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  • Du café avec quoi?

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    Papier paru simultanément dans un numéro Spécial Café de L'Express et de L'Expansion

    ALLIANCES

    Par Léon Mazzella

    Ecartons d’emblée les préparations qui contiennent du café - pâtisseries, glaces, sorbets, mousses et autres plats salés inventés par des chefs cuisiniers-, pour nous concentrer sur l’affaire très sérieuse des alliances du café et des mets, alcools et autres menus plaisirs.

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    La première des alliances, celle qui nous est proposée d’office dans la plupart des bars d’Europe, est celle du café avec un carré de chocolat noir, généralement fortement dosé en cacao (65, 75%), glissé entre la tasse et la sous-tasse, à côté d’un morceau de sucre. Notons en passant que le sucre est généralement l’ennemi de l’amateur de café, qui n’en ajoute jamais dans sa boisson fétiche. Mais les goûts et les couleurs du café composent une large palette et l’esprit d’ouverture minimal consiste d’abord à ne pas mépriser les amateurs de chocolat  au lait, voire de barres chocolatées et caramélisées, enrichies de fruits secs, comme ont tendance à le faire les ayatollahs du cacao absolu et à l’amertume extrême.

    Sfogliatella

    L’Italien, de nature gourmande, a coutume de mordre un ou plusieurs morceaux de chocolat gianduja (au praliné d’une onctuosité magnifique), avec son espresso. Le Napolitain l’est davantage, qui déguste régulièrement une sfogliatella avec son « caffè » matinal. La sfogliatella est une pâtisserie aussi typique de la Campanie que peut l’être la mozzarella di buffala. Elle possède la forme d’un amphithéâtre grec, comme à Delphes ou à Epidaure. Nous pouvons deviner dans sa forme une conque sibylline davantage qu’une corne d’abondance. Ainsi que la promesse d’un ruissellement de plaisirs n’ayant rien de financiers. Sa forme figure encore un panier d’osier de vendangeur. La sfogliatella est composée d’une dentelle en pâte brisée, d’une sorte de ruban infini, une écharpe soigneusement enroulée sur elle-même, laquelle renferme une crème pâtissière à base de ricotta, où l’on trouve des écorces d’agrumes et de la pulpe de courge, de la vanille, un soupçon de cannelle, et très peu de sucre. Avec un stretto brûlant –une larme d’esprit de café, la sfogliatella se transforme en chef d’œuvre matinal. Car ce drôle de coquillage qui exige d’être dégusté chaud, ne supporte guère le temps qui passe à pas de géant et partage avec l’éphémère, moustique inoffensif, le funeste privilège de flétrir en quelques heures.

    Plus universelle est l’alliance avec un macaron tout simple, sans parfum fruité additionné, comme celui que produit la maison Adam à St-Jean-de-Luz, ou bien un Muxu (macaron à la noisette) de la maison Pariès, luzienne elle aussi. Car le café, bien fait, assez serré, affectionne les saveurs régressives de la pâte d’amande et du pralin, ainsi que le couple sensitif mou-croquant de ces miracles de douceur devenus des best-sellers absolus que sont les macarons. Dans le même ordre de goûts, une madeleine, ou bien un financier escortent agréablement un café, voire un café au lait. 

    « Lait cafeté »

    À ce propos, comme il existe des ayatollahs du chocolat pur et amer, il y a ceux qui vouent le café au lait aux gémonies. Une femme de lettres  du XVIIe siècle, gourmande en diable, et qui a donné son nom à un célèbre chocolatier, s’inscrit en faux et nous donne des leçons d’ouverture d’esprit : la marquise de Sévigné adore le café au lait, qu’elle appelle délicieusement le « lait cafeté », ou bien le « café laité » et elle revendique son addiction. Dès le XVIIIe siècle, on attribue de nombreuses vertus au café au lait et l’augmentation de la consommation de lait suit naturellement celle de café, surtout au cours du siècle suivant. Aujourd’hui, ses vertus digestives sont contestées. Il demeure une boisson qui se marie agréablement avec un biscuit (bordelais) canelé, à cause du beurré et de la touche vanillée de cette gourmandise de fin de repas qui craque si bien sous la dent (avant d'entrer dans le mou, l'onctueux), lorsque sa cuisson, parfaite, ressemble à celle d'un foie frais poêlé a gusto. Osons même, avec le « lait cafeté », un Nuts ou un Mars ! Leurs saveurs mêlées ont un écho de goûter de l’enfance, qui nous éloigne de la rigueur gustative, par trop sérieuse, d’une truffe au chocolat avec un moka serré. Cela repose un instant les papilles de la nation.

    Le café se marie fort bien avec un sorbet rhum-raisins, avec une glace forte en fruits rouges (cassis, framboise), voire avec un tiramisu riche ne mascarpone (ce, en dépit de ce que nous énoncions au sujet des pâtisseries au goût de café : le tiramisu figure l’exception), et le contraste chaud-froid est en général du meilleur effet sous la langue.

    Le fameux « café gourmand » proposé dans nombre de restaurants français, est en général composé d’un assortiment propice à tester les alliances avec le café : canelé, sorbet, financier, macaron, mini tartelette, le composent fréquemment. Autant de mignardises allant comme un gant à notre expresso de bonne extraction.

    Nous évoquons (lire p.20) l’adjonction d’une larme d’alcool dans la tasse de café : anisette, calvados, grappa. Mais s’agissant d’alliances pures, il convient plutôt d’achever de boire son café, puis de servir dans la tasse vide et chaude (ou bien à part, dans un verre), quelques centilitres – au choix -  de rhum agricole ambré, d’armagnac, de cognac, de calvados ou encore d’un whisky correctement tourbé (Islay). La chimie fait le reste, le choc thermique sublime les arômes mêlés et d’étonnantes flaveurs jaillissent de la petite tasse comme de la Lampe merveilleuse d’Aladin. Cela peut par conséquent se révéler génial. Car en matière d’alliances, il convient de préférer marcher sans filet au-dessus de l’inconnu. L’empirisme conduit à des bonheurs insoupçonnés et, le cas échéant, le caractère rapidement évolutif des arômes et des saveurs développées par de telles fiançailles d’un instant que l’on aimerait prolonger, enfantent des feux qui ne sont jamais d’artifice. Pour finir, les amateurs savent qu’un café connaît un autre allié de respect comme on le dit d’un toro de combat noble : le cigare. Bien davantage qu’une cigarette, au champ organoleptique étroit comme une feuille de papier gommé, un cigare, de La Havane ou non, est un allié substantiel de l’espresso. Un module doux issu des Honduras ou de Saint-Domingue escorte à merveille et en toute simplicité un ou plusieurs cafés suaves aux notes grillées, fruitées, florales. Un habano boisé, épicé, au fumage par tiers allant crescendo, avec les cafés intenses et savamment épicés, un Grand Cru pure origine par exemple, aux saveurs fortes et assises, forment un couple propre à chasser les tourments du quotidien d’un revers de la main.  Le café en devient, selon le mot de Talleyrand, « noir comme  le diable, chaud comme l’enfer, pur comme un ange et doux comme l’amour. » Ainsi soit-il toujours. L.M.