien s’achevait. Pendant une demi-heure, la voix paisible du Prince avait rappelé les Mystères glorieux et douloureux, pendant une demi-heure, d’autres voix mêlées avaient tissé un bruissement ondoyant où s’épanouissaient les fleurs d’or de mots insolites : amour, virginité, mort. Le salon rococo semblait avoir changé d’aspect ; les perroquets eux-mêmes, qui déployaient leurs ailes irisées sur la soie des tentures, paraissaient intimidés ; quant à Madeleine, entre les deux fenêtres, elle prenait des airs de pénitente ; ce n’était plus la belle blonde opulente qu’on voyait d’habitude, perdue dans Dieu sait quelles rêveries.

 

Voici le début du Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Deux traductions. Je ne les ai pas signées ci-dessus, volontairement. Afin de jouer un peu. Il y a celle en vigueur depuis 1959 de Fanette Pézard et celle de mai 2007 de Jean-Paul Manganaro, qui a donc chassé la première. Les deux au Seuil. Je vous mets au défi de les identifier et de m'écrire, surtout, ce qu'apporte réellement la nouvelle. En n'importe quel point, d'ailleurs. Il n'y a pas que la "modernité", il y a la langue, l'esprit, la littérature, le ressenti, tout quoi.

Car lorsqu'il s'agit de la nouvelle traduction de La Ferme africaine de Karen Blixen (Gallimard, déjà en folio), de celle de tout Conrad (*) par Odette Lamolle chez Autrement, je m'incline. Lorsque Jacques Tournier "donne" un nouveau Fitzgerald essentiel (Gatsby, Tender...) à Belfond, je m'interroge sur le ramdam autour d'une trad. qualifiée de révolutionnaire. Idem pour Dostoïevsky chez Actes Sud. Quant à celle de Juan Rulfo (Pedro Paramo, le Llano en flammes) chez Gallimard, désolé, mais je préfère le Llano paru chez Maurice Nadeau, plus opulent, plus sud-américain. (Je n'ai lu aucun Ulysse, de Joyce, ni l'ancien, ni le nouveau -présenté lui aussi comme un "nouveau" texte...).

Traduire est un acte capital. Et je ne parle même pas de ceux qui disent que tel livre est très bien traduit. La plupart du temps, ces snobs n'ont pas jeté un oeil sur le texte original. Mais force est de constater, en revanche, que tout l'oeuvre de Miguel Torga, traduite par Claire Cayron et elle seule (chez José Corti surtout), est un ravissement... dû à Torga avant tout. Mais pourquoi alors parler de sa traductrice?.. Je m'interroge. Et je ne parle malheureusement pas un mot de Portugais.

Voilà. A vos claviers. J'attends votre avis sur la nécessité de retraduire Le Guépard (à partir de ces premières lignes seulement, je m'en excuse, mais je ne me sentais pas de saisir davantage de texte ce matin. Et ne trichez pas, c'est pas jeu!) ou tel autre grand roman, si l'on n'est pas éditeur en mal de communication.

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(*) Un mot sur le petit livre délicieux et précieux de Jospeh Conrad qui paraît aux EquateursDu goût des voyages, suivi de Carnets du Congo. Traduits et commentés par Claudine Lesage, ces courts textes nous éclairent sur le maître-livre de Conrad, pour la plupart d'entre nous : Au coeur des ténèbres. 

Commentaires

  • déjà, le maître -livre de Conrad, c'est à mon humble avis La ligne d'ombre qui avec au bout du rouleau notamment reparus à l'époque chez autrement , m'avaient bouleversé. bien sur il ne s'agit pas de trouver quoi que ce soit à redire sur "Au coeur des ténèbres" tellement fort que Coppola après adaptation à sa sauce, en a tiré sson apoclaypse now ( films sur la morale comme on en fait peu) pour ce qui est des trads, je ne saisis pas bien les nuances entre les deux, à part, peut-être , une plus grande fluidité de la phrase à la lecture de la seconde...

  • Tout d'abord, un mot sur l'art de la traduction. Le traducteur est presque aussi important que l'auteur lui-même. C'est lui qui a la tâche de nous transmettre le texte originel sans le trahir et tout en l'adaptant à une autre langue. Moi qui doit traduire des textes espagnols (sans compter le latin) toutes les semaines avec des exigences assez élevées vues le concours que je prépare (bon, là c'était le passage où je me la pète un peu...), je me rends compte de la difficulté qu'il existe à traduire. Il faut tenir compte de toutes les tournures idiomatiques qui ne peuvent pas se rendre dans notre langue, les adapter sans trahir la prose de l'auteur etc... Seule une bonne traduction transmettra le souffle d'un texte et fera ressentir le talent de l'auteur. Le traducteur doit choisir le bon mot, il doit réfléchir à chaque instant pour traduire au plus près le texte tout en se détachant d'un mot à mot inadapté. Son rôle est excessivement exigent et il est indispensable de citer le nom du traducteur. Chaque traduction donne son propre souffle à un texte sans pour autant trahir l'auteur. Rappelez-vous la traduction de Zarathoustra. La nouvelle traduction lui a donné un nouveau souffle sans pour autant avoir trahir le texte originel... Mais bon, le mieux est quand même de lire la langue de l'auteur... Ouai... c'est pas gagné...

    Ici, je pense que la seconde traduction est la plus récente. D'abord par ressenti, comme ça, d'instinct (même si je pense que vous n'auriez pas placé les traductions dans l'odre, tant pis). Puis certain mot me semble plus moderne que d'autres comme "mots insolites" au lieu de "mots inaccoutumés". Cela dit on peut faire la même chose dans l'autre sens avec "une belle grande blonde" qui semble plus moderne que "la blonde opulente"... Bref, je me contredis moi-même. Cela dit, pour ce qui est de la forme pure, je trouve le second texte beaucoup plus fluide, moins saccadé et avec des tournures moins lourdes: l'ellision du "et pendant que durait ce bruissement" qui n'est pas vraiment util et apporte un peu de pesanteur au texte1 ou la ponctuation qui saccade plus le premier texte.
    Je trouve les deux traductions complètement différente. La première ressemble plus à une simple descrition. Même si le lecteur comprend qu'il y a eu un changement, la traduction est plutôt passive. La seconde traduction est beaucoup plus vivante. Le changement est vivant (oui, terme mal choisi mais bon). Deux éléments sont primordiaux. D'une part, la coupure avant "le salon rococo" donne une nouvelle impulsion. Alors que la première traduction étouffait cette partie dans une longue phrase que je trouve personnellement trop pesante, la seconde traduction met en relief le changement du salon. D'autre part, la partie où il est question de Madeleine. Grâce à l'emploi de la tournure "quant à", le traducteur met en relief le personnage et peut reprendre par un pronom qui cré un phénomène d'amphase. Puis, l'adverbe de négation "plus" insiste sur le bouleversement. Quelque chose a changé, c'est fait, le changement a eu lieu. La première traduction donne moins de vigueur à ce changement, tout semble plus plat, sans doute par choix. Le traducteur doit penser que l'auteur n'insite pas dnas la forme sur ce changement. En fait, tout est question de choix, mais personnellement je trouve bien les deux traductions profondément différentes. Elles ne transmettent pas la même impression au lecteur et elles n'insistent pas avec la même vigueur sur le changement. Pour moi, la seconde traduction est plus vivante. Laquelle est la plus proche de la volonté de l'auteur?.... That is la question... Et à vrai dire, peut importe, on peut sans doute savourer les deux textes et apprécier le travail des deux traducteurs.

    P.S: pardon pour les fautes d'orthographe... 5je sais pas s'il y en a mais bizarrement j'suis persuadé que si...)

    TiBo

  • Oula, je répète, pardon pour les fautes... j'ai honte!

  • perso, je persiste, après relecture plus au calme ( le guépard avec " dora l'exploratrice en fond sonore" c'est un grand moment de solitude...ou comment La lecture de Lampedusa peut doucement vous rendre P4) et préfère toujours la dernière traduction, encore une fois pour sa fluidité, l'impression qu'elle donne à la lecture de couler toute seule. j'ajoute que cette préférence est d'ordre sonore...toujours cette idée de l'image sortant du son. la première me semble ( je le dis entre parenthèses car le corps du texte est là et bien là) un chouilla plus lourde, empesée.

    ps: cher Tibo je ne doute pas une seconde de votre future réussite à vos exams

  • Moi aussi je préfère la seconde, et pour les mêmes raisons que vous. Et même si j'avais écrit des trucs collés au texte lui-même, d'un point de vu de lecteur et d'amateur de poésie la sonorité me berce beaucoup plus.
    Je partage entièrement votre avis.

    P.S: merci!

  • BON. Alors, tout d'abord merci de vos riches contributions, amigos! And the answer is : la première traduction est la plus récente!.. Comme quoi, hein. D'accord avec toi Tibo sur la poésie, la fluidité et avec toi Benoît, sur la musique -de la seconde, qui a 49 ans. Je n'ai pas encore lu "La ligne d'ombre" et cela ne devrait donc plus tarder, Benoît. Merci! Quant au Zarathoustra, tu as 1000 fois raison Tibo! D'ailleurs je l'ai relu dans sa nouvelle traduction, l'été dernier, laquelle en fait un immense poème philosophique, tandis que la précédente (du Livre de Poche) était moins aérienne, voire pâteuse. Et ce n'est pas Onfray qui me contredira, dont je vais bientôt prendre le Journal hédoniste, tome IV. Encore merci de vos si sagaces remarques. Et n'hésitez pas à "faire passer le ballog" (le ballon-blog) à vos amis, ainsi il pourrait y avoir, ici, une sorte de buzz, un petit forum, un modeste lieu d'échange d'impressions, de sensations, de réflexions, de coups de coeurs, de coups de gueule... @ très vite. L

  • Putain (ah ces jeunes! Quelle vulgarité!...), j'me suis gouré. J'en étais sûr, instinctivement c'était impossible que vous ayez placé les traductions dans l'ordre... Bon, ok, c'est un peu de la psychologie de bas étage. Bref... Comme quoi, c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes!

  • Je ne sais pas trop qu'en penser. Il faut que je relise entièrement ce "Guépard"dans sa nouvelle traduction, avec l'ancienne à portée de main.

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