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  • Chez le libraire, six

    6
    Le hasard existe-t-il ? Je pose le stylo, prends l’air glacé, reviens avec une brouette de bûches, saisis un livre que je ne connais pas.
    Et je tombe sur cette parole de Salomon, placée en exergue du second chapitre du « Salon du Wurtemberg », de Pascal Quignard : « Il y a quatre choses que je ne sais pas : le chemin de l’aigle dans le ciel , le sentier du serpent sur le rocher, le chemin du navire en haute mer, le sentier du nom d’un homme dans le cœur d’une femme ».
    Je m’assois. Comme je me trouve dans une maison que mes amis J.P. et G. m’ont prêtée, sur l’île de Ré, je sors, enfourche un vélo et file à la librairie du port (l’homme est un vrai amoureux des livres, un délice, et il m’est toujours agréable de discuter avec lui), l’espoir chevillé aux pédales et aux poignets, qu’il aura ce livre en Folio dans ses flancs. C’est plus fort que moi : il me faut l’acquérir immédiatement, thésauriser (ah! le thésor des pirates!), l'ajouter au trésor que constitue ma bibliothèque (c’est elle qui m’a toujours empêché d’acheter une maison –mais j’habite en elle, et je finirai peut-être enseveli sous eux).
    Je dispose pourtant du livre –en collection blanche de surcroît-, et j’ai le temps de le lire ici : une semaine va se dérouler lentement comme un tapis volant, devant moi!
    Mais non : il me faut interrompre immédiatement cette lecture naissante, et lire mon exemplaire.
    Pouvoir l’annoter au crayon. Le tatouer de mes émotions...
    Avec les livres, je suis possessif comme on peut l’être avec ceux que l’on aime.
    Et c’est aussi pourquoi, chez le libraire, j’acquiers.

    (fin)

  • A palo seco

    Le cante jondo (hondo), le chant profond, exprime le génie dramatique, l’essence même du flamenco. Il peut jaillir n’importe où, souligne Michel del Castillo, qui écrit notamment : « Le flamenco est un style, une manière de se tenir debout, les reins cambrés, le menton relevé (…). C’est une posture de défi ironique, une attitude d’indifférence et de mépris. On feint d’ignorer le danger, on s’amuse avec lui »…
    Lorsqu’on a l’esprit du flamenco dans la tête, même parler, réfléchir, marcher dans la rue, boire ou manger, et à plus forte raison écouter de la musique, monter à cheval et séduire ou tenter de le faire, procède de ce mimétisme avec une certaine philosophie de la vie. Etre flamenco. Comme on naît torero. Que devient-on alors? (rien, sinon "celui que l'on est", chuchote Nietzsche). « L’être flamenco », éprouve des sensations rares, comme la correspondance (au sens baudelairien du terme) entre deux êtres. La grâce. C’est un être fondamentalement libre.  C’est un bandit.

    ¡Vaya!



    Photo © nicolson


  • Duende

    Au cours d’une conférence que Federico Garcia Lorca donna sur le sujet : « Jeu et théorie du duende », il cita un ami qui lui dit ceci en écoutant la musique de Manuel de Falla : « Tout ce qui a des sons noirs a du duende ».
    C’est un beau résumé.
    Lorca ajoute : « Ces sons noirs sont le mystère, les racines (…) le duende aime le bord de la blessure et s’approche des lieux où les formes se fondent dans un désir qui brûle…».
    Le duende a quelque chose à voir avec l’orgasme.

  • Chez le libraire, cinq

    5

    Chez le libraire, je suis berger. Je compte les moutons qui appartiennent à mes patrons. Je visite. Passe. Fait passer.
    Et puis je m’en vais. Jamais sans avoir pris au moins une brebis ou un agneau. Question de principe. Absurde, donc. Et de respect du métier de libraire, de la chose écrite, de solidarité avec mes sœurs et frères d’armes. Je ne puis me résoudre à sortir d’une librairie sans avoir au moins acheté un poche. C’est plus fort que moi. Je me sentirais coupable, sans cela. Voleur de mots à la sauvette. J’ai prélevé des choses, pris du plaisir : cela se paye. Alors j’achète. Souvent pour offrir : je rachète. Afin de partager mes émotions textuelles, anciennes ou récentes.
    Chez le libraire, je n’existe pas. Je vis. A fond. Un ami pourrait arriver et feuilleter à côté de moi, je ne le verrais pas. Mon regard, mon être, sont concentrés sur les livres. J’ai alors l’esprit en entonnoir vers eux. Je ne vois absolument rien d’autre. Un vrai photographe au moment délicat de la mise au point.
    C’est parmi les livres et dans la nature, lorsque bat la migration d’octobre, que je me sens le mieux habiter cette terre. J’écris cette phrase en pensant à Albert Camus, qui a écrit que les deux seuls endroits où il se sentait réellement bien, étaient un stade de foot et les planches d’un théâtre. Deux scènes où l’existence se joue. Ma vie se situe résolument entre livres et oiseaux.
    (Les femmes? -une pomme de discorde). Et la librairie, ma trousse d’urgence.