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  • Lire les potes, avant les vacances

    Olivier Frébourg (La grande nageuse, au Mercure de France), Christian Authier (De chez nous, chez Stock), Stéphane Guibourgé (Les fils de rien, les princes, les humiliés, chez Fayard), Sophie Avon (Dire adieu, au Mercure), sont des amis qui écrivent de très bons livres et qui publient chacun leur nouvel opus. J'ai lu celui d'Olivier Frébourg, paru en mai comme celui de Sophie Avon, et celui de Christian Authier, qui paraît fin août, comme celui de Stéphane Guibourgé. J'ai entamé le Avon, je suis dans le Guibourgé depuis hier, pris, fortement, comme dans un piège, comme j'ai été délicieusement pris au piège de la lecture des livres de Frébourg et de Authier. Avec Avon, c'est différent, car le sujet est douloureux (la perte de la mère), je le reprendrai du début, plus tard.

    téléchargement.jpegLa grande nageuse est mi-Bretonne, mi-Vietnamienne, elle nage chaque jour (à la manière d'un trio très Jules et Jim à la fin du Château d'Argol, de Gracq) et étudie la notion d’otium dans l’œuvre de Sénèque (ce cercle de loisir et d’oisiveté chez les Anciens, le fondement même de leur sagesse). Le cheveu court, les jambes longues, silencieuse, hiératique, mystérieuse, un corps splendide et une dimension intérieure fascinante, Marion est la fille de « la belle Gaëlle », l'outre-mère que les garçons, dont le narrateur, fantasmaient, enfants, entre le tennis et la plage. La presqu’île de Quiberon et les îles lointaines, antillaises, sont le cadre de ce roman de la rédemption. Lui est marin. Navale. Il grimpe vite les échelons et commande le Jaguar, ce qui nous vaut des pages d’anthologie, lors d’une tempête, où l’on sent Schoendoerffer et Conrad à la rescousse, sur la passerelle – mais ça reste du Frébourg, un auteur qui sait commander aux mots et aux éléments. Il est marin, et aspire de plus en plus à n’être que peintre. Le bleu l’habite autant que la mer. A bord, les pinceaux accaparent son esprit. Il est fou de Marion. Ces deux guetteurs font un enfant, Louise, vivent un temps à Fort-de-France, puis à Brest, vont se marier au Vietnam, la moitié des terres de ses origines à elle. Son second prénom, Bao Ngoc, signifie perle précieuse. Il navigue, à l’estime, ne doute de rien, surtout pas de sa grande nageuse, de sa figure de proue. « Mon monde, ma beauté, mon inquiétude. Ma folle raison. (…) Mon temps. » Les soupirs sont son langage de résistance à elle. Mais nul ne sait que la mer est capable de réunir et de séparer les amants, aussi sûrement que le mariage trace des chemins parallèles qu’aucun officier de quart ne remarque. 

    téléchargement (1).jpegDe chez nous dit doucement, presque en chuchotant, que « la fidélité, la générosité, le désintéressement, la solidarité, la grandeur d’âme, la sincérité, le don de soi, la simplicité, l’humilité, le goût pour ce qui élève » ne sont pas des valeurs à la hausse. Ce sont pourtant celles de Christian Authier, qui vilipende « le spectacle de la bêtise conquérante, de la laideur généralisée, des vaines ambitions, de la cupidité, du mensonge nous transformant en exilés de l’intérieur ».  D’où sa recherche d’un « chez nous », ici, maintenant, plus tard, dont il retrouve les traces dans l’Histoire, convoquant tour à tour des Résistants, des héros oubliés, « étrangers » à une certaine patrie mais plus investis dans le destin d’une cause que d’autres, confits dans la naphtaline de leur naissance et d’une piètre existence. Authier, avec le talent d’un conteur tendre, et l’art de la liaison (apprise sur les bancs de Sciences-Po), passe du foot (l’une de ses passions) au cinéma (une autre !), de la guerre d’Algérie aux desperados des banlieues, des vins naturels produits par des vignerons « ovni » sur les bords à la littérature pour happy few, celle qui ne fait d’autre bruit que celui des pages que l’on tourne, mais qui résonne dans nos cœurs… Authier convoque, mais ne bat pas le rappel. Aucune acrimonie dans son essai littéraire en diable, dans ce livre inclassable, né d’un pari (écrire sur ce concept, « de chez nous »), aucune aigreur, à peine un sentiment de s’être trompé de siècle, mais il en profite pour scruter son époque, avoue ne pas comprendre ces hordes de congénères concentrés sur leurs écrans tactiles… Et cela donne des pages d’une grande lucidité, voire d’une grande candeur, et l’on pense à Kléber Haedens, à Blondin, à Chardonne un peu. Il cite justement Jacques Perret : « Nous sommes de ceux qui préférons l’honneur et ses réflexes à la conscience et ses positions latitudinaires. » Car Authier est de ces hommes capables de pleurer devant la dédicace amicale d’un footballeur désintéressé marquant un but décisif, de ces lecteurs de l’histoire qui s’émeuvent devant un Hélie de Saint-Marc en « pèlerin d’un apaisement et d’une compréhension mutuelle » toute camusienne, en pleine guerre d’Algérie encore sans nom, qui déplorent, dans un bureau de Poste, « la déshumanisation tranquille et la barbarie douce » d’un quotidien aseptisé au sein duquel il ne trouvera jamais sa place. Authier a la nostalgie rieuse et il n’est dupe de rien, il a comme d’autres camarades d'une armée des ombres qui ne fuient rien, des « rêves entourés d’eau », et sa déviance irrégulière garde une oreille attentive aux « êtres vivant au seuil d’eux-mêmes car il fait trop sombre à l’intérieur ». C'est son côté Bove, Perros, Delteil, une mélancolie tonique en plus. Parfois, il tape du poing, s’indigne que l’on réduise les pauvres à des condamnés à la révolte sociale, à des victimes de l’exclusion, auxquels on nie l’accès aux valeurs morales de solidarité, de loyauté, de générosité… Il pense à une France qui s’incarne « dans un panel d’attitudes, de pensées, de réflexes, de mots, de songes, de fidélités, d’espérances… » En humaniste qui place l’amitié au-dessus de tout, il nous apparaît aussi comme un irréductible « réfractaire aux soifs contemporaines, n’exigeant pas d’avoir tout, tout de suite, préférant les contraintes choisies aux conventions qui humilient ». Et c’est ainsi qu’Allah est grand, aurait conclu Vialatte, du haut de sa Montagne...

     

    à suivre : 

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    Lectures à venir (de vacances, peut-être) : 

    Le petit Bouddha de bronze, de (encore un pote) Frédéric Musso (L'harmattan);

    Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud (Actes Sud);

    Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal (Verticales);

    Une enfance de rêve, de Catherine Millet (Flammarion);

    Le Vin des morts, (inédit) de Romain Gary (Gallimard);

    La Flûte des origines, de Kusdi Erguner et Dominique Sewane (Plon/Terre humaine);

    Rue Darwin, de Boualem Sansal (folio);

    Et quelques autres, dont : Tous les bars de Zanzibar, de David McNeil (Gallimard), En Patagonie, de Bruce Chatwin (Poche)...